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Occupations d’usine au Brésil.Anonyme, Samedi, Mars 13, 2004 - 11:41
Val Lisboa (FTSI)
Avec les ouvriers et les ouvrières ou avec la bourgeoisie et le gouvernement Lula ? Brésil. Usines occupées. Par Val Lisboa (1) . Après des années de carence d’activité politique indépendante du mouvement ouvrier brésilien vivant à l’ombre de la politique bureaucratique et pro-capitaliste des directions syndicales et politiques, un rayon de soleil a commencé à poindre, éclairant la silhouette d’ouvriers et d’ouvrières qui pour la plupart entrent dans la vie politique en renouant avec les méthodes les plus avancées de la classe ouvrière internationale. Ce sont, dans leur majorité, de jeunes prolétaires qui ont commencé à travailler à l’usine dans les années quatre-vingt-dix et au début du millénaire, une époque difficile, caractérisée par la surexploitation et un manque, pour les salariés, d’expérience et de références politiques et idéologiques. Ces années-là ont été celles de la domination d’une idéologie qui faisait du capitalisme un ordre invincible qui devait avoir devant lui de longues décennies d'expansion et de croissance, la prétention de mettre définitivement un terme aux traditions ouvrières et à toute référence au socialisme. Le capitalisme a pu compter, durant cette époque faite d’arrogance, sur l’aide idéologique et pratique de différents courants réformistes et bureaucratiques au sein des mouvements syndicaux et politiques. La direction de la CUT (2) a rempli son rôle et a appliqué tous les plans capitalistes de réforme et d’accords avec le patronat comme s’il s’agissait de la seule solution possible à mettre en œuvre. Le processus d’occupations d’usine qui commence dans le pays apparaît comme une réponse à la faillite d'entreprises ou à l’abandon des usines par les patrons. Il répond à la nécessité de garantir les emplois et les salaires pour les travailleurs de ces mêmes entreprises. Il s’agit de signes clairs qui peuvent être mis à profit pour avancer sur le chemin d’une stratégie indépendante pour le salariat contre l’ordre capitaliste et l’Etat bourgeois, responsable de la faim, de la misère, du chômage et de l’oppression au nom des profits des entreprises et de la saignée que représente pour le pays le paiement de la dette extérieure et intérieure. Un film qui se répète : les patrons volent les subventions publiques et prennent la fuite. De temps en temps, les patrons utilisent la crise économique et financière afin de « justifier » les abandons d’usine ou décréter la faillite ou passer en redressement judiciaire, laissant derrière eux des dettes énormes, des salaires impayés et des profits patronaux non-déclarés. Dans une usine comme Cipla/Intefibras (Joinville- Etat de Santa Catarina), la dette contractée à l’égard de la BNDES et le fisc s’élève à 480 millions de réaux. A Flakepet (Itapevi, Etat de São Paulo), les patrons ont laissés derrière eux une ardoise s’élevant à 52 millions de réaux. Le groupe Busscar, également dans l’Etat de Santa Catarina, où les patrons entendent licencier 1100 travailleurs, les prêts non remboursés contractés à l’égard de la BNDES et la Badesc (Banque de développement de Santa Catarina) s’élèvent à 37,5 millions de réaux. Comme on peut le constater, les patrons usent et abusent des subventions publiques, contournent le fisc, ne paient pas d’impôts, arrêtent de payer les salaires et les contributions patronales et licencient, en utilisant la crise comme justification, cette crise qu’ils ont eux-mêmes générée. Il existe un véritable vol patronal des richesses produites par les travailleurs. La seule réponse réaliste et honnête contre ce vol masqué des patrons avec la complicité des organes gouvernementaux, c'est la confiscation immédiate et sans indemnisation de la totalité des patrimoines de ces patrons afin de couvrir les dettes, leur condamnation sans que les usines occupées par les travailleurs aient à rembourser ces arriérés. La lutte des usines occupées a pour racine la juste défense des 1070 emplois directement menacés à Cipla/Intefibras (Joinville-SC) et de Flasko (Sumaré, SP), des 143 emplois à Flakepet et l’opposition des ouvriers au plan social impliquant la liquidation de 1100 licenciements chez Busscar (qui emploie au total 3800 travailleurs). En partant de ce point programmatique unitaire, inconditionnel, nous devons lutter pour que le mouvement d’usines occupées avance afin de conquérir des positions avec pour orientation une stratégie indépendante des ouvriers contre le système capitaliste et l’Etat bourgeois. Les courants d’extrême gauche qui dirigent ce processus doivent avancer sur le voie d’une stratégie indépendante. Léon Trotsky écrit dans Le Programme de transition que « les grèves avec occupation des usines (…) sortent des limites du régime capitaliste ‘normal’. Indépendamment des revendications des grévistes, l’occupation temporaire des entreprises porte un coup à l’idole de la propriété capitaliste. Toute grève avec occupation pose dans la pratique la question de savoir qui est le maître dans l’usine : le capitaliste ou les ouvriers (3) ». Ne pas comprendre le phénomène d’occupations comme une remise en cause tendancielle du capitalisme (puisque les occupations posent la question de qui doit diriger les usines) et de l'Etat bourgeois empêche de considérer réellement ce riche processus d’avancée en terme de conscience et de méthode d’action de la lutte ouvrière en vue de l’avancée politique des ouvriers afin de forger une politique indépendante, anti-capitaliste, c’est-à-dire une stratégie révolutionnaire. Le processus d’occupations d’usine, même à ses débuts, ne doit pas être considéré comme une lutte syndicale « radicale » de plus, restreinte au cadre capitaliste. La principale limite du processus actuel d’occupation c’est précisément cette stratégie syndicaliste, stratégie de « temps normal », défendue par les courants politiques qui dirigent les syndicats et impulsent les commissions d’usine. Pour ces différents courants, parfois d’extrême gauche, les occupations ne sont rien d’autre qu’une espèce de « lutte syndicale radicale » qui peut être « résolue » par le biais de « négociations plus dures », ou même à travers une pression directe sur le gouvernement. Cette vision syndicaliste, on en a une preuve dans le discours d’un militant ouvrier du PSTU, dirigeant du syndicat de la chimie de Sao Paulo (5) . Dans les colonnes du journal Brasil de Fato (6) , soit quinze jours après le début de l’occupation de Flakepet (Itapevi), ce militant ouvrier affirme que « l’idée est de ne pas reculer jusqu’à ce que les contributions soient payés. Le syndicat n’accepte aucun accord qui n’implique pas le paiement des travailleurs ». Comme on le voit, pour le PSTU et le syndicat de la chimie, le fait de rester dans une logique et une stratégie syndicaliste et non anti-capitaliste oblige ses militants ouvriers à appliquer, dans la pratique, une politique de conciliation, en vue de négociations et d’accords avec le patronat ou le gouvernement, qui se prépare même à mettre un terme à l’occupation et à « rendre » l’usine en échange du paiement des salaires et des contributions patronales. Contrairement aux positions des dirigeants syndicalistes ou d’extrême gauche, les ouvriers comprennent instinctivement qu’après avoir occupé l’usine, on ne peut plus penser en terme de « contributions et d’apport patronaux ». Lors de notre visite à Flakepet, nous nous sommes réunis avec des membres de la commission d’usine. L’ouvrier R. soulignait ainsi que « le syndicat nous a aidé, mais il a adopté des tactiques qui ne coïncident pas avec nos idées, il ne voit pas que le processus est lent, et il veut tout résoudre tout de suite, il est trop immédiatiste. Depuis le 20 octobre [2003] poursuit-il, notre vie a changé, nous ne serons plus jamais les mêmes. Nous pensons qu’il ne suffit pas que le patron paye les apports et les contributions en retard. Le patron mentira encore et encore, le patron reviendra et fera à nouveau faillite ». Un autre ouvrier de la commission d’usine, S., n’hésite pas à déclarer que « si le patron revient ici et paye les salaires, il pourra casser le mouvement d’occupation ». Le jeune ouvrier M. renchérit en soulignant que « nous n’avons pas besoin de patron, le syndicat doit lutter pour nos droits, mais également contre le patron ». Ces discours des travailleurs qui dirigent concrètement l’occupation d’usine démontrent, sans qu’il ne puisse y avoir de doute, que la principale limite du processus se trouve dans les positions politiques des directions du mouvement. Nationaliser et exproprier sans indemnisation. Face au processus d’occupations d’usine s’ouvre la discussion sur l’orientation stratégique future du mouvement : nationalisation sans indemnisation, avec indemnisation, ou coopérative ? La nationalisation semble être la position politique des courants d’extrême gauche qui se réclament du trotskysme. Mais à Flakepet par exemple, O Trabalho (7) défend la perspective de la nationalisation sans rejeter clairement tout type d’indemnisation possible du patronat. C’est en ce sens que cette question stratégique doit être bien définie et clarifiée. Par exemple, dans le tract massivement distribué lors de la campagne en défense de Cipla/Interfibras/Flaskô, on ne voit nulle part la défense inconditionnelle de la nationalisation sans indemnisation. Le tract insiste, en revanche, de manière isolée, sur la consigne « d’entreprises sous contrôle des travailleurs ». Dans la lettre adressée au Président Lula qui se trouve au verso de ce tract, il est proposé que le gouvernement prenne le contrôle de ces usines en raison des dettes qu’ont laissées derrière eux les patrons. Si les ouvriers ont à subir les conséquences des dettes patronales, c’est une forme d’indemnisation indirecte qui est versée. Dans ce même tract on peut lire que « les entreprises [ayant fait faillite et qui se trouvent occupées] doivent plus de 300 millions de réaux au gouvernement et la seule manière pour recouvrir ces dettes et sauver les 1070 emplois en jeu c’est que le gouvernement prenne le contrôle de ces entreprises ». Pour Trotsky, à l’inverse, il s’agit de lier « le problème de l’expropriation à celui de la prise du pouvoir par les ouvriers et les paysans ». Dans ce sens, dans le processus actuel, il faut articuler la consigne de « l’expropriation » comme une revendication transitoire et préparatoire pour le prolétariat en vue de l’expropriation complète de la bourgeoisie, ce qui présuppose que l’on refuse toute indemnisation. En suivant les enseignements de Trotsky, « la nationalisation/expropriation » consiste avant tout à rejeter l’indemnisation, appeler les masses à compter uniquement sur leur propre force révolutionnaire, en liant le problème de l’expropriation à celui de la prise du pouvoir par les ouvriers et les paysans. Une autre discussion qui se pose est celui de la possible constitution de coopératives. Par exemple, la Société d’Avocats défend pour le cas de Flakepet la constitution d’une coopérative. Les ouvriers ont légitimement refusé cette perspective. Le camarade S. a ainsi souligné : « je suis pour la nationalisation, mais la coopérative [cela signifie] transformer les travailleurs en associés, en perdant nos droits [de travailleurs] ». R poursuit en disant que « dans une coopérative, on perd ses droits ». Ce que mettent en exergue les ouvriers, c’est qu’ils comprennent que la coopérative ne signifie rien d’autre que l’auto-exploitation des ouvriers par eux-mêmes, puisque cela les oblige à entrer en concurrence sur le marché comme n’importe quelle autre entreprise capitaliste. Unifier les usines occupées afin de construire un mouvement national pour imposer une issue ouvrière à la crise capitaliste. A partir de l’unification des entreprises occupées, en leur nom, il faut prendre toutes les initiatives afin de construire un large mouvement national de front unique qui réunisse les organisations syndicales, populaires, étudiantes, démocratiques et les partis ouvrier afin de consolider un réseau d’appui et de solidarité autour des usines occupées, pour organiser et centraliser les mesures nécessaires afin d’aider les ouvriers et les ouvrières, faire de la propagande autour de leur lutte et défendre les occupations contre les attaques patronales, de l’Etat, de la justice et de la police. Les syndicats pourraient, en accord avec les ouvriers et les ouvrières des usines occupées, créer une Caisse de Soutien pour les Usines Occupées et adopter un Plan de Lutte Nationale dirigé par les commissions d’usine des entreprises occupées ou un comité national élu par la base des usines et avec des délégués des différentes organisations solidaires. La première contribution pour cette Caisse pourrait venir des syndicats et d’une campagne nationale dans toutes les usines et les entreprises du pays afin que chaque travailleur contribue à hauteur de l’équivalent d’une heure de travail afin de soutenir la lutte. Dans les quartiers, les écoles, etc., on pourrait organiser une large campagne de solidarité en terme de produits alimentaires et soutien financier. Il est clair que des propositions comme celles-ci doivent être débattues en assemblée dans les usines occupées, dans les syndicats, afin qu’elles soient approuvées démocratiquement. Il faut d'ores et déjà lancer le plus grand nombre d’initiatives possible dans les entreprises, les écoles, les quartiers, etc. afin de faire connaître le mouvement des usines occupées, en invitant les ouvriers et les ouvrières à des débats, organiser tout type d’initiatives politiques et culturelles de solidarité. Annexe. Le 3 mars, la Police Militaire a expulsé de l’usine de Flakepet les travailleurs qui l’occupaient depuis le 9 décembre 2003. Depuis, les 143 travailleurs et les syndicats, syndicats étudiants, organisations populaires et partis politiques d’extrême gauche solidaires campent face à l’usine avec la ferme intention de reprendre le contrôle de l’usine et défendre ainsi leur droit au travail. Avec les travailleuses et les travailleurs, ou avec la bourgeoisie et le gouvernement Lula et ses flics, telle est aujourd’hui l’alternative. Pour faire parvenir votre solidarité avec les travailleurs de Flakepet, envoyez un mail à apoi...@yahoo.com.br 1. LISBOA Val, (traduction de l’espagnol). Cet article a été publié spécialement pour Panorama Internacional (www.ft.org.ar), la revue marxiste révolutionnaire en ligne de la Fraction Trotskyste-Stratégie Internationale. Val Lisboa milite au Brésil au sein de Estratégia Revolucionaria (Quarta Internacional) (ERQI), organisation membre de la Fraction Trotskyste-Stratégie Internationale. ERQI publie Palavra Operaria (www.erqi.org) [NdT].
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