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Prisonniers politiques en démocracie: quelques heures en compagnie d'un ex-prisonnier politique chilien

Anonyme, Dimanche, Août 15, 2004 - 19:06

Patrice Dagenais, Concepción, Juin-Juillet 2004

 
Rencontre avec Hector Sandoval, ex-prisonnier politique du MIR. Hector s'occupe, avec le groupe des ex-prisonniers politiques du MIR de la région de Concepción (centre sud du Chili), de venir en aide aux prisonniers politiques actuels du Centre pénitenciaire El Manzano (Eduardo Vivian, Reinaldo Cortés et Victor Ankalaf Llaupe).

Ce texte relate pour l’essentiel la visite fait en sa présence à deux des trois prisonniers politiques incarcérés dans la prison.

 
Il est 10:00 un matin de juin et il fait anormalement chaud sur Concepción. C'est l'automne ici et il ne pleut presque jamais. De surcroît, la température ne descend rarement le jour en dessous du 15ºC, alors que la normale devrait au moins être 5ºC en dessous. Le dérèglement climatique n'épargne donc aucune région du monde.

Je suis dans les bureaux de la Fundación EPES (Educación Popular en Salud) où je me rends régulièrement depuis quelques semaines afin d'aider dans diverses tâches Javier Sandoval, éducateur populaire au sein de l'organisme. Ce matin-là, par contre, je ne me retrouve pas à l'EPES pour aider Javier, mais pour rencontrer son père, Hector Sandoval, el&nbsp ;Chacha. Je l'avais contacté pour lui proposer un projet de reportage sur les personnes dont lui et le groupe auquel il participe soutiennent : trois prisonniers de la prison de Concepción. Je l'attends donc et je suis nerveux, ne sachant pas trop à quoi m'en tenir car je n'ai pas compris clairement son dernier message : allons-nous ce matin au pénitencier rencontrer les prisonniers ou va-t-il plutôt me présenter aux autres membres du groupe de soutien ? Je suis un peu préparé à tout ; j'ai mon passeport au cas où nous allons au pénitencier et mon enregistreuse. Je n'ai pas mon appareil photo et je m'en désole. Je ne me sens pas très professionnel ; rien de plus vrai car c'est la première fois que je m'engage dans un tel projet. Pour calmer ma nervosité, je me dis : "je vais faire ce que je peux, ce sera le moins que je puisse faire".

Hector arrive donc, ponctuel. Je l'avais croisé une fois dans ces locaux, mais nous n'avions échangé qu'un "¡Buenos días!", sans plus. Maintenant, nous allons avoir le temps de parler et j'ai cette impression que le temps va s'accélérer, que je vais apprendre et vivre énormément en peu de temps. Il faut dire que le Chili connaît bien ces périodes d'accélération depuis plus de 30 ans, vers l'avant comme vers l'arrière. Ce pays est donc bien placé pour en faire vivre.

Dans le bureau de Javier, j'apprends clairement ce que nous allons faire, Hector et moi. Nous allons nous rendre au centre pénitenciaire de Concepción pour rencontrer les trois prisonniers. Nous discutons du matériel que je pourrais emmener : sera-t-il possible d'entrer avec l'enregistreuse ? Nous nous essayerons et Javier nous prête une caméra photo ; si on nous laisse passer avec l'une, on nous laissera aussi passer avec l'autre.

Dans l'autobus nous emmenant au pénitencier, sur le chemin de Penco, Hector et moi discutons du Canada et du Québec. Je lui dresse un portrait rapide de la situation politique du pays et de la province ; des partis qui sont du pareil au même et les multiples attaques lancées contre les acquis sociaux tant au fédéral qu'au provincial, l'existence d'une gauche sociale plus forte que la gauche politique, quasi inexistante. C'est qu'Hector voyagera au Canada à la fin du mois, il ira ainsi rencontrer des proches à Winnipeg et se dirigera ensuite vers l'est, le Québec assurément, pour rencontrer des organisations oeuvrant dans les droits humains afin de créer un réseau d'appuis pour le Chili.

Durant toutes nos conversations, Hector ne parlera que peu de lui et de sa famille, alors je sais peu de choses de lui, mais ce "peu" arrive tout de même à me questionner sur ma légitimité à le questionner lui, sur ses expériences et ses luttes. J'ai vécu dans la ouatte toute ma vie et je n'ai jamais connu la répression (ou si peu), ni la guerre, ni les camps de réclusion. Je suis cependant là pour entendre parler de tout ça et pour le faire parler de tout ça. Je peux peut être relater les faits, mais ne pourrais-je jamais réellement comprendre ? Je dois garder en tête que je dois simplement faire ce que je peux.

J'en connais donc peu sur Hector. Je sais que c'est un ouvrier spécialisé, mécanicien de formation. Membre du MIR (Movimiento de Izquierda Revolucionaría), il choisira les chemins de l'exil, à Cuba, à la suite du coup d'État de 1973, l'autre 11 septembre. Après y avoir installé sa famille (sa femme et ses deux fils), il reviendra clandestinement au Chili pour poursuivre des activités de résistance contre la dictature du général Pinochet. Arrêté, il sera incarcéré brièvement. Voilà tout ce que je sais sur le passé d'Hector. Javier, son fils, m'avouera ne pas en savoir beaucoup plus... Il y a des pans entiers de la vie de son père qu'il ne connaît pas. Il y a de ces jours où je me demande comment ce type d'individus, qui ont une histoire, qui ont fait l'histoire et qui l'ont vécu, se retrouvent sur mon chemin ; la question que je devrais me poser ne serait-elle pas plutôt : qui suis-je pour me retrouver sur le chemin de ces personnes, pour ne pas dire ces "personnages" ? Je me sens comme un élève, un élève qui apprend, mais qui ne comprendra réellement peut être jamais.

Aujourd'hui, Hector participe activement aux activités du Groupe des ex-presos políticos del MIR (ex-p.p. del MIR) de Concepción. Et je vais bientôt me rendre compte en vivo d'une de leurs principales activités, car le bus approche du pénitencier de Concepción. Cette activité est celle de soutenir par un appui tant matériel que judiciaire, voire même psychologique, trois prisonniers politiques (p.p.) qui y sont enfermés. Ce sont ces trois prisonniers que nous nous apprêtons à rencontrer.

Hector me fait signe qu'il faut descendre car nous sommes arrivés au Centro de reclusión penitenciaría El Manzano. C'est l'heure des visites et l'entrée est bondée de personnes. Il doit y avoir beaucoup de prisonniers.

Nous passons le premier contrôle de sécurité rapidement, car nous allons rencontrer le chef en poste pour lui demander l'autorisation d'entrer avec l'enregistreuse et l'appareil photo. Rendus dans le bureau de cet homme, Hector me présente comme le représentant d'une organisation de droits humains canadienne, histoire de mettre un peu de pression sur le policier (et de m'en mettre aussi...). J'affronte le regard interrogateur du policier qui le retient sur moi quelques instants. Je ne crois pas qu'il ait vraiment cru que je faisais dans les droits humains. Quoiqu'il en soit, il refuse notre requête. Hector a beau lui montrer une photo de lui-même prise lors de son incarcération durant la dictature, en lui disant que ça n'avait pas de sens qu'on nous empêche de prendre des photos dans une prison d'un régime démocratique alors que des journalistes pouvaient en prendre durant la dictature ! Argumenter ne change rien, il ne nous laisse pas entrer avec les appareils. En se dirigeant vers le second poste de contrôle, Hector me dira : "tu écriras ça dans ton texte qu'on ne peut pas prendre de photos dans une prison en démocratie alors qu'on le pouvait sous la dictature (1) ...." Il arrive qu'une démocratie ne vale guère mieux qu'une dictature, voire même qu'elle la surpasse en matière d'interdiction ; on parlera alors d'une "démocrature", comme le disait un journaliste québécois dont j'ai oublié le nom.

Au deuxième contrôle de sécurité, après que le gardien m'ait demandé mon origine, les autres visiteurs rigolent entre eux, car la canada est le nom qu'on utilise communément au Chili pour désigner les pénitenciers. Si les Canadiens savaient ce que signifie le nom de leur pays pour les Chiliens...

Après le troisième contrôle et y avoir laissé mon passeport, nous entrons finalement dans le secteur des prisonniers. Les p.p. sont enfermés avec les chauffards, condamnés pour conduite dangereuse et / ou alcoholisme au volant. Le gouvernement de la Concertación nie leur statut de prisonniers politiques, même si le fait de ne pas être enfermés avec les criminels de droit commun montre clairement qu'ils sont considérés différemment par les autorités. Le gouvernement dit cependant qu'ils n'ont pas été condamnés sous la dictature, et qu'alors ce ne sont pas des p.p. Beau sophisme ; ceux qui avancent cela oublient que la "démocratie" chilienne a hérité de beaucoup de formes d'autoritarisme issues de la dictature. De toute manière, selon le Pacto de Derechos Civiles y Políticos de San José de Costa Rica, est considéré comme p.p. toute personne qui a enfreint la légalité d'un pays pour des motivations politiques, un pacte signé par le Chili sous la dictature et ratifié par les gouvernements de la Concertación (2). Ces trois prisonniers sont bel et bien des p.p., comme en témoigne le chemin qui les a conduit jusqu'ici. Mais la justice chilienne continue de les taxer de "terroristes"...

Sur les trois p.p. qui s'y trouvent incarcérés, il y en a un que je n'ai pas pu rencontrer, parce qu'on a pas réussi à le trouver, et je n'en sais donc que très peu sur lui. Il s'appelle Eduardo Vivian, incarcéré depuis 8 ans pour vols de banque. Il n'a reçu jusqu'à maintenant qu'une seule condamnation pour laquelle il purge actuellement une peine de 10 ans. Deux procès sont en attente pour un autre vol et un affrontement avec la police. Il ne sait pas combien de temps il passera en prison au total. Il vit donc dans l'attente de savoir s'il pourra sortir de prison un jour (3).

Il y a bien aussi le cas de Juan Sandoval (sans lien de parenté avec Hector) que l'on peut considérer comme le quatrième p.p. de Concepción, mais celui-ci dispose de certains "avantages" comme la sortie dominicale et la sortie journalière avec retour pour dormir. C'est justement ce type d'"avantages" que le groupe des ex-p.p. du MIR aimeraient que les trois autres obtiennent. C'est dans ce but qu'ils travaillent activement.

Je n'ai donc rencontré que deux prisonniers. Le premier, nous l'avons rejoint dans la salle de séjour du bloc où il est enfermé : il s'agit de Reinaldo Cortés dit el Kato. Profitant du peu de liberté que lui offrait l'heure des visites, il s'était réfugié dans cette salle où nous l'avons trouvé, fumant une cigarette et lisant un livre. Nous nous assoyons avec lui et il nous offre un thé. Hector lui remet 10 000 pesos (un peu plus de 20 $), il pourra ainsi se nourrir pour quelques jours. C'est que les p.p. refusent de manger la nourriture qu'offre la prison parce qu'elle n'est tout simplement pas très nutritive ; ils essayent de s'en passer le plus possible. Les ex-p.p. leur donnent un bon coup de main à ce niveau.

Cela fait presque 13 ans que Reinaldo Cortés est enfermé ici. Il purge une peine de 44 ans pour avoir volé, en 1991, l'Acte d'Indépendance du Chili, à la bibliothèque nationale de Santiago. Jeune membre du Frente Patríotico Manuel Rodriguez (FPMR) (4), il planifie et effectue ce vol avec d'autres personnes pour le coup d'éclat que ça ferait. Imaginez la une des journaux : "Le FPMR s'empare de l'Acte d'Indépendance !" Sauf que ça tourne mal durant l'exécution du plan et un garde de la bibliothèque est tué à la suite d'une altercation avec les cambrioleurs. Capturé, il subit un procès où une cumulation de lois entraînent une peine démentielle ; s'il est condamné pour l'altercation ayant occasionné mort d'homme, donc pour sa participation à un meurtre non-prémédité, il l'est aussi en vertu de la loi anti-terroriste, de la loi de sécurité intérieure de l'État, la loi du contrôle des armes à feu et, comble de l'ironie, en vertu de la loi du service militaire obligatoire, un service qu'il avait omis de faire, objecteur de conscience qu'il est. Pourquoi une peine aussi lourde ? Journaliste à l'hebdomadaire El Siglo, Ivan Valdés nous l'explique. Il écrit qu'avec la loi anti-terroriste, héritée de la dictature, et la loi de sécurité intérieure de l'État, on en arrive à sanctionner la filiation politique du contrevenant à un groupe taxé de "terroriste", plus que le délit en lui-même. Il s'explique : si c'est un membre du FPMR qui commet un hold-up, on le condamne non seulement pour le hold-up, mais en plus, on lui ajoute une nouvelle condamnation pour appartenir au FPMR, qui est considéré comme une organisation terroriste (5). Cela signifie que si Reinaldo Cortés n'avait pas eu d'affiliation politique, sa peine aurait été beaucoup moins lourde, une douzaine d'années tout au plus. Mais Reinaldo était justement membre du FPMR et l'appareil répressif de l'État a fait son travail. Le voilà purgeant une peine ridiculement démesurée.

Le groupe des ex-prisonniers politiques du MIR demandent des privilèges extra pénitenciaires pour Reinaldo Cortés ; une permission de sortie journalière entre autres, car Reinaldo, poète et peintre, désirerait entreprendre des études universitaires en littérature ; sorties dominicales aussi, pour qu'il puisse rencontrer d'une manière constructive son fils de 11 ans qui naquit en 1993 alors qu'il était déjà emprisonné. Jamais Reinaldo n'est sorti du pénitencier pour voir son fils et n'a ainsi jamais pu construire cette relation père-fils si importante pour le développement d'un enfant. Les ex-p.p. ne demandent pas l'impunité ; Reinaldo a déjà passé de toute façon près de 13 ans en prison, mais une réduction de peine avec permissions de sorties. Le rôle de la justice n'est pas de s'acharner, mais simplement d'être juste.

Je regarde Reinaldo, assis près de moi, et je vois l'anxiété dans ses yeux, l'anxiété d'être privé d'une liberté qui lui permettrait de s'épanouir et de favoriser par le fait même l'épanouissement de son fils. Ses ongles sont rongés et j'imagine bien le doute insupportable qui doit l'assaillir : "vais-je un jour sortir d'ici ?" Et moi qui m'inquiète quelquefois pour des riens...

Pendant que nous buvons un thé en compagnie de Reinaldo, un autre compagnon des ex-p.p. du MIR, Francisco Lussich, el Pancho, grand homme très digne, arrive ; il reste avec Reinaldo pendant qu'Hector et moi partons à la recherche d'un autre prisonnier politique, le deuxième et seul autre que j'ai rencontré : Victor Ankalaf Llaupe.

Nous l'avons retrouvé dans la cour intérieure du centre d'incarcération, marchant tranquilement et écoutant de la musique avec son baladeur. Victor Ankalaf se distingue des autres prisonniers politiques de Concepción par son origine mapuche (6), le plus important groupe amérindien du Chili. Victor est très distant et me parlera peu, il ne s'adressera pratiquement qu'à Hector. Je sais cependant qu'il est marié et que sur ses cinq enfants, quatre vont à l'école, niveau básico (primaire) et colegio (secondaire) et une n'a pas encore atteint l'âge scolaire. De la prison, Victor ne peut maintenir sa famille, comme non plus il ne peut aller chercher du charbon pour le chauffage, ni récupérer de la laine pour faire des couvertures et des vêtements, ni cultiver la terre pour nourrir sa famille. Il ne peut faire ceci que dans sa communauté, à Choin Lafquenche, Collipulli, Haut Bío Bío (cordillère des Andes). La famille se retrouvant dans des conditions extrêmement précaire, son épouse Margarita, doit laisser les cinq enfants en pension dans d'autres familles de la communauté et se rendre à Santiago pour travailler comme employée domestique, afin de pouvoir leur donner à manger. Gagnant peu d'argent, elle ne peut venir visiter son mari à la prison de Concepción, le billet de bus étant trop dispendieux. J'imagine bien les préoccupations de Victor, son peuple continuant de lutter à l'extérieur sans qu'il ne puisse prendre part à cette lutte d'une manière active et sa famille laissée à elle-même par la force des choses et qui vit constamment dans le risque de manquer de l'essentiel.

Selon Luis Campos Muñoz, anthropologiste et professeur à la Universidad-Academia del Humanismo Cristiano à Santiago, on compte plus de cent prisonniers politiques mapuches actuellement au Chili. Beaucoup sont de la Coordinadora Arauco-Malleco (CAM) (Victor en fut un dirigeant), une organisation mapuche représentant plus de 160 communautés. La CAM constitue aussi le groupe politique mapuche le plus radical et se retrouve ainsi systématiquement attaqué par la police et qui plus est, est rejetée des négociations avec le gouvernement (7).

Peuple autochtone ayant le plus longtemps résisté aux assauts des conquérants et colons européens, le peuple Mapuche garde toujours une forte culture de résistance. Le combat des Mapuches pour leur auto-détermination, la restitution des terres ancestrales et une plus grande participation aux plans d'aménagements du territoire, constitue une réponse logique et légitime à la nouvelle colonisation imposée par l'expansion de l'État chilien, une expansion conduite de manière conjointe avec des corporations nationales et internationales (8).

Le conflit actuel, au sein duquel se retrouvent les événements qui ont conduit Victor Ankalaf en prison, repose sur l'exploitation sans vergogne par le gouvernement et l'entreprise privée des immenses ressources naturelles du territoire mapuche dans la région de l'Araucanía. Pour fins de l'exploitation des ressources de ce territoire, la dictature comme les gouvernements dits "démocratiques" qui l'ont suivi depuis 1990 ont porté de graves atteintes aux droits des Mapuches. Des communautés entières ont ainsi été déplacées pour laisser la place à la construction d'autoroutes et de barrages hydroélectriques, des terres ancestrales ont été cédées à des compagnies forestières qui ne considèrent aucunement la préservation de la ressource. C'est dire que les autorités gouvernementales, de pair avec l'entreprise privée, s'emparent peu à peu du territoire des Mapuches sans que ceux-ci puissent faire entendre leur voix et plus important encore, la faire respecter.

Un exemple flagrant de la mise à l'écart des Mapuches par le gouvernement des décisions qui les concernent pourtant directement constitue les événements entourant l'approbation par la Corporación Nacional de Desarollo Indígena (CONADI) du projet de barrage Ralco, sur la rivière Bío Bío, par la compagnie Endesa, la compagnie nationale d'électricité de propriété espagnole. Ce projet, parce qu'il se situait au coeur du territoire mapuche, devait recevoir l'approbation de la CONADI, mais après que l'organisme ait rejeté le projet à la lumière d'une étude d'impact environnemental, le gouvernement congédia ses deux seuls directeurs mapuches pour les remplacer par un "blanc" favorable au projet. CONADI a alors approuvé le projet sans la participation des représentants mapuches (9).

Maintenant, alors qu'il n'y a plus d'espace auprès du gouvernement pour se faire entendre, les organisations mapuches plus radicales qui choisissent la voie des occupations de terres, de locaux et de la rue pour protester, sont discréditées par le gouvernement, les médias et l'entreprise privée qui les étiquètent de "terroristes". Les autorités chiliennes manquent donc décidément de vocabulaire... Les demandes légitimes d'auto-détermination et de participation aux décisions qui les concerne se transforment par une perverse inversion de sens, en actes subversifs. À l'heure où j'écris ces lignes, des forces de police militarisées opèrent en territoire mapuche dans le but de démanteler ce qu'ils considèrent être des "associations illégales dont l'objectif est de poser des actes criminels". Ainsi, plusieurs dirigeants mapuches, comme Victor Ankalaf, se retrouvent accusés ou incarcérés pour "association illégale" et "conduite terroriste" (10).

En entrevue au journal El Siglo, Sergio Laurenti, directeur exécutif d'Amnistie Internationale pour le Chili, affirme que la répression des autorités chiliennes à l'égard des organisations mapuches a atteint un tel niveau que s'il n'y a pas de jugement de la cour en leur faveur prochainement, six dirigeants mapuches passeront à la clandestinité ; c'est pour lui le signal qu'il y a quelque chose qui va mal dans la démocratie chilienne, si on peut réellement l'appeler "démocratie" (11).

Dans la cour intérieure de la prison, Victor Ankalaf me lit un texte qu'il a écrit sur sa vie. J'écoute attentivement ses paroles et je regarde cet homme, chef amérindien qui garde jusqu'en prison cette solennité et cette dignité qui caractérisent bien son peuple.

Victor Ankalaf est un dirigeant mapuche, parmis la centaine qui se retrouve présentement derrière les barreaux au Chili. Il fut élu premièrement comme "lonco" de sa communauté, un terme tiré de la langue mapuche, le "Mapudungun", qui signifie "représentant". Il fut ensuite élu "werken", c'est-à-dire le chargé des communications de la communauté, l'unique personne autorisée à transmettre de l'information concernant la communauté à l'extérieur, une charge haute en responsabilités, qu'il accomplissait avec compétence et dans l'intégrité. Aujourd'hui, il est prisonnier politique de la Concertación pour avoir défendu sa communauté du Haut Bío Bío (12).

Cela fait presque deux ans que Victor Ankalaf est incarcéré au Manzano de Concepción pour avoir été reconnu coupable d'incendies de camion de la cie Endesa à Ralco, territoire Pehuenche (ethnie mapuche de la cordilère), en septembre 2001 et mars 2002. Considérés comme "actes terroristes", la peine fut lourde considérant le geste en question : 10 ans et un jour. Il fut aussi condamné pour avoir été reconnu coupable de la séquestration d'un juge à la cour régionale de Collipulli, toujours dans le Haut Bío Bío. Résultat ? 3 ans de plus. En première instance donc, la condamnation totale s'éleva à 13 ans et un jour de prison. Le plus triste dans cette histoire, me dira plus tard Hector, c'est que le juge ne fut jamais séquestré ; il s'enferma lui-même dans son bureau en voyant un groupe de protestataires mapuches, au sein duquel se retrouvait Victor Ankalaf, pénétrer dans le lieu pour l'occuper. On l'accusera ensuite d'avoir séquestré le juge. Une occasion à ne pas rater pour mettre hors d'état de nuire un dirigeant mapuche gênant, parce que n'hésitant pas à élever la voix. Le 4 juin dernier cependant, la cause de Victor Ankalaf concernant les incendies de camion (et non celle concernant la séquestration du juge) fut entendue de nouveau à la cour d'appel de Concepción. La résolution de la cour concernant cette révision de la preuve et de la sentence de Victor Ankalaf (13) et issue du secrétariat criminel est stupéfiante : chacune des considérations insiste sur le fait qu'il n'y a pas de preuves suffisantes pour reconnaître sa culpabilité pour deux des charges retenues contre lui, celles concernant les incendies de camions ayant eues lieues les 29 septembre 2001 et 3 mars 2002. Si deux inculpations sont ainsi retirées par la cour d'appel, celle-ci en retiendra toutefois une, celle concernant d'autres incendies survenus le 17 mars 2002 et retient donc une condamnation de 5 ans et un jour, en vertu de la loi antiterroriste, mais il s'agit d'un verdict de culpabilité ne se basant que sur de pures présomptions.

5 ans de prison pour un incendie de camions, un incendie pour lequelle Victor Ankalaf a toujours nié avoir participé et 3 ans pour une soi-disant séquestration. Quoiqu'il en soit, une telle disproportion entre la gravité des gestes reprochés, somme toute minime, et la peine d'emprisonnement démontre clairement qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans l'administration de la justice au Chili.

Quand on compare certaines condamnations pour violation de droits humains sous la dictature à celle obtenue par Victor Ankalaf, on se rend compte que l'application de la loi au Chili se base sur la règle du "deux poids deux mesures". D'une part une moins grande sévérité à l'égard des contrevenants "amis" du régime, ceux qui ne menacent pas la "paix sociale" et qui ne remettent pas en question l'ordre (pour ne pas dire le désordre) des choses, et d'autre part, une plus grande sévérité quand ces contrevenants sont des hommes et des femmes membres de mouvements sociaux, luttant pour une plus grande justice sociale. Voici quelques exemples de peines ridicules compte-tenu de l'horreur des gestes posés, des peines données à des amis du régime :

  • 600 jours d'emprisonnement pour le capitaine Pedro Fernández Dittus de l'armée chilienne pour l'assassinat d'un protestataire, Rodrigo Rojas Denegri et lésions graves perpétrées sur Carmen Gloría Quintana (14) ;
  • 541 jours pour les carabineros (forces policières chiliennes), Domingo Campos Collao et Mario Ponce Orellana ainsi que pour le civil Eduardo Salazar Herrera pour la disparition de deux jeunes mapuches ;
  • 10 ans et un jour pour le colonel Hugo Cardemil Valenzuela de l'armée chilienne et le carabinero Rodney Caulier Grant pour leur responsabilité concernant la disparition de 27 personnes à Parral, entre septembre 1973 et octobre 1974 (15).

Bien qu'il y ait eu quelques condamnations à perpétuité chez les militaires et les carabineros, il reste que trop d'entre eux n'ont pas reçu de sentences assez sévères en regard aux actes commis. Le cas de Victor Ankalaf illustre bien la tendance contraire des autorités à s'acharner envers ceux et celles qui refusent de voir bafouer leurs droits et qui remettent en question le désordre ambiant.

Devant Victor Ankalaf, dans la cour intérieure, j'entends un guardien signaler la fin de la période de visite. Ankalaf arrache de son cahier les pages contenant le résumé de sa vie qu'il vient de terminer de me lire et les donne à Hector pour qu'il m'en fasse une photocopie.

Hector salue Ankalaf et moi je ne sais trop quoi dire. Que pouvons-nous dire à une personne qui doit regagner sa cellule alors que nous, nous nous en retournons tranquilement à notre quotidien, à l'extérieur ? Pas beaucoup de choses en réalité. Je le salue à mon tour en lui souhaitant bonne chance. Pas très recherché, mais je me promets d'écrire ce texte, le moins que je puisse faire.

Avant le contrôle de sortie, nous revoyons Reinaldo, venu nous saluer. Nous devons nous dépêcher car nous sommes les derniers visiteurs et le garde effectue des gestes d'impatience. Reinaldo et moi nous nous faisons l'accolade. J'essayerai de revenir voir les prisonniers si j'en ai la chance.

Après de multiples contrôles, nous repassons chercher l'enregistreuse et la caméra. À l'extérieur, il y a la même foule qu'à notre arrivée. Les proches des prisonniers rentrent chez eux ou retournent au travail le coeur gros de voir encore une fois, leur père, leur frère, leur ami, demeurer à l'intérieur.

Nous laissons Francisco, qui me donne son adresse au cas où j'aurais besoin de son aide pour mon projet de reportage et Hector me propose d'aller prendre l'almuerzo à Penco, sur le bord de la baie, où de petits restaurants proposent de bonnes assiettes de fruits de mer et de poissons peu chères. Déjà, nous goûtons à une liberté qui hante probablement les rêves de tous les Eduardo Vivian, Reinaldo Cortes et Victor Ankalaf du Chili. Nous devrions savourer ces moments pleinement ; beaucoup n'ont pas cette chance.

Un peu plus tard, descendant du bus et marchant sur la route qui longe la baie, Hector me montre une île au large que l'on peut très bien voir aujourd'hui car il fait un temps superbe. C'est la Isla Quiriquina, sur laquelle se trouvait un camp de réclusion durant la dictature. Son frère, Lisandro Sandoval, y fut enfermé avant d'être assassiné après son retour d'exil en Europe. Je me mets à réfléchir : certaines familles, certaines personnes, ont toute une histoire, et malgré les événements difficiles et tristes, elles continuent à aller de l'avant, à lutter. C'est probablement parce que ces personnes ont connu des difficultés immenses qu'elles offrent aussi facilement et inconditionnellement leur aide et leur appui. Dans le groupe des ex-p.p. del MIR, le sectarisme n'a pas sa place - tranchant ainsi avec les divisions idéologiques et d'actions qui ont longtemps opposés les groupes et les partis politiques de gauche, des oppositions qui se sont souvent faites sentir d'ailleurs à l'intérieur même de ces organisations - et le seul fait d'être prisonnier politique suffit pour qu'ils offrent leur aide. Comme je l'ai déjà mentionné plus haut, sur les trois p.p. enfermés dans cette prison, deux ont appartenu au FPMR et l'autre est un dirigeant mapuche. Hector et ses amis ont vécu l'emprisonnement et ont souffert directement de la dictature ; ils considèrent donc essentielle la solidarité avec les prisonniers politiques actuels, toutes tendances confondues.

Devant une paila marina, une soupe de fruits de mer délicieuse, presque un ragoût, j'écoute Hector me parler de son groupe, les ex-p.p. del MIR. Il me dit que j'ai été témoin, aujourd'hui, de la principale tâche du groupe, soit venir en aide aux p.p. de la prison de Concepción, leur apporter une aide matérielle (aliments, vêtements et médicaments) et soutien moral. Conjointement à cet appui essentiel, le groupe mène aussi un combat juridique, en collaboration avec un avocat, pour faire obtenir aux p.p. certains avantages, sorties journalières et dominicales par exemple. Bref, un peu de liberté, si ce n'est l'objectif ultime, la liberté totale.

Une autre tâche que s'est donné le groupe est de rechercher les personnes de la région disparues durant la dictature. C'est un travail très douloureux m'explique Hector, car cela signifie reconstruire les faits entourant la disparition de proches, souvent d'amis et les présenter à la justice comme aux familles des disparus. Ce sont les familles elles-mêmes qui demandent généralement de telles recherches pour connaître enfin ce qu'il est advenu d'une fille, d'une soeur, d'un père. Mais il ne faut pas ce faire d'illusion, ajoute-t-il, à propos de la justice chilienne ; elle pourrait être pire, mais elle pourrait aussi être bien meilleure.

Jusqu'à maintenant, le groupe a réussi à retrouver les restes de dix personnes, des ossements humains, en trois lieux distincts. Un travail exigeant, pour lequel ils n'ont même pas pu obtenir l'appui de la justice chilienne, pour l'identification des restes comme pour leur conservation. Faute d'expertise adéquate, le groupe ne peut arriver à identifier ces restes. La preuve que ce sujet n'intéresse pas la justice du pays, voire même que c'est pour elle un sujet gênant, réside dans ce fait troublant : les restes ont récemment disparus de la morgue où ils étaient temporairement conservés. Hector a mené les recherches qui ont conduit à ces découvertes, avec l'aide de d'autres gens de la région intéressés à la cause : Nelson Gonzalez, avocat, Carlos Lagos, conseiller municipal du Partido Socialista de Tomé, Lautaro Lopez, médecin, Javier Sandoval, son fils, et d'autres personnes du groupe des ex-p.p. del MIR. Pour ceux et celles qui oeuvrent dans le respect des droits humains au Chili, la tâche est difficile et semées d'embûches, de la part même de l'institution qui devrait avant toute autre les appuyer.

Le groupe des ex-p.p. travaille aussi à réouvrir les procès de militaires et de carabineros ayant participé de près ou de loin à l'éxécution de compagnons miristes et qui n'ont pas reçu de condamnations adéquates. Il tente aussi de découvrir les responsables de l'assassinat de d'autres compagnons, des assassinats pour lesquels on a pas encore trouvé les auteurs, et de les traîner en cour afin qu'ils soient jugés. Une autre tâche difficile à accomplir compte-tenu de l'absence de collaboration de la justice chilienne.

Enfin, m'explique Hector, un dernier mandat que s'est donné le groupe est de reconstruire la mémoire du collectif miriste (16) ; c'est-à-dire rétablir l'histoire des luttes du mouvement et de la répression qu'il a subie. Une reconstruction et une commémoration essentielles pour empêcher que se perde le contenu du projet de société que véhiculait le MIR et pour que ce contenu, le négatif comme le positif, serve aux futures générations de militants politiques et sociaux.

Notre repas est terminé. Je regarde Hector et j'ai le sentiment clair d'avoir beaucoup appris en sa présence au courant des dernières heures. Un des objectifs de mon séjour au Chili était de connaître des organisations politiques et sociales du pays, de connaître leur fonctionnement, leurs luttes, leurs espoirs ; aujourd'hui, je le sais, j'ai atteint cet objectif. Plus tard, lorsque nous marchons devant la Place d'Armes de Concepción, Hector me confie que les p.p et le groupe de soutien n'ont pas besoin d'un seul ou de quelques-uns généreux donateurs, mais plutôt du plus grand nombre possible de personnes sensibilisées à la cause. C'est ainsi, me dit-il, qu'on construit un réseau d'entraide, un réseau essentiel, pour une solidarité pleine et entière, la seule chose qui puisse venir à bout de toutes les injustices. Dans le groupe de soutien, au départ, ils n'étaient que trois. Aujourd'hui, ils sont dix sept. Tisser des liens de solidarités ; voilà le fondement de toute lutte.

Après avoir fait des photocopies du texte autobiographique de Victor Ankalaf, Hector et moi nous nous disons "hasta luego". C'est le moment de nous quitter. C'est fou comment j'aurais aimé aujourd'hui être quelqu'un d'autre, un véritable représentant d'une organisation de droits humains, par exemple, ou encore, un avocat. Peut être aurais-je eu un quelconque poids quelque part. Je ne suis cependant rien de tout ça. Je ne suis qu'un fil de plus dans cette toile qui unit diverses personnes à la cause. Si je ne suis pas un fil essentiel à son existence, je suis à tout le moins utile ; je favorise son maintien et je la solidifie par ma présence. Je reverrai très certainement Hector ici durant une activité, comme d'ailleurs à Montréal à la fin de l'été. Ce ne sont donc pas des adieux.

Je regarde Hector s'éloigner et je réfléchis : il y a de ces hommes qui ne se fatigueront jamais ; véritables forces de la nature, ils ne s'arrêteront jamais de lutter, transportés par une force plus grande qu'eux, une vision dépassant l'individu et englobant la collectivité. En écrivant ces lignes, je sirote une Austral, une bonne bière chilienne, et je lève mon verre à tous les Hector Sandoval de la terre, les Eduardo Vivian, Reinaldo Cortés et Victor Ankalaf. ¡Salud! ¡Viva Chile mierda!

Le 12 juin dernier eu lieu à Concepción, dans les locaux du "Syndicato de los trajabadores forestales", la "Peña del kilo"(voir photo), une soirée-bénéfice pour venir en aide aux trois p.p. du pénitencier de la ville. Organisé par le "Comité de Iniciativas de Izquierda", réunissant des représentants d'organisations politiques et sociales de la région comme la "SurDa", le "Partido Comunista", le FPMR, le "Partido de la Izquierda Cristiana" et le "Partido Humanista", cette soirée fut un véritable succès. Le prix d'entrée constituait un kilo de nourriture se destinant aux p.p.. 140 personnes se présentèrent pour participer à cette soirée où nous avons pu entendre deux groupes musicaux, les Cimarrones et Surazo (17), ainsi que des réflexions. Nous avons pu aussi y voir des diapositives concernant la problématique des prisonniers politiques, au Chili et ailleurs en Amérique Latine. En vendant sopaipillas, vin et bière, le comité a réussi à recueillir plus de 40 000 pesos (un peu plus de 80 $ canadiens), un succès compte tenu des moyens financiers plus faibles des Chiliens. Et nous en avons de très bonnes photos ; j'en étais le photographe officiel...

Après s'être consultés, les p.p. décidèrent de partager l'argent entre eux trois, mais de donner la nourriture à la famille de Victor Ankalaf, étant donné sa situation précaire. Il en fut décidé ainsi aussi par mesure de solidarité avec les p.p. de Santiago en grève de la faim depuis le 12 avril et qui en étaient à leur 62e jour le 12 juin, au moment de la peña (18). Les p.p. de Concepción ne pouvaient accepter de nourriture alors que leurs compagnons de Santiago étaient en train de mettre en danger leur santé, voire même leur vie, pour la défense de leurs droits à tous.

Ce sont mes dernières lignes. Si dans votre lecture vous vous êtes rendus jusqu'ici c'est que j'ai atteint mon but : sensibiliser au fait qu'il existe dans le Chili d'aujourd'hui, celui de la Concertación, des prisonniers politiques. Des prisonniers politiques en démocratie... Voilà une contradiction qui nous permet de remettre légitimement en question les fondements même de cette "démocratie" chilienne. A-t-elle réellement beaucoup plus en commun avec la véritable démocratie que son nom ?

Devant un verre, un certain soir de mai, je discutais avec Javier, le fils d'Hector. Nous parlions de la situation politique et sociale du pays et des difficultés que rencontraient les organisations sociales et politiques progressistes dans leurs luttes pour le changement. À un point de la conversation, Javier me dira : "Le Chili est un pays atroce, Patrice (19)". Ces mots me sont restés gravés dans la tête. Javier, tout comme son père, n'a rien d'un pessimiste ; il milite activement au sein de plusieurs organisations et croit en son travail. Plus important encore : il peut en voir les résultats sur le terrain. Il reste que sous des couverts de démocratie et du PIB per capita le plus élevé d'Amérique latine, le Chili est effectivement un pays "atroce" comme le mentionnait Javier. "Atroce" quand nous voyons d'un côté des prisonniers politiques, des militants enfermés pour leur engagement social et politique, et de l'autre, des criminels, militaires et policiers, vivant toujours en toute liberté malgré leur participation à des assassinats politiques durant la dictature, mais que la Concertación tarde à juger aujourd'hui. Un pays "atroce" de part les grandes inégalités sociales créées par ce néolibéralisme expérimental appliqué sauvagement et qui fait en sorte qu'une richesse insolente côtoie souvent une pauvreté dramatique. "Atroce" pour un peuple autochtone, les Mapuches, subissant une répression systématique qui affaiblit chaque jour leur communauté, seulement parce qu'ils aspirent à prendre part aux décisions qui les concernent. "Atroce" pour l'environnement qui se détériore, des quartiers entiers côtoyant des industries lourdes et pour la faiblesse des lois environnementales, un avantage comparatif du Chili, qui permet aux entreprises de polluer à leur guise. La liste pourrait être longue. Mais qu'on ne se méprenne cependant pas ; "atroce" n'est pas un mot pessimiste, mais définit plutôt lucidement la réalité sociale et politique du Chili. "Atroce" est ainsi une réalité. Une réalité "atroce", certes, mais qui risque fort bien de changer car des gens, comme Hector, Javier et beaucoup d'autres, travaillent en ce sens. S'il y a des gens qui y croient, le changement est encore possible. Je suis parmi ceux qui y croient ; je les vois à l'œuvre.

Notes

1. Traduction libre du castellano.
2. Ivan Valdés, dans El Siglo, volume XXXVII no.1, Juillet/Août 2003, p.27.
3. J'essayerai, au courant des prochaines semaines, de trouver plus d'information sur Eduardo Vivian et de les publier sur le CMAQ.
4. Considéré comme organisation terroriste, le FPMR n'existe officiellement plus aujourd'hui. J'écris bien ‘‘officiellement"…
5. Ivan Valdés, op.cit., p.27.
6. L'ethnie amérindienne Mapuche sera la toute dernière à résister aux conquérants et colons européens et gardera le contrôle d'un grand territoire au sud du pays, de Concepción à Valdivia, l'Araucanía, jusqu'à la fin du 19e siècle.
7. Luis Campos Muñoz, dans NACLA : Report On the Americas, volume XXXVII no.1, juillet/août 2003, p.33.
8. Ibid., p.35.
9. Luis Campos Muñoz, op.cit., p.33.
10. Luis Campos Muñoz, op.cit., p.33.
11. Sans auteur mentionné, dans El Siglo, volume XXXVII no. 1, Juillet/Août 2003, p.7.
12. Je tenterai dans un texte ultérieur, de présenter au CMAQ ce texte autobiographique de Victor Ankalaf.
13. Rédaction du Ministre Jaime Simón Solís Pino, Resolución : 23291, Secrétariat criminel de Concepción, juin 2004, 4 pages.
14. L'histoire tragique de Carmen Gloría Quintana, brûlée vive sur 60% de son corps par la police lors d'une manifestation à Santiago en juillet 1986, fut connue à travers le monde et surtout chez nous au Québec après que le gouvernement ait offert de la soigner à l'Hôpital des Grands brûlés de Montréal. Carmen Gloría et sa famille s'installèrent donc au Québec, mais retournèrent finalement au Chili après la fin de la dictature. Rétablie, Carmen Gloría garde néanmoins de graves séquelles dues à ses brûlures. Elle vit aujourd'hui à Viña del Mar, sur la côte du Pacifique.
15. Francisco Herreros, dans El Siglo, no.8875, du 4 au 10 juin 2004, p.6.
16. Si on parle maintenant d'un collectif miriste, c'est tout simplement parce que le MIR n'existe plus comme mouvement politique. On retrouve dans ce collectif d'anciens membres du mouvement révolutionnaire.
17. Le premier faisant plutôt dans le rock, les rythmes latins, voire même dans le hip-hop et l'autre, plus
traditionnel, mais non moins intéressant, faisant dans la musique folklorique andine.
18. Cette grève de la faim, qui se termina finalement le 24 juin, avait pour but d'influencer le vote, prévu pour le 9 juin, du projet de loi de pardon qui permettrait de gracier tous les prisonniers ayant été condamnés en vertu de la loi anti-terroriste et ayant passé plus de 10 ans en prison. La grève eu un impact certain sur les représentants du Congrès, puisque les p.p. obtinrent des avantages extra pénitentiaires pour neuf compagnons, une accélération du processus de sorties journalières, des possibilités de solutions rapides pour la remise en liberté de trois autres compagnons sur lesquels ne pèse pas une lourde charge, des possibilités de solutions pour les p.p. condamnés en vertu d'une autre loi que la loi anti-terroriste et pour ceux condamnés en vertu de cette loi. Les p.p. ayant fait la grève de la faim ont cependant affirmé leur scepticisme envers les promesses et ont insisté sur leur foi en les actions concrètes.
En date du 24 juin, les p.p. en étaient à leur 74e jour de grève ; on sait cependant, qu'après 70 jours sans manger, la vie d'un individu est sérieusement menacée. Ainsi, au 71e jour de grève, un prisonnier souffrait de problèmes cardiaques, un autre d'anémie sévère et un autre de diarrhée, sans compter une perte importante de masse musculaire, des nausées, des problèmes rénaux et une destruction de la flore intestinale pour chacun d'entre eux. Une situation inquiétante donc, qui risque de leur laisser de sérieux séquelles pour le restant de leur vie.
19. Traduction libre du castellano.

Site concernant la situation des prisonniers politiques chiliens.
www.libertad.ya.st
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