L’aide humanitaire est une des victimes de la guerre qui n’arrête pas en Afghanistan. L’Office du Haut Mandataire des Nations Unies pour les Réfugiés a interrompu jeudi dernier « jusqu’à nouvel avis » les activités de formation et de financement qu’elle réalisait dans le sud-est du pays par l’intermédiaire de Malteser Hilfsdienst. Deux membres de cet organisme allemand furent assassinés...

La Insignia

9-08-2004

De certains usages et coutumes

Par : Juan Gelman
Pagina/12
Argentine, août 2004

Traduit de l’espagnol par :
Pierre Trottier

L’aide humanitaire est une des victimes de la guerre qui n’arrête pas en Afghanistan. L’Office du Haut Mandataire des Nations Unies pour les Réfugiés a interrompu jeudi dernier « jusqu’à nouvel avis » les activités de formation et de financement qu’elle réalisait dans le sud-est du pays par l’intermédiaire de Malteser Hilfsdienst. Deux membres de cet organisme allemand furent assassinés, très probablement par un groupe taliban, lorsque leur véhicule se déplaçait sur la route de Zurmat-Gardez, au nord de Kandahar. Huit jours auparavant, Médecins Sans Frontières (MSF) avait annoncé la suspension de tous leurs programmes et son retrait d’Afghanistan, à la suite de 24 années de labeur continu, ce qu’aucun des divers régimes politiques et militaires qui se sont succédés dans cette période n’avait réussi à obtenir.

Deux raisons précipitèrent la décision de MSF. La première : le 2 juin, cinq de leurs intégrants furent assassinés dans une embuscade talibane dans la province nord-occidentale de Baghdis, malgré que le sigle de l’organisation identifiait clairement le véhicule qui les transportait. Les autorités afghanes identifièrent les auteurs de l’attentat, mais ne les arrêtèrent pas, ni même donnèrent des ordres à cet effet. ‘’ Le manque de réponse à cet assassinat dénote l’irresponsabilité et le manque de compromis en rapport avec la sécurité du personnel des soins médicaux qui travaillent sur le terrain ‘’, accuse MSF. Il est vrai que le « gouvernement » de Karzai ne contrôle guère plus que Kaboul et ses environs. Il n’est pas moins certain, en dernière instance, qu’un secteur très vulnérable de civils afghans est défavorisé, toujours pris entre le feu taliban et celui des troupes des occupants.

La seconde raison est également barbare. ‘’ La violence contre les volontaires de l’assistance humanitaire – dénonce MSF – se produit dans un contexte dans lequel la coalition dirigée par les États-Unis persiste à utiliser cette aide à des fins d’obtenir de l’appui pour ses ambitions politiques et militaires. En effet, le 12 mai 2004, MSF condamna publiquement la distribution de tracts dans le sud de l’Afghanistan qui enjoignait la population à fournir des données sur les talibans et sur Al-Qaida; dans le cas contraire, toute aide cesserait. Cette manière de gagner « les esprits et les cœurs » ne cessera qu’au moment de susciter beaucoup d’information. En échange, les organismes comme MSF paraissent aux yeux des afghans comme dépourvus de l’impartialité et de la neutralité nécessaires en rapport avec les parties en conflit, ‘’ mettant en danger la vie des volontaires et minant l’assistance aux nécessiteux ‘’. Au-delà de 30 de ces volontaires furent abattus depuis les débuts de l’année 2003. Les talibans considèrent qu’ils sont des « agents yankees ».

On comprend ‘’ le profond sentiment de tristesse et de colère ‘’ avec lequel MSF annonça sa sortie du pays. Jusqu’aux assassinats du 2 juin, 80 spécialistes étrangers et 1400 volontaires locaux prêtaient des services de base et hospitaliers en soin de santé dans 13 provinces, et mettaient de l’avant – entre autres – des programmes destinés à réduire le taux de mortalité materno-infantil, et à modérer les dégâts de la tuberculose. MSF est en train de transférer au Ministère de la Santé Afghane l’exécution de ces projets, avec la perte conséquente d’efficacité. L’offre des forces envahisseuses - « aide pour l’information » ou « nourriture pour délation » - a rendu très floue la ligne qui sépare l’assistance humanitaire des opérations militaires.

‘’ Cette assistance est possible seulement si les troupes respectent la sécurité des volontaires engagés sur cette voie – signale Michael Neuman, chargé de programmation pour MSF (IPS, 4-08-04) -. Pour cela, nous exigeons de la coalition qu’elle s’abstienne de toute activité qui prétend mettre l’aide humanitaire au service de ses objectifs politiques et militaires ‘’. Diderik van Halsema, membre de MSF, qui fut évacué de Kaboul, observa qu’en chemin vers l’aéroport, que, faisant suite à son automobile, roulaient des camionnettes de couleur blanche à l’égale de celles que MSF utilisa pendant ses 24 années de travail en Afghanistan. Seulement, elles ne portaient aucune identification et transportaient des effectifs de la coalition (bulletin MSF du 1-08-04). Les tracts lancés des airs qui, menaçant de couper toute catégorie d’aide si la population ne faisait pas preuve d’Intelligence, incluaient l’image d’une enfant afghane chargeant un sac de blé. ‘’ Il s’agit d’une intention transparente et inacceptable de fausser les principes humanitaires ‘’, ce que qualifie Kenny Gluck, directeur des opérations de MSF au Pays-Bas. Lundi passé, W. Bush déplora que Médecins Sans Frontières quitte l’Afghanistan. Qu’on ne me dise pas.

Traduit de l’espagnol par :
Pierre Trottier, août 2004
Trois-Rivières, Québec, Canada

Source : www.lainsignia.org