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Richesse comparée des Québécois : Pourquoi dire que ça descend, quand ça monte ?clément, Jeudi, Avril 15, 2004 - 10:50 (Analyses)
Jean-François Lisée
Dans La Presse du 23 février, l’économiste Robert Gagné a publié un texte exceptionnel intitulé « Vingt ans de politiques économiques inutiles au Québec ». Il vise à démontrer que 1) « relativement parlant, le Québec continue de s’appauvrir lentement mais sûrement » et que 2) les inégalités de revenus ne sont pas moins prononcées au Québec qu’ailleurs. (on peut avoir accès à son texte/pdf ici) Le texte est exceptionnel car en se limitant strictement aux données que M. Gagné utilise, on tire une conclusion contraire à la sienne. Il compare le revenu moyen des 20 % des Québécois, des Ontariens et des Albertains les moins fortunés en 1980 et en 2001. Il ne conteste pas que tous se sont enrichis dans l’intervalle mais constate comme tout le monde que les Québécois étaient à l’époque et sont toujours moins bien nantis que ceux des deux autres provinces. Mais puisqu’il veut prouver que les Québécois se sont « relativement appauvris », il lui aurait fallu établir que l’écart entre les Québécois et les autres s’est creusé. Or ses chiffres démontrent que l’écart s’est refermé. En 1980, les Québécois les plus pauvres obtenaient 85 % du revenu des Albertains les plus pauvres, en 2001 : 90 %. Les pauvres québécois se sont donc davantage enrichis (de 20 %) que les Albertains (de 12 %). Même phénomène avec l’Ontario. Les pauvres Québécois n’engrangeaient en 1980 que 87 % du revenu de leurs voisins Ontariens, ils ont grimpé en 2001 à 91 %, s’enrichissant davantage (de 20 %) que les pauvres ontariens (de 14 %). On a raison de penser que ça ne suffit pas. Mais pourquoi dire que ça descend, alors que ça monte ? Merci à M. Gagné d’admettre que la question du coût de la vie doit être prise en compte lorsqu’on compare la richesse des uns et des autres. En fin d’article, il cite un rapport récent de l’Union des Banques Suisses qui calcule que le coût de la vie à Toronto est de 12 % plus élevé qu’à Montréal (le rapport ne donne pas de chiffres pour Calgary, mais M. Gagné aurait pu trouver tout cela sur le site de Statistique Canada). Cette donnée n’est pas statique. Les prix, sur la période 1980-2001, ont augmenté plus rapidement à Toronto qu’à Montréal, ce qui est un facteur d’appauvrissement relativement plus grand pour les Torontois. Lorsqu’on corrige les données de revenus cités par M. Gagné pour tenir compte de la capacité réelle des Montréalais d’acheter 12 % de biens et des services de plus, on se rend compte que les 20 % des Québécois les plus pauvres, du moins les Montréalais, affichaient en 2001 l’équivalent de 102 % du pouvoir d’achat des pauvres Torontois. (Ce calcul sous-estime le poids relatif plus important du logement dans cette tranche de revenus, la réalité est plus favorable encore aux Montréalais.) Bref, pour ce qui est des 20 % les plus pauvres, les 20 dernières années au Québec ont produit une situation contraire à celle décrite par M. Gagné. Dans les faits, sur ce plan, le Québec a complété son rattrapage avec l’Ontario. Pour ce qui est du revenu moyen et du revenu des 20 % des Québécois les plus riches, M. Gagné nous apprend qu’en 21 ans, le Québécois moyen s’est enrichi davantage (14 %) que l’Albertain moyen (9 %) ce qui est étonnant, mais moins que l’Ontarien moyen (20 %). Plus fort encore, il révèle que le riche Québécois s’est enrichi davantage (20 %) que le riche Albertain (10 %), un exploit. Il s’est moins enrichi cependant que le riche Ontarien (28 %). On voit mal comment M. Gagné peut conclure de ces données que les derniers 20 ans de politique économique ont été globalement nuisibles pour ces Québécois, à moins qu’il n’affirme que les politiques albertaines ont été plus uisibles encore. Il faut noter aussi qu’une partie de l’écart restant entre les Québécois et les autres est comblé en partie par le fait que les Québécois choisissent une autre forme de richesse, le temps. Leur nombre d’heures travaillées par semaine et par an est moindre qu’ailleurs au Canada et sur le continent, notamment parce qu’ils préfèrent consacrer davantage de temps au loisir, à la famille, aux congés parentaux, etc. La richesse monétaire en est réduite d’autant. M. Gagné affirme cependant que les différences de prix entre Toronto et Montréal, du moins en ce qui concernent le logement, nuisent aux... Montréalais, car les maisons qu’ils achètent prennent moins de valeur. Cet argument est fallacieux à plusieurs égards. Sur la période 1980-2001, le Montréalais qui a acheté une maison identique à celle du Torontois mais à moindre coût et qui a investi l’argent ainsi économisé en obligation ou en bourse s’est beaucoup plus enrichi que le Torontois. (voir la démonstration chiffrée dans un de mes textes précédents.) Sur les indices de comparaison des inégalités, M. Gagné a raison de noter que l’indice de mesure Gini donne sur 21 ans des résultats relativement proches entre le Québec et l’Ontario. La différence est plus favorable au Québec lorsqu’on le compare à la moyenne canadienne et, surtout, aux résultats désastreux des Etats-Unis. Cependant il aurait été plus éclairant de noter que l’écart favorable au Québec s’est particulièrement accru depuis 1997 et l’introduction d’une nouvelle vague d’interventions sociales-démocrates au Québec, néo-libérales en Ontario. Il n’y a évidemment pas de doute que le Québec peut et doit faire mieux, que des réformes structurelles sont nécessaires. Certaines des propositions avancées plus tôt ce mois-ci par le Comité stratégique formé à l’initiative de La Presse sont d’ailleurs excellentes, d’autres moins. Mais on comprend mal pourquoi il faut, comme le fait M. Gagné, noircir le tableau, et en un sens décourager les Québécois quant à leur capacité à relever les défis économiques. Il me semble plus sain de reconnaître nos faiblesses, bien sûr, mais également nos forces et nos progrès, qui démontrent qu’on peut aller encore plus loin. Par Jean-François Lisée
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