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Le Déjeuner de Poutin

pier trottier, Lundi, Juillet 28, 2003 - 15:08

Les États-Unis prennent toute l'attention depuis le début de la guerre en Irak. Mais, qu'arrive-t-il du côté de Moscou, et que peut-on en penser? L'auteur nous invite à une réflexion intéressante concernant le jeu politique...

Traduit de l'espagnol par Pierre Trottier

LA INSIGNIA

18-07-2003

Le déjeuner de Poutin

Par Carlos Taibo, (AIS)
Espagne, juillet 2003

Nous sommes accoutumés à examiner ce qui arrive dans le monde depuis la perspective des grands centres de pouvoir. Il n’est pas nécessaire de démontrer que les faits se contemplent avec des yeux différents à partir de d’autres élévations, et que l’une des plus négligées d’entre elles est, à cette époque, celle qu’offre Moscou.

Lorsque le président Poutin s’apprête à prendre son déjeuner, il engloutit toujours deux breuvages communément indigestes. Le premier lui est apporté par un État Fédéral dans lequel, malgré les efforts, les accords entre centre et périphérie sont inhabituels, et les prétentions hypercontrôlatrices du premier trouvent à peine écho ; la séquelle provisoire est une entité politique très fragile dans laquelle l’équilibre se désire avant le produit d’une sordide compétition entre pouvoirs, qui est le résultat d’un projet commun par tous accepté. Mais, et en second lieu, bien sûr que le président déjeune aussi avec des nouvelles troublantes qui ont rapport à l’économie. Malgré le fait que le pays profite d’une apparente prospérité depuis 1999, les problèmes sociaux survivent, les pactes conclus avec les magnats n’ont pas mis de limites aux spasmes d’un capitalisme mafieux et, par-dessus tout, pend l’épée de Damoclès des prix internationaux du pétrole qui, de diminuer, en achèveraient avec de si délicats équilibres budgétaires.

Il est certain que Poutin peut trouver une consolation sans travail excessif. Dans la Russie d’aujourd’hui, l’opposition reprend à peine son souffle, et le Parlement maintenant n’est plus, comme jadis, la scène de dures disputes. Les militaires, divisés idéologiquement et mieux rémunérés, ont baissé le ton de leur protestation. Pour que rien ne manque, les médias plus ou moins critiques se sont calmés, et même la Tchétchénie a fini par produire, non sans paradoxe, de bonnes sensations : quoique le conflit se soit enkysté, il permet d’occulter d’autres problèmes et donne des ailes à des mesures et des discours qui, d’une autres façon, seraient difficiles d’alimenter.

Quoique le déjeuner de Poutin ne soit pas copieux, il a eu assez de temps pour soupeser, avec certitude, la trame internationale du moment. Laissez-nous établir, à partir de ce moment, que la politique extérieure russe de cette heure boit la perception que, faiblesse oblige, il ne reste d’autre remède que de chercher l’intégration avec l’Occident, acceptant même un rôle marginal et dépendant. Semblable recommandation suscite, malgré tout, plusieurs questions. La première touche la condition précise du pôle d’attraction : Occident en général? L’Union Européenne ou les États-Unis? Il paraît que dans ce cas, et même si c’était seulement par exclusion, l’option correcte soit la troisième. L’Union Européenne, froide et distante, non seulement manque de projet stratégique orienté à forger des alliances qui susciteraient des embarras à l’hégémonie étasunienne; elle assume aujourd’hui un accroissement qui, à bénéficier d’une poignée de pays qui maintiennent une relation historique tendue avec Moscou, empêche quelconque rapprochement solide avec la Russie. Par conséquent, cela ne lui prend pas beaucoup de temps de parcourir l’axe qui paraît unir, surchargé de rhétorique, Paris, Berlin et Moscou, et qui lui a permis de sauver la face en février au Conseil de Sécurité. Non plus, qu’il répète dans les derniers temps les flirts avec une Chine qui suscite au Kremlin un mélange de méfiance et d’envie, ce à quoi s’ajoutent des soupçons démographiques et des inerties ataviques de confrontation.

Obligés sommes-nous de nous demander aussi si Poutin, à son déjeuner, n’a pas à l’esprit le grand jeu que les E.U. déploient en ce qui concerne les matières premières énergétiques du Proche Orient. Conscient de nouveau de ce que ses atouts sont minces, la Russie aspire sans plus à retirer quelques morceaux et, dans leur cas, à préserver les privilèges comme les labours dans le passé de l’Irak de Saddam Hussein. La condition, extrêmement prosaïque, du pari correspondant illustre pleinement l’intérêt qu’a pour Moscou le droit international et, avec lui, le système des Nations Unies.

Mais le doute qui plus assidûment assaille Poutin est le lien avec une autre question, la troisième : qu’est-ce qui a porté la Russie à retirer son franc appui aux troupes américaines? La question se pose au président parce que la réponse, ne vous en déplaise, est facile : presque rien. Washington continue à ne pas vouloir démordre de son bouclier anti-missiles, s’entête à maintenir ses bases dans le Caucase et en Asie Centrale, ne tremble pas à l’heure de promouvoir un élargissement de l’OTAN et, pour comble, se montre réticent à récompenser Moscou sur le terrain économique et commercial.

Avec un tel osier, il ne paraît pas recommandable d’engloutir la propagande qui suggère que, grâce à Poutin, la Russie récupère sa dignité nationale. En plus de naufrager sur beaucoup de rives, sur celles qu’échoua Boris Yeltsin, le président a accepté sans façon un rôle de comparse sur l’arène internationale. Cela oui : rien en Russie ne se meut avec une force suffisante, comme pour augurer qu’ils sont peu nombreux les déjeuners qui, sans opposition visible et avec une population éreintée, restent à prendre à Poutin au Kremlin.

Traduit de l’espagnol par :

Pierre Trottier, juillet 2003
Trois-Rivières, Québec, Canada

Source : La Insignia …..www.lainsignia.org

Sur d’autres sujets on pourra consulter :

http://cf.geocities.com/pitrottier



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