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Arundhati Roy, sur la guerresonia, Jeudi, Avril 10, 2003 - 20:48 (Analyses | Guerre / War)
Arundhati Roy
Mésopotamie. Babylone, Tigre. Euphrate Combien d'enfants, dans combien de salles de classe, pendant combien de siècles, se sont laissés glisser vers le passé, transportés par les ailes de ces mots ? A présent les bombes sont en train de tomber, brûlant et humiliant cette ancienne civilisation. Sur les flancs d'acier de leurs missiles, de jeunes soldats américains griffonnent des messages hauts en couleurs d'une écriture enfantine : "Pour Saddam", de la part du gros Posse. Puis un immeuble s'effondre. Une place de marché. Une maison. Une fille qui aime un garçon. Un enfant qui ne voulait rien d'autre que de jouer avec les billes de son grand frère. Mésopotamie. Babylone, Tigre. Euphrate Combien d'enfants, dans combien de salles de classe, pendant combien de siècles, se sont laissés glisser vers le passé, transportés par les ailes de ces mots ? A présent les bombes sont en train de tomber, brûlant et humiliant cette ancienne civilisation. Sur les flancs d'acier de leurs missiles, de jeunes soldats américains griffonnent des messages hauts en couleurs d'une écriture enfantine : "Pour Saddam", de la part du gros Posse. Puis un immeuble s'effondre. Une place de marché. Une maison. Une fille qui aime un garçon. Un enfant qui ne voulait rien d'autre que de jouer avec les billes de son grand frère. Le 21 Mars, le lendemain de l'invasion et de l'occupation illégales des troupes Américaines et Britanniques, un correspondant "embarqué" de CNN interviewait un soldat Américain. "Je veux y aller et me salir les mains," a dit le deuxième classe AJ. "Je veux venger le 11 Septembre." Pour être honnête avec le journaliste, bien qu'il fusse "embarqué" il a quand même faiblement essayé de suggérer qu'il n'y avait aucune véritable preuve pour associer le gouvernement irakien aux attaques du 11 Septembre. Le deuxième classe AJ a tiré sa jeune langue jusqu'à son menton. "Ouais, ces trucs me dépassent", a-t-il dit. Selon un sondage du New York Times et CBS, 42 pour cent des Américains croient que Saddam Hussein est directement responsable des attentats du 11 Septembre contre le World Trade Centre et le Pentagone. Et un sondage d'ABC indique que 55 pour cent des Américains croient que Saddam Hussein apporte un soutien direct à Al-Qaeda. Nous n'avons pas de chiffres sur le pourcentage de soldats Américains qui croient à ces mensonges. Il est peu probable que les troupes Britanniques et Américaines qui combattent en Irak soient au courant que leurs gouvernements soutenaient Saddam Hussein à la fois politiquement et économiquement pendant ses pires excès. Mais pourquoi encombrer de tels détails le second classe AJ et ses camarades ? Cela n'a plus d'importance, n'est-ce pas ? Des centaines de milliers d'hommes, des tanks, des bateaux, des hélicoptères, des bombes, des munitions, des masques à gaz, des rations alimentaires protéinées, des avions remplis de papier hygiénique, de crèmes contre les moustiques, de vitamines et de bouteilles d'eau minérale, sont en route. La logistique phénoménale de l'opération Liberté pour l'Irak en fait un univers à elle toute seule. Elle n'a plus besoin de justifier son existence, elle existe. Elle est. Le Président George W. Bush, commandant en chef de l'armée, de la marine et des forces aériennes des États-Unis, a donné des instructions claires : "L'IRAK. SERA. LIBERE." (Peut-être veut-il dire que même si les Irakiens sont tués, leurs âmes seront libérées.) Les citoyens américains et britanniques abandonnent à leur commandant suprême le soin de penser et se regroupent derrière leurs troupes. Leurs pays sont en guerre. Et pour une guerre, c'est une sacrée guerre. Après avoir utilisé les "bons offices" de la diplomatie de l'ONU (sanctions économiques et inspecteurs en armement) afin de s'assurer que l'Irak serait à genoux, son peuple affamé, 500.000 de ses enfants morts, ses infrastructures sévèrement endommagées, après s'être assurés que la plupart des armes avaient été détruites, dans un geste de lâcheté certainement sans précédent dans l'histoire, les "Alliés" envoyèrent une armée d'invasion ! Opération "Liberté pour l'Irak" ? Je ne crois pas. On dirait plutôt "Opération Faisons la Course, mais Laissez-moi d'Abord Vous Briser les Genoux". Jusqu'à présent, l'armée irakienne, avec ses soldats mal nourris et mal équipés, ses vieux fusils et ses vieux chars, avait réussi d'une manière ou d'une autre à désorienter et même parfois battre les "Alliés". Face aux forces armées les plus riches, les mieux équipées, les plus plus puissantes que le monde ait jamais connu, l'Irak a fait preuve d'un courage spectaculaire et a même réussi à mettre en place un semblant de défense. Une défense que le couple Bush/Blair a immédiatement dénoncée comme une supercherie et une lâcheté. (Mais la supercherie est une vieille tradition pour nous les indigènes. Lorsque nous sommes envahis/colonisés/occupés et dépouillés de toute dignité, nous faisons appel à l'astuce et à l'opportunisme.) Même en considérant le fait que l'Irak et les "Alliés" sont en guerre, il est ahurissant de voir jusqu'où les "Alliés" et leurs cohortes de médias sont prêts à aller, au point de devenir contre-productifs à leurs propres objectifs. Lorsque Saddam Hussein apparut à la télévision nationale pour s'adresser au peuple irakien après l'échec de la tentative d'assassinat la plus sophistiquée de l'Histoire - "Opération Décapitation" - nous avons vu Geoff Hoon, le Ministre de la Défense Britannique, le railler pour n'avoir pas le courage de se montrer et se faire tuer, le qualifiant de lâche qui se cache dans des tranchées. Il s'ensuivit une grande spéculation Alliée : était-ce réellement Saddam, ou un sosie ? Où était-ce Oussama qui se serait rasé la barbe ? Était-ce un enregistrement ? Était-ce un discours ? Était-ce de la magie noire ? Est-ce qu'il se transformera en citrouille si nous faisons un voeu très très fort ? Après avoir largué non pas des centaines mais des milliers de bombes sur Bagdad, lorsqu'un marché fut touché par erreur et des civils tués - un porte-parole de l'armée US laissa entendre que les Irakiens se faisaient exploser entre eux ! "Ils utilisent de très vieux modèles. Leurs missiles montent puis retombent." Si cela est vrai, pourrait-on m'expliquer comment tout cela cadre avec l'accusation que l'Irak serait un membre à part entière de l'Axe du Mal et une menace pour la paix dans le monde ? Lorsque la télévision Al-Jazeera montre des victimes civiles, c'est dénoncé comme de la propagande arabe "émotionnelle" destinée à provoquer une hostilité envers les "Alliés", comme si les Irakiens mourraient uniquement pour donner une mauvaise image des "Alliés". Même la télévision Française a été dénoncée pour les mêmes raisons. Mais les scènes époustouflantes de chasseurs, de bombardiers furtifs, de missiles de croisière traversant le ciel du désert sur les télévisions américaines et britanniques sont qualifiées de "terrible beauté" de la guerre. Lorsque des soldats américains envahisseurs (d'une armée "qui n'est là que pour vous aider") sont faits prisonniers et montrés à la télévision irakienne, George Bush dit qu'il s'agit d'une violation de la Convention de Genève et que cela démontre "le mal qui règne au coeur de ce régime". Mais il est tout à fait normal que les télévisions US montrent des centaines de prisonniers enfermés par le gouvernement des États-Unis à Guantanamo, à genoux avec les mains attachés dans le dos, aveuglés par des lunettes opaques et les oreilles bouchées, assurant ainsi un privation sensorielle totale. Lorsqu'ils sont interrogés sur le traitement infligé à ces prisonniers, les officiels du gouvernement des États-Unis ne nient pas les mauvais traitements. Ils disent que ce ne sont pas des "prisonniers de guerre" ! Ils les appellent des "combattants illégaux", signifiant par là que les mauvais traitements seraient légitimes ! (Alors qu'est-ce qu'ils ont à dire sur le massacre des prisonniers à Mazar-e-Charif, Afghanistan ? N'en parlons plus ? Et que dire du prisonnier torturé à mort par les forces spéciales sur la base aérienne de Bagram ? Les médecins l'ont formellement qualifié d'homicide.) Lorsque les "Alliés" bombardèrent la station de télévision Irakienne (ce qui constitue aussi, soi-dit en passant, une violation de la Convention de Genève), il y eut une jubilation vulgaire dans les médias Américains. En fait, la chaîne Fox TV faisait pression depuis un certain temps pour une telle attaque. C'était perçu comme un coup justifié porté à la propagande Arabe. Mais les grandes chaînes de télévision Américaines et Britanniques continuent de se présenter comme "impartiales" alors que leur propagande a atteint des niveaux vertigineux. Pourquoi est-ce que la propagande devrait-elle être réservée aux médias occidentaux ? Parce qu'ils la font mieux ? Les journalistes occidentaux "embarqués" avec les troupes sont considérés comme des héros en reportage sur la ligne de front. Les journalistes "non-embarqués" (tels que Rageh Omaar, de la BBC, présent à Bagdad assiégé et bombardé, qui témoigne et à l'évidence est affecté par la vue des corps d'enfants brûlés et des blessés) sont dévalorisés avant même le début de leur reportage : "Nous devons vous prévenir que le reportage est contrôlé par la censure Irakienne". De plus en plus, aux télévisions Britanniques et Américaines, les soldats Irakiens sont appelés "miliciens" (c'est-à-dire "populace"). Un correspondant de la BBC les a qualifiés de "quasi-terroristes". La défense Irakienne est appelé "résistance" ou pire encore, on parle de "poches de résistance", la stratégie employée par les Irakiens qualifiée de supercherie. (Lorsque le gouvernement des États-Unis place sur écoute les téléphones des délégués du Conseil de Sécurité, c'est du pragmatisme pur et dur). A l'évidence, pour les "Alliés", la seule stratégie acceptable de la part de l'armée Irakienne serait qu'elle marche dans le désert pour se faire bombarder par les B52 ou se faire mitrailler. Toute autre action est considérée comme de la triche. Et voici le siège de Bassora. Environ un million et demi d'habitants, dont 40 pour cent d'enfants. Sans eau potable, et très peu de nourriture. Nous sommes toujours en attente de la fameuse rébellion des Chiites, des hordes joyeuses accueillant avec des fleurs l'armée de "libération". Où sont les hordes ? Ne savent-elles pas que les chaînes de télévision ont un horaire à respecter ? (Il se pourrait bien que si le régime de Saddam tombait, on verrait danser dans les rues de Bassora. Cela dit, si le régime de Bush tombait, on verrait danser dans les rues du monde entier.) Après avoir imposé pendant des jours la faim et la soif aux habitants de Bassora, les "Alliés" apportent quelques camions d'eau et de nourriture et les ont placés à l'extérieur de la ville. Des gens désespérés se précipitent et se battent pour la nourriture. (On dit que l'eau est vendue. Pour relancer l'économie, vous comprenez ?) Sur les toits des camions, des photographes désespérés se battent pour prendre des photos de gens désespérés qui se battent pour la nourriture. Ces photos seront vendues par des agences à des journaux et des magazines imprimés sur du papier brillant et rapporteront beaucoup d'argent. Le message est : les Messies sont là, et ils distribuent des pains et des poissons. Au mois de Juillet de l'année dernière, 5.4 milliards de dollars de nourriture destinés à l'Irak ont été bloqués par le couple Bush/Blair. Ca n'a pas vraiment fait la une des journaux. Mais maintenant, sous les caresses amoureuses de la télévision en directe, 450 tonnes d'aide humanitaire - une fraction minuscule de ce qui serait nécessaire - sont arrivées sur un navire Britannique, le "Sir Galahad". Son arrivée au port d'Oum Qasar nous a valu une journée entière de reportages télé en direct. J'ai envie de vomir. Nick Guttmann, chef des urgences de Christian Aid, dans une lettre au journal Independent on Sunday, a dit qu'il faudrait 32 Sir Galahads par jour pour arriver à fournir à l'Irak la quantité de nourriture qu'il recevait avant les bombardements. Ce n'est pourtant pas une surprise. C'est une vieille tactique. Ils l'utilisent depuis des années. Prenons cette proposition modérée avancée par John McNaughton extrait des "Pentagon Papers" (Papiers du Pentagone) publié pendant la guerre du Vietnam : "les frappes contre des cibles civiles, en tant que telles, non seulement risquent de créer une vague de répulsion à travers le monde, mais aussi le risque d'étendre la guerre à la Chine ou à l'Union Soviétique. Cependant, la destruction de digues ou de barrages, bien menée, pourraient donner des résultats... intéressants. Il faudrait étudier cette option. Une telle destruction ne tuerait pas les gens. Mais l'inondation des rizières aboutirait à une famine généralisée (plus d'un million ?) si aucune nourriture n'est fournie - chose que nous pourrions offrir à la "table des négociations". Les temps n'ont pas beaucoup changé. La tactique est devenue une doctrine. On l'appelle "gagner les coeurs et les esprits". Voici donc l'arithmétique de la morale telle qu'elle se présente : environ 200.000 Irakiens ont été tués pendant la première guerre du Golfe. Des centaines de milliers sont morts à cause des sanctions économiques. (Au moins ceux-là ont été sauvés des griffes de Saddam Hussein). Encore plus de morts chaque jour. Des dizaines de milliers de soldats US qui ont combattu en 1991 sont officiellement déclarés "handicapés" par une maladie appelée le syndrome de la guerre du Golfe. On pense qu'elle a été provoquée par une exposition à l'uranium appauvri. Ce qui n'a pas empêché les "Alliés" d'utiliser à nouveau l'uranium appauvri. Et maintenant on parle de faire revenir l'ONU sur la scène. Mais cette vieille ONU n'est pas tout à fait ce que l'on nous avait promis. Elle a été rétrogradée (avec le maintien d'un salaire élevé). A présent elle n'est plus que la femme de chambre de la planète. Elle est la femme de ménage Philippine, la fiancée par correspondance Thaïlandaise, la bonne Mexicaine, la fille au pair Jamaïquaine. Elle est employée pour nettoyer la merde des autres. Elle est corvéable à merci et maltraitée. Malgré la soumission enthousiaste de Blair, et tous ses sourires, Bush a déjà fait clairement savoir que l'ONU ne jouera aucun rôle indépendant dans l'administration de l'Irak après-guerre. Les États-Unis décideront qui décrochera les contrats juteux de "reconstruction". Mais Bush a demandé à la communauté internationale de ne pas "politiser" l'aide humanitaire. Le 28 mars, après que Bush ait demandé la reprise immédiate du programme de l'ONU pétrole contre nourriture, le Conseil de Sécurité de l'ONU a voté à l'unanimité la résolution. Ce qui signifie que tout le monde est d'accord pour que l'argent Irakien (de la vente du pétrole Irakien) soit consacré à nourrir le peuple Irakien qui est affamé à cause des sanctions US et de la guerre illégale US. A ce qu'on raconte dans les milieux d'affaires, les contrats de "reconstruction" de l'Irak pourraient donner un coup de pouce à l'économie mondiale. C'est drôle de voir à quel point les intérêts des multinationales Américaines sont si souvent confondus avec les intérêts de l'économie mondiale. Alors que le peuple Américain terminera par payer pour cette guerre, les compagnies pétrolières, les fabricants d'armes, les marchands d'armes et les multinationales impliqués dans la "reconstruction" engrangeront des profits directs de la guerre. Beaucoup d'entre eux sont de vieux amis ou d'anciens employeurs de la bande Bush/Cheney/Rumsfeld/Rice. Bush a déjà demandé 75 milliards de dollars au Congrès. Les contrats pour la "reconstruction" sont déjà en cours de négociation. Cette information ne fait pas la une des journaux parce que la plupart des médias US appartiennent à ces mêmes sociétés. Tony Blair nous assure que l'Opération Liberté pour l'Irak est destinée à rendre le pétrole Irakien au peuple Irakien. C'est-à-dire rendre le pétrole Irakien au peuple Irakien en passant par les multinationales. Comme Shell, Chevron, Halliburton. A moins qu'il y ait quelque chose qui nous échappe ? Halliburton est peut-être en réalité une société Irakienne ? Peut-être que le vice-président Dick Cheney (ancien directeur de Halliburton) est-il un Irakien infiltré ? Tandis que le fossé entre l'Europe et l'Amérique s'élargit, il y a des signes qui indiquent que le monde est en train d'entrer dans une nouvelle ère de boycotts économiques. CNN raconte comment des Américains versent le vin français dans les égouts, en chantant "nous n'en voulons pas de votre vin dégueulasse". Nous avons entendu parler du changement de nom des frites ("French fries" - "frites françaises" en anglais - NDT). A présent on les appelle Frites de la Liberté. On entend dire que les Américains commencent à boycotter les produits Allemands. La vérité est que si les choses tournent dans cette direction, ce sont les États-Unis qui en souffriront le plus. La patrie est peut-être défendue par des patrouilles et des armes nucléaires, mais son économie s'étire à travers la planète. Ses avant-postes économiques sont vulnérables aux attaques provenant de n'importe quelle direction. Sur Internet, on voit déjà circuler des listes de produits et de compagnies Américaines et Britanniques qu'il faudrait boycotter. A part les cibles habituels, Coca, Pepsi, McDonald - des agences gouvernementales comme USAID, le département britannique du développement international, les banques britanniques et américaines, Arthur Anderson, Merrill Lynch, American Express, des multinationales comme Bechtel, General Electric, de compagnies comme Reebok, Nike et Gap - pourraient se retrouver en ligne de mire. Ces listes sont complétées et distribuées par des militants du monde entier. Elles pourraient devenir le guide pratique pour diriger et canaliser la colère grandissante dans le monde. Soudain, l'"inéluctabilité" du projet de globalisation des multinationales commence à paraître un peu moins inéluctable. Il est désormais clair que la guerre contre le terrorisme n'a rien à voir avec le terrorisme, et la guerre contre l'Irak n'est pas seulement pour le pétrole. Il s'agit de pulsions auto-destructrices d'une superpuissance qui veut tendre vers la suprématie, l'étranglement, l'hégémonie globale. Les peuples Argentins et Irakiens ont été décimés par le même processus. Seuls les armes diffèrent. Dans un cas il s'agit du chéquier du FMI. Dans l'autre, de missiles de croisière. Finalement, il y a la question des armes de destruction massive de Saddam (Oops; j'ai failli les oublier !) Dans la confusion de la guerre, une chose est certaine : si le régime de Saddam possède effectivement des armes de destruction massive, il montre un sens étonnant de la responsabilité et de retenue alors qu'il se retrouve entre les mâchoires d'une provocation extrême. Dans des circonstances similaires, (si les troupes Irakiennes bombardaient New York et faisaient le siège de Washington DC) pourrions-nous espérer la même chose du régime de Bush ? Garderait-il les milliers de têtes nucléaires dans leurs emballages ? Qu'en serait-il de ses armes chimiques et bactériologiques ? Ses stocks de souches de la maladie du charbon, de polio et autres gaz ? Le ferait-il ? Permettez-moi de rire. Dans la confusion de la guerre, nous sommes obligés de spéculer : Ou bien Saddam est un tyran avec un sens aiguë des responsabilités, ou bien il n'a pas d'armes de destruction massive, tout simplement. Quoi qu'il en soit, et quelque soit la suite des évènements, l'Irak s'en sort avec une meilleure image que le gouvernement des États-Unis. Voici donc l'Irak - un état voyou, une grave menace pour la paix mondiale, membre permanent de l'Axe du Mal. Voici l'Irak, envahi, bombardé, assiégé, sa souveraineté piétinée, ses enfants tués par des cancers, son peuple écrasé sous les bombes. Et nous voici tous en train de regarder. CNN-BBC, BBC-CNN jusqu'au bout de la nuit. Nous voici tous, supportant les horreurs de la guerre, supportant l'horreur de la propagande et le massacre du langage tel que nous le connaissons et le comprenons. Désormais, Liberté signifie meurtre en masse (ou, pour ce qui concerne les États-Unis, des pommes de terre frites). Lorsque quelqu'un parle "d'aide humanitaire", il faut automatiquement comprendre "famine provoquée". "Embarqué", je dois l'avouer, est une grande trouvaille. Et cela signifie bien ce que ça a l'air de signifier. Et que dire d'"arsenal tactique" ? Pas mal ! Presque partout dans le monde, l'invasion de l'Irak est perçue comme une guerre raciste. Le véritable danger d'une guerre raciste déclenchée par des régimes racistes est qu'elle engendre le racisme chez tout le monde - les agresseurs, les victimes, les spectateurs. Elle détermine les critères du débat, elle définit les schémas d'une certaine manière de penser. Une vague de haine contre les États-Unis est en train de déferler. En Afrique, en Amérique latine, en Asie, en Europe, en Australie. Je la croise tous les jours. Parfois elle vient d'où on l'attend le moins. De banquiers, d'hommes d'affaires, d'étudiants BCBG, et ils l'expriment avec toute la crasse de leurs opinions conservatrices et anti-progressistes. Cette absurde incapacité à distinguer les gouvernements du peuple : l'Amérique serait une nation d'abrutis, une nation d'assassins, disent-ils, (avec la même légèreté qu'ils disent "tous les musulmans sont des terroristes"). Dans l'univers grotesque des insultes racistes, les Britanniques se distinguent. On les appelle des lèche-culs. Soudain, moi qui ai été critiquée pour être "anti-américaine" et "anti-occidentale", je me trouve dans la position incroyable de défendre le peuple Américain. Et Britannique. Ceux qui ont si facilement recours au langage raciste feraient bien de se souvenir de ces centaines de milliers d'Américains et de Britanniques qui protestèrent contre les stocks d'armes nucléaires dans leurs pays. Et les milliers d'Américains qui obligèrent leur gouvernement à se retirer du Vietnam. Ils devraient savoir que les critiques les plus pertinentes, argumentées et drôles portées contre le gouvernement US et l'"American Way of Life" proviennent de citoyens Américains. Et les condamnations les plus drôles et les plus sévères du premier ministre proviennent des médias Britanniques. Enfin, ils devraient se souvenir qu'en ce moment précis, des centaines de milliers de citoyens Américains et Britanniques sont dans les rues pour protester contre la guerre. La Coalition des Vendus est composée de gouvernements, pas de peuples. Plus d'un tiers des Américains ont résisté à la campagne féroce de propagande qui leur a été servie, et des milliers sont en train de lutter activement contre leur gouvernement. Dans l'ambiance ultra-patriotique qui prévaut aux États-Unis, il faut autant de courage que n'importe quel Irakien qui se bat pour son pays. Tandis que les "Alliés" attendent dans le désert la révolte des Chiites dans les rues de Bassora, la véritable révolte se déroule dans des centaines de villes à travers le monde. Ce fut la plus spectaculaire démonstration de moralité publique que nous ayons jamais vue. Les plus courageux de tous sont les centaines de milliers d'Américains dans les rues des grandes villes Américaines - Washington, New York, Chicago, San Francisco. Le fait est qu'aujourd'hui, le seul groupe qui puisse rivaliser avec le gouvernement des États-Unis est l'opinion publique Américaine. Les Américains ont une énorme responsabilité sur leurs épaules. Comment ne pas les saluer et soutenir ceux qui non seulement le reconnaissent mais agissent en fonction de cette responsabilité ? Ils sont nos alliés, nos amis. Pour conclure, il faut dire que les dictateurs comme Saddam Hussein, et tous les autres despotes du Moyen-Orient, d'Asie Centrale, d'Afrique et d'Amérique latine, dont beaucoup ont été installés, soutenus et financés par le gouvernement des États-Unis, représentent une menace pour leur propre peuple. A part de renforcer la société civile (au lieu de l'affaiblir comme ce fut le cas pour l'Irak), il n'y a pas de moyen simple et élégant pour se débarrasser d'eux. (il est étrange de voir comment ceux qui accusent les pacifistes être utopiques peuvent proférer sans hésiter les raisons les plus absurdes pour faire la guerre : éliminer le terrorisme, installer la démocratie, éliminer le fascisme et, le plus drôle de tous, "débarrasser le monde des méchants".) Peu importe ce que nous raconte la propagande, les dictateurs en fer-blanc ne sont pas la plus grande menace pour le monde. Le véritable danger immédiat, la plus grande menace de toutes est la force qui dirige actuellement la politique et l'économie du gouvernement des États-Unis, dirigé par George W. Bush. Démolir Bush est un passe-temps agréable, parce qu'il représente une cible si facile que c'en est presque trop beau pour être vrai. Il est vrai que c'est un dirigeant dangereux, presque suicidaire, mais la machine qu'il dirige est bien plus dangereuse que l'homme lui-même. Malgré les menaces qui pèsent sur nous aujourd'hui, j'aimerais redonner un peu d'espoir : en temps de guerre, il est toujours bon que l'ennemi soit dirigé par le moins doué d'entre eux. C'est certainement le cas de George W. Bush. Tout autre Président des États-Unis doté d'une intelligence moyenne aurait fait les mêmes choses, mais il aurait réussi à embrouiller les cartes et désorienter l'opposition. Peut-être même aurait-il réussi à emporter l'adhésion de l'ONU. L'imprudence arrogante de Bush et sa foi inébranlable qu'il peut diriger la planète avec son escadron anti-émeutes a provoqué l'effet contraire. Il a réussi à faire ce que des générations d'écrivains, de militants et d'universitaires tentent depuis des décennies. Il a abattu ses cartes. Il a dévoilé tous les mécanismes et rouages de la machine apocalyptique de l'empire Américain. Mais les plans de la machine (Le Guide de l'Empire pour les Citoyens Ordinaires) a fait l'objet d'une distribution massive et il se pourrait que son démontage se révèle finalement plus facile que prévu. Alors faisons venir les mécaniciens.» *** Document non garanti contre les fautes de frappe, de français ou de goût. Arundhati Roy, jeune écrivaine de l'Inde (je dis "de l'Inde" parce que je ne sais plus si on dit "indienne" ou "hindoue" - il est tard), a écrit un roman magnifique : "Le Dieu des Petits Riens" - le genre de livre qu'on referme à la fin et que l'on rouvre aussitôt pour recommencer à lire. Elle n'a qu'un défaut : elle ne répond jamais à mes demandes en mariage. CUBA SOLIDARITY PROJECT
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