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Le droit a la beaute: reflexion sur la fonction sociale de l'art

Mary-Josée Brissette, Mercredi, Juin 4, 2003 - 14:28

Jean-Pierre Colin et Francoise Seloron

Parler du droit a la beaute peut paraitre incongru par les temps qui courent, a l'heure ou les habitants d'une d' une cite desheritee de Calais font la chasse a un jeune homme accuse de tous les crime sparce qu'il a une sale gueule, ou l'on peut mourir a Asnieres a treize ans et ou dans Sarajevo devastee continue a jouer imperturbalement un violoncelliste au milieu des ruines.

Justement, c'est aussi a cause de ces drames quotidiens que le droit a la beaute pour tous est devenu une urgence.Le droit a la beaute devrait etre un droit de l'homme et du citoyen.
Comment negocier dans une societe inegalitaire?
les roses apres le pain, toujours, depuis toujours.
Commencer par rendre a chacun sa dignite d'homme et de citoyen.
Reduire les injustices sociales et culturelles. Reconcilier l'art et la vie.
Retrouver les voies du "gai savoir".
Renouer l'alliance du politique et du poetique.
Changer la vie, changer la VILLE.
Vaste programme.
Aujourd'hui, alors que nous sommes tous orphelins d'une idee, d'un amour fou, d'une guerre, d'une UTOPIE, d'une reve enfoui, le temps est-il venu de la reconciliation ou de la rage generalisee dans la banlieue universelle ou nous vivons? Et qui va servir d'ange mediateur?
Entre deux cultures, entre deux mondes, entre les deux poles, entre les deux versants d'une contradiction, il y a toujours un lieu tiers ou le dialogue est encore possible, pour tenter d'y voir clair. L'ART est un de ces lieux tiers. Apres les pretres, les intituteurs, les psychiatres, est-ce le tour des artistes de prendre la crise du sens et de tous les dereglements sociaux sur le dos? Vont-ils devenir, avec les architectes et les poetes, les grabds reparateurs des plaies de la societe: echec scolaire, chomage, violence urbaine, exclusion des cites-ghettos?
A l'heure ou le contrat social se dechire, ou la ville et les ideologies se delitent, ou les reperes sensibles et les idees dures n'ont plus cours, l'artiste est-il appele a devenir l'officiant des situations desesperees, la sentinelle perdue qui continue a clignoter?
De tous temps,et selon les epoques, il a ete ce veilleur solitaire ou cet eveilleur de consciences. De tous temps, il a ete dans la douleur du monde.
Quelle fonction lui asssigner aujourd'hui dans un univers en proie au chaos?
Que peuvent produire ces rencontres d'un autre type ou l'univers singulier de l'artiste (ecrivain, plasticien, musiciern, cineaste, etc.) se frotte a l'univers songulier de ces autres exclus que sont les jeunes de banlieues, les immigres, les chomeurs, les prisonniers, les pauvres, les laisses-pour-compte, etc.?
Et quel role attribuer aux "mediateurs culturels" dans cette aventure? S'agit-il d'un metier nouveau pour un nouveau paysage? Ou bien, comme le dit Jean Hurstel, faudra-t-il toujours des chefs de gare et des porteurs d'eau?
Est-il vrai qu'il y ait trop de mediateurs et pas assez d'artistes? Trop de technocrates et pas assez de poetes, et qu'on appelle toujours ceux-ci quand il est trop tard?
Quelles reslations le prince entretient-il avec les artistes? Connivence, fascination et mefiances reciproques?
Les artistes sont-ils condamnes a n'etre que les fous du roi, ou les exiles du royaume? ou, au contraire, leur fonction dans la societe est-elle "aussi necessaire que les services du gaz et de l'electricite", comme l'affirmait Jean Vilar?
Peut-on encore entretenir la croyance en l'art? La question posee au colloque d'Apt, en fevrier 1990, par une trentaine d'artistes-penseurs est-elle toujours d'actualite?
La culture est-elle devenue la religion moderne d'Etat, comme le pretend Marc Fumaroli?
Le theatre a-t-il perdu son role contral dans l'imaginaire collectif de l'Occident, comme semble le regretter Robert Abirached? (Le theatre et le prince, Plon, 1992)
Si on entretient la confusion du "tout culturel" selon laquelle un livre est euivalent a une planche a voile,ou a une sortie au restaurant, si on deprecie le role fondamental de la culture, si, comme l'ecrit Daniele Sallenave dans "Le don des morts", la culture n'est consideree que comme un privilege, "un apenage des elites, ou l'autre nom du loisir distingue, et non pas le lieu de l'arrachement a soi et de l'ouverture au monde", alors a quoi sert de se battre pour la rendre accessible au plus grand nombre?
Des colonnes de Buren a Black-Blanc-Beur
de l'art public au tags
comment se decline aujourd'hui l'articulation artistes-societe?
Tel est l'objet de cette etude.
Mettre en scene, confronter les experiences et les paroles d'artistes, ecrivains, gens du theatre et d'images, ceux qui empoignent le reel et ceux qui temoignent autement de leur siecle. Tenter de redefinir leurs roles dans le paysage culturel et social depuis dix ans.
L'ere Lang fut celle
de la fete de la musique et du prix unique du livre
de Balieue 89 et de SOS racisme
de l'arche de la Defense et de la pyramide du Louvre
des potes et des yuppies
des chomeurs et des tagueurs
des sqatts et du rap
des artistes de tous poils et des stylistes de toutes les couleurs.
L'ere de la communication et des mots nouveaux
cafes-musique, scenes nationales, quartiers lumiere
celle des sigles et des slogans ravageurs
la Ruee vers l'art et la fureur de lire
les DRAC,FRAC et DSQ
celle des appellations controlees et des comportements renouveles
commande publique, equipes "commando"
createurs associes, artistes en residence
L'ere des fulgurances et du fragment
Zapper sur un lieu, une idee, un projet
Inventer des formes nouvelles de jouissance en partant d'un bout de territoire et de souffrance
Prendre la ville en otage, reconquerir les "espaces perdus" pour reconstruire l'identite perdue.
Apres la faillite de l'animation culturelle, apres la defaite de l'artiste engage, apres le silence des intellectuels, apres la "trahison des clercs", quelles nouvelles figures pour quelles nouvelles tranformations sociales? Qui sont-ils ceux qui acceptent d'etre confrontes au reel, d'aller sur le terrain, de descendre dans l'arene de la vie ordinaire? Des chroniqueurs du mal de vivre? Des poetes du desarroi? Des createurs de mythes pour temps desespere?
Puisque la pedagogie de l'art par l'action culturelle a echoue, l'espoir est peut-etre contenu dans une nouvelle alliance de la culture et de l'education nationale au sein d'un meme ministere: le chemin de la democratisation culturelle passe en priorite par l'ecole mais aussi par toutes les formes d'apprentissage a la vie, d'eveil de la sensibilite, d'appropriation du reel et d'ouverture au monde que peuvent susciter le choc et la frequentation des oeuvres et des artistes.
Il semble que renaisse actuellement le besoin de redonner sens au monde, de penser, de debattre, de devenir autre. De retrouver le chemin de l'echange, de la confrontation, de l'alterite et du melange.
"La beaute sera convulsive ou ne sera pas>, ecrvait Andre Breton.
Aujourd'hui qui est deja demain,la beaute va naitre ou on ne l'attend pas...

***Ce texte est l'avant-propos du livre "Le mandarin etrangle", paru en 1994 aux editions Publisud, qui est en fait un essai et une reflexion sur la fonction sociale de l'art.



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