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Peut-on se libérer des formats médiatiques?

Steve, Lundi, Juillet 28, 2003 - 00:56

Dominique Cardon et Fabien Granjon

Un des débats récurrents dans le champ des médias radicaux est de savoir s'il faut concevoir les médias militants comme une alternative à l'espace médiatique conventionnel, cherchant à le concurrencer, le réformer ou lui imposer un nouvel agenda, ou bien comme des " médias citoyens " cherchant à multiplier les dispositifs réflexifs au sein de la sphère militante, à favoriser les expériences de mise en récit des engagements et à faire de la question de la " démocratisation de l'information " un enjeu local, ciblé et spécifique à chacune des luttes engagées.

Le mouvement alter-mondialisation et l'Internet

L'édification de réseaux transnationaux de militants réclame des moyens particuliers pour la coordination des actions collectives, la diffusion de l'information et l'entretien d'une structure multipolaire. Ce n'est pas sans raison que les réseaux de lutte contre la gestion néo-libérale de la mondialisation ont développé un usage précoce et décisif de l'Internet. Géographiquement séparés et n'ayant que rarement l'occasion de se rencontrer en dehors des grands rassemblements, les alter-mondialistes ont incorporé le réseau des réseaux dans la plupart de leurs pratiques militantes(1). Les technologies de l'Internet participent ainsi à la constitution d'un nouveau répertoire d'action collective(2) (appels à mobilisation, réseaux d'alerte, sit-in virtuels, pétitions en ligne, mail-bombing, etc.). Le web et les listes de diffusion favorisent aussi de nouveaux modes coopératifs de production et de diffusion de l'information. En peu de temps, la Toile est devenue le principal espace de visibilité des réflexions et des actions du mouvement alter-mondialisation. Même si son audience reste limitée à une nébuleuse ouverte de militants et de journalistes intéressés, la couverture sur le web des contre-sommets (Seattle, Prague, Québec, Gênes, Porto Alegre, Florence, etc.) tranche sensiblement avec celle assurée par les médias traditionnels. Bien que cette distinction soit très artificielle, il n'est pas très difficile de constater que cette production alternative d'information en ligne est plus documentée, plus illustrée, plus polémique et beaucoup plus focalisée sur les enjeux de la critique de la globalisation que celle produite par la presse professionnelle(3).

Critique " anti-hégémonique " et critique " perspectiviste " des médias

La critique des médias est centrale dans la constitution du mouvement alter-mondialisation. Elle inspire la création d'influents watchdog, comme FAIR (Fairness and Accuracy In Reporting), ONG effectuant une surveillance de la couverture journalistique des actions militantes. Parmi les membres fondateurs d'Attac on compte également de nombreux organes de presse (Le Monde Diplomatique, Charlie Hebdo, Politis...) développant eux-mêmes des positions critiques à l'égard du fonctionnement du monde journalistique. Cette vigilance constitue une des sensibilités les mieux partagées par les militants alter-mondialistes particulièrement attentifs à la fabrication des représentations dominantes et au risque de se voir déposséder de leur expression. On voudrait soutenir ici que si l'Internet joue un rôle important dans la constitution du mouvement mondial de résistance au néo-libéralisme, c'est notamment parce qu'il offre un terrain expérimental sur lequel peuvent s'édifier des dispositifs de publication cherchant des alternatives aux pratiques médiatiques les plus critiquées.

Très sommairement, on peut isoler deux directions différentes dans les critiques que le mouvement alter-mondialiste adresse aux médias(4). Une première critique, dont Le Monde diplomatique est le représentant attitré en France, peut être appelée anti-hégémonique. Elle s'attache à mettre en lumière la fonction propagandiste des " appareils idéologiques de la globalisation " que sont les médias et appelle à la création d'un " contre-pouvoir critique ". Forte de nombreux succès d'édition (P. Bourdieu, N. Chomsky, S. Halimi, I. Ramonet), elle dénonce pêle-mêle l'allégeance des entreprises de presse au monde politico-économique, la clôture de l'espace journalistique sur ses enjeux professionnels, la recherche du profit et le sensationnalisme. Avec des différences sensibles selon les auteurs, les journalistes sont alors appelés à reproduire la pensée dominante par idéologie, par connivence ou par l'effet des contraintes qu'exercent sur eux les conditions de production de l'information. Ce n'est d'ailleurs que dans ce dernier cas que les critiques anti-hégémoniques accordent aux journalistes une lucidité suffisante sur le système médiatique pour pouvoir participer à la formulation de réformes et d'alternatives. Les questions de la vérité et de l'erreur, de la tromperie et de la cécité sont décisives. Et il est frappant de constater que les alternatives avancées par la critique anti-hégémonique des médias présentent de fortes proximités avec le travail des sciences sociales : référence au modèle de scientificité de l'exactitude, distanciation maximum, temps long de l'investigation, rupture avec les formats courts et les formules, faible intégration du lecteur dans les préoccupations du rédacteur. Le discours contre-hégémonique doit produire une contre-expertise.

Une seconde critique des médias, d'inspiration libertaire, s'élève contre la clôture du cercle des producteurs d'information et l'asymétrie entretenue à l'égard de leurs lecteurs. La critique perspectiviste refuse l'accaparement de la parole par les professionnels, les porte-parole et les experts. Moins focalisée sur la question de la vérité que sur celle de l'affirmation expressive des subjectivités, elle s'attache principalement à défendre et à promouvoir les droits du locuteur. Elle puise son inspiration dans les manifestes militants de défense des médias communautaires, alternatifs ou radicaux(5) et s'incarne plus récemment dans les positions autonomes d'Harry Cleaver(6) ou de Michaël Hardt et Toni Negri(7) avec leur thématique de la multitude. Elle entretient par ailleurs d'étroites affinités avec les positions défendues par les militants politisés du logiciel libre(8). Face aux tendances monopolistiques qui s'exercent dans l'espace public, la critique perspectiviste revendique l'instauration de dispositifs de prises de parole ouverts. Elle milite pour l'affranchissement à l'égard des contraintes imposées par les formats médiatiques qui tendent à privilégier l'expression des locuteurs capables d'en honorer les exigences sociales et culturelles et à écarter ceux qui, ne possédant pas les compétences et les qualités requises, ne peuvent les satisfaire.

Si ces deux critiques, anti-hégémonique et perspectiviste, sont parfois confondues, les traditions de pensée qui les nourrissent sont sensiblement différentes. La première, essentiellement centrée sur la critique du fonctionnement du champ journalistique, se montre d'ailleurs souvent très critique à l'égard des postulats " naïfs " des participationnistes, leur relativisme et de leur fascination pour les technologies de l'Internet(9). Ces derniers considèrent, quant à eux, que la dénonciation de la pensée unique constitue une proposition insuffisante pour créer de réelles alternatives, notamment parce qu'elle ne garantit rien contre la reconstitution d'autres formes de confiscation de la parole, par les experts ou les porte-parole d'organisations militantes.

Il est frappant de constater que ces deux types de critiques trouvent à s'exprimer à travers deux grandes familles de dispositifs construits sur l'Internet par les acteurs du mouvement alter-mondialisation, les sites de contre-expertise et les sites média-activistes. Cette distinction ne cherche pas à résumer un ensemble enchevêtré de formats de communication, de techniques de diffusion de l'information et de modèles de partage des ressources éditoriales entre publications. Elle entend simplement pointer deux orientations différentes dans l'espace du web militant. Celui-ci offre en effet de très nombreuses ressources à la constitution quasi expérimentale de médias alternatifs. La plasticité technique de l'outil favorise l'invention de formes médiatiques innovantes. Les coûts de développement et de production sont réduits et les problèmes de distribution limités. Les différents métiers de la chaîne de production journalistique sont intégrés et ils peuvent de plus en plus facilement être pris en charge par des rédacteurs dotés d'un minimum de compétences informatiques. Le travail de production de l'information est assez largement bénévole. Enfin, en empruntant sans doute à la culture de l'informatique libre, le milieu des militants de l'information français a développé des pratiques de coopération et d'échanges d'articles entre publications et organisations.

Quelques sites de l'alter-mondialisation
Sites de contre-expertise :

- Attac : http://attac.org/

- Les Cybersolidaires : http://www.cybersolidaires.org

- Les Pénélopes : http://www.penelopes.org

- Mediasol : http://www.mediasol.org

- InterActivist Infos Exchange : http://slash.autonomedia.org/

- Transnationale : http://www.transnationale.org

Sites média-activistes :

- Carta : http://www.carta.org/

- Centre des médias alternatifs du Québec : http://www.cmaq.net/

- Independant Media Center : http://www.indymedia.org/

- Nodo50 : http://www.nodo50.org

- Samizdat : http://www.samizdat.net

- Sherwood Comunicazione : http://www.sherwood.it/

Dispositifs de contre-expertise

Les sites " contre-hégémoniques " sur Internet sont nombreux. Certains sont des " webzines " militants n'ayant pas d'autre support que l'Internet comme Les Pénélopes ou Cybersolidaires sites cyberféministes, Place publique site de l'Internet citoyen ou Mediasol, le portail de l'économie solidaire. D'autres sont les sites web d'une publication papier ou d'un collectif de médias ayant une ligne éditoriale clairement " engagée " au côté du mouvement alter-mondialisation (Rouge, Politis, Témoignage Chrétien...), d'autres sont liés à des groupements associatifs et militants (Attac, No Pasaran, Les Amis de la terre...) ou à des moments de la mobilisation comme la " Farandole internationale de l'information indépendante " (La Ciranda) créée pour mutualiser les différentes productions journalistiques et militantes du Forum social mondial de Porto Alegre. Ces médias se posent parfois dans une logique de concurrence avec l'espace public des mass-media, notamment pour la couverture des manifestations et des contre-sommets. Mais ils se définissent surtout comme des espaces de contre-expertise proposant sur des questions spécifiques un discours mêlant spécialisation et indignation. Sur les thèmes de l'eau, de la dette, des femmes, des inégalités Nord/Sud ou de la brevetabilité du vivant, ils accueillent la production éditoriale des universitaires, des intellectuels et des militants " réflexifs " qui se sont impliqués à différents degrés dans le mouvement alter-mondialiste. Ces médias mettent en oeuvre des techniques de critique informationnelle qui, sans être originale ni propre au web, peuvent s'exercer de manière continue et publique. Ils opèrent une surveillance parfois extrêmement technique des activités des organismes internationaux (comme les " Brèves OMC " publiées par le groupe Traités internationaux d'Attac-Marseille). Ils exercent une pression continue pour obtenir documents et informations de la part des entreprises et des institutions. Ils produisent des archives en réunissant des informations habituellement dispersées (comme sur le site qui cartographie les liens capitalistiques des multinationales) et exercent un droit de suite en questionnant avec ténacité leur cible.

Les sites de contre-expertise anti-hégémonique se caractérisent enfin par l'ouverture des formats d'écriture qu'ils proposent. On y trouve des textes courts et longs, distanciés et impliqués, modérés et radicaux, de caractère institutionnel ou empruntant la forme du témoignage personnel. Le discours de contre-expertise côtoie les textes militants établissant une proximité qui favorise le passage d'une posture de " savant-expert " à celle d'" intellectuel spécifique "(10). En mettant en œuvre des réponses à la critique de la légèreté dans le traitement de l'information et des contraintes de format adressées aux productions journalistiques, les sites de contre-expertise anti-hégémonique offrent cependant de nouvelles prises à la critique. Ils risquent de reconduire sur la scène de l'Internet un nouveau débat d'experts entre intellectuels proches des organisations et militants réflexifs, fermé sur lui-même et difficile d'accès pour les nouveaux entrants(11).

Dispositifs média-activistes

Les sites média-activistes peuvent être regardés comme des tentatives de mises en œuvre d'un média perspectiviste redistribuant à tous le droit à la parole et travaillant à l'effacement de la frontière entre producteurs d'informations bénévoles (militants, témoins) et professionnels (journalistes, experts). Le média-activisme dénonce en effet dans un même mouvement l'objectivité illusoire des professionnels de l'information ainsi que la parole autoritaire de l'élite militante qui représentent à ses yeux les deux principaux régimes de confiscation de la parole. Leurs critiques portent ainsi sur le caractère centralisateur, conformiste, autoritaire et oppressif des médias centraux, en regard desquels ils proposent des espaces de diffusion alternatifs auto-organisés, souples, libérés a priori de toute censure et permettant de donner une tribune à la multitude des acteurs collectifs et individuels qui dessine les contours fuyants du mouvement alter-mondialiste. Cette inspiration libertaire prend sa source dans la tradition des médias alternatifs particulièrement vivace en Amérique du Nord et du Sud depuis le début des années 70 et qui s'est surtout développée autour des radios communautaires et de l'activisme vidéo et dans l'expérience alternative des Centres sociaux en Italie(12).

Né en novembre 1999 lors du sommet de Seattle autour du Direct Action Network, le réseau Indymedia (Independant Media Center) incarne cette culture de l'autonomie dans l'espace du web militant(13). Il n'a pas de responsables attitrés, dispose d'une structure organisationnelle souple et discrète. Les 80 comités Indymedia répartis dans une vingtaine de pays fonctionnent sur une base auto-organisée et décentralisée. D'autres sites média-activistes peuvent lui être comparés, comme le Centre des médias alternatifs du Québec (CMAQ)(14). La principale caractéristique de ces médias est de soutenir le principe de la publication ouverte (open publishing) permettant à l'ensemble des individus qui le désirent de publier en ligne, quasi-instantanément et en différentes langues, tout type de documents (textes, sons, images fixes ou animées). La plupart du temps, appliquant un principe de stricte transparence, les animateurs se refusent à exercer un contrôle éditorial. Les éditeurs de CMAQ souhaitent en revanche filtrer les contenus " haineux ", mais tout en maintenant le principe de l'open publishing. Aussi les nouveaux textes sont-ils publiés immédiatement sur le site, mais dans une rubrique spécifique : " En attente de validation ". Le modèle de fonctionnement des média-activistes tente autant que possible de promouvoir une structure collaborative minimisant les relations d'autorité. Se défiant des procédures de délégation, de représentation et de vote, les média-activistes s'en remettent au principe du consensus. A la différence de la critique développée dans les médias de la contre-expertise qui emprunte plutôt les formes habituelles de la dénonciation (les persécuteurs sont les entreprises, les Etats et les Organisations internationales ; les victimes sont les paysans et les travailleurs), les sites média-activistes appuient plutôt une dénonciation des forces de répression de l'Etat (police et armée) en prenant la défense des sans (droit, logement, papier, emploi...). Ils entreprennent aussi de mettre les informations directement à disposition de l'action militante (tracts, lieux de rendez-vous, suivi en ligne en direct des manifestations, etc.), en se méfiant des formes hiérarchiques de contrôle et de cadrage des mobilisations.

N'exerçant aucun contrôle sur le format des textes postés, les contributions au site d'Indymedia-France sont extrêmement hétéroclites. Certaines prises de parole s'émancipent des conventions de l'écriture experte, journalistique ou militante et endossent une forme très subjective. On trouve rassemblés des convocations militantes, des recopies commentées et annotées d'articles de presse, des échanges personnels entre militants, des pétitions, des textes théoriques ou des opinions déclenchant des cascades de réponses, des coups de gueules, des poèmes et des injures. Contrairement aux médias contre-experts qui offrent finalement assez peu d'espaces de débats, les dispositifs média-activistes s'appuient largement sur des listes de diffusion et des forums (non orientés vers la prise de décision) où sont discutés, souvent dans une cacophonie de points de vue, de la pertinence et de la teneur des contributions. Sans doute cette variété de formats d'énonciation est-elle, en principe, nécessaire à l'ouverture d'un espace de parole à des non professionnels. Il faut cependant constater que dans la majorité des cas, ces espaces de parole se referment plutôt sur un cercle - il est vrai ouvert et perméable - de militants aguerris, notamment du fait du niveau élevé de politisation et de radicalité des propos. Le modèle de l'open publishing est fragile. Répondant à " l'exigence d'un espace de publication ouvert à la polyphonie des sujets actifs du mouvement ", il échappe toutefois difficilement aux " pièges d'un " forum " où tout est déversé en vrac, de l'info factuelle au texte d'humeur en passant par le tract ou l'article d'analyse15 ". Il laisse par ailleurs ouverte la voie à des provocations comme l'infiltration de textes antisémites qui a déclenché le gel par ses animateurs du site français d'Indymedia. Sans être contesté dans son principe, les débats de la communauté média-activiste, remettent aujourd'hui en cause les effets indésirables de l'open publishing pour essayer d'établir des règles de modération et de contrôle collectif des formats de publication.

Le réarmement de la parole critique

Les médias alternatifs de l'alter-mondialisation n'offrent pas de solutions radicalement différentes aux problèmes rencontrés par les médias centraux. Ils partagent les mêmes enjeux, affrontent les mêmes événements et interrogent les faits avec les mêmes outils interprétatifs. Cependant les ressources techniques du média, l'absence d'exigences de rentabilité et le bénévolat des rédacteurs permettent d'alléger certaines des contraintes qui pèsent de façon beaucoup plus lourde sur la production d'informations dans les formats médiatiques traditionnels. Aussi, le réarmement du discours critique est-il rendu possible dans ces espaces de parole par un déplacement des contraintes qui pèsent habituellement sur le rédacteur vers le récepteur. En présupposant un lecteur actif, participant lui-même à la production de l'information ou expert concerné et curieux, les dispositifs de publication de l'alter-mondialisation se libèrent des formats d'écriture imposés par le souci de faciliter la rencontre avec un public large et pressé. Ils facilitent la contre-enquête, la polémique, l'expression des témoins et des victimes. Ce faisant, ils prennent aussi le risque de réduire leur public à un cercle restreint de militants, d'experts et de journalistes, seules populations disposées à circuler dans cet enchevêtrement de textes(16). L'engagement dans ces dispositifs ne bénéficie alors qu'aux individus dotés d'un capital social et culturel leur permettant d'avoir à la fois un intérêt certain pour la politique et une maîtrise a minima de la télématique.

Moins en rupture qu'en tension avec le travail des médias centraux, cette production éditoriale sur Internet exerce quelques effets sur la couverture des phénomènes de globalisation. D'abord parce que les journalistes sont sans doute les premiers à venir prélever de l'information sur ces sites et que certains ont noué des relations d'interdépendances fortes avec les acteurs et les militants du " web anti-mondialisation "(17). Mais aussi parce que les énoncés et les manières d'énoncer qui se sont développés sur ces médias ont contribué à redonner une force et une forme nouvelle au discours de la critique internationale. Bien que l'Internet ne soit que le support de ce réarmement du discours critique, il faut constater qu'il a permis de lever des interdits pesant sur la forme des arguments et sur le ton des prises de parole(18). Les médias de la contre-expertise ont redonné force à certains formats d'énoncés, en facilitant le déploiement d'une rhétorique de la preuve, de la vigilance et de l'investigation. Les média-activistes ont exploré des formats d'énonciation encourageant le témoignage, l'appel à la mobilisation et la colère. Peut-on pour autant attribuer à ces médias des transformations qui trouvent principalement leur explication dans l'analyse des relations entre espaces militant et intellectuel ? Est-ce d'ailleurs bien l'enjeu ? Un des débats récurrents dans le champ des médias radicaux est de savoir s'il faut concevoir les médias militants comme une alternative à l'espace médiatique conventionnel, cherchant à le concurrencer, le réformer ou lui imposer un nouvel agenda, ou bien comme des " médias citoyens "(19) cherchant à multiplier les dispositifs réflexifs au sein de la sphère militante, à favoriser les expériences de mise en récit des engagements et à faire de la question de la " démocratisation de l'information " un enjeu local, ciblé et spécifique à chacune des luttes engagées.

Dominique Cardon et Fabien Granjon

Contact pour cet article fabi...@rd.francetelecom.com

1. Voir F. Granjon, L'Internet militant. Mouvement social et usages des réseaux télématiques, Rennes, Apogée, 2001.

2. Voir S. Ollitrault, " De la caméra à la pétition-Web. Le répertoire médiatique des écologistes ", Réseaux, n° 98, 1999, p. 153-185.

3. Voir dans le cas de la couverture de Porto Alegre : D. Cardon, F. Granjon, " La radicalisation de l'espace public par les média-activistes. Les pratiques du web lors du second Forum social mondial de Porto Alegre ", Communication au VIIe Congrès de l'Association française de science politique, Lille, 18-21 septembre 2002.

4. On reprend dans ce texte une partie du répertoire de critiques adressées aux journalistes qu'a mises à jour C. Lemieux. Voir : " Critique du journalisme ", Mouvements, n°15-16, mai-août 2001 et Mauvaise presse. Une sociologie compréhensive du travail journalistique et de ses critiques, Paris, Métailié, 2000.

5. Voir F. Guattari, La révolution moléculaire, Paris, 10/18, 1977.

6. H. Cleaver a notamment monté le réseau de diffusion du mouvement zapatiste. De nombreuses informations sur cette expérience sont consultables sur son site web personnel : http://www.eco.utexas.edu/faculty/cleaver/zapsincyber.html.

7. Voir M. Hardt, A. Negri, Empire, Paris, Exils, 2000. Les thèses de Miguel Benasayag sont également mobilisées. Voir M. Benasayag, D. Sztulwark, Du contre-pouvoir, Paris, La Découverte, 2000.

8 Voir O. Blondeau, F. Latrive, dir., Libres enfants du numérique, Nîmes, Editions de l'Eclat, 2000 ; F. Couchet, B. Drieu, A. Papathéodorou, " Dernières(s) balise(s) avant mutation ", http://infos.samizdat.net/article.php3?id_article=29.

9. Voir S. Halimi, " Des "cyber-résistants" trop euphoriques ", Le Monde Diplomatique, août 2000.

10. Voir M. Foucault, " La fonction politique de l'intellectuel ", Dits et écrits II. 1976-1988, Paris, Quarto Gallimard, texte 184, p. 109-114.

11. Voir les remarques d'E. Neveu, " Médias, mouvements sociaux et espaces publics ", Réseaux, n° 98, 1999, p. 17-85.

12. Voir J. D. Downing, Radical Media. Rebellious Communication and Social Movements, London, Sage, 2001 ; C. Atton., Alternative Media, Londres, Sage, 2002.

13. Voir J. D. Downing, " The Seattle IMC and the Socialist Anarchist Tradition ", in M. Raboy, ed., Global Media Policy in The New Millenium, Luton, Luton University Press, 2001.

14. A cet égard, le site média-activiste français de Samizdat, d'inspiration autonome, fait exception en refusant le principe de l'open publishing pour préférer se constituer en centre de ressources militantes et assurer une couverture des mobilisations par des cercles affinitaires de correspondants. Voir X. Crettiez, I. Sommier, La France rebelle, Paris, Michalon, 2002, p. 417-420.

15. J.-P. Masse, A. Papathéodorou, " Communiquer à Gênes, communiquer Gênes ", in Samizdat.net, Gênes. Multitudes en marche contre l'empire, Paris, Reflex, 2002, p. 243-251.

16. Les enquêtes sur la réception du web sont rares et doivent mettre en place des méthodologies originales (V. Beaudouin, C. Licoppe, " Parcours sur Internet ", Réseaux, n° 116, novembre-décembre 2002). On peut cependant faire l'hypothèse de l'existence autour du noyau de rédacteurs et de militants actifs, d'une importante couronne d'internautes concernés s'intéressant irrégulièrement à ces sites. Le site spécial d'Attac pendant le FSM 2002 a enregistré une moyenne de 180 000 connexions par jour.

17. Voir : C. Losson, P. Quinio, Génération Seattle. Les rebelles de la mondialisation, Paris, Grasset, 2002.

18. Sur la transformation des formes du discours critique, voir : D. Cardon, J.-P. Heurtin, " La critique en régime d'impuissance. Une lecture des indignations des auditeurs de France-Inter ", in B. François, E. Neveu, dir., Espaces publics mosaïques, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1999, p. 85-119.

19. Voir C. Rodriguez, Fissure in the Mediascape. An International Study of Citizen's Media, Cresskill, Hampton press, 2001



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