Je ne vais pas rentrer dans de longues considérations sur la riche
histoire du mouvement anarchiste en Argentine. Ça n'est pas l'objet de
cet article.
Le mouvement anar dans ce pays est dans une situation difficile. Sa
taille est réduite. Il est morcelé. Sa logistique est faible. Ses
ressources financières sont rares et nettement insuffisantes. Les
quelques locaux « historiques » qu'il possède encore sont souvent
délabrés. Il n'a
pratiquement aucune insertion sociale et est peu présent hors de la
capitale. Il existe un fossé générationnel entre quelques militant(e)s
très âgé(e)s, ayant lutté dans un contexte historique révolu, et la
majorité du mouvement composé de jeunes gens, pleins de bonne volonté,
mais peu expérimentés. Les militant(e)s « entre 2 âges » sont rares, la
dictature et ses 30 000 morts et disparus est passée par là. L'immensité
du pays et la situation économique très dure rendent les déplacements et
rencontres directes difficiles. Peu de livres et textes anars paraissent
et ceux qui circulent sont assez souvent vieillots, parfois tirés de
vieux stocks datant des années 60 ou 70, et abordent surtout l'histoire
passée du mouvement.
La Fédération Ouvrière Régionale Argentine (FORA):
Il ne reste aujourd'hui pas grand chose de cette vieille organisation au
passé héroïque. Quelques poignées de jeunes, appuyés par les quelques
vieux encore vivants, ont cependant repris tant bien que mal le flambeau
et rament, au milieu de bien des difficultés, pour maintenir à flots ce
qu'il reste de la FORA.
Celle-ci se compose à l'heure actuelle de 4 petites Sociétés de
Résistance (des sortes de syndicats intercorporatifs) : à Buenos Aires,
San Martin (dans la périphérie de la capitale), Cholila (un petit
village) et Esquel (une petite ville de 30 000 habitants) en Patagonie, à
1500 kms de la capitale environ.
La Société de Résistance de la capitale comprend environ une quinzaine de
personnes, essentiellement de jeunes chômeu(se)rs et étudiant(e)s. Leur
local situé dans le vieux quartier de La Boca est le seul que possède
encore la FORA. Il est pas mal délabré. Lors des grosses pluies, l'eau de
la cour rentre dans la salle de réunion et forme une mare au milieu de la
pièce. Le toit (en tôle et briques) a également des fuites et l'eau
ruisselle le long d'un des murs des de la salle d'archive, mur qui menace
partiellement de s'écrouler.
Avec un peu d'argent qu'ils reçoivent parfois de sections de
l'Association Internationale des Travailleurs (AIT dont fait partie la
FORA) ou que leur propose, à l'occasion, la Fédération Libertaire
Argentine lorsque elle même en reçoit un peu de certaines sections de
l'Internationale des Fédérations Anarchistes (IFA), les jeunes foristes
de la capitale essayent de rénover peu à peu ce local. Un autre problème
rencontré est qu'il faut transférer la propriété du local à de jeunes
militants car les vieux qui en ont la propriété juridique savent que leur
temps est compté, or cela nécessite des actes notariés qu'il faut payer
assez cher…et la FORA n'a pas l'argent nécessaire pour le moment.
Le local possède une petite bibliothèque, quelques vieux ordinateurs et
quelques archives historiques de la FORA (mais celles-ci ont été
dispersées au fil du temps, une partie s'est gâtée dans des lieux de
stockages inadaptés, d'autres ont disparues lors de descentes de la
police ou de l'armée, d'autres encore ont été perdues lors de scissions
dans les années 10 et 20. Les archives les plus importantes se trouvent
aujourd'hui au siège de la CGT, le syndicat officiel péroniste.).
Ils disposent aussi d'un photoduplicateur d'occasion, acheté il y a
quelques temps avec une aide financière (provenant de l'AIT si je ne
m'abuse). C'est maintenant avec cette machine qu'est tiré, à prix réduit
pour une qualité elle aussi réduite, tracts, affiches A3 et «
Organizacion Obrera » (« Organisation Ouvrière »), leur journal
bimestriel (format A4, 12 pages en général) diffusé à quelques centaines
d'exemplaires. Ils reçoivent aussi un peu de presse en provenance de
l'AIT ou du reste du mouvement anar international.
La propagande qu'ils sortent me paraît assez décalée et est constitué
surtout de déclarations de principes, de rappels historiques ou de vieux
textes repris en articles ou tracts. Ils font à l'occasion du 1er Mai et
d'autres anniversaires historiques des rassemblements où ont lieu des
prises de paroles (ils ont une petite sono) et des tables de presse. Le
1er mai 2002 a vu passer environ 400 personnes (ce qui ne s'était pas vu
depuis bien longtemps), sympathisant(e)s libertaires ou curieu(ses)x.
J'ignore ce qu'a donné le rassemblement du premier Mai de cette année.
Une partie des jeunes de la FORA qui galère au chômage est apparemment en
train d'essayer de mettre en place une sorte de petite coopérative de
production de pain dans un quartier de la périphérie de Buenos Aires où
existe un petit centre social libertaire animé par un petit groupe
indépendant. Cela permettrait de créer quelques revenus pour les
compagnons sans emplois et de s'insérer un peu dans le quartier. Affaire
à suivre…
Je parlerai peu du groupe de San Martin que je n'ai pas rencontré. Il
semble constitué par une poignée de personnes et il lui arrivait de
publier (je ne suis pas sur que ce soit encore le cas) un petit journal
intitulé « Sociedad de Resistencia ».
Descendons maintenant vers le sud du pays (27 heures de bus !!!), en
Patagonie où existent 2 petites Sociétés de Résistance de la FORA. A
elles 2, elles réunissent une poignée de militant(e)s entouré(e)s de
quelques sympathisant(e)s. A Esquel, la Société de Résistance locale
fait, avec les moyens du bord, de la propagande (diffusion d' «
Organizacion Obrera, diffusion des petits paquets de tracts qu'elle
reçoit occasionnellement de la capitale, slogans peints sur les murs,
affichettes manuscrites ou sérigraphièes très artisanalement…).
Elle s'investit aussi régulièrement dans le soutien aux communautés
indigènes Mapuches de la région (peu nombreuses, les Mapuches vivant
essentiellement du coté chilien) confrontées de plus en plus fréquemment
à des problèmes d'expulsions. En effet, ces communautés indiennes ont été
refoulées violemment par l'armée au 19ème siècle sur de mauvaises terres.
Les survivants de ces opérations très meurtrières se sont installés comme
ils ont pu, là où ils ont pu, mais sans posséder évidemment aucun titre
de propriété. Or depuis plusieurs années de vastes superficies de terres
« fiscales » (appartenant à l'Etat) ont été achetées en Patagonie par de
grandes sociétés multinationales pour y faire de la prospection minière
ou de l'élevage (c'est le cas de la firme Benetton qui possède d'immenses
terrains où elle élève des moutons qui vont lui fournir la lai ne qu'elle
va ensuite envoyer vers ses usines textiles). Les petites communautés
Mapuches vivant sur ces terres achetées sont alors souvent visées par des
demandes d'expulsions effectuées par les multinationales ou les grands
propriétaires terriens. La gendarmerie se déplace alors pour abattre les
masures des familles expulsées. La FORA locale s'associe alors très
régulièrement aux protestations des communautés (petites manifestations
et occupations symboliques d'édifices publics). Une marche pour le
respect des droits indigènes et contre la vente et le dépeçage de la
Patagonie a eu lieu à la capitale en Avril suite à une vague d'expulsions
et d'agressions policières visant les Mapuches et suite aux problèmes
liés au projet de mine d'or à ciel ouvert, toujours à Esquel.
Ce projet minier a beaucoup fait monter la tension dans la région.. Une
compagnie minière multinationale canadienne « Meridian Gold » a acheté un
terrain situé sur une des montagnes qui surplombe directement Esquel
après y avoir détecté la présence d'or. Son idée était d'exploiter la
mine à ciel ouvert et de trier et récupérer l'or avec une méthode
nécessitant
l'utilisation importante de cyanure. Cela risquait de provoquer des
nuisances importantes (2 grosses explosions minimum chaque jour avec
retombées de poussières sur la ville), d'importants risques de pollutions
liés à l'utilisation du cyanure (empoisonnement des eaux de ruissellement
provenant de la montagne dont la pente mène directement à certains
quartiers pauvres de la ville) et de conférer à la compagnie minière un
poids politique et social étouffant dans cette petite ville.
Le projet a donc suscité beaucoup d'opposition en particulier auprès des
commerçants, des professionnels du tourisme (en pleine expansion dans
cette région immense aux magnifiques ressources naturelles), des classes
moyennes, des associations écologistes etc…Des manifestations d'une
ampleur jamais vue ont eu lieu à Esquel (plusieurs milliers de personnes
battant le pavé), l'une d'entre elle a d ‘ailleurs débouché sur
l'occupation pendant toute une nuit du hall du palais de justice suite à
une expulsion violente de Mapuches dans la petite localité de « Vuelta
del Rio », 3 vieux ayant vu leur maison détruite, leur potager ravagé et
leur bétail dispersé par une vingtaine de gendarmes à cheval qui les ont
menacé de mort s'ils ne partaient pas.
Des comités « citoyens » contre la mine ont vu le jour, collé des
affiches, diffés des tracts et des feuilles de choux anti-mines, peint
des slogans… « Meridian Gold » a répliqué par une coûteuse campagne de
promotion de son projet (spots publicitaires, pages de pub dans la presse
locale, lobbying auprès des élus…) articulée autour du thème du
développement économique et de l'emploi. Le thème de l'emploi (environ
300-400 postes pour une durée d'exploitation estimée à 8 ans) lui a valu
le soutien appuyé de l'Union des Ouvriers de la Construction de la Région
Argentine (UOCRA, affiliée à la CGT péroniste) dont la bureaucratie a
fait cause commune avec les capitalistes de la multinationale. La tension
montant, les bâtiments de la compagnie ont rapidement dû être protégés
par la police. Des renforts de police
provinciale et fédérale ainsi que de la gendarmerie ont été envoyés à
Esquel.
L'affaire s'est, momentanément, conclue par un référendum populaire en
Mars de cette année. Le NON l'a largement emporté (70% de votant(e)s et
environ 80% de NON si mes souvenirs sont bons) malgré les efforts de
communication déployés par la compagnie minière qui a également cherchée
à acheter les votes des plus pauvres (concerts gratuits, distributions de
tee-shirts et casquettes décorés de « SI a la mina », repas gratuit avec
viande à volonté…et 50 pesos en moyenne par promesse de vote soit environ
une quinzaine d'euros). Peine perdue, les pauvres, habitués depuis
longtemps au clientélisme politique, ont pragmatiquement pris ce qu'on
leur offrait avant d'aller voter NON ou de s'abstenir.
Du coup, la position de la compagnie et de l'UOCRA s'est durcie et de
nombreuses manœuvres d'intimidations ont eu lieu envers des opposants
bien connus (filatures ostensibles, coups de fils anonymes, dégradations
de maisons, visites domiciliaires, cambriolages etc…) culminant avec un
cassage de gueule d'un contestataire qui se rendait à son travail tôt le
matin, le tout accompagné de menaces de mort, pistolet braqué sur le
ventre à l'appui. Ils s'en est suivi un rassemblement devant le siège de
la compagnie qui s'est terminé en bagarre de rue suite à l'arrivé
agressive d'un groupe de nervis de l'UOCRA. Un « escrache » (action
surprise de dénonciation publique) a ensuite eu lieu de nuit devant la
maison de l'ingénieur principal de la mine qui fut réveillé et
abondamment traité de tous les noms par une quarantaine de
manifestant(e)s. La FORA locale a évidemme nt participé, dans la mesure
de ses petits moyens, à toute cette agitation. Nul doute en tout cas que
la compagnie minière va revenir à la charge dans quelques mois avec un
nouveau projet « plus sûr pour l'environnement »…
A Cholila, à quelques heures de bus d'Esquel, une autre Société de
Résistance existe et participe à une expérience de communauté «
libertaire » (composée de jeunes qui produisent de l'artisanat), perdue
dans la montagne et les bois, qui connaît des hauts et des bas,
confrontée qu'elle est, entre autres, à une difficile situation
économique, ainsi qu'à des problèmes interpersonnels et de fonctionnement
interne.
Une rencontre anarchiste régionale, apparemment parfois assez chaotique,
s'y est tenue en Janvier de cette année et a rassemblé des anars
d'Esquel, Bariloche, Viedma , Bolson… Elle a donné lieu à une coupure de
route nationale menée par une trentaine de compagnons masqués et qui a
durée 3 heures environ avec slogans anti-mine peints sur la route et diff
de tracts. Aucun(e) participant(e) n'a pu être identifié(e) par la police
présente sur les lieux, fort heureusement d'ailleurs vu que l'affaire a
fait grand bruit (la première coupure de route depuis fort longtemps en
Patagonie, région peu touchée par la forte agitation sociale qu'a connu
le reste du pays) et donné lieu à un dépôt de plainte de la part des
autorités de la province et de la chambre de commerce et d'industrie
d'Esquel.
La Fédération Libertaire Argentine (FLA) :
J'ai eu peu de contacts avec cette organisation. Elle revendique 50 à 60
membres dans tout le pays et est implantée essentiellement dans le grand
Buenos Aires. Elle dispose d'un immense local cependant assez vétuste là
encore. Des rénovations partielles ont parfois lieu lorsque arrive un peu
d'argent de l'étranger. Elle dispose d'un fond d'archive et d'une
bibliothèque relativement important. Pas mal d'universitaires y passent
pour y faire des recherches. On y trouve quelques vieux, quelques
cinquantenaires et une majorité de jeunes (entre 20 et 30 ans). Elle
publie « El Libertario » mais apparemment de manière très sporadique, le
dernier numéro que j'ai pu me procurer datant semble t'il (à mon grand
étonnement) de décembre 2001. Certains de ses membres sont investis dans
les assemblées populaires et y diffusent irrégulièrement une petite
feuille de choux i ntitulée « De Pie » (Debout). La FLA édite aussi à
l'occasion, suivant ses moyens financiers, quelques petits bouquins sur
l'histoire du mouvement argentin ou présentant l'anarchisme. Je n'ai pas
eu le sentiment qu'elle était très dynamique.
Ses relations avec la FORA semblent chargées de vieilles querelles, les
vieux de la FORA ne lui ayant jamais pardonné d'avoir pactisé, par haine
du péronisme, avec certains coups d'Etat militaires.
La bibliothèque populaire « Jose Ingenieros » :
Elle fut fondée en 1935 par des anarchistes et quelques socialistes qui
n'y restèrent pas longtemps. Elle a déménagée à plusieurs reprises, fut
fermée par Peron de 49 à sa chute en 55, connut ensuite des descentes de
police, certains de ses participants ou proches « disparurent » durant la
dictature. D'innombrables conférences, projections, expos etc…ont été
organisée par ses membres. Elle est propriétaire depuis les années 50 de
son propre local, assez grand et assez bien entretenu. Une dizaine de
personnes y participent actuellement dont quelques vieux bien attachants.
Elle accueille
traditionnellement dans ses locaux les réunions de divers groupes ou
associations à caractère libertaire. Ses archives ne sont pas énormes,
par contre on peut y trouver une grande quantité de livres sur tous les
thèmes. Cette bibliothèque est apparemment considérée comme une sorte de
lieu « neutre » et semble avoir de bonnes relations avec la FLA, la FORA,
le journal « La Protesta » etc…
« La Protesta » :
Je n'ai pas rencontré les animateurs de ce titre historique (crée en 1897
et qui doit dépassé le 8220ème numéro) du mouvement anar argentin. C'est
un journal format standard de 8 pages qui est diffusé surtout dans le
grand Buenos Aires. Le groupe qui l'édite semble collaborer régulièrement
avec un autre groupe qui s'appelle « Libertad ».
Le groupe « Libertad » :
Je n'ai pas non plus rencontré ce groupe qui édite un journal du même nom
(bimestriel, 8 pages format standard, diffusé là encore surtout dans le
grand Buenos Aires). Ils organisent avec « La Protesta » des actes
conjoints lors du 1er Mai. Ces 2 groupes ne semblent pas dépasser la
dizaine de participant(e)s chacun. Le tirage de leurs journaux doit être
de 500 exemplaires, peut être 1000 pour La Protesta dont une partie
envoyée à l'étranger. Leur ligne politique semble être d'un anarchisme
classique et sourcilleux.
L'Organisation Socialiste Libertaire (OSL) :
L'OSL, que je n'ai pas rencontrée, ne semble pas réunir plus d'une
poignée de membre et son activité essentielle semble être de publier « En
La Calle » (Dans la rue), journal « de l'anarchisme organisé », un
mensuel plutôt bien présenté, format standard, 8 pages, diffusé
apparemment à 1000 exemplaires, dont une partie à l'étranger. Ses
quelques membres semblent avoir des activités au sein de MTDs du grand
Buenos Aires. Il semble que la parution et diffusion à l'étranger du
journal, assez « luxueux », repose en bonne partie sur l'appui financier
que lui procure le réseau « Solidarité Internationale Libertaire » (SIL).
L'Organisation Révolutionnaire Anarchiste (ORA) :
Ce groupe, apparemment assez récent, je ne l'ai pas non plus rencontré.
Ce qu'on m'en a dit, c'est qu'il regroupait 5 à 10 membres. Il publie une
feuille de choux mensuelle intitulée « Resistencia » (format A4, 8
pages). Il semble constitué principalement d'étudiant dont l'un au moins
serait issu d'une famille de dirigeants du Parti Communiste
Révolutionnaire maoïste ce qui pourrait expliquer le « profil » politique
pour le moins surprenant de cette organisation « anarchiste » qui parle à
longueur de page «
d'avant-garde révolutionnaire », de « gouvernement des travailleurs », de
« programme ouvrier et de masse », de « travail militant en cellule »,
prône « un gouvernement ouvrier et paysan et la création de milices
populaires d'autodéfense en Irak pour lutter contre la guerre
yankee-impérialiste » (du pur délire).
Le groupe AUCA et le Mouvement pour l'Unité Populaire (MUP):
Quittons maintenant la capitale pour La Plata, grande ville universitaire
(600 000 habitant(e)s environ) située à une soixantaine de Kms au sud.
J'y ai rencontré le groupe AUCA-Socialisme Libertaire. Ce groupe
rassemble une quinzaine de militant(e)s et publie à 500 exemplaires un
journal bien présenté, nommé « Ofensiva Libertaria », format standard, 8
pages. Ce petit groupe, composé essentiellement d'étudiants et de jeunes
chômeurs anciens étudiants, offre la particularité d'être à l'origine de
la création d'un important mouvement piquetero dans le secteur de La
Plata et du district de Quilmes, à savoir le MUP.
Préoccupés depuis fort longtemps par le manque d'insertion sociale de
l'anarchisme, ils ont entamé il y a plusieurs années de cela un travail
dans certains quartiers pauvres. Avec l'aggravation de la crise,
l'explosion sociale de Décembre 2001 et l'obtention par les mouvements
piqueteros de la possibilité de gérer directement une partie des plans
individuels d'aide sociale, le MUP a, comme la plupart des autres
mouvements piqueteros, considérablement grandi. Il regrouperait
aujourd'hui plus de 1000 personnes, organisées en un « front » des
quartiers et un « front » étudiant, et gérerait plusieurs centaines de
plans.
Au niveau des quartiers et bidonvilles, le travail du MUP a consisté à
développer des « comedores » (des sortes de cantines populaires pour les
gamins), du soutien scolaire, des jardins potagers, des fours à pain etc…
Le MUP s'est également préoccupé de santé publique (les conditions
sanitaires et médicales) sont souvent très mauvaises dans les zones
pauvres et participe, avec d'autres mouvements piqueteros de la zone, à
une « Coordination de Santé Publique » qui a mené des blocages de
laboratoires pharmaceutiques et des campagnes de collectes dans les
pharmacies, ce qui lui a permis d'obtenir plus de 33 000 traitements
médicamenteux divers qui ont été répartis dans les dispensaires des
différents mouvements qui composent cette coordination.
Au niveau universitaire, AUCA a impulsé la création d' « aguas negras »
(Les Eaux Noires), association étudiante, qui s'est alliée avec les
maoïstes et des péronistes de gauches s'inspirant des montoneros (groupe
« Quebracho ») pour s'emparer de la direction de la fédération des
étudiants de La Plata qui était contrôlée avant Décembre 2001 par des
péronistes libéraux. Ils ont présenté avec leurs alliés des listes aux
élections, ont des élus dans certains départements universitaires et
participent donc, à ce titre, aux organismes « paritaires » de
l'université.
Ils ont occupé il y a quelques mois.avec le MUP un collège privé qui a
fait faillite dans le centre de La Plata et qui leur offre désormais un
vaste espace pour se réunir, héberger des gens, mettre en place une
bibliothèque, du soutien scolaire, réaliser des réunions publiques etc…
AUCA bénéficie donc d'une « caisse de résonance » importante avec le MUP
mais, en même temps, se retrouve débordé par la charge de travail et
confronté aux mêmes problèmes que tous les autres mouvements piqueteros.
Leur utilisation et gestion directe des plans individuels d'aide sociale
a attiré dans le MUP plein de gens non politisés qui venaient poussés par
la nécessité d'obtenir un plan, il faut alors former politiquement et
pratiquement ces personnes, mettre en place un fonctionnement
participatif et démocratique (ce qui ne s'improvise pas surtout avec des
gens
inexpérimentés et passifs surtout au début). Dans la période actuelle de
reflux des luttes sociales, l'Etat va probablement chercher à reprendre
le contrôle de la gestion de l'ensemble des plans d'aide sociale ce qui
viderait les mouvements piqueteros de la majeure partie de leurs membres.
Pour t enter de parer à cela, il faut alors tenter de mettre en place des
projets productifs (boulangerie artisanale, jardins potagers, petits
élevages de lapins et de poules, ateliers de ferronnerie…) susceptibles
de faire rester les gens dans le mouvement même après que l'Etat ait
fermé le robinet des plans d'aide.
Par ailleurs, AUCA, qui dit s'inspirer des pratiques de la Fédération
Anarchiste Uruguayenne (FAU, à savoir organisation spécifique de type
plateformiste articulée avec des fronts « larges » d'action étudiants,
ouvriers, syndicaux et de quartiers), tend à reproduire le schéma
léniniste d'une avant-garde politique articulée à une organisation de
masse à recrutement « large », peu politisée de fait et au moins
partiellement instrumentalisée en fonction des objectifs de
l'avant-garde.
Sa volonté d'insertion et d'implantation, de développement logistique et
numérique l'a également conduit à entrer dans le jeu de la représentation
électorale à l'université en vue d'y constituer une base d'appui reposant
en partie sur une présence dans les institutions, quitte à nouer pour
cela des alliances contre-nature avec des groupuscules autoritaires. AUCA
fait également référence à la construction d'un « pouvoir populaire », «
d'un gouvernement de ceux d'en bas » reposant sur les formes
d'organisation dont se dotent les « forces populaires » et sur des
alliances stratégiques entre organisations révolutionnaires. Ce pouvoir
aurait un contenu « national, anti-impérialiste, populaire et
démocratique » et se développerait, au moins au début, « dans le cadre
général de l'Etat bourgeois ». Comme on peut le constater, même si leur
références idéologiques sont anarchistes (de tendance nettement
plateformiste et classiste), leur culture et stratégie organisationnelle
est indubitablement et fortement teintée de marxisme voire de léninisme.
Cela explique que malgré son insertion sociale réelle et sa volonté
affichée de faire « descendre l'anarchisme dans la rue », la plupart des
autres groupes libertaires du pays considèrent AUCA avec méfiance ou
hostilité, comme étant un groupe à la marge ou même en dehors du
mouvement anarchiste.
Les « indépendants » de La Plata :
C'est moi qui les appelle ainsi vu qu'ils n'ont en fait pas de nom. Ils
sont une poignée de militantEs anars, en majorité issu d'une même famille
de libertaires. Eux aussi bossent depuis plusieurs années dans quelques
quartiers pauvres. Ils ont commencé à développer dans l'un d'entre eux
une bibliothèque populaire sur un terrain squatté. Ils ont construit
leurs locaux avec du matos de récupération. Après l'explosion sociale de
décembre 2001, ils ont mis en place aussi un comedor, un potager, du
soutien scolaire, une bourse aux vêtements, un four à pain et agrandi
leurs locaux peu à peu avant de mettre en place une expérience du même
type dans un bidonville. Ils ont eu recours aux plans individuels d'aide
sociale et ont eu l'autorisation de les gérer directement suite à des
actions d'occupation et de blocage de rues. Environ 80 plans sont gérés
dans le cadre de cette expérience militante. Les anars et militantEs de
gauche indépendants, autogestionnaire qui y participent ne forment pas
une organisation, plutôt une sorte de réseau qui s'est constitué sur le
tas, au gré des rencontres qui se sont effectuées à partir de la
pratique.
La participation du plus grand nombre, la collectivisation du
fonctionnement, la diversification des activités sont des préoccupations
assez centrales pour eux. Ils ont en projet un atelier de ferronnerie et
un élevage de lapins susceptible d'approvisionner en viande leur comedor.
Ils rencontrent les mêmes problèmes que tous les autres mouvement de
chômeurs (comment faire participer les gens venus poussés par la
nécessité, collectiviser les savoirs, s'auto-organiser, parer au risque
de réforme de la gestion des plans d'aide etc… ?).
Certains d'entre eux participent au collectif « Letra Libre » qui se
destine à publier des ouvrages sur l'anarchisme. L'édition simultanée
d'un recueil de textes de Chomsky sur l'anarchisme et d'un ouvrage d'un
sympathisant libertaire uruguayen sur le mouvement social argentin actuel
semble imminent.
La bibliothèque populaire « Alberto Ghiraldo » de Rosario :
Cette bibliothèque a apparemment été fondée dans les années 40 par des
anars à Rosario, une assez grande ville à quelques heures de bus de la
capitale. Elle a déménagé au gré des locations mais s'est maintenue sans
discontinuer depuis cette époque. Une vingtaine de personnes, dont pas
mal de jeunes, y sont particulièrement impliquées. Les archives sont
réduites mais il y a pas mal de bouquins. Des projections vidéos, des
débats y sont régulièrement organisés. Pas mal de jeunes et quelques
assembléistes s'en sont rapprochés depuis Décembre 2001. Leur situation
financière est limite, ils rament pour payer les loyers, les factures et
les impôts locaux grâce à leurs
cotisations, souscriptions, dons, bénéfices tirés de petites fêtes etc...
Leur bail touche à sa fin et il va falloir qu'ils déménagent de nouveau.
La bibliothèque accueille les réunions d'un petit cercle d'ét udes
sociales non spécifiquement libertaire et celle d'un collectif anar assez
récemment crée, le « Collectif Pensée et Action ». Le lieu m'a paru
assez vivant, pas mal fréquenté par des gens assez dynamiques. Ils
auraient bien besoin d'un petit coup de pouce.
Le Mouvement Anarchiste de Libération Ouvrière (MALO) de Bariloche :
Je n'ai pas rencontré ce groupe isolé qui fut récemment découvert par les
potes de la FORA de Patagonie. Découvert est bien le mot car le MALO est
bel et bien une sorte de « miracle » politique.
Le premier Mai 2002, des anars de Cholila, Esquel, Bolson se sont rendus
en bus à Bariloche, à quelques heures de voyage d'Esquel, pour mener une
petite action de soutien aux prisonniers politiques. A l'une des entrée
de la petite ville, leur bus a été arrêté par un blocage piquetero (pneus
qui crament, gens cagoulés avec des gourdins etc…). Ils descendent voir
ce qui se passe et aperçoivent un drapeau noir flottant au milieu des
piqueteros. Ils s'approchent, se présentent comme étant des anarchistes
et tombent sur des jeunes ravis de constater qu'il y a d'autres anars
dans la région. Eberlués, les compagnons de la FORA apprennent
l'existence du MALO, créé par un groupe d'une trentaine de jeunes issus
d'un bidonville qui survit grâce au recyclage des ordures de la grande
décharge qui le jouxte. Le MALO semble exister depuis 4 ans, procède tous
les premier Mai à des c oupures de routes à l'entrée de la ville,
participe activement à une sorte de mouvement piquetero informel issu du
bidonville, pratique en son sein des blocages de routes donnant lieu à
des prélèvement de « taxes » sur le transport de passagers et de
marchandises. Avec l'argent récolté, ils achètent de la bouffe en gros
pour le comedor populaire crée pour alimenter les gaminEs du bidonville
ou en refilent une partie à la mère de l'un d'entre eux abattu par la
police il y a 2 ans. A l'occasion de cet assassinat, ils ont détournés
des bus avec d'autres habitantEs du bidonville et ils sont descendus avec
en centre ville où ils ont commencé à ravagé les vitrines des commerces.
Ils sont tous jeunes. Les plus vieux doivent avoir 21 ou 22 ans. Il
semble que ce soit eux qui soient tombés sur un peu de propagande
anarchiste. Après en avoir discuté et cherché un peu plus d'infos sur le
sujet, ils se sont décidés à monter un groupe qui fut bientôt rejoint par
une partie des jeunes du bidonville. Le niveau politique semble assez
faible et marqué par une nette tendance à l'illégalisme. Une partie des
jeunes du groupe n'échappe pas à la réalité de leur milieu et ont des
problèmes d'alcool, de
stupéfiants et certains se dédient à des activités de cambriolage dans
les maisons des riches ou des classes moyennes. Ils sont aussi connu pour
avoir pillé un hangar appartenant à l'église. Ce hangar situé prés du
bidonville contenait du matériel de construction (ciment, tôles, briques,
planches etc…) destiné aux œuvres de charité et du matériel du même type
s tocké là par un entrepreneur privé. Le pillage, réalisé par la majeure
partie de la population du quartier, a donné lieu à un affrontement de
plusieurs heures avec la police qui a finalement été obligée de se
retirer. Le hangar est depuis entre les mains du MALO.
Le comedor du quartier a été attaqué en plein jour par des junkies
vraisemblablement recrutés par les politiciens locaux pour intimider les
gens du quartier. Des coups de feu ont été tirés sur la cantine où des
femmes et des enfants préparaient la bouffe. Certains jeunes du MALO se
sont depuis procurés des armes pour leur auto-défense et celle du
comedor.
Ils ont participé à la première rencontre libertaire de Patagonie en
Janvier et ont organisé la deuxième en Avril dans leur hangar. Je ne sais
pas ce qu'a donné cette rencontre, j'ai quitté la région peu de temps
avant mais les dernières nouvelles n'étaient pas bonnes. A force de
faire parler d'eux, ils ont finit par faire l'objet d'un harcèlement
policier. Une unité anti-émeute a été dépêchée à Bariloche et faisait
régulièrement des descentes et des perquisitions dans le bidonville.
Certains membres du MALO ont été systématiquement raflés, frappés et
menacés au point que certains d'entre eux ont du se barrer pour quelques
temps. Le contexte de la deuxième rencontre libertaire semblait donc
particulièrement tendu.
Quelques bribes d'infos sur d'autres groupes :
Il a des groupes constitué également à Cordoba et Mar Del Plata. Ils
semblent actifs de puis des années. Leur taille est réduite. Un petit
local existerait à Cordoba. Un petit réseau libertaire aux activités
sporadiques existe à Viedma. Il porterait le nom d'Antonio Soto, un des
militants de la FORA qui anima les grandes grèves des ouvriers agricoles
de Patagonie en 1921 qui furent sauvagement réprimées par l'armée. Ses
activités semblent fluctuantes. Quelques individus animeraient aussi
sporadiquement une Croix Noire Anarchiste à Buenos Aires (circulation
d'infos sur les prisonniers politiques révolutionnaires dans le monde).
Quelques individus de la capitale ont aussi commencé à publier une
feuille d'info intitulée « El Ilegal ». D'après ce qu'on m'a dit, il est
fréquent de voir se créer de petits groupes d'individus, d'anarcho-punks
qui collent quelques affiches, sortent quelques numéros d'un fanzine
avant de disparaître dans la nature.
Le mouvement anar argentin est donc fragmenté, les communications sont
difficiles, ils manquent de fric et d'expérience militante en ce qui
concerne les plus jeunes. Il règne parfois une certaine confusion
idéologique. Il ne doit pas y avoir plus de 300-350 anars organisés (plus
ou moins) à l'échelle du pays. Voilà l'essentiel de ce que je pouvais
dire sur le mouvement anar de ce pays.
COMMENT CONTACTER CES GROUPES ???
Voici les adresses de locaux, de boites postales et d'E-mail qui sont en
ma possession.
Je précise clairement que tous ces groupes sont dans le besoin. Si vous
passez les voir, il est souhaitable que vous leur apportiez de la presse,
quelques affiches, des autocollants, des infos sur le mouvement en
France, un peu de fric, quelques bouquins ou brochures en espagnol, un
peu de matériel de bureau. Il est préférable de se débrouiller en
espagnol pour communiquer. Les langues étrangères comme l'anglais ne sont
pas toujours pratiquées.
Ces groupes peuvent être intéressés par des « jumelages » avec des
groupes, syndicats ou organisations nationales françaises. A vous de voir
dans vos structures locales et/ou nationales si vous pouvez les soutenir
en collectant du pognon ou en collectant et transportant des ouvrages en
espagnol.
Pour prendre contact par E-mail, envoyez vos messages bien à l'avance,
les messageries n'étant pas toujours relevées fréquemment.
ATTENTION : il existe sur la capitale un groupe intitulé « Socialismo
Libertario » à la phraséologie vaguement libertaire. Il s'agit en fait
apparemment de trotskistes (drapeaux rouges dans leurs cortèges etc…).
FORA :
A Buenos Aires : local Calle Coronel Salvadores N°1200, adresse C. P.
1167 Buenos Aires, Tel :4303-5963, E-mail : fora...@hotmail.com ou
f...@data54.com
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