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À la rescousse de l’or bleu

Anonyme, Lundi, Juillet 19, 2004 - 19:00

Stéfany Ranger

L’eau est sans conteste la ressource naturelle la plus importante pour la vie et le développement de l’être humain. Toutefois, alors que l’eau est devenue une denrée rare au fil des années, le ministre de l’environnement Thomas Mulcair a affirmé il y a quelques semaines vouloir exporter nos ressources aquifères. Voici donc un portrait de la situation mondiale de l'eau.

L’eau est sans conteste la ressource naturelle la plus importante pour la vie et le développement de l’être humain. En effet, l’organisme adulte est composé en moyenne de 65% d’eau, cette quantité variant selon sa corpulence : plus l’individu est maigre, plus son organisme aura une importante proportion d’eau. Cependant, avec l’âge, les réserves d’eau dans le corps humain diminuent, les tissus se déshydratent et laissent place à la graisse. Ajoutons que les excrétions, la respiration et la transpiration empêchent eux aussi l’organisme de stocker des réserves d’eau. Il devient donc important pour l’individu d’en boire quotidiennement et de manger des aliments en contenant beaucoup.

Toutefois, ce n’est pas tout le monde qui peut satisfaire adéquatement ses besoins en eau. En effet, neuf pays se partagent 60% des ressources d’eau potable de la planète. Il s’agit du Brésil, du Canada, de la Chine, de la Colombie, des États-Unis, de l’Inde, de l’Indonésie, de la République démocratique du Congo et de la Russie . Selon Environnement Canada, le Canada dispose plus précisément de 9 % des réserves mondiales d’eau douce. Quant à lui, le Québec possède 3% de ces ressources aquifères, affirme Nathalie Marois dans son article « Le rapport Beauchamp fera date », paru sur le site Internet de L’aut’journal. Bien que l’eau recouvre la presque totalité de la planète (plus précisément 70% de la Terre), les ressources d’eau potable possédées par les neufs États énumérés plus haut proviennent des 2,8% d’eau douce disponible pour la consommation humaine ; 97,2% de l’eau restante étant de l’eau salée . Toutefois, une très grande partie de ces minces réserves d’eau douce s’avère inaccessible à l’humain, puisqu’elle est stockée sous forme de glaciers, de neige, ou bien elle est profondément ensevelie dans le sol.

Alors que l’on aurait tendance à penser qu’il existe un manque d’eau sur la planète, André Bouthillier, président de la Coalition québécoise pour une gestion responsable de l’eau Eau secours !, nuance la situation actuelle de l’or bleu. «Comme il ne se crée pas et ne se perd pas d’eau sur la terre (fait scientifique), il n'y a pas de manque d'eau proprement dit. Il existe cependant une répartition inégale de l'eau dans le monde et cela est un phénomène naturel », affirme-t-il. La position géographique des États, et par la même occasion leur climat, entraîne donc naturellement l’inégalité du partage mondial de l’eau. Par exemple, dans les forêts tropicales on retrouve une surabondance d’eau due aux nombreuses pluies, alors qu’au Proche-Orient la population manque d’eau à cause de son climat très aride. Selon le Comité de Solidarité Tiers-Monde de Trois-Rivières, cette répartition naturelle mais inégale cause toutefois le décès de près de quinze millions de personnes chaque année. Les prévisions de l’Unesco ne sont guère plus reluisantes : de deux à sept milliards d’individus pourraient manquer d’eau d’ici 2050.

À la source du problème

La situation de stress hydrique dans laquelle nous sommes présentement plongés a pour responsable la surconsommation de l’eau. Les secteurs industriels et agricoles sont principalement pointés du doigt dans l’assèchement des ressources aquifères de la planète. En effet, 70% de l'eau utilisée annuellement sert à faire fonctionner l’industrie de l'agriculture, alors que le secteur industriel accapare 20% des ressources d’eau douce pour son fonctionnement . La fabrication d’une voiture est un excellent exemple : elle requière 400 000 litres d'eau.

Sur une base individuelle, l’humain consomme aussi beaucoup d’eau, et parfois inutilement. Pensons aux chasses d’eau des toilettes, aux douches, aux robinets qui fuient, au jardinage, à l’arrosage des pelouses et de l’entrée du garage. Notre consommation quotidienne en or bleu s’effectue principalement pour la lessive (2%), la cuisine (5% à 10%), et surtout à la salle de bain (65% à 75 %). Les manufacturiers d’articles de plomberie ont été sensibles à ce phénomène et offrent dorénavant plusieurs produits qui réduisent le gaspillage de l’eau. Par exemple, des toilettes à débit ultra-faible, de même que des pommes de douche à débit réduit. Ce dernier produit, permet une économie de 42 000 litres d’eau par an pour une famille de quatre personnes.

La pollution de l’or bleu a aussi un rôle à jouer dans la situation actuelle précaire de l’eau. Selon l’Association Québécoise des Organismes de Coopération Internationale, l’industrie agroalimentaire est responsable de la pollution de près de 70% des eaux souterraines. Divers accidents industriels, de même que la surfertilisation, le drainage, les pesticides et les engrais minéraux employés massivement par le secteur agricole, sans oublier les excréments des animaux, contaminent l’eau qui retourne aux rivières, polluée. Cette pollution fait ainsi chuter considérablement les réserves d’eau potable de la planète, puisque l’eau polluée contamine les nappes phréatiques souterraines, sources d’eau potable pour une grande partie de la population mondiale. Cette situation diminue par la suite l’oxygène contenu dans les cours d’eau. Par conséquent, les poissons quittent les lieux pour un environnement meilleur.

Ces eaux polluées entraînent ainsi le décès de plusieurs milliers d’individus. En effet, l'Organisation des Nations Unies soutient que 4,6 millions enfants meurent chaque année à cause de l’eau souillée. Selon Environnement Canada, dans bon nombre de pays en développement, 80% des maladies et des infections sont imputables à l’or bleu. Le seul procédé de chloration de l’eau ne peut donc pas nous donner conscience tranquille, puisqu’il ne permet pas d’éliminer les substances chimiques et certains éléments provocant des maladies contenus dans l’eau.

Pour contrer le gaspillage et la pollution de l’eau, des États ont alors lancé des campagnes de sensibilisation des consommateurs sur l’impact de leurs moindres gestes sur la conservation de l’or bleu. Combinés à ces campagnes d’informations, certains d’entre eux ont même introduit progressivement un système de tarification de l’usage de l’eau pour pénaliser les utilisateurs excessifs. Par exemple, en Afrique du Sud, les citoyens reçoivent désormais 6000 litres d’eau gratuits par mois, et doivent payer pour les quantités supplémentaires utilisées. Résultat ? On a noté que la consommation d’eau avait considérablement diminuée dans plusieurs villes du pays.

Cependant, cette solution a un double tranchant. « Entendu que l'humain ne peut se passer d'eau propre, cette dernière devient de plus en plus rare. Ce fait incite des gens d'affaires à vouloir acheter ce qui reste d'eau propre pour nous la revendre à gros prix, tout en invitant les politiciens à ne pas investir dans les équipements nécessaires pour nettoyer l'eau », s’inquiète André Bouthillier. L’or bleu intéresse donc de plus en plus les grandes entreprises puisque embouteillé, il est vendu plus cher que le pétrole pour la même quantité. De cette façon, qu’elle soit sous la forme d’une bouteille ou qu’elle provienne directement du robinet, ces multinationales, qui agissent principalement dans les grandes métropoles, privatisent l’eau. Cette privatisation entraîne « des hausses de tarifs pour les services et aussi pour les branchements qui deviennent hors de portée pour les citoyens », retrouve-t-on sur le site Internet de Eau secours!. Par exemple, en France, les villes qui avaient privatisé l’eau ont vu les tarifs grimper de 400% et les services aux citoyens diminuer de la même façon. La privatisation de l’or bleu n’est donc pas une solution, puisqu’elle ne tient pas compte des plus démunis qui ne peuvent payer un surplus pour consommer l’eau leur permettant de satisfaire tous leurs besoins. De plus, elle ne propose aucun moyen d’évacuation des eaux usées, ni pour l’approvisionnement en eau potable de toute la population. Seuls les profits sont considérés.

La Bolivie représente un exemple de résistance à la privatisation de l’eau. En avril 2000, les habitants de la ville de Cochabamba ont manifesté pendant quatre jours contre l‘augmentation de 35% de leur facture d’eau. Cette hausse de tarif était due à l’approvisionnement en or bleu par la firme Aguas de Tunar. Après une grève générale, six morts, une trentaine de blessés et l’application de la Loi martiale, le gouvernement a brisé cet accord de privatisation de l’eau. Une belle victoire pour ce peuple qui vit avec un salaire mensuel inférieur à 100$.

L’or bleu, source de tensions

Ainsi, la situation planétaire de l’eau aura-t-elle un avenir meilleur au cours des prochaines années? « Eau Secours! est optimiste, car de plus en plus de gens s'inquiètent et s'impliquent dans le dossier de l'eau. Cependant nous doutons de pouvoir éviter dans plusieurs pays, des guerres pour s'approprier l'eau du voisin », affirme André Bouthillier. En effet, l’importance de l’eau dans la vie des organismes vivants lui donne une valeur hautement stratégique. Quiconque contrôle ses réserves obtient donc un certain pouvoir sur ses voisins. Il devient donc évident que de réelles tensions existent entre certains peuples au sujet de l’or bleu, car les principaux lacs, nappes aquifères et rivières de la planète, chevauchent des frontières nationales. Autrement dit, ces cours d’eau se retrouvent souvent à la limite de deux États qui se battent pour en avoir le contrôle. Par exemple, au Proche-Orient, une guerre fut déclenchée en 1967 entre Israël et ses voisins arabes et avait, entre autres, pour enjeu principal l’eau. Ce fut la « Guerre des six jours », nommée ainsi à cause de la durée des opérations militaires où les protagonistes se disputaient, entre autres, le contrôle des ressources aquifères du Jourdain. À la suite des confrontations, Israël quadrupla son territoire avec l'occupation de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie, de Gaza, du Golan et du Sinaï Égyptien. Ceci lui permit de mettre la main sur la totalité de la vallée du Jourdain jusqu’à la Mer Morte. Encore aujourd’hui, le Proche-Orient, région très aride de la planète, souffre d'un déficit hydraulique important le rendant sujet à des inégalités dans la répartition de l’eau. Par exemple, Israël consomme encore une fois une grande partie de l’eau de la région (environ 90%) et donne les miettes (les 10% restant) à son proche voisin, la Palestine.

Le même problème fut aussi observé au sujet du Nil qui traverse dix États Africains tel que le Rwanda, le Burundi, la République démocratique du Congo, la Tanzanie, le Kenya, l’Ouganda, l’Éthiopie, l’Érythrée, le Soudan et l’Égypte. En effet, l’Égypte, suivie de près par le Soudan, est le principal « propriétaire » des ressources aquifères de ce cours d’eau, selon un ancien traité que ce pays a signé le 7 mai 1929 avec la Grande-Bretagne (représentant à l’époque l’Ouganda, le Kenya et le Tanganyika (l’actuelle Tanzanie)). Pas besoin de mentionner que les États exclus réclament aujourd’hui une juste répartition des réserves du Nil, concession que l’Égypte n’est pas prête d’accepter. Toutefois, si tous les États qui contrôlent les principaux cours d’eau concéderaient un plus grand accès à l’or bleu à leurs voisins, il serait ainsi possible de contrer la pauvreté et la faim.

Le prix de l’or bleu

L’eau est en somme devenue une denrée rare. Et qui dit rareté dit souvent élévation de la valeur. Ainsi, la valeur stratégique de l’eau peut-elle se traduire en dollars ? C’est en tout cas ce qu’a clairement laissé entendre le ministre de l’environnement Thomas Mulcair en affirmant aux médias que s’il y a « des milliards à aller chercher avec de l’eau sans affecter les écosystèmes aquatiques, pourquoi je nous priverais par dogme de la possibilité d’avoir une activité économique importante ?». Sachant que l’eau disponible à la consommation humaine prend plusieurs années à se renouveler, l’exportation de celle-ci n’est pas conseillée pour le moment. En effet, lorsque toutes les ressources aquifères du Québec auront été pompées, l’argent recueillit ne pourra faire rejaillir cette ressource naturelle. Il importe d’effectuer l’inventaire de notre or bleu avant de se lancer à l’aveuglette dans le commerce de celui-ci. Eau Secours! abonde dans le même sens et s’oppose formellement à l’exportation de l’eau en vrac. Cet organisme se replie sur la Politique Nationale de l’eau, lancée le 26 novembre 2002, pour favoriser la mise en place d’un projet d’étude travaillant à effectuer le recensement des nappes phréatiques québécoises, dénicher leur étendue, leur profondeur et leur taux de recharge, pour ne pas les surexploiter. Toutefois, s’il y a peu de chance que l’exportation de notre eau ait lieu dans des pays d’Asie et d’Afrique dû à des coûts élevés de transport, la demande proviendra sans doute des Américains qui possèdent plusieurs régions agricoles et urbanisées très gourmandes en eau. Sachant que le Canada ne s’oppose que très rarement aux demandes américaines, il devient donc important de protéger notre ressource devenue si précieuse.

Dernièrement, le Ministre Mulcair semble avoir saisi toute l’ampleur de ce que l’exportation de notre eau en vrac impliquerait, car il a nuancé ses propos. En effet, ce dernier attendra la fin de l’évaluation des nappes phréatiques du Québec (qui a débuté il y a deux ans), au grand soulagement des organismes écologistes et de la protection de l’eau. Le débat sur l’exploitation de l’or bleu pourrait toutefois réapparaître dans dix ans, temps que l’on estime pour que l’étude des ressources aquifères soit complétée. Cependant, la polémique au sujet de l’or bleu suscité par le ministre Thomas Mulcair a tout de même éveillé une question importante : avons-nous raison de monnayer l’eau, cette ressource essentielle à la vie?

Site Internet de la Coalition québécoise pour une gestion responsable de l’eau, Eau secours !.
www.eausecours.org/
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