Ci-dessous, le troisième rapport que nous livre
Andréa Schmidt, militante du Projet Solidarité--Irak.
Elle nous amène avec elle dans le grand quartier
chiite de Sadr City où elle est allée "faire un tour"
tout récemment.
Bonjour !
Ci-dessous, le troisième rapport que nous livre
Andréa Schmidt, militante du Projet Solidarité--Irak.
Elle nous amène avec elle dans le grand quartier
chiite de Sadr City où elle est allée "faire un tour"
tout récemment.
Bonne lecture !
Raymond Legault
pour OCVC (Objection de conscience / Voices of Conscience)
-- également membre du Projet Solidarité--Irak
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Il n’y a pas d’explosions, ce n’est pas un secteur important...
La circulation, la sécurité, la liberté et la justice dans le quartier Thawra
29 mars 2004
Bagdad occupée
Sadr City est une énorme subdivision accrochée à l’extrémité nord de Bagdad.
C’est là qu’habitent deux des cinq millions de résidentEs de Bagdad. Un secteur
chiite, majoritairement très pauvre.
À l’époque du régime, le secteur était connu sous le nom de Saddam City et était
pratiquement interdit aux étrangers. Les Chiites ont été maintenus en dehors des
universités et des emplois gouvernementaux pendant les années '80 et '90 --
exclusion silencieuse de la majorité des IrakienNEs, à travers laquelle Saddam
cherchait à diviser les Sunnites et les Chiites et à asseoir son contrôle.
Plusieurs étaient maintenus isolés à Saddam City par la pauvreté et par les
Mukhabarat (police politique).
Maintenant, après la guerre, le quartier a été renommé en l’honneur du Sayyid
Mohammed Sadiq Al-Sadr, qui avait l’habitude de prêcher contre les États-Unis et
contre ‘Satan’, le nom par lequel tout le monde, ici, savait qu’on désignait
Saddam Hussein. En 1999, Al-Sadr fut l’un des nombreux dirigeants religieux
Chiites à être assassinés par le régime irakien. Mais plusieurs résidentEs
désignent encore le quartier sous son appellation d’avant l’occupation, d’avant
la guerre et d’avant Saddam : Thawra, qui signifie ‘Révolution’.
Je parle avec des enfants de la rue qui se tiennent dans des squares au
centre-ville de Bagdad, colportant des fils électriques arrachés aux carcasses
d’édifices bombardés. Ils me demandent si je suis américaine et je m’empresse de
répondre non, je suis canadienne; puis je me sens un peu coupable de fendre
ainsi les cheveux en quatre. Je leur demande d’où ils sont. « Thawra », me
répondent-ils avec de larges sourires et d’une façon telle que je m’attends à ce
qu’ils esquissent ensuite des signaux avec leurs mains.
Ce nom, Thawra, est supposé faire jaillir la peur dans le coeur des étrangers,
qui tentent en quelque sorte d’éviter ce secteur. Plusieurs de nos traducteurs,
issus de milieux sunnites aisés et bien scolarisés, ont le même genre de
réaction à l’idée de descendre de leur auto pour passer du temps dans le
quartier Thawra que ceux et celles d’entre nous, qui ont grandi à Toronto nord
ou dans le Bloor West Village, ont à l’idée de passer un tant soit peu de temps
dans Dixon – un mélange de dédain, de crainte pour leur sécurité et
d’incompréhension : « Pourquoi voudrait-on aller là ? ».
Je me rends en auto avec Khaled et Ahmed, deux jeunes hommes pour lesquels la
question ne se pose même pas, puisque qu’ils y ont vécu toute leur vie. Nous
entrons en fin d’après-midi, nos vitres abaissées pour capter la brise naissante
du soir.
Je demande à Khaled pourquoi tout le monde a tant peur de Sadr City, pourquoi
cette réputation de quartier si insécure. « Je ne sais pas pourquoi ces gens
pensent que le quartier est dangereux » répond-il. « Les gens stupides pensent
que ce secteur est fou, ou ali baba ou quelque chose du genre, mais quand l’on
y vient on s’aperçoit que c’est la vie. Ce qui se passe ici est humain, c’est
également humain, je pense ».
Des portraits de Mohammed Al-Sadr ont remplacé les portraits omniprésents de
Saddam qui se dressaient sur les coins de rue. Il y a aussi des photos d’autres
dirigeants religieux qui ont été assassinés par l’ancien régime. Le visage de
Muqtada Al-Sadr, fils de Mohammed âgé de vingt-sept ans, qui a d’innombrables
fidèles dans les mosquées du secteur, est omniprésent. Vendredi dernier, durant
la prière à Koufa, près de Nadjaf, Muqtada dénonçait la Constitution intérimaire
de conception étasunienne comme une « loi terroriste »*; entre les « No No
Israel, No No America », il exhortait les fidèles à « rechercher la liberté et
la démocratie d’une manière qui plaise à Dieu ».** Je demande à Khaled si les
gens de Thawra aiment Muqtada autant qu’ils aimaient son père. Oui, ils l’aiment
autant.
Sur les coins de rue et les terrains vacants, il y a beaucoup de moutons et de
chèvres, qui broutent sur des monticules de déchets. Comparé au centre-ville de
Bagdad, la circulation est bien contrôlée. À chaque intersection, plusieurs
hommes la dirigent. Je demande : « Qui sont-ils? ». Ce sont des hommes de
Muqtada, et des hommes de la Hawza (l’institution des centres d’enseignement de
la religion) répond Khaled. « Pourquoi dirigent-ils la circulation? ». « Parce
que les gens ici aiment aider ». En effet. Les groupes religieux se sont
organisés non seulement pour diriger la circulation, mais pour prendre en charge
la sécurité et les mosquées.
Je demande à Khaled s’il y a maintenant, ici, plus de liberté qu’avant la
guerre. Il refuse de se prêter au jeu de ‘J’ai parlé à un Irakien et il m’a
dit’. « Demandons aux gens ce qu’ils en pensent », dit-il, « peut-être que pour
une personne il y a davantage de liberté, alors qu’une autre considère qu’il y
en a moins»... Nous commençons donc par poser la question à Ahmed, dont le
visage s’assombrit immédiatement : « Il n’y a ni liberté, ni sécurité. Il y a
absence de droits pour les Irakiens. Pour des choses simples comme les
explosions, nous ne sommes pas en sécurité – il n’y a pas de droits dans mon
pays ». Il mentionne aussi le manque de travail comme problème majeur. Ahmed
travaille à son compte, comme chauffeur d’un vieux taxi mal entretenu.
Nous visitons une famille. Khaled me présente à Mohamed, un des trois frères qui
vivent dans la maison avec leurs épouses, dix enfants et sa mère. Sa plus jeune
fille a une terrible maladie de la peau, qui serait causée par un empoisonnement
à l’uranium appauvri selon ce qu’on lui a dit. Il me fait faire le tour de leur
maison, presque entièrement sans meubles, et m’apprend qu’il a dû les vendre
pour essayer de lui acheter des médicaments mais que ce n’est pas suffisant. Il
est sans emploi et le personnel de l’assistance médicale de l’Autorité
provisoire de la Coalition (APC) ne l’a pas aidé à obtenir le médicament. Il a
communiqué avec le ministère de la santé, mais n’a reçu aucune réponse. Il est
en colère : « maintenant que Saddam est parti, je n’ai toujours pas de droits.
Maintenant, j’ai de la difficulté à trouver du travail, je ne peux obtenir un
salaire. Avant la guerre ou après la guerre, nous n’avons toujours pas de droits
».
J’ai mon enregistreuse à minidisques et j’aimerais parler avec les femmes qui
nous ont accompagné en silence à travers la maison. Je demande à l’épouse de
Mohamed si peux l’interviewer. Il s’interpose : « Elle ne parle pas bien ». Ça
veut dire non.
Khaled m’indique le quartier général de l’armée/organisation Badr, qui est
rentrée d’exil en Iran ‘après’ la guerre, et qui s’est installée dans un vieux
ministère Baathiste à Thawra. Le Conseil suprême de la révolution islamique,
auquel l’organisation Badr est affiliée, participe au Conseil de gouvernement
provisoire. Juste à côté, dans une autre section de l’ancien complexe du régime,
un groupe de squatters en quête de logement s’est installé. Il y a quelque chose
là-dedans qui me réjouit. Car, techniquement parlant, il est illégal de squatter
les vieux édifices des ministères en Irak – un décret de l’APC dont
l’application semble plutôt sélective dans les camps de squatters autour de la
ville. Or ici c’est une organisation membre du Conseil de gouvernement et de
pauvres gens, qui défient le décret, côte à côte, dans le même édifice.
Il semble que les troupes des États-Unis ne traversent plus Thawra de façon très
ostensible. De toute la soirée, je n’ai vu qu’une patrouille. Alors qu’il y a
d’autres hommes qui patrouillent, nombreux, dans les rues avec des Kalachnikovs,
des hommes en devoir de « sécurité à la base » pour des groupes de voisins qui
célèbrent le Mouharram (premier mois du calendrier musulman). Il est 21 heures
et il y a énormément de gens dehors. La musique du Mouharram résonne en maints
endroits; le vidéo d’un Cheikh prêchant est projeté sur un mur extérieur et les
gens regardent.
Khaled réfléchit à l’une des facettes ironiques de la marginalité perpétuelle de
ce secteur : « Avant, les gens, les chauffeurs de taxi, avaient habituellement
peur de venir ici. Maintenant, les gens disent que la situation est peut-être
meilleure à Thawra. Il n’y a pas d’explosions, ce n’est pas un secteur
important. Les gens ici aiment aider, les gens sont amicaux, vraiment. Ouais,
il y a des problèmes, mais... Nous espérons la paix et la liberté pour tous en
Irak et pour tous dans le monde. Nous espérons la justice pour tout le monde ».
La justice… En quittant le secteur, je regarde les feux qui brûlent les déchets
au milieu de la rue et je jette un dernier coup d’oeil aux Sadrs, père et fils,
sur une grande affiche. Il est quelque peu difficile de croire que quelqu’un
pourra maintenir longtemps la théorie selon laquelle Thawra n’est pas un secteur
important.
* Source: AFP
** Source: WorldNet
(Note: j’étais présente à la prière du vendredi à Koufa, mais je compte
rétroactivement sur les services de nouvelles pour la traduction. Approximatif.)
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Ce rapport a été écrit par Andréa Schmidt pour le Projet Solidarité Irak. Le
Projet Solidarité Irak est un groupe militant indépendant, basé à Montréal, qui
vise à offrir un soutien direct non-violent à la population irakienne en lutte
contre l’occupation; à renforcer la mobilisation contre la domination économique
et militaire et le travail anti-guerre au Québec et au Canada; et à bâtir des
liens de solidarité entre les luttes contre l’occupation de l’Irak et les luttes
contre l’oppression au Canada et au Québec.
Pendant qu’elle est en Irak, Andréa peut être contactée par courriel à
and...@tao.ca ou
andr...@yahoo.ca .
Et, sporadiquement, par téléphone cellulaire au : +011 964 079 01 379 573.
Pour contacter le Projet Solidarité Irak, à Montréal :
p...@riseup.net ou tél : (514) 521-5252
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