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Chaos mental, des malades mis au rancart

jfournier, Vendredi, Octobre 24, 2003 - 14:30

jocelyne fournier

La confusion règne dans le domaine de la santé mentale. Les malades, les premières victimes, en plus de subir toute la mystification entourant leur état, vivent dans la pauvreté et la mise à l`écart du social.

Environ 3% de la population au Québec vit un problème de "santé mentale" sévère et persistant. Ce sont des gens pour qui la vie est un perpétuel combat. En plus de lutter contre leur maladie ils doivent faire face quotidiennement aux préjugés qui entourent leur état. Certains croient qu`il sont paresseux, d`autres qu`ils sont de mauvaise foi... Qualifiés de fous, dingues, cinglés, dérangés ils sont très souvent coupables de crimes les plus graves voire de meurtres en série...dans les films policiers. Mais qu`en est-il dans la réalité?

Aujourd`hui malgré toutes les informations diffusées il n`y a pas encore de consensus général pour décrire les maladies dites "mentales". Le mot "mental" lui-même prête à confusion. Si les maladies physiques sont toutes très bien localisées dans le corps, où se trouve donc le "mental"? Quelque part entre les deux oreilles? Mais n`est-ce pas là le cerveau? Pourquoi n`appelle-t-on pas ces troubles des maladies cérébrales?

Le DSM-IV, le manuel de classification des troubles mentaux utilisé par tous les psychiatres en Amérique du Nord, inclus autant les troubles du comportement que les maladies biochimiques comme l`autisme. Ainsi, dans le même bouquin, la personnalité du terroriste (qui est atteint d`un trouble de personnalité antisociale) est décrite autant que celle d`une inoffensive personne atteinte d`un trouble compulsif-obsessionnel; le psychopathe agressif figure avec le schizophrène introverti. De plus, dans la société en général, les déficients intellectuels sont souvent appelés "handicapés mentaux". Et les malades "mentaux" sont parfois appelés aussi "handicapés mentaux" ou "psychiques". Les malades mentaux n`étant pas des déficients intellectuels, il y a une confusion entre les deux expressions. Dans les associations communautaires les intervenants appellent "malades mentaux " les personnes qui se considèrent souffrant de "problèmes émotifs", ce qui contribue encore à la confusion. Certains vont même jusqu`à parler de "maladies de l`âme". Il n`est donc pas très étonnant que le public plus ou moins bien informé s`y perde.

Mais qu`est-ce alors qu`un "malade mental" chronique? "Il y aurait beaucoup de discussions à faire sur le sujet, déclare M. Daniel Latulipe, directeur des services communautaires Cyprès. Je ne pense pas que les gens s`entendent clairement pour définir si quelqu`un est chronique ou ne l`est pas." Les intervenants en santé mentale optent pour une panoplie d`approches parfois divergentes, parfois complémentaires. Du côté de la psychiatrie on qualifierait de malades chroniques ceux qui sont atteints de maladies cérébrales à incidences psychiatriques : ce sont essentiellement la dépression chronique, le trouble bipolaire, la schizophrénie et le trouble schizo-affectif. Les personnes souffrant de ces maladies cérébrales "sont plus susceptibles de devenir des victimes de violence ou de crime que d`en user envers les autres." (1) Ces maladies sont principalement d`origine génétique et n`ont rien à voir avec un quelconque mal de l`âme.

La science découvrira peut-être un jour que tous ces divers troubles "mentaux" répertoriés ensemble forment des pathologies bien distinctes qui relèveront de diverses spécialités. Par exemple, actuellement les "troubles de la personnalité" sont considéré comme des problèmes de développement psychologique sans fondement génétique: ils sont causés par des traumatismes psychologiques, l`immaturité, des carences affectives et sont traitables, quoique difficilement, en psychothérapie."Il y a peut-être quelque chose de biologique mais c`est probablement plus de l`ordre de l`éducation, ajoute M. Latulipe. Mais ces troubles peuvent être aussi très handicapants." Faire la part entre le psychologique et le biochimique reste très difficile. Ainsi dans les années 70, à cause de la psychanalyse, la schizophrénie était considérée comme étant un trouble grave de la personnalité... jusqu`à ce que la recherche en génétique prouve qu`il s`agit là d`une maladie causée principalement par une mutation de certains chromosomes. Malgré cela il y a encore onze pour cent de la population au Québec qui croit qu`elle est une maladie imaginaire et dix-neuf pour cent qui estime qu`elle est causé par des traumatismes durant l`enfance. (2)

Les années 90 ont été surnommées " la décennie du cerveau" parce que de nouvelles méthodes d`investigation du cerveau ont été mises au point, ainsi que de nouvelles molécules chimiques qui ciblent des endroits très précis dans le cerveau. Depuis l`avènement de la pilule psychotrope la plus célèbre, Prozac, les chercheurs scientifiques ont pu mesurer la part ténue entre la personnalité et la biochimie du cerveau. Tous les mythes, les préjugés, la honte et la culpabilité entourant ces maladies se disqualifieront à mesure que les scientifiques vont expliquer leurs causes et leur fonctionnement. Les personnes atteintes de maladies "mentales graves et persistantes" n`auront plus à subir le poids de cette ignorance.

Jacques, 55 ans, atteint du trouble bipolaire depuis une trentaine d`années, raconte: "Je n`ai pas encore trouvé ma place dans la société, à cinquante cinq ans...Je recommence ma vie à chaque jour et je trouve cela épuisant. Ma situation socio-économique est directement relié à ma maladie bipolaire...ou l`inverse, je ne sais pas..." La plupart des personnes atteintes de "troubles mentaux sévères et persistants" se débrouillent avec le chèque de la sécurité du revenu (500$ par mois) ou du soutien financier (788$ par mois). "Il y en a qui travaillent mais c`est la minorité", souligne Jacques. "J`ai entendu des témoignages de gens dépressifs ou maniaco-dépressifs qui travaillent, à l`association Revivre (3), mais c`est qu`ils ont été très aidé par leur famille, leur ami de coeur et qu`ils avaient aussi peut-être plus de chance de s`en sortir que d`autres." Maladie "mentale" rime donc avec pauvreté. En plus de subir la souffrance de leur maladie et la stigmatisation y étant rattachée, ces gens doivent aussi vivre dans le plus grand dénuement matériel. Ces personnes gravement malades sont principalement préoccupées par leur survie et n`ont pas l`énergie physique ni la tournure d`esprit pour commettre des crimes.

"Je suis plus heureux maintenant parce que j`ai un petit travail occasionnel", raconte Jacques. Malgré ses diplômes universitaires (à 22 ans il avait deux bacc., dont un en sciences économiques) il est dépourvu d`ambition. "Quand j`ai 20 $ de surplus je me sens riche. Il y a des gens pour qui cela leur prend 5000$ pour sentir qu`ils ont un coussin. Vingt dollars pour moi représente une semaine de cafés au restaurant, ce qui est pour moi le bonheur. Ce n`est pas très réaliste de ma part vis-à-vis les gens normaux que je côtoie, mais je n`ai pas d`avenir..." Et il ajoute un peu perplexe: "Il y a beaucoup d`artistes qui sont atteint de maladies mentales parce que ce sont des gens très intelligents. La société n`est pas faite pour eux... Il faut avoir des petits groupes organisés comme Pracom, le Centre d`Apprentissage Parallèle (C.A.P.), la Croix Blanche... Dans ces structures protégées, les malades ont de l`encadrement. S`ils n`ont pas d`encadrement c`est la souffrance. " La souffrance, voilà le mot-clé.

Les films policiers ne rendent pas service envers la cause de la déstigmatisation des malades dits "mentaux". Déformation de la réalité, mauvaises informations, confusion dans les termes...qui est à blâmer? Les personnes les plus faibles de la société ne peuvent s`expliquer. Inutiles, combat inutile? Les malades "mentaux" auraient-ils une fonction sociale importante? Celle, peut-être, de nous faire voir nos limites en tant qu`être humain?

(1) À propos des problèmes de santé mentale, information et perspectives pour les patients et les familles, guide publié par Janssen-Ortho inc., www.janssen-ortho.com.

(2) Sondage auprès de la population québécoise sur les perceptions et les comportements face à la schizophrénie, E. Stip, C.Léger, H. Cormier, J. Caron, in Défi Schizophrénie, bulletin officiel de la Société québécoise de la schizophrénie, novembre-décembre 2000.

(3) Anciennement Association des Dépressifs et Maniaco-dépressifs.
(A.D.M.D.)

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Sujet: 
Commentaire
Auteur-e: 
martin dufresne
Date: 
Sam, 2003-10-25 14:54

Jocelyne Fournier conclut:
"Les malades "mentaux" auraient-ils une fonction sociale importante? Celle, peut-être, de nous faire voir nos limites en tant qu`être humain?"

Peut-être. Je suis toujours étonné de voir des femmes établir d'emblée un lien en se parlant ce ce qu'elles vivent de plus terrible - directement ou par empathie avec une tierce femme vivant une telle situation. Une de mes camarades travaille dans un vestiaire populaire, et c'est 90% de la conversation de ses clientes. Parler de ces limites, imposées par la société ou la maladie, c'est apparemment chercher et trouver une écoute, de la sympathie et de la solidarité pour résister.

Par contre, il me semble que la culture dominante qui diabolise les personnes ayant des troubles mentaux utilise la limite d'une autre façon. En l'assignant à l'Autre de façon caricaturale, elle en fait un bouc émissaire et rassure le spectateur qu'il est, lui, sans limites, tout-puissant, sain.

Comme les hommes bâtissent leur puisance sur l'Autre appropriée, souillée, le traitement culturel du malade mental nous rassure sur notre propre "santé" en repoussant la limite au-delà de la nôtre que nous ne voulons pas voir. Nous payer un Fou, n'est-ce pas une façon de nous proclamer Roi?

Martin


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Sujet: 
Les fous sont partout
Auteur-e: 
Louise-Anne Maher
Date: 
Dim, 2003-10-26 00:44

Les fous et les folles sont partout. La stigmatisation vient avec les soins, s'ils se soignent on les exclus. Stigmatiser des personnes comme folles ou dangereuses ou criminelles ou quoique ce soit permet effectivement aux bien pensants de se croire indemnes de toute "maladie" ou "tare". Ce n'est pas pour rien que les malades mentaux (sommes-nous sûrs qu'ils l'étaient?) étaient parqués dans des hôpitaux psychiatriques pour la vie, et les prisonniers parqués dans des prisons. C'est presque un rituel magique; tenir éloigné des bien pensants la folie et la criminalité.
Dans notre monde chaotique(en fait c'est pas nouveau, ce qui est nouveau c'est que nous le savons ouvertement) nous venons d'apprendre aux nouvelles de ce soir (25 oct) qu'un chirurgien en psychose maniaco dépressive avait bâclé 8 opérations dans une journée et qu'au moins 60 autres médecins sont sous surveillance pour problème de santé mentale ou de toxicomanie.
A bien y penser je pense que je préfèrerais que les fous soient enfermés. Les vrais fous,mais on manquerait d'asiles.


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Sujet: 
Le fait que l'exclusion des "
Auteur-e: 
Bleuler
Date: 
Lun, 2003-10-27 13:11

Le fait que l'exclusion des "fous" serve l'exutoire ou de projection à la communauté, n'empêche pas la folie d'exister comme réalité objective.

Je ne partage cependant pas votre désir d'enfermer les "fous". La plupart des personnes atteintes de troubles mentaux pourraient parfaitement vivre dans la communauté. Elles pourraient même jouer un rôle très constructif. Ce qui limite encore leur intégration ce sont les contraintes d'une société industrielle uniquement axée sur la performance.

L'autre revers, c'est la négation de la folie. Certains groupes de défenses des droits nient presque l'existence de la maladie. Lorsqu'un professionnel de la santé souffre de troubles mentaux qui le rendent dangereux, ce n'est pas le collège des médecins qui le défend mais des avocats qui ont toute une kyrielle de lois votées pour faire plaisir à des groupes de revendications.

Votre position personnelle représente une coexistence contradictoire de ces deux positions extrêmes.


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