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La librairie alternative: une institution coloniale ?Anonyme, Samedi, Février 21, 2004 - 17:12 Dans le débat qui fait rage actuellement sur le rôle et la gestion de la librairie alternative, il n'est malheureusement que trop peu souvent fait mention des raisons fondamentales qui font en sorte que le mouvement anarchiste francophone est lourdement sous-représenté dans le fond libraire de cette instution théoriquement anarchiste. De l'aveu même des membres du collectif de la librairie, les francophones sont sous-représentés dans le collectif, alors que la disponibilité de la littérature anarchiste francophone est quasi-nulle. D'après Moishe Dolman, membre du collectif de la librairie: « C'est vrai qu'il manque de littérature francophone dans la librairie, mais c'est principalement à cause de la difficulté que l'on a a obtenir des livres en français et à cause des coûts reliés aux envois outre-atlantique. » Or suprise, non seulement des groupes d'ici produisent des brochures des grands classiques anarchistes comme Malatesta, Bakounine ou Makhno et les vendent pour moins que 3$ pièce, mais en plus des diffuseurs comme la NEFAC ou La Sociale diffusent des titres anarchistes en français. Il suffit de venir faire un tour au kiosque libertaire itinérant pour comprendre que non seulement les coûts de ces livres d'outre-atlantique ne sont pas prohibitifs, mais aussi qu'il y a un intérêt réel de la part des francophones vis-à-vis ce genre de littérature. Le seul journal anarchiste francophone d'Amérique, Le Trouble, n'est pas disponible à la librairie. Signe que les membres du collectif de la librairie sont issus d'une communauté fermée aux idées et au mouvement anarchiste francophone, des membres de longue date du Trouble, un journal qui existe depuis presque quatre ans et qui est connu partout au Québec, se sont fait dire par nos amis de la librairie lors de l'assemblée de l'AEELI du 5 août: « Que fais tu dans une assemblée anarchiste, je ne t'ai jamais vu ! » Mais ce qui éclaire peut-être plus le débat, c'est un déclaration faite par Aaron Lakoff, bénévole à la librairie Alternative, à un journaliste du McGill Daily. « À Montréal présentement, il y a une grosse division entre ce que nous appelons les « Anarchistes avec un grand A » et les « anarchistes avec un petit a ». Les Anarchistes avec un grand A ayant un idéologie dogmatique, by-the-book et puriste basée sur beaucoup de pensées et de textes d'auteurs anarchistes européens comme Bakounine, Kropotkine ou Marx. Il y a une tendance dans l'Anarchisme avec un grand A à rejetter les luttes de libération nationales et à ne pas s'impliquer dans les politiques de race. D'après moi, nous rejettons cela dans le collectif, nous nous considérons comme des anarchistes avec un petit a. Je pense que ça se reflète dans dans le genre de littérature que l'on diffuse. » Non seulement cette déclaration donne entièrement raison à la coalition des diffuseurs, qui plaide que le collectif de la librairie est fermé à plusieurs tendaces de l'anarchisme québécois, mais en plus elle ignore totalement la réalité du mouvement anarchiste d'ici. S'il n'est pas venu à l'idée de M. Lakoff que les anarchistes d'ici, contrairement à lui, connaissent les tenants et les aboutissants d'une lutte de libération nationale, alors il est temps de le lui rappeller. Le Québec a connu dans les années '60 de fortes luttes de libération nationale et les francophones d'ici connaissent très bien, par leur histoire et par leur vécu, ce qu'est une lutte de libération nationale et quelles en sont les limites. Si, de part cette expérience, beaucoup d'anarchistes québécois en ont conclu que ce genre de luttes est impertinent pour la réalisation d'un projet de société anarchiste,ce n'est certainement à M. Lakoff de porter un jugement aussi catégorique. De surcroit en s'adressant à des étudiants fréquentant une des universités les plus riches au Canada, qui a fait l'objet d'une opération de francisation par le même mouvement de libération nationale qu'il ignore si profondément tout en laissant penser qu'il le supporterait ! De plus M. Larkoff semble incapable de voir que « l'idéologie anarchiste avec un petit a » de laquelle se réclame le collectif de la librairie est un phénomène qui est typiquement nord-américain. En critiquant les références anarchistes européenne de ses adversaires, il semble vouloir impliquer que ceux-ci sont ethno-centristes, et que là se trouverait la raison de leur refus des luttes de libération nationales. Pourtant, à l'analyse cette théorie ne tient tout simplement pas la route. N'importe quel observateur du mouvement anarchiste international pourra confirmer qu'en fait, il n'y a que dans le monde anglo-saxon nord-américain qu'une conception étriquée de l'anarchisme comme celle du collectif de la librairie existe. Que l'on parle de l'anarchisme au Japon, en Corée, en Afrique du Sud ou en Irlande, jamais nous ne trouvons des qualificatifs comme « dogmatique », « puristes » ou « by-the-book » pour décrire les gens qui se réclament des théories de Malatesta, Bakounine, Kropotkine ou Makhno. Les Sud-africains et les Irlandais, eux qui ont si durement vécus l'opression nationale, ont sensiblement les mêmes positions que les « Anarchistes avec un grand A » sur les luttes de libération nationales et sur le racisme. De plus, les affirmations gratuites qu'il fait sur les « Anarchistes avec un grand A » qui ne s'impliqueraient pas, d'après lui, dans les politiques « de race » reflètent aussi son grand manque de connaissance du mouvement anarchiste québécois et des gens qui composent la coalition des diffuseurs. Le groupe NEFAC local membre de la coalition des diffuseurs, Bête Noire, s'est maintes et maintes fois impliqué dans les luttes des sans-statuts algériens et continuent toujours de s'impliquer dans les luttes pour les droits des immigrants. Le journal Le Trouble traite continuellement des certificats de sécurité, du cas Mohamed Arkat, de Adil Charkaoui et des autres, et de la lutte au terrorisme. Les « Anarchistes avec un grand A » sont toujours présents lorsqu'il est temps de confronter l'extrème droite dans la rue. En 1998-1999, des membres du Groupe Communiste Libertaire, lui aussi affilié à la coalition des diffuseurs, ont logés et cachés une famille de réfugiés chiliens en instance de déportation et un des membres du groupe a même fait la grève de la faim avec eux. Mais il semble que les membres du collectif de la librairie soient incapables de voir qu'à côté de leur île « anglo-étudiante politically correct » existe un mouvement anarchiste local implanté de longue date et qui joue son rôle, tant bien que mal, dans la société québécoise et dans le monde. En accusant ainsi d'être dogmatiques et puristes les « Anarchistes avec un grand A », et en les excluant de facto de la seule librairie « anarchiste » à Montréal, le collectif de la librairie ne fait que reproduire une situation qu'il est supposé dénoncer. D'autant plus que la pseudo-analyse du milieu anarchiste Montréalais que fait M. Larkoff ignore complètement la réalité locale d'ici, principalement celle des francophones anarchistes, mais elle ignore aussi l'histoire et la culture politique locale. Il s'agit d'une tentative d'exclusion de la majorité des anarchistes québécois sur la base d'une sur-valorisation d'une culture politique importée des milieux anarchisants États-Uniens. Bref, ça pue le colonialisme a plein nez.
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