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"État Communautaire" et "Sécurité Démocratique" en Colombie : Guerre, Territoires et MondialisationAnonyme, Vendredi, Août 29, 2003 - 18:40 (Analyses | Droits / Rights / Derecho | Guerre / War | Repression | Resistance & Activism | ZLEA / FTAA / ALCA)
Tania
En Colombie, sous le prétexte d'une guerre de contre-insurection, l'État mène une guerre sale contre la population civile et les mouvements sociaux. La stratégie paramilitaire de l'État, mène une politique systématique de déplacements forcés des communautés paysannes qui vivent sur des territoires riches en ressources naturelles. Mais malgré la fashisation de l'État colombien et l'escalade de ses politiques répressives, des communautés paysannes s'organisent pour résister. Le processus de résistance civile des communautés afro-colombiennes du département du Choco où j'ai passé six mois sont un bel exemple de dignité... En Colombie, les organisations civiles qui réalisent des activités de revendication sociale et de dénonciation des politiques gouvernementales, les organisations de droits-humains qui travaillent en solidarité avec les communautés réprimées de la population rurale, les organisations syndicales, étudiantes, ou tout autre type de mouvements sociaux et populaires à caractère civil, font face à une répression de plus en plus grande de la part de l’État. Sous le prétexte de la doctrine de « Sécurité Démocratique » du gouvernement de Uribe Velez, on a adopté une série de mesures politiques et judiciaires qui mènent à la criminalisation voir l’anéantissement physique et/ou psychologique de tous les secteurs de la population civile qui réclament leurs droits sociaux, économiques et politiques et revendiquent justice, particulièrement lorsque ceux-ci dénoncent la stratégie paramilitaire sous-couvert de l’État colombien. L’action de l’État colombien est orientée selon la l’idéologie développée dans les manuels militaires de « l’eau et le poisson », qui stipule que la guérilla est le poisson et que l’eau est la population civile, c’est a dire que pour tuer le poisson on doit d’abord assécher l’eau… Ainsi en Colombie, la réalité de tous les jours nous met face à une guerre de l’État contre la population civile, particulièrement contre la population civile qui s’organise socialement et politiquement pour réclamer ses droits, puisque qu’elle se convertit pour l’État en une source potentielle d’appui aux organisation armées rebelles telles que la FARC-EP et l’ELN. En fait en Colombie, le régime de la pensée unique établit tranquillement son règne, suivant la logique de « qui n’est pas avec moi est contre moi » violant ainsi toute les conventions internationales en ce qui à trait au principe de distinction entre combattants et non-combattant et à l’immunité de la population civile. Selon la politique de « l’État Communautaire » et sa mise en place par le Président Uribe Velez et sa junte militaire, les citoyens ont des devoirs quant à la sécurité publique, c’est à dire que tout citoyen qui refuse de collaborer ou participer directement ou indirectement dans les activités militaires de la force publique seront considérés comme « suspects » et présumés auxiliaires de la guérilla. Cette pensée est d’ailleurs très bien décrite dans le décret 2002 de 2002 émis dans le cadre de l’état de « Conmocion Interior » qui dit : « Parmi les principaux support de l’action délinquante de telles organisations criminelles (se référant à la guérilla), on retrouve d’une part, la mimétisation de ses intégrants au sein de la population civile ». La constitution de « l’État communautaire » met en péril la population civile, puisqu’elle génère à travers des politiques telles que les « soldats-paysans » et le « réseau de un million d’informateur » l’implication croissante de la population civile dans les hostilités et génèrent par le fait même la décomposition du tissu social en favorisant un climat de méfiance entre les citoyens. Sous le prétexte d’une guerre de contre-insurrection, prennent donc naissance toute une série de mécanismes de répression contre la population civile, accompagnés des mécanismes d’impunité qui en découlent et rendent possible que perdure à travers les années cette stratégie répressive qui inclut assassinats sélectifs, massacres, tortures, disparitions forcées, viols, déplacements forcés massifs, montages médiatiques, criminalisation des mouvements sociaux et politiques. Face à l’exclusion sociale générée par des politiques économiques au service des intérêts des grands propriétaires terriens et des entreprises multinationales, qui chaque jour entraînent plus de misère parmi la population rurale et la population des quartiers populaires des grandes villes, naissent plusieurs mouvements sociaux et populaires à caractère civil en Colombie. La réponse qu’ils reçoivent aux revendications qu’ils font à l’État, est la répression. Mais toute cette répression ne réussit pas à faire taire les mouvements sociaux. Par exemple, plusieurs communautés paysannes construisent leur processus de résistance, comme une alternative de vie au milieu de la guerre. La défense de la Vie et du Territoire est au centre de leur lutte quotidienne. La politique paramilitaire de l’État colombien vise l’implantation à la lettre du modèle néo-libéral et pour y arriver il faut vider la campagne des communautés paysannes qui pratiquent l’agriculture de subsistance afin de faire place à de méga-projets de type agro-industriels. Il faut « sécuriser » les régions stratégiques. Pour ce faire on y envoie les groupes paramilitaires pour y faire le « ménage » puis une fois les milliers de paysans déplacés, dépossédés de leurs terres et réfugiés dans les villes sans aucune possibilité de survie digne, on propose à ces mêmes communautés du travail dans les méga-plantations mises en place sur ces mêmes terres qu’on leur a volées. L’objectif est de transformer les paysans libres en ouvrier de main d’œuvre bon marché, en esclaves salariés sur leurs propres terres, au services des grands propriétaires terriens et des compagnies. Dans le cas des communautés du Conseil communautaire du Bassin du fleuve Jiguamiando et des 9 communautés de Curvarado, situées dans le département du Choco, il y a 1500 hectares de Palme Africaine semés illégalement sur le territoire collectif de ces communauté par la compagnie Urapalma, territoire dont les communautés ont pourtant reçu le titre collectif légal selon la loi 70 protégeant les territoires ancestraux des communautés afro-colombiennes. Dans le cas des communautés de CAVIDA dans le Cacarica, département du Choco, l’entreprise Maderas del Darien coupe illégalement depuis des années d’immenses quantité de bois d’œuvre de grande qualité sur le territoire collectif des communautés. En 1997, sous le prétexte de la présence de la guérilla de la FARC-EP dans la région, a eût lieu dans le département du Choco une vague opération militaire nommée « Operacion Génesis », sous le commandement du Général Rito Alejo del Rio Rojas de la Brigade XVII de l’Armée Nationale. Simultanément, alors que des hélicoptères de l’Armée ont bombardé des centaines de villages, des groupes paramilitaires identifiés comme AUC faisaient des incursions au sol dans les villages de la population civile, ordonnant aux gens de quitter le territoire, tuant, violant, et massacrant les gens, volant les biens dans les maisons et brûlant les villages. Les communautés du fleuve du Jiguamiando et celles du Cacarica étaient parmi les centaines de communautés qui ont ainsi dû fuir leurs villages et toutes leurs possessions avec à peine les vêtements qu’ils avaient sur le dos, suite à cette agression orchestrée par l’État colombien. Aujourd’hui, 7 ans plus tard, tous les crimes commis lors de l’opération « Génesis » sont toujours dans l’impunité la plus totale. Alors qu’elles sont déplacées hors de leur territoire, les communautés vivent dans des conditions inhumaines, entassées dans des établissements temporaires dans les villes de Pavarando dans le cas des communautés du Jiguamiando, et de Turbo dans le cas des communautés du Cacarica, dépendantes de l’aide alimentaire souvent insuffisante. Les communautés afro-colombiennes et métisses du Jiguamiando et du Cacarica, sans connaître leur existence mutuelle, commencent à s’organiser afin de pouvoir effectuer le retour sur leurs territoires respectifs. Vers la fin de l’année 1999 et le début de 2000, en différentes étapes, les communautés retournent enfin sur leurs terres ancestrales. Ces communautés réclament leur droit à la Vie, au Territoire, à l’Autodétermination, à la Liberté, à la Justice et à la Dignité. Elles ont du développer des stratégies et des mécanismes de protection afin de pouvoir continuer à résister de manière civile au milieu du conflit armé; dans le Cacarica deux « Zones Humanitaires » ont été créées et dans le Jiguamiando on est entrain de créer 3 « Zones Humanitaires ». Les Zones Humanitaires sont des lieux délimités physiquement où plusieurs communautés se regroupent pour y vivre ; elles permettent de distinguer la population civile au milieu du conflit armé, dans le but de ne pas être impliquées dans celui-ci par aucune des parties. Les communautés du Jiguamiando tout comme celles du Cacarica s’affirment en tant que population civile en résistance contre les tentatives de l’État de leur voler leurs terres et contre les méga-projets destructeurs sur leur territoire, contre la vision de l’exploitation sauvage des ressources naturelles et la vison prédatrice des politiques néo-libérales et de la mondialisation des marchés, contre le développement imposé par l’État, un développement sans le consentement des communautés, un développement taché du sang de leurs victimes, de leurs familles... Les communautés du Jiguamiando, tout comme celles du Cacarica, veulent pouvoir continuer à vivre librement sur leur territoire, en pratiquant l’agriculture de subsistance traditionnelle, et refusent de devenir les esclaves salariés de grandes compagnies sur leurs propres terres. Il faut savoir que le département du Choco est entièrement composé d’une immense forêt tropicale humide, et renferme une énorme quantité de richesses naturelles telles que l’or, le platine, le cuivre, le pétrole, l’uranium, plusieurs types de bois précieux, ainsi qu’une infinie quantité de plantes médicinales. La forêt du Choco est l’endroit où il y a le plus de biodiversité au mètre carré dans le monde. On comprend donc que les intérêts économiques pour cette région sont immenses… De plus, le Choco se trouve à être une frange de territoire qui s’étend tout le long de sa côte ouest sur le pacifique et fait frontière au nord avec le Panama. Sa position géostratégique en fait donc un enjeux important et on appelle d’ailleurs une partie du Choco « Le meilleur coin de rue de l’Amérique ». Dans le projet de la mise en place de l’immense corridor économique de la ZLÉA, le Choco est une région essentielle… L’autoroute panaméricaine doit le traverser pour faire la connexion entre l’Amérique du Sud et l’Amérique du Nord, et l’on envisage la construction d’un deuxième canal transocéanique équivalent à celui de Panama, le canal « Atrato-Truando » qui passerait à travers l’immense fleuve qui traverse tout le département du Choco, le fleuve Atrato, d’où il entrerait par le Golfe d’Uraba à partir de l’Atlantique pour ressortir par la rivière Truando dans le Pacifique. Le défi à relevé pour les communautés en résistance est grand. Depuis qu’elles sont retournées sur leur terres, elles ne cessent d’être l’objet de persécutions politiques, militaires et économiques. Dans le cas des communautés du Jiguamiando, elles ne cessent d’être victimes d’incursions paramilitaires dans les villages, qui continuent de tuer sélectivement, de terroriser et d’enlever des personnes pour ensuite les faire disparaître ou les inviter à travailler dans leurs rangs. Lorsqu’ils entrent dans les communautés les paramilitaires racontent aux gens qu’ils apportent le progrès, le travail, l’argent, et les invitent à travailler dans les plantations de Palme Africaine. Curieusement, les champs où l’on retrouve les plantations de Palme Africaine de la compagnie Urapalma sont gardé par l’Armée. Dans le cas du Cacarica il a été observé que les travailleurs coupant illégalement le bois pour la Compagnie Maderas del Darien dans le territoire collectif du Cacarica sont protégés par les paramilitaires. Depuis mai dernier une opération militaire s’est initiée aux alentours des Zones humanitaires du Cacarica ; intimidations, survols d’hélicoptère, proposition d’argent en échange d’informations, accusations gratuites et menaces d’arrestations sont ce qu’apportent les militaires aux habitants de CAVIDA. On veut détruire à tout pris leurs processus d’organisation. D’ailleurs une grande campagne nationale de diffamation est menée actuellement par l’Armée colombienne contre l’organisation de défense des droits-humains Comision Intereclesial Justicia y Paz qui accompagne depuis longtemps les communautés du Jiguamiando et du Cacarica dans la construction de leur processus de résistance civile. Lors d’une conférence de presse organisée le 21 Août a Bogota, l’Armée accuse Justicia y Paz de détournements de fonds, d’être le bras politique de la FARC-EP, et dit des Zones Humanitaires du Cacarica qu’elles sont des Camps de Concentration contrôlées par Justicia y Paz.... Montage médiatique et incriminations en perspective contre qui ose clamer haut et fort la vérité des victimes de l’État. D’ailleurs, Justicia y Paz représente actuellement la partie civile dans un processus pénal contre le Général Rito Alejo del Rio Rojas responsable de plus de 200 crimes contre l’humanité commis lors de l’opération « Génésis »... La stratégie paramilitaire de l’État colombien est une stratégie terroriste d’extrême droite, un État totalitaire à visage de démocratie, un développement taché de sang… mais la soif de justice sociale de la population et des communautés qui s’organisent pour résister en tant que population civile au sein du conflit armé qui oppose la guérilla à l’État est plus grande que toute cette répression. Les communautés du Jiguamiando et du Cacarica déclarent haut et fort qu’elles sont les victimes de l’État, de sa guerre sale contre la population au services des intérêts économiques de l’élite, et continuent de vouloir se battre malgré la terreur quotidienne pour le droit à une vie digne, pour le droit à décider eux-même pour le futur de leurs enfants, de leur vie, de leur territoire qui est le leur, même si cela doit leur coûter la vie. Comme plusieurs disent, si nous devons tous mourir pour défendre notre vie, notre dignité et notre territoire alors qu’il en soit ainsi mais qu’il en reste au moins un pour conter l’histoire….. Néanmoins, les communautés du Cacarica et du Jiguamiando répètent aussi avec insistance qu’ils ont besoin d’une solidarité au niveau international pour pouvoir continuer à mener de l’avant leurs luttes, leurs rêves de pouvoir vivre un jour avec plus de justice... Pour eux, l’appui international est vraiment important car il leur permet de pouvoir continuer à exister, pour continuer à résister !!! |
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