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Un débat démocratique sur la prostitution exige le respect mutuel des interlocuteursMarie-Neige, Mercredi, Avril 16, 2003 - 09:35
Stella
Dans un texte précédent, nous avons mis en évidence la différence de stratégies qui oppose les abolitionnistes et les associations de défense de travailleuses du sexe dans le débat sur le prostitution: criminalisation pour les premières, décriminalisation pour les secondes. Aujourd’hui, nous voulons souligner quelques uns de procédés utilisés par Yolande Geadah dans sa récente étude (La prostitution un métier comme un autre? VLB 2003) pour gagner le débat: le dénigrement de la partie adverse. Parmi les mille et une affirmations incluses dans la récente charge abolitonniste de Yolande Geadah contre le travail du sexe, certaines sont profondément gênantes : l’insistance mise à discréditer non seulement la demande des associations qui défendent les droits des personnes s’adonnant au travail du sexe, soit sa décriminalisation , mais encore les associations elles-mêmes . Ici, on passe à un autre régistre : ce ne sont plus seulement les revendications qui sont remises en question (ce qui est de bonne guerre dans un débat démocratique) , mais les personnes représentant ces associations, les porteuses mêmes des revendications. Le dénigrement des associations de travailleuses du sexe Les procédés rhétoriques utilisés pour y parvenir méritent qu’on s’y arrête, car ils font partie de l’arsenal des croisades plus que de celui du débat démocratique, qui présuppose le respect mutuel des interlocuteurs. Dans son livre, Madame Geadah jette en effet le doute sur la représentativité des groupes de défense des travailleuses du sexe en parlant de leur «prétention de parler au nom des prostituées». Ainsi, par exemple, elle dénie toute crédibilité à l’instigatrice des mouvements de défense de prostituées, Margo St-James, (fondatrice du groupe COYOTE en 1973 aux Etats-Unis), sous prétexte que son expérience «de la prostitution n’était pas une expérience de vie, mais une expérience ponctuelle». Ce qui l’autorise plus loin à dire que ces associations, dans les réunions publiques, jouent «sur les émotions des gens», ceci «sur la base de l’émotion suscitée par une sorte de falsification». Cette accusation de «falsification» est grosse…. et pourrait nous conduire loin, jusque même devant les tribunaux…. Disons pour l’instant, pour l’information de Mme Geadah, que s’avouer publiquement travailleuse du sexe, ou prostituée, au moment où le métier se pratique toujours dans l’ombre, a un prix dans notre société, ici même au Québec, encore en 2003. Et ce prix, c’est la prison et/ou le harcèlement policier et/ou le harcèlement du voisinage. Ce prix, c’est encore le risque de perdre la garde de ses enfants et/ou son logement. Il s’agit en un mot d’un «coming-out» encore plus risqué que celui des gaies et des lesbiennes. L’auteure semble méconnaître le phénomène pourtant bien connu de nombre d’exclu-e-s de nos sociétés: la stigmatisation sociale. Alors, à défaut de la vivre, il faudrait peut être s’informer davantage sur le sujet….Cela pourrait peut-être mieux faire comprendre la question de la représentativité de celles qui, dans ces groupes, s’identifient «ex-prostituées» dans le mouvement des travailleuses du sexe. Pour le détail de la représentativité d’une telle association, on vous réfère à la charte de Stella. Un nouveau vocabulaire pour créer la confusion Parmi les autres procédés rhétoriques utilisés dans le livre de Madame Geadah, mentionnons celui qui consiste à mêler les cartes en créant un nouveau vocabulaire, des néologismes, qui non seulement brouillent la compréhension des choses, mais disent le contraire de la réalité. Ainsi, classe-t-elle les groupes qui prônent la décriminalisation du travail du sexe dans une nouvelle catégorie : les «néo-réglementaristes», brouillant ainsi la compréhension entre les paramètres juridiques de la prostitution que sont la criminalisation (grosso modo la stratégie des abolitionnistes), la décriminalisation (grosso modo la stratégie des associations de défense de droits des travailleuses du sexe) et la légalisation ( la réglementation de la prostitution par zonage, par permis et examens médicaux, à quoi s’opposent et les abolitionnistes et les associations de travailleuses du sexe). Les associations de défense des droits des travailleuses du sexe assortissent leur demande de décriminalisation d’une demande complémentaire : que les travailleuses du sexe soient , comme toutes les travailleuses et citoyennes, assujetties aux lois existantes en matière de santé, de travail, de sécurité au travail et de taxation. Accoler le terme «néo-réglementariste» à cette revendication, c’est créer une confusion avec la légalisation de la prostitution, à quoi s’opposent farouchement les associations de travailleuses du sexe. Un autre procédé utilisé pour discréditer ces associations consiste à parler d’elles, tout au long des 300 pages du livre, comme étant «pro-travail du sexe». L’utilisation de ce terme pour les qualifier est là pour créer encore le même type de confusion que dans le cas précédent et miner toujours plus leur crédibilité. Est-il besoin de souligner qu’il y a une différence, entre d’une part vouloir faire reconnaître une activité comme un travail et, de l’autre, en faire la promotion et une solution à la pauvreté et «au chômage chez les jeunes» , comme l’auteure le laisse démagogiquement supposer. Un groupe comme Stella ne fait ni l’éloge, ni la promotion de la vente de services sexuels. Il promeut la reconnaissance de cette activité comme un travail. Classer ce groupe comme «pro-travail du sexe», c’est encore une fois créer une confusion, qui ne peut en bout de ligne que discréditer ce genre de groupe qui offre entraide, soutien et information aux travailleuses du sexe actives, tout en défendant leurs droits humains fondamentaux. La référence à un «dogme» féministe Parmi les nombreux autres procédés utilisés par Y. Geadah pour discréditer les faits et gestes du mouvement des travailleuses du sexe, mentionnons enfin la référence à un supposé «dogme» féministe : ce mouvement aurait développé une vision politique de la prostitution «en rupture totale avec le cadre féministe classique». Faut-il d’abord rappeler ici qu’il n’existe aucun dogme en matière de «cadre féministe classique»? Une pensée globalisante peut voir ce «cadre féministe classique» comme un bloc monolithique. Cela pouvait à la limite sembler vrai il y a trente ans, dans l’effervescence du renouveau féministe, mais il apparaît bien difficile, aujourd’hui, de soutenir une telle affirmation…La position féministe abolitionniste n’est pas LA seule position féministe sur la question du travail sexuel. C’en est Une. Depuis les trente dernières années, en effet, le mouvement des femmes a lutté pour le changement des rapports de pouvoir hommes-femmes et la création d’espaces de liberté pour toutes les femmes . L’aménagement de ces espaces de liberté devait permettre le développement de diverses stratégies alternatives et /ou d’auto-organisation pour changer ces rapports. On peut se demander aujourd’hui pourquoi les travailleuses du sexe feraient-elles bande à part parmi toutes les catégories de femmes, et pourquoi ne seraient-elles pas autorisées à définir elles-mêmes leurs propres stratégies d’auto-organisation…. Pourquoi cette possibilité ne ferait-elle pas partie de ces espaces de liberté ouverts par le féminisme et le mouvement des femmes? Pourquoi, enfin, seraient-elles exclues de l’espace public citoyen? Les féministes abolitionnistes pourront-elles continuer longtemps à exclure, et à «abolir» ainsi certaines catégories de femmes de leur univers de pensée?
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