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Les esclaves oubliés de la canne à sucre

Nicole Nepton, Samedi, Septembre 13, 2003 - 09:46

Isabelle Dubois

Nous connaissons la République dominicaine pour ses plages, mais nous oublions l'autre côté de la carte postale dominicaine : des milliers d’Haïtien-nes exploités par l’État dominicain et les compagnies sucrières. La situation sanitaire, économique, sociale et humaine de ces travailleurs et travailleuses agricoles et de leurs familles - environ 500.000 personnes - est si dramatique que le qualificatif d’esclavage moderne s’applique sans hésitation à leur condition.

Nous connaissons la République dominicaine (RD) pour ses plages et ses lagons qui accueillent bon nombre de touristes occidentaux en mal de soleil et d’exotisme. Mais nous avons tendance à oublier le verso sombre de la carte postale dominicaine : des milliers d’Haïtiens exploités par l’État dominicain et les compagnies sucrières. La situation sanitaire, économique, sociale et humaine de ces travailleurs agricoles et de leurs familles - environ 500.000 personnes - est si dramatique que le qualificatif d’esclavage moderne s’applique sans hésitation à leur condition.

Durant la Zafra, la récolte de la canne à sucre, les Haïtiens et les Dominicains de descendance haïtienne travaillent dans les plantations de 12 à 14 heures par jour, 7 jours sur 7, sous un soleil de plomb et dans des conditions physiquement insupportables (blessures fréquentes, coupures, morsures de serpents, etc.) pour gagner 60 pesos par jour, soit 4,37$ CA. Durant les 6 mois de la coupe, ces esclaves récoltent 120.000 tonnes de canne sous l’oeil menaçant de gardes champêtres armés censés décourager toute velléité de fuite. En outre, leurs conditions salariales se sont dégradées à partir de 1999 et du début de la privatisation de l’industrie sucrière par l’État dominicain.

La spécificité de la situation de ces travailleurs réside dans l’organisation même du commerce de la main-d’œuvre haïtienne en RD. Commerce de braceros (coupeurs de canne), traite humaine ou esclavagisme, autant de termes pour décrire l’accord que les autorités dominicaines et haïtiennes ont passé entre elles.

En 1966, afin de répondre à une forte demande de l’industrie sucrière alors en pleine croissance, les autorités signent des contrats pour faciliter l’envoi en RD d’Haïtiens, traditionnellement coupeurs de canne. Dès lors, l’immigration haïtienne vers la RD s’amplifie. En parallèle avec ce commerce structuré et officiel, se développe un trafic orchestré par des passeurs dominicains, qui promettent monts et merveilles aux Haïtiens moyennant de l’argent et les passe-droits des douaniers. Mais en 1986, la chute du régime Duvalier, et l’exil de Baby Doc, provoque la non reconduction des contrats. L’immigration ne cessant pas pour autant, un flou politique et juridique quant au statut des braceros et de leurs familles en RD s’installe.

À leur arrivée, les Haïtiens sont parqués dans des bateyes, sorte de campements de travail qui s’apparentent plus à des bidonvilles qu’à des villages ouvriers. Logés dans des boloyols, de petites maisons faites de bois et de tôle, une famille de 5 ou 6 personnes doit surmonter la promiscuité, le manque d’hygiène (absence de toilettes, d’égouts, d’eau courante et potable, etc.), l’insécurité et les infections (malaria, diarrhée, tuberculose, virus VIH, etc.). Or la gratuité du logement empêche toute forme de plainte.

La zafra terminée, il est cependant quasiment impossible aux braceros, ayant gagné à peine de quoi survivre, de retourner en Haïti. Ainsi, s’ils étaient entrés légalement en RD, en demeurant dans les bateyes entre deux zafras, ils rejoignent le lot des travailleurs illégaux et deviennent susceptibles d’être expulsés à tout moment. En fait, quelque 2.500 personnes par mois sont rapatriées de force, ce qui est tout à fait contraire au protocole d’entente signé entre les deux pays. Des expulsions massives ont eu lieu entre 1997 et 2000, et elles continuent encore aujourd’hui à séparer des hommes de leur famille et à réduire celle-ci, isolée dans le batey, à une pauvreté extrême.

Ceux qui restent en RD doivent subir au quotidien la discrimination raciale : la société dominicaine véhicule un fort préjugé anti-haïtien entretenu, voire attisé, par les médias et par l’État, et remontant au temps de la colonie. Le sentiment de supériorité des Dominicains est un frein dans la tentative de clarification du statut des Haïtiens et des Dominicains d’origine haïtienne depuis 4 générations. En effet, les enfants nés de parents haïtiens dans les bateyes ne sont pas enregistrés à l’État civil dominicain et n’ont donc aucun droit, ni en RD, ni en Haïti où ils n’existent pas.

Paradoxalement, Haïti, la première république indépendante noire du monde, consent par son immobilisme à l’esclavage d’une partie de sa population, trop occupée elle-même à chercher des solutions pour émerger de l’instabilité politique intérieure et sortir du marasme économique dans lequel elle est enfoncée depuis la chute des Duvalier.
Oubliés à la fois par leur pays d’origine et par leur pays d’accueil, ignorés autant des touristes bronzant à quelques kilomètres des bateyes que des médias méconnaissant la situation, les braceros ne peuvent compter que sur l’aide de quelques ONGs qui tentent tant bien que mal de palier tous les manques.

Appel à la solidarité :
Le Comité québécois pour la reconnaissances des droits des travailleurs haïtiens en République dominicaine, organisme sans but lucratif fondé à Montréal en 1987, apporte son appui à ces victimes de la mondialisation. Nous comptons sur la solidarité et la générosité de tous pour nous aider à résoudre ce problème de manière définitive, car la lutte des travailleurs et travailleuses d’ici comme ailleurs est notre combat commun. Nous restons à la disposition de quiconque souhaiterait rester informé.

Téléphone : (514) 523-2434. Courrier électronique : cqrd...@sprint.ca

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