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Changer le monde sans prendre le pouvoir ?Eric, Mercredi, Décembre 17, 2003 - 11:14
Phil Hearse*
Il est utile de discuter les thèses avancées dans le livre de John Holloway, non parce qu’il a des légions de partisans dévoués, mais parce que beaucoup d’idées qu’il avance au sujet du changement social sont répandues dans le mouvement altermondialiste (appelé aussi, dans les pays anglo-saxons, « mouvement pour une justice globale ») et dans le mouvement contre la guerre, à l’échelle internationale. L’idée de refuser la prise du pouvoir a été récemment popularisée par le sous-commandant Marcos, dirigeant des Zapatistes. Comme bien des choses qu’indique le sous-commandant, cette idée n’était pas dénuée d’ambiguïtés, car en aucun cas l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), représentant le peuple indigène d’un petit coin du Mexique, ne peut prétendre prendre le pouvoir — du moins seule. Cependant l’idée de base de transformer de manière révolutionnaire les rapports sociaux sans conquérir le pouvoir était en l’air depuis longtemps. Bien que Holloway formule quelques critiques à l’égard de Tronti et d’Antonie Negri, les parents intellectuels des courants de l’autonomie italienne, ses principaux arguments viennent directement de cette source : n’affrontez pas les patrons dans le monde du travail, retirez vous de ce monde. Créez des espaces autonomes — autonomes vis-à-vis des patrons et autonomes vis-à-vis de l’État capitaliste. Cela signifie bien sûr la lutte, mais non les appareils raffinés des partis politiques ni la prise du pouvoir d’État. Certaines des choses dites par Holloway dans son argumentation sont aujourd’hui largement répandues au sein des mouvements radicaux ; elles vont au cœur de la stratégie révolutionnaire et explicitement c’est le marxisme révolutionnaire qui est la principale cible des polémiques d’Holloway. Passer en revue son livre implique de le citer largement, de manière à ce que les lecteurs puissent juger les arguments eux-mêmes. Mais il est utile, pour anticiper, d’en résumer les principaux : 1. Tant le réformisme que le marxisme révolutionnaire ont pour objectif stratégique la conquête du pouvoir ; mais c’est un piège, car l’État ne peut être qu’une structure autoritaire (ce qui relève, par ailleurs, de l’ anarchisme standard). 2. L’État n’est pas le lieu du pouvoir ; les rapports sociaux capitalistes concentrent le pouvoir. Les marxistes orthodoxes ne voient pas que l’État est fermement soumis aux rapports sociaux capitalistes et que sa conquête ne change pas grand chose, puisque les rapports sociaux autoritaires demeurent en place. 3. Les rapports sociaux capitalistes peuvent être changés seulement par des pratiques sociales alternative produites par les opprimés eux-mêmes au cours de la résistance et de la lutte. 4. Le fondement théorique de cet argument est la catégorie du fétichisme (de la marchandise) et de sa reproduction. Les rapports sociaux ne sont pas une structure ou une « chose » mais des rapports reproduits quotidiennement dans le processus de « fétichisation ». Mais cette reproduction n’est pas automatique et peut être perturbée par des pratiques sociales alternatives de résistance. 5. La proclamation d’Engels et d’autres que le marxisme est une « science » génère de manière automatique une pratique autoritaire : les opprimés sont divisés entre ceux qui « savent » (l’avant-garde, le parti) et ceux qui ont une fausse conscience (les masses). Une pratique manipulatrice et substitutionniste résulte automatiquement de cette conception. Même Lukacs et Gramsci ne furent pas capables de rompre avec cette fausse problématique. 6. Il n’y a pas de garantie d’une fin heureuse ; tout ce qui est possible c’est la critique négative et la résistance, et nous verrons quels en seront les résultats. L’État « assassin de l’espoir » « Que pouvons-nous faire pour mettre un terme à toute la misère et à l’exploitation ? (…) Il y a une réponse prête à portée de la main. Faites-le par l’État. Rejoignez un parti politique, aidez-le à prendre le pouvoir gouvernemental, changez ainsi le pays. Ou, si vous êtes plus impatient, plus révolté, plus dubitatif en ce qui concerne les possibilités des moyens parlementaires, rejoignez une organisation révolutionnaire et aidez à conquérir le pouvoir d’État par des moyens violents ou non-violents, et employez cet État révolutionnaire pour changer la société. « Changer le monde par l’État : c’est le paradigme qui a dominé la pensée révolutionnaire durant plus d’un siècle. La discussion entre Rosa Luxembourg et Édouard Bernstein il y a cent ans sur “réforme ou révolution
Correspondance de presse internationale
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