Ce fut une surprise pour moi, ce petit pays, peu peuplé, a connu une
activité anarchiste assez importante. Les idées libertaires y furent
introduites dans le dernier quart du 19ème siècle par des immigrants
français, espagnols, italiens. Comme souvent, les anars jouèrent un rôle
très important dans l’émergence des premiers syndicats ouvriers et le
lancement des premières luttes ouvertes contre l’exploitation
capitaliste.
La Fédération Ouvrière Régionale d’Uruguay (FORU), inspirée par la FORA
argentine et se réclamant de l’anarchisme, fut la seule centrale
syndicale du pays de 1905 à 1923 et continua à avoir une grande influence
jusqu’au début des années 30 apparemment. Puis le mouvement connut un «
creux » jusque dans les années 50 avant de se redévelopper dans les
années 60 et au début des années 70, surtout à travers l’activité de la
Fédération Anarchiste Uruguayenne (FAU). La dictature qui s’instaure
complètement à partir de 1973 va désarticuler le mouvement. Celui ci,
très affaibli, commencera à se réorganiser de nouveau, peu à peu, après
la fin de la dictature en 1984.
Le mouvement repose actuellement sur une poignée d’organisations, de
groupes ou de publications qui disposent presque toutes de locaux, plus
ou moins grands, mais généralement plutôt en bon état. Leur zone
d’activité se limite essentiellement à la capitale qui concentre plus de
la moitié de la population (1 800 000 habitantEs sur une population
totale de 3 200 000 personnes environ).
La Fédération Anarchiste Uruguayenne (FAU) :
Commençons par l’organisation la plus structurée et développée, la FAU
qui fut créée en 1956 par des ouvriers, des étudiants, des syndicalistes.
C’est une organisation de type plateformiste (elle l’est de fait même si
elle ne semble pas considérer comme important de l’afficher) où sont
définis, en congrès, des règles de fonctionnement, d’activités, des axes
et méthodes de lutte, des revendications qui doivent ensuite être
collectivement mises en œuvre.
Elle dispose d’une certaine insertion sociale dans certains quartiers
populaires de la capitale, dans certains syndicats. Elle regrouperait une
bonne centaine de membres et peut rassembler plusieurs centaines de
personnes lors de son meeting public d’avant premier Mai.
C’est une organisation classiste qui m’a semblé marquée par un certain
économicisme. Les questions idéologiques et contre-culturelles semblent
peu abordées, au moins publiquement.
Cependant, on peut noter que sa pratique dans les quartiers (qui s’appuie
parfois sur l’existence d’athénées libertaires) n’exclue pas des
préoccupations renvoyant à la culture et à l’éducation populaire, à
l’entraide de proximité, au maintien du lien social. Bakounine et surtout
Malatesta y sont des références théoriques centrales. La FAI espagnole
(jusque dans ces groupes d’action) y est une référence historique
importante. Ceci étant dit, la FAU m’a semblé caractérisé surtout par un
certain pragmatisme, un certain empirisme qui l’amène à chercher en
permanence les manières les plus adaptées pour s’insérer au sein des
masses populaires et ce dans le contexte particulier de leur pays. Ils
pensent, à juste titre, que les « solutions » à leurs problèmes ne
peuvent venir d’expériences étrangères qui seraient ensuite « calquées »
sur la situation uruguayenne.
Toujours sur un plan politique, on peut noter chez la FAU un
anti-impérialisme virulent (en particulier évidemment en ce qui concerne
la politique étrangère US), un fort sentiment de solidarité avec
l’ensemble (j’insiste sur ce point précis) des mouvements de lutte
révolutionnaire d’Amérique latine (au passage, notons qu’ils travaillent
beaucoup avec les anars brésiliens de la Fédération Anarchiste Gaucha,
FAG, et des relations régulières apparemment avec AUCA en Argentine).
C’est à dire que des mouvements tels que les FARC communistes en Colombie
ou le défunt MRTA guévariste péruvien, par exemple, semblent susciter une
relative sympathie au sein de la FAU.
L’anti-impérialisme, l’internationalisme, le fait qu’ils s’agissent de
mouvements armés (et la FAU en a crée un par le passé et elle continue à
admettre le caractère nécessairement violent de tout processus
révolutionnaire), un respect pour les formes risquées d’engagement, pour
le sacrifice « au nom de la cause » (très enracinés dans la culture
révolutionnaire latino-américaine) semblent sous-tendre cette relative
sympathie, qui est vraisemblablement liée aussi à un manque d’information
critiques vis à vis de ces mouvements autoritaires.
Autre exemple : Cuba. La FAU fut une des premières organisations
uruguayennes à créer des comités de solidarité avec la révolution
cubaine. A une époque (la fin des années 50 et le tout début des années
60) où la majorité des gauches latino-américaines prônaient la prise du
pouvoir par le biais des élections, la révolution cubaine issue d’un
soulèvement populaire armé ouvrit des perspectives et des possibilités
politiques neuves pour les groupes révolutionnaires. Elle remit à l’ordre
du jour l’action directe de masse, auto-organisée et violente. La FAU,
comme nombre d’autres organisations, s’est engouffrée dans la brèche
politique ouverte par la révolution cubaine et l’a soutenue durant des
années…même après qu’il ait été clair que cette révolution tournait à la
dictature bureaucratique, même après apparemment que des anarchistes
cubains aient été arrêtés et exécutés. Cela provoqua d’ailleurs
finalement une scission en son sein. La FAU finit ensuite par se
distancier de cette
révolution trahie et cessa de la soutenir, ce qui ne signifie pas
apparemment qu’elle prennent le risque de critiquer frontalement le
régime cubain actuel. Le mythe guévariste et cubain est une réalité
vraiment forte dans toute l’Amérique latine et, encore une fois, la FAU
ne semble pas vouloir prendre le risque de se « couper des masses » en
critiquant trop ouvertement Cuba. Si je m’étends sur ces «
particularités » de la FAU, c’est aussi parce qu’en fait on les
retrouve, à des degrés divers, partagées par d’autres anars uruguayens
On n’entre pas à la FAU comme dans un moulin. Comme un certain nombre
d’autres organisations plateformistes, on doit d’abord passer par des «
stages » de formation politique (lectures et discussions sur
l’organisation, son fonctionnement, ses buts, activités, méthodes…) avant
d’y être intégréE. Il faut ensuite attendre un an pour devenir unE membre
vraiment à part entière avec tous les droits qui sont liés à ce statut.
Au delà des références à un anarchisme très organisé, à une conception
nettement militante de l’organisation, à la nécessité d’une certaine
homogénéité politique de celle-ci, l’expérience de la répression (et de
l’action directe armée via son organisation clandestine, l’OPR 33) dans
les années 60 et 70 n’est certainement pas non plus étrangère à
l’existence de toutes ces procédures progressives d’entrée.
Un fois admis dans l’organisation, la personne doit choisir son « secteur
» d’activité (dans un quartier, une entreprise et un syndicat, à
l’université…).
La FAU est active au sein du PIT-CNT, LA centrale syndicale uruguayenne
(au sens où 90% des syndiqués du pays en sont membres). Le PIT-CNT est
une centrale réformiste, où domine l’influence du Parti Communiste, mais
où existe également dans certains syndicats des foyers plus radicaux
(animés par les militantEs de la FAU souvent alliéEs avec des militantEs
de gauche, politiquement indépendantEs, de tendance autogestionnaire et
basiste).
Cette présence oppositionnelle, apparemment assez combattive, au sein de
la grande centrale réformiste nationale m’a surpris mais il semble que la
majorité des travailleurs soient très attachés à l’existence d’une
centrale unitaire et de fait apparemment quasi-unique. La FAU, toujours
préoccupée par son « insertion » populaire, a donc visiblement fait le
choix de ne pas risquer de se couper de l’organisation syndicale où se
rassemble « les masses ». Il semble que le syndicat des « Arts Graphiques
» soit sous leur influence, des militants de la FAU étant à sa direction.
Dans les quartiers populaires et ouvriers (dont certains, comme celui del
Cerro furent de véritables bastions anarchistes pendant plusieurs
décennies, ce qui a laissé quelques traces…), la FAU participe à ou
même a carrément mis en place plusieurs projets de radios communautaires,
des sortes de radios libres non-commerciales, tournées vers les problèmes
sociaux du quartier, pas légales mais aujourd’hui plus ou moins tolérées
par le pouvoir (qui a bien cherché, mais en vain, à les fermer). La FAU
s’appuie entre autres sur ces radios pour s’insérer dans ces quartiers où
elle peut être en contacts avec les très nombreuses personnes au chômage
ou sous-employées. Ses militantEs y participent aux réseaux de troc et
d’entraide, à l’animation d’athénées ou de centres sociaux disposant de
comedores, de bourse aux vêtements pour les plus pauvres et où ont lieu
des activités de soutien scolaire ou culturelles. PrésentEs au quotidien
parmi les gens du quartier, les membres de la FAU ne cherchent pas à y
faire un prosélytisme débridé et voyant mais plutôt un lent et discret
travail d’implantation.
Leur local (qui jouxte la petite coopérative d’imprimerie qu’ils ont crée
et où ils éditent revues, tracts, autocollants, affiches etc…) n’est pas
très grand mais semble adapté à leurs besoins actuels. 2 petites pièces
sont en voie de rénovation pour accueillir une toute petite bibliothèque
et quelques archives (la bibliothèque apparemment énorme et les
volumineuses archives que possédait auparavant la FAU ont été détruites
par la dictature). Les dons de bouquins et brochures en espagnol sont les
bienvenus.
La FAU publie épisodiquement une revue intitulée « Lucha Libertaria »,
qui présente bien, format A4. A l’occasion paraît aussi une revue plus
théorique intitulée « Rojo y Negro ». Ils ont récemment édité (évidemment
en espagnol) un gros livre sur l’histoire (riche en expérience de lutte)
de la FAU entre le milieu des années 60 et le début de la dictature en 73
et qui s’intitule « Action directe anarchiste : une histoire de la FAU »
(500 pages environ, éditions « Recortes », 2002). Il a été écrit par un
de ses vieux militants, Juan Carlos Mechoso, qui fut aussi membre de sa
branche armée. On peut, peut-être, se le procurer en passant par les
organisations françaises adhérentes à Solidarité Internationale
Libertaire (SIL), réseau dont la FAU (et la FAG brésilienne) sont
adhérentes.
Quelques pages consacrées aux origines du mouvement ouvrier et anarchiste
uruguayen devraient être traduites et intégrée dans la brochure sur
l’histoire du mouvement anar en Uruguay qu’on va sortir.
Le Groupe d’Etudes et d’Action Libertaire (GEAL) et le Centre Culturel «
Luce Fabbri » :
Le GEAL est un petit groupe de militantEs de tous âges qui existe
apparemment depuis plus d’une dizaine d’années. Ils animent la petite
revue « Opcion Libertaria » (format proche du A5, une vingtaine de page
en général) à la parution épisodique. Leur anarchisme semble assez
classique, philosophique, pacifiste. Ils publient quelques petites
brochures. Un de leur texte sur les origines anarchistes du mouvement
ouvrier uruguayen sera aussi traduit et intégré dans la brochure que nous
allons éditer.
Ils ont crée l’année passée un petit centre d’archives et une
bibliothèque qui porte le nom de Luce Fabbri, la femme de Luigi Fabbri.
Celle-ci a vécu longtemps en Uruguay et certainEs membres du GEAL l’ont
bien connue. Ce centre d’archives contient une documentation assez
abondante (provenant en partie des archives de la famille Fabbri),
parfois assez rare et ancienne et même apparemment quelques pièces
uniques. Le centre a été inauguré en Septembre 2002, plus de 150
personnes ont participé à la petite cérémonie qui a eu lieu à cette
occasion. Le centre accueille des conférences, des débats, les réunions
de GEAL etc…
A noter que certainEs des membres les plus âgés du GEAL ont été parmi les
fondateurs de la FAU avant d’en partir (voire d’en être virés) au tout
début des années 60 si je ne m’abuse vu leur refus de soutenir la
révolution cubaine (et donc le régime castriste). Les relations entre la
FAU et le GEAL continuent visiblement à s’en ressentir fortement.
Un projet de rencontre de tous les groupes libertaires en Juillet semble
néanmoins avoir été lancé par le GEAL. Des réunions préparatoires
devaient avoir lieu courant Mai.
Leurs moyens financiers sont assez réduits et l’ouverture du centre
culturel représente pour eux un effort important. Une aide matérielle
(argent, livres…), même réduite, les soulageraient certainement un peu.
L’athénée « Heber Nieto », « el taller anarquista » (l’atelier
anarchiste) et la revue « Alter » :
Ce petit athénée libertaire (loué) a été crée par un regroupement
informel de libertaires assez récemment. On y trouve une petite buvette,
une grande salle, une petite bibliothèque, quelques archives et il
devrait bientôt donner l’hospitalité à Indymédia Uruguay. Des
conférences, des débats, des réunions de groupes, des ateliers
artistiques, de yoga et autres activités y ont lieu. Un couple de
squatteurs barcelonais y a animé par exemple, lors de ma présence à
Montevideo, un petit débat sur le mouvement des okupas dans leur ville.
Une bonne trentaine de personnes y ont assisté. Des buvettes ont lieu
régulièrement en fin de semaine pour aider au financement du local. Des
petits concerts de soutien sont aussi organisés à l’occasion. Il porte le
nom d’un lycéen de 17 ans, sympathisant libertaire, abattu au fusil à
lunette par un militaire lors d’une manif qu’a mal tournée en 1971.
Au sein de l’athénée se réunit aussi « El taller anarquista », un petit
groupe informel qui ne revendique guère son nom et dont des membres font
partie du collectif qui gère l’athénée. C’est plus un groupe de
discussion (sur plein de thèmes pas strictement politique) et d’entraide
(échange de savoir, troc…) qu’un groupe militant. La majorité est composé
de jeunes. On y trouve aussi quelques personnes ayant connu la dictature
et/ou l’exil. Des membres de ce collectif et de celui qui gère le local
participent à la revue anar « Alter », originale et assez luxueuse, très
bien présentée… mais assez chère pour le pays (parution irrégulière). La
tendance semble assez nettement « contre-culturelle » (modes de vie,
écologie, antimondialisation, radios libre, sexualité, lutte contre le
patriarcat, poésie, critique de l’industrialisme, OGM etc…). Un document
tiré de cette revue traitant d’un siècle de lutte populaires et ouvrières
en Uruguay sera aussi traduit et publié dans le cadre de notre
brochure sur l’histoire de l’anarchisme en Uruguay.
La plupart des jeunes (et moins jeunes) qui participent à ces divers
projets réunis en un même lieu sont en général bien fauchés. Là encore
toute aide est donc la bienvenue.
Le journal « La Barrikada » :
Cette publication a démarrée en 1995 et paraît sans interruption depuis 8
ans maintenant. Plusieurs équipes de rédaction se sont succédées. Ce
journal semble toujours avoir été animé par des jeunes militantEs.
L’équipe actuelle de rédaction paraît être composée d’une poignée de
personnes, assurément bien motivées.
Le canard est de format standard, comporte de 20 à 24 pages. Il est
plutôt bien présenté. Sa parution est irrégulière. Ils en sortent de 2 à
5 par année, suivant les finances, l’actualité etc… Il est diffusé par
abonnement, lors des manifs, meetings, tables de presse et dans un
certains nombres de kiosques de rue qui ont été directement démarchés par
les gens de l’équipe de rédaction. etc… Le journal arrive à
s’autofinancer. Le tirage est de 1000 exemplaires dont la plus grande
partie se vend apparemment assez rapidement. Sachant que ce journal est
diffusé essentiellement sur Montevideo, on peut considérer que c’est un
tirage respectable surtout pour une publication radicale. Ils semblent
avoir beaucoup de lecteurs hors du mouvement anar, dans la gauche
extra-parlementaire, syndicale… Une autre petite équipe de rédaction
s’est aussi constituée sur Maldonado, une ville côtière et touristique
pas très loin de la capitale. Cette équipe sort un supplément local. Ils
diffusent aussi des
affiches et des bouquins militants dont ceux du collectif argentins «
Situaciones ».
La ligne de Barrikada ne semble pas avoir beaucoup évolué depuis sa
création. Elle est rupturiste, classiste, très anti-impérialiste,
virulente, attaque la gauche classique, la bureaucratie syndicale du
PIT-CNT, soutient les luttes directes des travailleurs en allant les
interviewer, en diffusant leurs revendications et en relatant le
déroulement des conflits sociaux dans lesquels ils sont engagés. Les
expériences d’auto-organisation populaire dans les quartiers pauvres sont
aussi mises en avant.
C’est essentiellement un journal d’agitation, qui prône la solidarité à
la base, fait l’éloge de la lutte et de son organisation au quotidien
dans les quartiers, les entreprises, les facs et les lycées…On y décèle à
travers un certain ton, des slogans à l’emporte pièce et l’utilisation
fréquente de photos très explicites une certaine attirance pour la
violence émeutière, populaire, de masse. Comme ils/elles le disent en
couverture de chaque numéro : « La barricade ferme la rue… mais ouvre le
chemin ».
On trouve également dans Barrikada des articles « pédagogiques » sur le
FMI, la dette, une page culturelle qui met à l’honneur une poétesse, un
écrivain, un chanteur. De temps en temps un article historique ou
théorique sur l’anarchisme (Makhno et l’organisation, les collectivités
espagnoles, Malatesta…) s’y glisse à coté d’assez nombreuses références à
Che Guevara (articles sur lui, citations, photos…), à Raoul Sendic (un
des fondateurs des Tupamaros, une organisation de guérilla urbaine
d’extrème-gauche des années 60), au MRTA guévariste péruvien etc… On y
trouve aussi des articles de soutien au mouvement indépendantiste et
nationaliste basque. Bref, dans Barrikada (comme dans la FAU), on trouve
des positions assez surprenantes pour un anar européen…
Soyons clair, les jeunes de Barrikada n’ont pas de sympathie pour le
régime cubain, ils ne sont pas foquistes non plus. Guevara est pour eux
une figure importante car il symbolise la rupture avec le réformisme, un
volontarisme révolutionnaire, une éthique de l’engagement, un esprit de
dévouement à la cause, un courage personnel. En ce sens, oui, il est un
exemple pour eux. Comme Sendic, comme le MRTA, Sandino… Là encore, on est
confronté à un imaginaire (donc aussi à de l’affect) politique
particulier à l’Amérique latine. On rend hommage à ceux qui ont lutté et
sont tombés, même s’ils n’étaient pas du même bord que vous. On cultive
leur mémoire. Tout ça me paraît très discutable mais bon c’est pas le
sujet…
J’ai aussi l’impression que le travail de mémoire qui s’effectue dans les
pages de Barrikada renvoie au fait que les jeunes qui l’animent cherchent
à rétablir un lien, une continuité avec le mouvement révolutionnaire (en
partie idéalisé à mon avis) des années 60 et 70, avec ce mouvement qui
fut arrêté net par la dictature de 73. En 73, on a une forte montée en
puissance et en radicalité des luttes populaires, des organisations qui
pratiquent l’action armée, une situation presque pré-révolutionnaire à ce
qu’il me semble. La dictature intervient, liquide des tas de gens qui
sont exécutés ou « disparaissent », des dizaines de milliers de personnes
passent en taule, parfois pendant de très longues années, et y
connaissent souvent la torture. Et quand la dictature cesse, on est au
milieu des années 80. Le mouvement révolutionnaire a été liquidé dans son
ensemble, toutes tendances confondues, et pas qu’en Uruguay et on a
clairement changé de période. La dictature introduit une rupture et
laisse un trou, un vide et ça, ça semble être quelque chose de très
marquant pour les jeunes de Barrikada (peut-être certainEs d’entre eux
ont eu des proches touchés par la répression ?) d’où, à mon avis, ces
référence fréquentes aux grandes figures et mouvements du passé, «
d’avant la dictature », comme des ponts jetés à travers elle. D’où aussi
le fort intérêt porté par l’équipe de Barrikada aux mobilisations contre
l’oubli, contre les lois d’impunité pour les militaires, aux expériences
d’ « escraches », les manifs surprises et agitées de dénonciation
publique d’anciens tortionnaires devant leurs maisons, leurs
commissariats ou leurs casernes. Ils se sont beaucoup investis dans
toutes ces luttes là, en particulier au sein du groupe « Mémoire et
Justice » qui publie une feuille d’info appelée « A contrapalo » .
Concernant le nationalisme basque aussi, le passé peut éclairer en partie
les positions présentes. Il y a eu pas mal d’immigration basque en
Uruguay et en 1994, le gouvernement accepte d’arrêter et d’extrader 2
basques, membres de l’ETA, qui se trouvent « au vert » sur son
territoire. Les types se mettent en grève de la faim et un mouvement très
important de solidarité se développe. Quand arrive le moment de leur
extradition, des milliers et des milliers de personnes bouchent toutes
les rues qui mènent à l’hôpital Del Filtro où se trouvent les 2
prisonniers. Des barricades sont dressées. La police va intervenir
sauvagement : 2 morts et des dizaines de blessés par balles, des
centaines de blessés suite aux coups reçus. 10 ans après la fin de la
dictature, l’Etat démocratique réprime la population dans le sang. C’est
un grand choc et, pour beaucoup, la fin de bien des illusions. Un an
après, des jeunes, radicalisés, lancent le 1er numéro de Barrikada. On
peut penser que le massacre
Del Filtro a transformé en soutien politique ce qui n’était peut-être au
départ qu’une vague sympathie humaniste. Ce soutien politique s’est
transmis d’une équipe de rédaction à l’autre.
Tout cela doit quand même conduire à s’interroger sur l’identité
politique de Barrikada, qui se présente comme un journal « libertaire »
(tout en revendiquant l’éclectisme de ses références). Peut-être
serait-il plus juste et nuancé de parler d’un journal radical indépendant
fortement teinté d’anarchisme…
L’Organisation Libertaire Cimarron (OLC):
Je suis arrivé carrément à la bourre à leur petit local (qu’ils co-louent
avec les gens de Barrikada). Du coup leur réunion était terminée et je
les ai loupé. Ils paraît qu’ils sont 15-20. Le noyau qui a lancé cette
organisation en 98 constituait la première équipe de rédaction de
Barrikada. Ils ont l’air d’attacher pas mal d’importance à l’homogénéité
politique de l’organisation, un peu comme la FAU. En fait, j’ai eu un peu
l’impression que les lignes politiques de ces 2 organisations étaient
assez proches. Ils semblent que des rencontres aient eu lieu entre le
groupe qui allait fonder l’OLC et la FAU mais ces contacts n’ont pas
débouché sur une intégration dans la FAU pour des raisons que j’ignore.
Il semblent qu’ils travaillent au niveau universitaire et dans un
quartier populaire où ils participent à une radio communautaire. Ils
publient quelques brochures. Ils ont un petit site internet.
Les cimarrones étaient apparemment des groupes d’esclaves noirs en fuite,
de marginaux, d’indiens révoltés, des peones soulevés qui se livraient à
de la piraterie le long du Rio de La Plata, affrontaient les colons
espagnols, pillaient les grandes propriétés terriennes au 18ème siècle.
Je n’en sais malheureusement guère plus sur eux et leurs activités.
Je signale aussi un petit fanzine (photocopié, quelques pages) qui
s’appelle « Bisagra » (la charnière) et qui paraît depuis 2001
apparemment.
Un groupe informel publie également un journal qui s’appelle « sediciones
» (séditions). J’ai eu l’occasion rapidement de le feuilleter. Ils ont
l’air sur des bases anarcho-autonomes, anarcho-insurrectionalistes pour
autant que j’ai pu en juger. Je n’ai pas eu de contacts avec eux non
plus.
Je n’ai pas non plus eu de contacts avec ce qui subsiste de la «
Comunidad del sur » (Communauté du sud), un petit groupe libertaire qui
possède un grand terrain, des habitations écologiques, des jardins et une
imprimerie. De cette expérience militante (elle aussi persécutée par la
dictature) initiée à la fin des années 50, entrecoupée par une période
d’exil collectif, demeure actuellement essentiellement un travail
d’éditions (Editions Nordan) de livres libertaires et surtout alternatifs
sur l’écologie, l’éducation, l’auto-construction, le jardinage bio etc…
de bonne qualité.
EN GUISE DE CONCLUSION…
J’ai été frappé, au delà de la riche histoire du mouvement anar
uruguayen, par sa vivacité et sa diversité.
On trouve à Montevideo des groupes très différents les uns des autres,
certains centrés sur la réalité sociale de leur pays, d’autres très
ouverts sur des tas d’expériences étrangères, certains très classistes,
d’autres très contre-culturels. Tous semblent assez actifs.
Le mouvement est, comme un peu partout ailleurs, assez fragmenté,
traversé par des fractures et parfois de vieux conflits qui datent d’il y
a des décennies. Certains groupes se méfient des tentations hégémoniques
dont seraient porteurs d’autres groupes. Néanmoins, la ville étant
relativement petite, les infos circulent, les gens se croisent et
discutent. A l’occasion de la guerre d’Irak, un petit tract unitaire,
signé « Anarchistes contre la guerre », a été diffusé.
Le mouvement a une certaine insertion sociale et il semble qu’il y ait à
Montevideo presque autant de militantEs et de sympathisantEs plus ou
moins actifs que d’anars organisés dans toute l’Argentine. La plupart des
groupes possèdent des locaux. Rien que dans la partie centrale de la
capitale, on trouve pas moins de 4 locaux anarchistes, distants au plus
les uns des autres d’un kilomètre ou un kilomètre et demi (quand ce n’est
pas de quelques centaines de mètres).
COMMENT RENCONTRER CES GROUPES ???
Là encore, comme en Argentine, si vous voulez rencontrer ces groupes,
mieux vaut parler espagnol. Les langues étrangères ne sont pas forcément
leur fort. Essayez aussi de ne pas venir les mains vides : tracts,
affiches, autocollants, journaux français seront a priori les bienvenus.
Plus utiles encore seraient des petits dons de fric ou de livres en
espagnol, les moyens financiers de ces groupes étant limités. L’Uruguay,
comme l’argentine, connaît une situation économique difficile qui
n’épargne pas les anars locaux. Encore une fois, l’idée d’établir des
sortes de « jumelages solidaires» entre groupes d’ici et de là-bas
pourrait faciliter leurs activités.
Voici les contacts et adresses dont nous disposons. Arrangez vous pour
les contacter pas mal de temps à l’avance, les boites E-mail, par
exemple, ne sont apparemment pas toujours relevées régulièrement.
Adresse : Local situé Calle Magallanes N°1766, Montevideo. S’il y a
personne, allez juste à coté voir les gars de l’imprimerie « Aragon » qui
sont de l’organisation.
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