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Bush-Saddam - Noces de sang à Baghdad

Anonyme, Samedi, Mai 10, 2003 - 19:15

Zehira Houfani

Verser des larmes en Irak ! qui trouverait cela surprenant ? Dans notre groupe Irak Peace Team (IPT) composé de Québécois, de Canadiens, d’Américains, d’Australiens et d’Anglais, bien des larmes ont été versées, au gré des drames multiples qui nous ont interpellés, ça et là dans l’Irak meurtri. Ici, les larmes n’ont pas été une caractéristique de la gent féminine du groupe, et non, la fibre humaine s’est exprimée au-delà de tout, du sexe, de la couleur de la peau, de l’appartenance religieuse ou politique et de la nationalité. Le drame est si grand devant nos yeux, la douleur des gens si intense, leurs plaies si béantes et leurs cœurs décimés, à coup sûr le tableau irakien a de quoi faire pleurer bien des gens sur notre planète, à défaut de les insurger.

Oui, l’Irak peut provoquer toutes sortes de sentiments en nous : la compassion pour les populations soumises à toutes sortes de tortures et de privations, la tristesse aussi de voir ce pays déchiré entre la tyrannie interne et les convoitises externes, mais plus fort que tout, cette colère de savoir d’où vient le « mal », de crier à son passage, et de finir par le laisser passer sans rien pouvoir y faire pour épargner ses victimes. Un état d’esprit partagé par nombre de militants pour la paix et autres humanistes de par le monde dont nous, les membres de Irak Peace Team. Et pour cause… Nous en Irak qui luttions pour la paix ,et les millions de manifestants anti-guerre à travers le monde, nous avons tous subi une défaite devant la terreur guerrière et corruptrice de l’empire étasunien. Nous étions, pour la seconde fois depuis le 11 septembre 2001, confrontés à notre incapacité d’enrayer le monstrueux déferlement de la guerre contre les populations que nous entendions protéger.

Un camp de la paix immense, qui échoue tout de même

Pendant de longs mois, l’administration étasunienne a investi des milliards de dollars en propagande pour conditionner le monde à sa guerre contre l’Irak. Des armes de destruction massive, elle a fait son cheval de bataille. La planète entière a été suspendue au fil de nouvelles made in USA. Nous avons eu droit à un show onusien digne des maîtres du suspense, nous balançant entre le camp de la paix et celui de la guerre. Le premier représentant la France, l’Allemagne, la Russie et les millions d’individus et groupes hostiles à la guerre, et l’autre formé d’un semblant de coalition entre les gouvernements étasunien, britannique et espagnol.

Malgré l’insistance des stratèges pro-guerre, leur pression sur les pays potentiellement hostiles à leurs actions, nous avons conservé l’espoir de l’émergence d’un mouvement humain capable de substituer la paix à la guerre et la raison à la force. Nous y avons d’autant cru que les rues des villes nord-américaines, européennes, asiatiques, etc. entretenaient notre espoir en nous renvoyant une image si puissante de la paix que notre courage s’en trouvait renforcé. Un courage que nous transmettions aux Bagdadis de la part des populations Québécoises pour ce qui nous concerne. Toutes ces dizaines de milliers de personnes qui, sous les cris de NON À LA GUERRE, faisaient vibrer les rues de Montréal, de Québec, de Trois-Rivières, de Rimouski, et cela sous une température de moins 20 Celsius, comment ne pas croire que la Paix sortirait victorieuse du bras de fer dans lequel les Etats-Unis s’apprêtaient à enfermer le monde. Eh bien, nous nous sommes trompés et la PAIX a perdu devant la force et l’arrogance. Cette brutale réalité s’est abattue sur moi, sur nous, en même temps que les bombes se sont mises à pleuvoir sur les Irakiens.

Du coup, le vertige de la destruction s’est emparé de Bagdad sous nos yeux, saccageant vies et biens, traquant et frappant les gens jusque dans leur dernier retranchement, leur culture, leur histoire et leur identité, tuant femmes et enfants, jeunes et vieux, ne laissant sur son passage qu’un peuple à la mémoire violentée, à genoux devant son nouveau dictateur : l’armée des États-Unis.

La nouvelle dictature en Irak

Alors que les écrans de télévision du monde retransmettaient une grossière mise en scène montrant une foule hystérique mettant en pièce la statue de Saddam, Bagdad semblait déserte de ses 6 millions d’habitants. Où étaient-ils passés ? Pourquoi n’étaient-ils pas dehors pour acclamer et fêter les nouveaux maîtres de Bagdad ? D’autant que Bush et Rumsfeld anticipaient devant les caméras la joie des Irakiens face aux militaires étasuniens. Non, l’envahisseur étasunien n’a pas été célébré par les Irakiens, nonobstant les images et autres trucages diffusés par les médias occidentaux, surtout les télévisions, soucieuses de faire entendre le triomphalisme de Bush.

L’invasion de l’Irak par l’armée des États-Unis est un désastre total pour les populations. Ce que les bombardements ont épargné de leurs villes et de leur vie, le pillage et le chaos les ont emportés. Hôpitaux, universités, écoles, entreprises, musées et bibliothèques, rien n’est debout, rien de ce qui était les biens publics du peuple irakien n’a été protégé par l’envahisseur étasunien, excepté le ministère du pétrole, donnant ainsi au monde entier la preuve du véritable enjeu de sa guerre en Irak.
Si la majorité des Irakiens souhaitait réellement un changement de régime, la chute de Saddam, bien peu d'entre-eux auraient souscrit à ce désastre d’envergure que les dirigeants étasuniens avaient prescrit à leur pays. D’autant, que les maîtres d’œuvre de ce chaos sont d’anciens alliés du dictateur, ceux-là mêmes qui les avaient condamnés à vivre le martyre, écrasés entre l’enfer des sanctions économiques et celui du régime de Saddam, et ce, pendant plus de 12 ans. Une politique génocidaire! selon Denis Halliday, le fonctionnaire de l’Organisation des Nations unies (ONU) chargé de les appliquer en Irak.
Ce qui est à craindre aujourd’hui, c’est la désintégration du peuple irakien et son passage à une guerre civile qui lui sera fatale, d’autant que l’armée d’occupation n’a pas cessé de jouer la carte de la division ethnique et religieuse pour opposer les populations les unes contre les autres.

Parler de libération et de démocratisation face au bain de sang et aux massacres commis en Irak par les États-unis, c’est fermer les yeux sur un autre crime contre l’humanité, semblable par beaucoup de points, à celui qu’Israël pratique depuis des décennies sur le peuple palestinien sans soulever l’indignation de la communauté internationale. Pourtant, il est dit haut et fort que l’humanité a évolué, qu’elle s’est dotée de lois, d’institutions et de moyens à même d’assurer les droits de ses membres, d’empêcher l’exploitation des uns par les autres, de proscrire la discrimination et l’esclavage et de bannir de la civilisation humaine tout traitement inhumain. Force est de constater aujourd’hui, que pour de nombreux peuples sur notre planète, ces principes n’existent pas. L’exemple de la recolonisation de l’Irak en 2003 est édifiant et nous interpelle tous, militants pour la paix, humanistes, politiciens, journalistes, groupes communautaires ou individus, où que nous soyons, à dire non aux ambitions de l’empire étasunien fondées sur sa puissance arrogante et son mépris de l’autre. L’ère des conquêtes est révolue et il appartient aux sociétés civiles d’en faire une vérité pour notre monde.

Zehira Houfani
Écrivaine et journaliste
Membre de l’équipe de Paix pour l’Irak (IPT Québec-Canada)
Tél. : (514) 332-8308

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