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Les citoyens peuvent-ils changer l'économie ?

Louise-Anne Maher, Jeudi, Novembre 27, 2003 - 20:53

Actes du colloque tenu à Paris le 14 mars 2002
Editions Charles Léopold Mayer, 2003, 120 pages

Il faut s'interroger sur le titre voulant mettre en rapport le citoyen et l'économie qui appartiennent pourtant à des sphères bien distinctes. Sous cette appellation, c'est le plus souvent à l'individu isolé qu'il est fait appel, et même au consommateur, opposé à l'action politique d'un citoyen réduit apparemment à sa vertu supposée. Des fonds éthiques au commerce équitable ou aux boycotts commerciaux, ces tentatives de faire du marché l'expression du vote des citoyens par une "consommation engagée" sont marquées à l'origine par l'idéologie libérale et puritaine des pays anglo-saxons dont elles sont issues, voulant substituer la régulation individuelle à la régulation collective. Ce n'est pas que tout est mauvais dans le libéralisme. Il faut toujours défendre avec énergie l'esprit de liberté et de tolérance, mais le libéralisme ce n'est pas des bonnes intentions, c'est une idéologie cynique et des pratiques trop souvent infâmes, la destruction de nos protections collectives. La démocratie du marché, supposée faire de chaque citoyen un consom'acteur, est pour le moins une démocratie censitaire, on ne peut plus inégalitaire. Surtout, c'est bien plutôt la disparition du politique, de l'action collective organisée et d'institutions durables prenant en charge le long terme, au profit des fluctuations immédiates des marchés ou des sondages, d'effets de masse ou d'effets de mode, on dit d'auto-organisation !

Cette extension de la marchandisation à l'éthique et au politique se fait paradoxalement au nom de l'abolition de la séparation de l'économie et de la société. Comme le dit la présentation "C'était à l'Etat de se préoccuper de l'intérêt général" 11, pas aux individus simples consommateurs. On voudrait ainsi "rapprocher économie et société" 14. On voudrait que le citoyen ne se laisse pas aller aux "lois du genre" dans ses comportements économiques. Au fond, il y a là une tendance à nier l'autonomie de l'économie, ses règles spécifiques, au nom des vertus citoyennes et une nouvelle tentative de politiser toute la vie par volontarisme ("changer la vie quotidienne" 12). Je pense comme Henri Rouillé d'Orfeuil qu'il y a là une erreur d'analyse, l'envers de l'économisme, car s'il est vrai que l'économie ne peut être séparée du social, il est non moins vérifié que l'économie a ses lois propres qu'on ne peut ignorer (comme dit Lacan, "l'éthique est relative au discours"). Le risque, paradoxal en effet, c'est que l'économie absorbe encore plus la politique ! Il faut maintenir qu'il y a une pluralité de champs sociaux avec leurs règles propres, mêmes s'il ne sont jamais complètement autonomes. Plutôt que de vouloir nier sa spécificité, au nom de la morale individuelle (charité chrétienne ou vertu citoyenne), il faudrait donc articuler l'économie au social par des institutions appropriées, des normes et des taxes, et non en faisant appel à la bonne volonté de chacun pour contredire constamment son intérêt immédiat. D'ailleurs c'est bien la conclusion de ce colloque (et de la présentation), la nécessité du regroupement des "acteurs collectifs" et d'un changement d'échelle. L'action du citoyen sur l'économie passe inévitablement par l'organisation collective, par la politique plus que par l'éthique individuelle.

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http://perso.wanadoo.fr/marxiens/politic/ecosolid.htm


Sujet: 
Avant-garde, nouvelles alternatives
Auteur-e: 
Louise-Anne Maher
Date: 
Ven, 2003-11-28 19:45

Autre partie du texte. Le début du texte semble critique des actions individuelles, mais l'analyse est plus "fine" que ça.

Il fallait souligner cette assimilation problématique du consommateur individuel au citoyen, extension du marché aux "produits éthiques", ou même aux projets politiques, pour se rendre compte qu'il y a malgré tout dans ces nouvelles émergences beaucoup plus que l'idéologie de départ. En effet, dans la pratique on se rend bien compte que la démarche ne peut pas être individuelle et ne prend sens que dans une organisation collective, et même mondiale. Le politique reste moteur même s'il échappe à la politique nationale. Le marché peut fournir des moyens à cette nouvelle organisation pour se construire, et dans un monde dominé par le marché c'est une stratégie qui peut se défendre. Ce n'est en rien une solution en soi, cela peut même paraître dérisoire. Il n'y a pas grand chose à en attendre, au moins dans un premier temps. Chacun dans ce colloque soulignera la faiblesse actuelle de ces nouvelles pratiques qui restent très marginales et l'enjeu d'un changement d'échelle qui passe inévitablement par le politique, mais ce sont en même temps des ébauches de circuits alternatifs ainsi que des instruments d'évolution des normes. Leur rôle est celui d'une avant-garde et d'une structuration d'un réseau mondial des productions non marchandes. Ce sont aussi, comme le souligne Dominique Plihon, des outils de communication et des forces symboliques dont l'influence est sans commune mesure avec leur importance économique. Ce n'est donc pas en pur perte, simple concession faite au marché, que nous devons y apporter notre soutien, tout comme à la production bio. Nous participons ainsi au renforcement de réseaux alternatifs.


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