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L'UFP et les élections 2003 - II : L'échec était prévisible

Anonyme, Dimanche, Septembre 7, 2003 - 07:46

Pierre Gélinas

Pour qu'un parti politique de gauche soit un acteur majeur, lors d'une campagne électorale, il faut surtout une volonté politique d'avoir un impact politique significatif sur notre société. L'UFP avait-elle cette volonté politique? Pour le savoir, il faut connaître son histoire et tenter de comprendre les intérêts en jeu.

L’Union des forces progressistes et les élections 2003 - II

L’ÉCHEC ÉTAIT PRÉVISIBLE

par Pierre Gélinas

Juriste, militant progressiste de longue date, l’auteur a été responsable des relations publiques et de l’agenda du candidat Paul Cliche, lors de l’élection partielle de Mercier, en avril 2001, et membre fondateur de l’Union des forces progressistes, en juin 2002.

La présence de l’Union des forces progressistes (UFP) sur la scène électorale québécoise, en avril 2003, s’est soldée par un échec cuisant : 40 561 voix pour 1,06% du vote. À mon sens, ce ratage de l’UFP n’est dû qu’à elle-même.

Les artifices dont on se sert pour expliquer ce flop (la jeunesse du parti, le manque de ressources, le manque de notoriété, les contingences de la pratique électorale…) étaient des réalités connues bien avant le déclenchement des élections, du moins connues de celles et ceux qui ne carburent pas à la pensée magique.

Par contre, si on décide quand même de se présenter aux élections, il faut pallier ces «faiblesses» par des trésors d’imagination, un militantisme de tous les instants, des heures et des heures de travail, et surtout, par-dessus tout, par une ouverture, une convivialité et une complicité avec Madame et Monsieur Tout-le-monde, c’est-à-dire l’électorat.

Comme disait un de mes anciens professeurs : être «de gauche», dans quelque sphère que ce soit, implique d’être trois fois plus compétent et dix fois plus préparé que l’adversaire. Pour cela, il faut, au départ, une réelle volonté politique. L’UFP avait-elle cette volonté politique ? Il n’y a qu’une seule façon de le savoir : connaître l’histoire de l’UFP et tenter de comprendre les intérêts en jeu.

Des débuts en dilettante

En mai 2000, divers mouvements et partis politiques ainsi que des groupes sociaux se réunissent et discutent lors d’un Colloque sur l’unité de la gauche politique. Il en résulte la mise sur pied d’un Comité de liaison regroupant, principalement, deux partis politiques (le Parti communiste du Québec – PCQ – et le Parti de la démocratie socialiste – PDS) et deux mouvements politiques (le futur Parti vert du Québec / Green Party of Québec – PVQ – et le futur Rassemblement pour l’alternative progressiste – RAP).

Ce Comité de liaison se réunit très peu et ne tient pas de procès-verbaux, ni de comptes-rendus (le premier procès-verbal apparaîtra en 2001). C’est dire le peu d’importance que l’on attachait à ce comité et, par conséquent, à l’unité de la gauche… Tellement peu d’importance que le RAP s’est transformé en parti politique (un de plus…), en février 2001 !

Mercier : une embellie de professionnalisme

En avril 2001, Paul Cliche, candidat indépendant à l’élection partielle de Mercier, obtient l’appui de nombreux partis politiques et organismes, entre autres du PCQ, du PDS, du PVQ, du RAP (ce dernier après de très longues tergiversations), du NPD-Québec, de la Chaire socio-économique de l’UQÀM et du Conseil central de Montréal (CSN). Ceux-ci se regroupent sous le nom «Union des forces progressistes (UFP)». De plus, sur le terrain, Paul Cliche reçut l’appui militant et financier de nombreuses personnes qui n’adhéraient pas à ces partis ou groupes.

Comme chacun le sait, cette campagne électorale a été rondement menée et couronnée d’un succès sans précédent pour la gauche : le message a été diffusé efficacement et Paul Cliche a obtenu près de 25% des votes.

Deux visions : coalition ou parti

Les petits partis politiques voulurent embarquer dans le train qui, pensaient-ils, était lancé par Mercier, mais, l’histoire le dira, à leur profit respectif. Il faut savoir qu’en 2001, le PCQ, le PDS et le RAP regroupaient, ensemble et pour tout le Québec, un maximum de 325 membres, selon les chiffres qu’ils ont fournis au Directeur général des élections du Québec (ces groupuscules seraient donc plus près de la «secte» - clos sur eux-mêmes – que du «parti politique»).

Quelques hauts stratèges de ces partis ont concocté un protocole et le firent adopter par le Comité de liaison, en mai 2001. Ce protocole, essentiellement, institutionnalisait une UFP-bannière, c’est-à-dire qui ne serait pas un parti politique mais une coalition de partis politiques, incitait les partis politiques à changer leurs noms respectifs en ajoutant à la fin de ceux-ci un trait d’union suivi de «UFP», établissait un partage des comtés du Québec entre les partis politiques et, à toutes fins pratiques, excluait tous les non-membres de leurs petits partis. C’est cela que l’on appelait l’«UFP» : non pas un parti politique de la gauche unifiée mais une coalition, un «joint venture» corporatiste !

En juin 2001, les Verts quittent le Comité de liaison.

À partir de juillet 2001, trois organisations UFP locales (Gouin, Outaouais et Mercier), formées d’une majorité de non-adhérents aux petits partis, sont devenues membres à part entière du Comité de liaison. La dynamique interne du Comité de liaison est devenue conflictuelle : d’un côté, les UFP locales mettaient de l’avant la création d’un parti politique de la gauche unifiée et ouvert et, de l’autre côté, les représentantEs du PCQ, du PDS et du RAP tenaient mordicus à leur protocole, c’est-à-dire une coalition, et refusaient toute discussion à ce sujet.

L’après-Mercier électoral

En octobre 2001 se tenaient des élections partielles. Les hauts stratèges du Comité de liaison ont décidé d’y présenter des candidatEs, malgré de très sérieuses réserves (verbales et écrites) provenant de membres d’UFP locales et même de membres des petits partis.

Les résultats ? Dans Laviolette, le candidat indépendant soutenu par l’UFP a récolté 2,94% des voix ; dans Jonquière, le candidat RAP a obtenu 1,71% ; et dans Blainville, la candidate RAP a obtenu 1,52%.

Comme disait un journaliste (Michel C. Auger, Journal de Montréal), cela n’annonçait rien de bon. Une autre journaliste (Kathleen Lévesque, Le Devoir) parlait d’un retour à la marginalité, après Mercier. Selon une tradition bien établie dans cette «gauche»-là, semble-t-il, les représentantEs des partis politiques ont refusé opiniâtrement de faire un bilan de cette opération… et le protocole est toujours la seule option possible, selon eux.

Hors de mon église, point de salut

En novembre 2001, au Comité de liaison, un représentant du PCQ, soutenu en sourdine par les représentantEs des autres partis politiques, propose d’enlever le droit de vote aux composantes qui n’appuient pas le protocole. Puisque ce sont les UFP locales qui n’appuient pas le protocole, le but est évident : redonner le pouvoir sans partage aux petits partis. La proposition a finalement été battue.

La coalition n’est pas possible

Cet épisode, ajouté à l’invalidation par la Cour supérieure d’un article majeur du protocole (la juge confirmait la décision du DGEQ de refuser l’ajout du tiret «UFP» après les noms respectifs des petits partis politiques), en septembre 2001, a sonné le glas de celui-ci. Il est important de bien comprendre ceci, pour la suite : ce n’est pas la réussite de Mercier, ni les attentes de la population, ni celles des militantEs, ni l’échec patent des partielles de 2001, ni une volonté unitaire, ni la simple logique qui ont amené les hauts stratèges du Comité de liaison à réviser leur position sur le protocole, ce sont la décision d’un tribunal, disant que leur type de coalition ne pouvait pas exister, et l’impossibilité d’enlever le droit de vote aux UFP locales. Cela a clairement été formulé.

Le congrès ou un lifting pour le même vieux visage

En février 2002, le Comité de liaison, sur une proposition unitaire des UFP locales, a résolu de préparer un congrès de fondation d’un parti de la gauche unifiée, précédé d’un colloque portant sur la plate-forme et les structures d’un tel parti. Les petits partis se sont fait tirer les oreilles ; le PCQ a voté contre.

Le colloque eut lieu en mai et le congrès en juin 2002. Les hauts stratèges des petits partis politiques ont concentré leurs efforts sur une proposition de statuts qui n’étaient, somme toute, qu’une adaptation du protocole. Le PCQ et le RAP, rédacteurs de cette proposition, ont arraché l’adhésion du PDS à la fin mai (le PDS avait présenté sa propre proposition au colloque, début mai). Ainsi, ils présentaient un front uni contre la proposition de l’UFP-Gouin qui mettaient de l’avant une structure simple, démocratique, souple et efficace en toutes circonstances en réduisant au strict minimum les délégations de pouvoir, en rendant les leaders imputables et révocables et en mettant en pratique le principe hautement démocratique de «un membre, un vote».

Lors du congrès, usant de procédures relevant d’un flagrant manque d’éthique sinon de l’antidémocratisme, techniques se rapprochant de la manipulation, les petits partis ont écrasé toute opposition et imposé leur vision.

Pourquoi faire les choses simplement lorsqu’on peut les compliquer ?

À la sortie du congrès de l’UFP, la situation était celle-ci :
· en plus du PCQ, du PDS et du RAP, il y a maintenant un quatrième parti politique «de gauche» au Québec, l’UFP (sans parler des Verts) ;
· la structure de l’UFP comprend : un biscornu leadership à quatre têtes ; un complexe membership formé d’individus et de groupes (dont le PCQ, le PDS et le RAP) ; un Conseil de l’Union (instance suprême entre les congrès de l’UFP) dont les pouvoirs sont exorbitants (il peut, entre autres, changer des décisions du congrès) ; un nombre ahurissant de sources de délégation de pouvoir et des délégations de pouvoir, niant tout contrôle de la base, pouvant atteindre jusqu’à cinq échelons. Cette structure, hautement centralisée, foule aux pieds au moins deux principes démocratiques fondamentaux : celui de «un membre, un vote» et celui du «pouvoir à la base» ;
· la plate-forme politique de l’UFP est une confusion de pensée et de genres : un peu programme, un peu programme électoral, un peu manifeste, un peu plate-forme, un peu liste d’épicerie, bref un peu beaucoup apprenti-sorcier ;
· enfin, l’exécutif national de l’UFP est formé, à près de 85%, par des membres des petits partis politiques qui existent encore.

Exclusion et sectarisme

Lors de sa première réunion historique, en septembre 2002, le Conseil de l’union a excommunié un membre. L’histoire de ce premier geste symbolique en dit long…

La procédure d’exclusion a été on ne peut plus expéditive : une résolution ! On n’a pas avisé le membre de l’existence d’une telle proposition ni des motifs la soutenant. De plus, on ne l’a pas invité à «se défendre» (ce membre était absent). Enfin, après la décision, on n’a pas avisé le membre de son expulsion (voulait-on l’empêcher d’en «appeler» au congrès ?). Le tout s’est fait en catimini. Peu importe les motifs de l’exclusion (s’il y en a d’autres qu’une vendetta…), cette façon d’expulser un membre est totalement antidémocratique et un déni de justice incontestable.

Est-ce cela, «faire de la politique autrement» ?

Le discours de l’unité n’est qu’un leurre

Maintenant que les hauts stratèges ont obtenu le parti politique qu’ils désiraient (et éliminé les importuns), on se serait attendu à ce que le PCQ, le PDS et le RAP se sabordent très rapidement en faveur de l’UFP. Ce n’est pas ce qui est arrivé.

Le PDS a mis cinq mois à se dissoudre (novembre 2002). Ses membres se sont constitués en «entité politique», sous le nom de Démocratie socialiste (DS), à l’intérieur de l’UFP.

Le RAP a étiré la sauce tant qu’il a pu et ce n’est qu’en décembre 2002 (6 mois après le congrès) qu’il s’est dissous.

Quant à lui, le PCQ n’a jamais eu l’intention de se dissoudre. Pourtant, deux membres de ce parti siègent sur le Comité exécutif national de l’UFP et un membre sur le comité électoral national. Le PCQ a perdu sa reconnaissance officielle en mars 2003 parce qu’il n’a pas pu présenter 20 candidatEs lors de l’élection générale. Ce ne fut pas une question d’unité de la gauche.

Pas de volonté politique pour faire l’unité

L’histoire de la fondation de l’UFP nous prouve qu’il n’y avait pas de réelle volonté politique de faire l’unité de la gauche, de créer un parti politique de la gauche unifiée et donc d’avoir un impact électoral et politique significatif sur notre société. L’histoire de l’UFP ne se conjugue que sur un seul mode : l’intérêt immédiat et sectaire des petits partis politiques. Celles et ceux qui clamaient «ce qui nous unit est plus important que ce qui nous divise» n’ont eu de cesse de remettre le rendez-vous historique auquel Mercier les conviait et ce, afin de protéger leur tour d’ivoire qui s’assimile à un club social.

Et même lorsqu’ils ont dû plier devant l’inéluctable (la création d’un parti politique de la gauche unifiée), ils n’ont eu de cesse d’en miner les bases en arguant de thèmes aujourd’hui à la mode : la convergence dans la diversité, la coalition plurielle, le front commun arc-en-ciel, etc. Dans leurs bouches ou de leurs plumes, ces mots sonnent comme une tentative de dresser un écran de fumée devant le décor qu’ils plantaient : assurer la pérennité de leurs petits partis et leur garantir la prépondérance au sein de l’UFP.

Après leur entêtement à imposer un protocole sectaire et impraticable dont l’un des articles fondamentaux a été invalidé par un tribunal, après leur échec lamentable aux élections partielles d’octobre 2001, après leur tentative d’évincer les UFP locales, après la mise sur pied d’une UFP centralisée et contrôlée par les petits partis, après l’exclusion honteuse et antidémocratique d’un membre, après leurs refus systématiques de faire des bilans, etc., faut-il se surprendre qu’ils aient obtenu un pitoyable 1,06 % lors des dernières élections ?

Si l’UFP est aussi efficace «dans la rue» qu’elle l’a été «dans les urnes», les «big boss» peuvent dormir tranquille : les enfants ne seront pas trop turbulents !



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