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Priorité santé : les malentendus du programme libéralNicolas, Jeudi, Décembre 4, 2003 - 11:04
Jennie Skene
Un billet de la présidente de la Fédération des infirmières et des infirmiers du Québec (FIIQ) en réponse à la lettre ouverte de Jean Charest. Avec les débats en cours sur les réformes en santé et la dénonciation tout azimut des syndiquéEs, il me semble que c'est toujours d'actualité. Le recours aux lettres ouvertes pour présenter son point de vue est, de l’avis de la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec, symptomatique des changements qui affectent les relations de l’État québécois avec sa société civile. Dans le climat d’inquiétude provoqué par les projets de « réingénierie » de l’État et de restructuration du réseau de la santé et des services sociaux, nous exprimons notre déception quant à la manière dont le gouvernement a jusqu’ici traité sa promesse électorale d’un réinvestissement massif en santé. Nous voulons aussi faire connaître notre désaccord sur les quelques décisions qu’il a prises depuis le 14 avril concernant, entre autres, le statut de travailleuse-eur autonome des personnes qui œuvrent dans les ressources intermédiaires ou encore l’abolition de la subvention de 15 millions qui venait réduire les coûts défrayés par les parents à l’occasion de la rentrée scolaire de leurs jeunes. Cette lettre se veut finalement une mise en garde à un gouvernement qui semble privilégier la ligne d’affrontement plutôt que celle du dialogue, de la négociation et du débat. La nécessité du débat démocratique Sans vouloir donner de leçons à personne, il importe nous semble-t-il de rappeler que la démocratie, qui s’exprime formellement par le libre choix à intervalles réguliers des gouvernant-e-s par les gouverné-e-s, repose sur trois principes essentiels soit : la responsabilité des élus de représenter la pluralité de citoyennes et citoyens; la responsabilité des citoyennes et citoyens, qui ne s’arrête pas aux urnes, de défendre le bien commun; et la limitation des pouvoirs des gouvernant-e-s qui, encadré-e-s par des chartes, des lois, des codes doivent aussi répondre d’une éthique du pouvoir. Le débat démocratique prend donc ici toute sa place et qui dit débat dit information, transparence, lieux d’expression et écoute. À cet effet, il ne suffit pas à monsieur Charest de répéter qu’il a été élu sur un programme, il importe aussi qu’il écoute non seulement ceux et celles qui ont voté pour lui mais également les autres qui étaient en désaccord (plus de 2 millions sur 3,8 millions d’électeurs et d’électrices) et sont toujours en désaccord avec son programme ou qui, l’ayant élu, ont une interprétation différente de la sienne. La classe moyenne : objet réel de toutes les attentions? À l’occasion de la rentrée parlementaire, nous avons pu entendre l’ensemble des partis politiques représentés à l’assemblée nationale se porter à la défense des intérêts de la classe moyenne, c’est-à-dire autant les intérêts des ouvriers qualifiés et que ceux des cadres subalternes, en passant par les ménages à double gain, les infirmières, les professeurs, et bien d’autres. Mais cette préoccupation, qui touche l’ensemble de notre membership, ne devrait pas servir de paravent aux obsessions du gouvernement actuel de répondre aux attentes du patronat et des mieux nantis. À cet effet, il est d’ailleurs significatif de voir le gouvernement accepter que les médecins puissent se regrouper en compagnie et vendre des actions pour économiser de l’impôt et en même temps menacer de diminuer les subventions aux garderies pour les obliger à piger dans leur modeste bas de laine qui leur permet de palier aux imprévus. Cette préoccupation de la classe moyenne ne saurait non plus faire oublier les besoins criants des Québécoises et Québécois dont, pour un cinquième d’entre elles et eux, le revenu disponible personnel se situe, selon les dernières statistiques disponibles, à quelques six milles dollars par année. Elle ne saurait non plus justifier des baisses d’impôts qui, dans le contexte actuel des finances publiques, auraient pour seul résultat la réduction des recettes fiscales et partant le démantèlement des programmes sociaux et l’application de compressions dans les services qui seraient maintenus. Finalement, il serait trompeur d’associer cette classe moyenne à une majorité silencieuse préoccupée de ses seuls intérêts. En effet, 40 % des Québécois et Québécoises au travail sont syndiqué-e-s. Alors qu’une partie non négligeable des retraité-e-s effectue du bénévolat à la popote roulante de son quartier, à l’hôpital ou ailleurs, une autre partie des membres de la classe moyenne, à la retraite, après le travail ou les cours, milite dans des organisations de défense des droits, dans des groupes communautaires ou des groupes de femmes, etc. Ces citoyennes et ces citoyens se sont donné des porte-parole que le gouvernement actuel a le devoir d’entendre. Investir en santé : le malentendu du programme libéral Le gouvernement du Parti libéral peut se targuer de respecter son programme quand il annonce la réduction du nombre d’unités d’accréditations syndicales, l’assouplissement de l’article 45 du Code du travail, la création d’un poste de Commissaire à la santé, le remplacement des régies régionales. Ces mesures sont bien théoriques pour une population aspirant à une réduction des attentes pour consulter un médecin, pour passer un examen diagnostic ou pour se faire opérer. Elles semblent également décrochées des attentes de celles et ceux qui savent que si un bon système de santé peut contribuer à améliorer la santé, d’autres facteurs doivent être pris en compte. En effet, l’étude des inégalités en matière de santé a largement démontré que l’amélioration de la santé passe d’une part par l’accessibilité à des services de santé de qualité et, d’autre part, par les conditions de travail, l’environnement physique, l’environnement social, les milieux de vie, le statut socioéconomique, etc. Or, à cet égard les annonces du gouvernement Charest sont inquiétantes car elles reflètent une définition étroite de la santé qui ne tient pas compte de l’ensemble de ces déterminants. Vers une détérioration globale de la santé? Rechercher la sous-traitance dans le but de privatiser les profits en appauvrissant les travailleuses et les travailleurs syndiqué-e-s, qui ont su par leurs luttes obtenir des conditions de travail plus décentes, ou faire obstacle à la syndicalisation ne contribuera en aucun cas à améliorer la santé des personnes touchées ou de leur famille. Et pourtant, le gouvernement persiste dans la voie de la privatisation, alors que les exemples de l’Ontario et de la Californie, pour ne parler que de la privatisation de l’électricité ou des compressions dans les services publics, sont éloquents quant aux dangers qu’une telle voie représente. Chambarder les structures d’un réseau déjà fragilisé par les réformes antérieures et ce, sans savoir si ces changements contribueront à améliorer les services, viendra une fois encore perturber les infirmières et infirmiers et les autres travailleuses et travailleurs de la santé, si ce n’est les démotiver. En cette période de pénurie, cela est loin de nous apparaître comme la meilleure façon de les retenir. Rappelons-nous la réforme Côté et la définition formelle des missions des établissements, souvenons-nous des experts qui dans les colloques suggéraient de mettre les établissements en compétition comme en Angleterre; et que dire du virage ambulatoire, des fermetures d’établissements et des fusions? Aujourd’hui, la solution miracle semblait résider dans les Groupes de médecine familiale (GMF) et l’intégration des services. Qu’en sera-t-il demain? Peut-être, et nous nous posons la question, serait-il possible d’améliorer les structures actuelles et susciter une plus grande collaboration entre les établissements de santé sans recourir à une autre réforme de taille qui nécessitera des énergies énormes de la part de celles et ceux qui voudront réussir le tour de force de restructurer un réseau tout en tentant d’assurer des services de qualité. À notre avis, les projets de « réingénierie », de restructuration du réseau et de restructuration syndicale, ou encore les promesses de baisses d’impôt, n’ont rien à voir avec une amélioration de la santé de la population, au contraire même. Il n’est qu’à regarder où cela a mené ailleurs. Alors même que des médecins américains revendiquent la mise en place d’un régime public de santé, alors même que les ontariennes et ontariens qui ont connu ce type de bouleversement ont décidé de changer de gouvernement, alors même qu’un grand nombre d’organisations de la société civile ont manifesté leurs inquiétudes et leurs désaccords, nous disons au gouvernement qu’il doit écouter cette société civile. Au delà du Conseil du patronat ou des Chambres de commerce, il doit permettre à l’ensemble de ses porte-parole de se faire entendre. Jennie Skene
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