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Les hommes et le féminisme : lorsque changement rime avec intériorisation...Yannick Demers, Lundi, Octobre 13, 2003 - 17:07
Yannick Demers
Nous sommes fréquemment confrontés, en tant qu’hommes militant dans un milieu de gauche, à une analyse féministe de la société. Malheureusement, notre première réaction – qui peut souvent perdurer quelques années – lorsque nous sommes confrontés à cette juste critique, est la levée de bouclier, la négation, la défensive. Nous nous sentons agressés, bouleversés, remis en question : on nous demande, sans formules de politesse et sans possibilité de refus, de changer. Mais qui a-t-il de mal à changer, lorsque ce changement est porteur d’égalité, que nous avons le pouvoir concret de révolutionner des rapports sociaux, en commençant par notre seule volonté? C’est après tout ce que nous demandons à chaque jour à toute et chacun lorsque nous luttons contre le capitalisme, contre la privatisation de l’éducation, contre la guerre. Nous demandons aux autres ce que nous refusons de faire nous-même : accepter le dévoilement de notre position sociale, reconnaître nos privilèges, travailler à les abolir pour que cesse l’oppression et ce tant dans nos comportements quotidiens que dans la société au sens large. (ce texte a été écrit à l'intention d'hommes d'un regroupement progressiste pour le droit à l'éducation, mais peut s'appliquer, à notre avis, à tous hommes confrontés à une analyse féministe des rapports sociaux de sexe...) Nous sommes fréquemment confrontés, en tant qu’hommes militant dans un milieu de gauche, à une analyse féministe de la société; que ce soit indirectement, à travers un atelier ou un débat d’instance, ou par le biais d’une action menée par un groupe de femmes du milieu, ou plus directement, lorsqu’une de nos consoeurs dénonce le sexisme à son égard et sa place stéréotypée dans le groupe, ou nous interpelle face à un de nos comportements machistes. Quelle que soit la forme par laquelle nous y sommes confrontés, le féminisme nous questionne profondément dans nos attitudes et comportements masculins – ce que nous avions jusque là considéré comme notre identité profonde – nous interroge quant à notre responsabilité dans l’oppression des autres (les femmes) nous qui sommes pourtant habitués à dénoncer l’oppression créée par les autres, les capitalistes, les racistes, les fascistes. Malheureusement, notre première réaction – qui peut souvent perdurer quelques années – lorsque nous sommes confrontés à cette juste critique, est la levée de bouclier, la négation, la défensive. Nous nous sentons agressés, bouleversés, remis en question : on nous demande, sans formules de politesse et sans possibilité de refus, de changer. Mais qui a-t-il de mal à changer, lorsque ce changement est porteur d’égalité, que nous avons le pouvoir concret de révolutionner des rapports sociaux, en commençant par notre seule volonté? C’est après tout ce que nous demandons à chaque jour à toute et chacun lorsque nous luttons contre le capitalisme, contre la privatisation de l’éducation, contre la guerre. Nous demandons aux autres ce que nous refusons de faire nous-même : accepter le dévoilement de notre position sociale, reconnaître nos privilèges, travailler à les abolir pour que cesse l’oppression et ce tant dans nos comportements quotidiens que dans la société au sens large. Une critique à intérioriser Les changements qu’on nous demande ne peuvent être effectués uniquement sur le mode passif. Bien que la remise en question de nos comportements machistes doive partir de l’écoute attentive et active des revendications des femmes de notre milieu, nous ne devons pas attendre qu’une féministe pointe chaque élément problématique pour réagir : ce n’est pas à elle d’avoir à porter le fardeau de la preuve et à être constamment prise au piège dans le rôle de la dénonciatrice « casseuse de party ». Constamment attendre la critique devient une manière efficace pour éviter la critique : la personne qui dénonce, stigmatisée et isolée, à bout de patience et de souffle, finit par abandonner la dénonciation. Une réelle compréhension du message des femmes qui interrogent nos attitudes doit mener à une intériorisation du message et à une responsabilisation. Attention, cela ne signifie pas de se prendre de culpabilisation, de s’auto-flageller et de s’accabler de tous les maux de la terre : même si la culpabilisation est un processus par lequel il arrive à plusieurs de passer, soit par sentiment d’impuissance, par vertige devant le chemin à parcourir, par le désespoir créé par la prise de conscience de notre position sociale d’oppresseur – position à laquelle nous ne sommes pas habitué et qui ne constitue pas une identité agréable à porter. Il importe de dépasser ce stade, absolument stérile, de la réflexion, et de tenter de comprendre la critique qui nous est faite. Cette compréhension passe par une écoute attentive des femmes qui nous interpellent : n’ayons pas peur de questionner, sans insister et sans pression, nos collègues féministes, qui se feront généralement un plaisir de nous expliquer leur pensée si la demande semble honnête et sincère. Ne craignons pas non plus de consulter la littérature féministe, qui est souvent plus accessible que l’on pense : nos mêmes consoeurs se feront certainement un plaisir de suggérer quelques lectures qui les ont elles-mêmes aidé à prendre conscience de leur situation. Une prise de conscience active et dynamique aide à se sortir du schème de culpabilité et de répondre de manière plus appropriée aux revendications féministes. De plus, cela peut contribuer à faire mentir le dicton (véridique) qui dit: derrière tout homme proféministe se trouve une (ou plusieurs) féministes épuisée(s)… Quand notre réflexion devient réaction Une réflexion active sur les rapports de sexe n’est pas nécessairement signe de réflexion favorisant l’abolition des rapports d’oppression hommes-femmes. Le fait que nous prenions une autonomie (normale et nécessaire) dans notre réflexion face aux faits qui nous sont reprochés peut nous amener à rompre avec l’idée initiale de celles qui nous ont interpellé. Nous recevons la critique féministe, prenons acte des faits reprochés, étudions la situation pour… céder à la peur du changement et au mode défensif et renverser la situation pour critiquer le féminisme, plutôt que se critiquer soi-même. Ce renversement peut se manifester par : le refus d’écouter, la déformation et la caricature des propos féministes (les féministes haïssent les hommes, elles veulent éliminer les hommes…), la contre-accusation, la symétrie (vous êtes aussi pires que nous…), le renversement de la situation, etc. Un de ses procédés les plus courants, se constituant en réel mouvement organisé depuis quelques années, est le renversement de situation : ce que nous nommons le « masculinisme » témoigne d’un usage systématique de ce procédé. Ce masculinisme, que nous appliquons tous à des degrés variés à certains moments de nos vies, répond à l’appel des féministes en suggérant que l’inégalité entre les sexes existe… mais qu’elle est plutôt subit par les hommes et que les féministes en sont les coupables. Procédé typique à la droite conservatrice – un-e ministre vous a sûrement déjà accusé d’être anti-démocratique parce que vous bloquiez la rue ou manifestiez contre le G8 – qui consiste à noyer le poisson en relativisant tout (la violence est commise par les hommes et les femmes de même manière…), à accuser de mauvaise foi la personne qui vous dénonce (les féministes qui veulent le pouvoir…), à se victimiser pour éviter la critique à tout prix (je souffre en tant qu’homme, alors ne me demande pas de changer…). Le masculinisme, s’il est présent sous forme organisé, par le biais de plusieurs groupes, est surtout présent au quotidien et se manifeste dans les nombreuses résistances que nous manifestons face au féminisme. Posons-nous la question : comment est-ce que je réagis lorsque l’on me critique : suis-je ouvert, accueillant et intéressé, ou fermé, agressif et accusateur? Une base nécessaire Intérioriser la pensée féministe exige enfin de nous une modification de nos perceptions des rapports de sexe et de nos valeurs à leur égard, afin de faire concorder notre vision du monde avec l’analyse de la situation que nous propose le féminisme. Les discours scientifiques nous martèlent depuis des siècles que les hommes et les femmes (tout comme les blancs et les noirs, les homos et les hétéros) sont fondamentalement différents et que cela explique largement nos différences sociales. Ces discours, qui se sont modifié et constamment adapté, au fur et à mesure que l’on prouvait leur invalidité, ont comme point commun leur ardent désir de prouver hors de tout doute cette différence. Nous ne nous attarderons pas ici à énumérer et réfuter les arguments propres à ces discours (toute une épreuve en soi), mais soulignerons seulement que ces discours témoignent tout bonnement d’un désir de légitimer les inégalités sociales et que ce simple fait les rend hautement suspects. Est-il nécessaire de prouver une différence fondamentale entre les sexes alors que, aujourd’hui même, des femmes ont prouvé leur capacité à accomplir tout ce que des hommes peuvent accomplir? Alors que, si différence il y a, elles sont à ce point insignifiantes qu’elles ne jouent qu’un rôle infime dans l’organisation sociale de notre société? Intérioriser cette critique féministe demande de nous l’intériorisation d’un idéal social dans lequel les hommes et les femmes seraient tout bonnement équivalents, ce qui permettrait à tout individu, homme ou femme, de s’accomplir dans une diversité dépassant la barrière fausse des sexes (barrière maintenue par l’existence même des sexes). Sans un idéal de ce genre, quel intérêt avons-nous à voir nos privilèges éliminés au profit d’une égalité hommes-femmes, qui ne nous apporte autrement qu’une satisfaction éthique? Sans intérêt à la réussite de l’idéal féministe, comment pouvons-nous être vraiment honnête dans notre remise en question? Sans honnêteté et engagement, comment pouvons-nous prétendre réellement supporter la cause féministe? Un engagement au quotidien Ne nous décourageons pas devant la taille des objectifs à atteindre : les changements nécessaires à l’abolition des rapports d’oppression hommes-femmes sont colossaux, mais seulement vus d’en bas. Une progression au quotidien ne demande pas plus d’effort que celle que nous faisons dans notre rapport au capitalisme, par exemple. Nous ne sommes pas parfaits, ne le deviendrons probablement jamais, mais ce n’est pas vraiment ce qui importe. L’important est d’aborder les critiques avec ouverture d’esprit et réceptivité, avec honnêteté et flexibilité et surtout avec un réel désir de changement. Le cheminement sera beaucoup plus agréable si nous collaborons activement avec les féministes, beaucoup plus enrichissant pour nous. Mais rappelons-nous que ce n’est pas une simple demande qui nous est formulée : c’est une exigence. Le féminisme, comme tout mouvement d’émancipation, arrivera un jour à son but (il a déjà fait beaucoup cheminer) et il le fera avec ou sans nous. À nous de choisir notre camp… Yannick Demers
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