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Balades dans la campagne électorale PortalegrensePB, Lundi, Décembre 2, 2002 - 00:50
PB
Vues d'un français lors de la campagne électorale brésilienne, à Porto Alegre, qui a vu la victoire du Parti des Travailleurs brésiliens. Journées d’élections à Porto Alegre, Rio Grande do Sul, Brésil. Chaudes journées, tant au niveau du climat que du rapport avec les personnes. Relations humaines intenses, amitiés ou haine, espoir ou désespoir. Poussière, saleté et chiens errants, gamins joyeux et heureux de vivre, parents accueillants. Campagnes urbaines Premiers contacts avec une favella brésilienne -"vila" dans l’État du Rio Grande do Sul-, au bout d’une rue goudronnée, terminus de la ligne de bus locale, par-delà un petit cours d’eau, ou plutôt un égout à ciel ouvert, plutôt. Les précédents gouvernements locaux, tous de droite et corrompus, n’ont pas fait grand chose pour aménager le territoire de manière socialement cohérente. L’actuel, "Front populaire" de gauche, encore à la gestion de l’État, n’a pas eu le temps de réaliser toutes les tâches de "correction" à mener à bien tant elles sont nombreuses... D’où la présence de ces catastrophes sanitaires que sont ces rivières-égouts, qui charrient tout un tas de saletés. Après avoir passé un petit pont de troncs d’arbres tout branlant qui marque l’entrée de cette zone squattée, un autre monde se présente. Le reste du bout de quartier de Restinga, ville de 25 000 habitants dans la ville de Porto Alegre, était déjà assez pauvre, mais là on passe au degré supérieur. Électricité, certes, mais branchements artisanaux et déficients, dangereux. Pas d’égouts, eau courante installée dans l’urgence, ce qui rend les canalisations peu sûres quant à l’hygiène. Les maisons de planches sont brinquebalantes et des cloaques se forment souvent à proximité. Mais comme il fait bien chaud en cette période, leur importance et leur effet sont réduits. Le chemin de terre est sec et bien poussiéreux. Et au milieu de tout ça, des gens arrivent à (sur)vivre. Par chance, la zone est assez verdoyante, restes de la vivace mata atlântica(1) originelle, et le paysage de collines encore sauvages à l’entour est agréable à regarder, ce qui doit atténuer un peu la dureté de cette vie précaire. Il y a tout de même quelques ilôts de relative prospérité. Au détour d’une courbe du chemin apparaît une voiture d’un luxe inattendu dans ce lieu : sans doute un trafiquant de drogue... C’est le côté sauvage de la zone, où les gens peuvent être assez difficiles à approcher. Pudeur ou colère ? Mais l’espoir que représente le Parti des Travailleurs, dans ce pays, nous rend sympathiques et les discussions s’engagent assez rapidement. Espérons qu’il ne décevra pas... Même ceux qui ne sont pas a priori franchement d’accord vont finalement afficher le matériel de propagande que nous transportons avec nous. Les gamins joyeux sont tout content de pouvoir récupérer quelques autocollants, drapeaux, casquettes et autres gadgets de communication électorale. Chemin faisant, nous arrivons de l’autre côté de la boucle du cours d’eau, que nous traversons. Une grille marque la limite du lieu occupé et de la "vila". Limite sociale aussi. Cette partie est mieux lotie. Nous entrons dans un "lotissement" de familles ouvrières où le vote PTiste semble plus assuré, tout comme le statut professionnel. Moins de précarité et plus de confiance dans les institutions, donc. Toujours des enfants dans les rues, tous aussi joyeux que les précédents. Ici, le travail engagé par le gouvernement de Front populaire est visible : là où il n’y avait auparavant que de la terre boueuse en lieu et place de rues, se trouve une bonne allée bien asphaltée, avec un réseau d’évacuation des eaux usées ; des intallations électriques aux normes et de l’eau courante saine. Cependant, les quelques trous mal bouchés de la voirie alimenteront le vote de droite d’acariâtres propriétaires de voitures... Nous progressons dans ce paysage encore assez préservé aux marges de Porto Alegre. Des "morros" (collines locales) couverts d’une bonne végétation, où sont installées de simples maisonnettes de familles modestes avec leur petit jardin. Relativement tranquille la journée. Là aussi on butte sur la "sécurité", mise en avant par la réaction. Parce que, évidemment, si les lieux sont modestes, il ne sont pas riches. La tentation du gain supplémentaire est aussi présente. Et comme certains y succombent, c’est la cocaïne et d’autres substances qui leur permettent de parvenir à ce plus financier. Et celà draîne des personnes pas forcément saines dans les quartiers. Les fournisseurs et une clientèle pas très équilibrée et, par la suite, une altération pathologique du comportement des nouveaux riches du crime organisé. Et ça fait peur. Tout le travail engagé par les progressistes se retrouve du coup relégué au second plan. Et cet état de choses, encouragé par une droite sans scrupules pour maintenir ses privilèges de classe -tant sur le plan de la drogue (c’est ce qui se dit un peu partout) que de la manipulation des esprits- est efficient. Le vote ira vers ceux qui appuieront radicalement sur l’aspect sécurité. Ça ne vous rappelle rien ? Les médias locaux, surpuissants, sont le porte-voix de cette réaction. Et le gouvernement de Front populaire, à son installation, leur a retiré la gestion de la publicité officielle de l’État... Bon, nous arrivons à faire entendre raison à quelques électeurs. À retourner ces voix perverties par l’adversaire. Apparemment... Ensuite la campagne -électorale et géographique- est plus calme. Dans cette zone, il y a de grands espaces inhabités de population. Moins de paroles, plus de mise en place de matériel de propagande. C’est la fin de la journée et c’est plus reposant que les escalades de "morros" en plein soleil et souvent dans la poussière. Tensions Mais si tout fut agréable et amical en ce premier jour de ma campagne, le suivant le fut moins. L’aspect des choses devient nettement plus agressif quand nous entrons dans la zone dite "Chapéu do Sol". Des Camarades nous avaient avertis que l’on entrait dans une aire de lutte de classes très dure. C’était pire que l’on se pouvait imaginer... L’association de quartier est dirigée par un conseiller municipal d’extrême-droite plus ou moins clair. Pas mal de drogue dans ce lieu. Quand nous sommes arrivés, la tension était perceptible, malgré de nombreux soutiens de la population locale. Mais la minorité néfaste est bien soutenue par ce politicien prêt à tout pour se maintenir dans son fief (on peut comprendre ce mot au sens propre). Moyens financiers, soutiens dans la police civile et militaire. Tout ce qu’il faut pour gagner malhonnêtement le pouvoir. Des armes aussi. Et c’est ce à quoi nous avons eu droit : la menace d’une arme. Mais devant notre détermination et notre nombre, si la haine ne s’est pas apaisée, l’objet a été remballé. Avec toujours la présence des individus à notre suite. La Brigade Militaire, prévenue, est venue surtout serrer des mains et saluer beaucoup de monde, masculin... Tout cela sera presque oublié le lendemain, quand nous nous retrouvons au bord de l’eau, le long du fleuve-delta-lac Guaíba. Les poissons et les oiseaux ne se prennent pas la tête avec ces préoccupations électorales. Les moustiques non plus... Misère Ce dimanche 20 octobre 2002 est bien chaud et paisible. Une semaine avant le scrutin décisif, il faut mettre le paquet. Et c’est le Gouverneur du Rio Grande do Sul en personne, Olivio Dutra, qui s’est déplacé. Avec toute une cour de personnages empressés à sa suite. Ça fait un puissant effet dans ce quartier de Bom Jesus, où personne d’officiel et de bien positionné socialement n’a trop l’habitude de venir. Une bonne centaine de personnes sont présentes aujourd’hui. Dimanche et le Gouverneur, donc... Là, on assiste à un étalage grave de misère. Plus nous avançons dans le quartier, plus les rues sont défoncées et jonchées de détritus. Des grappes d’hommes inactifs se rencontrent tout au long de notre parcours, buvant beaucoup de cachaça. Tension vive, bousculades, tentatives de vol et d’agression que le nombre que nous sommes atténue. Rapport de force... Le vide social... Des carcasses de voitures et des carcasses humaines pustulentes. Et des gamines de douze ans enceintes. Jusque là, tout çà n’était pas apparu. Des gamins dans les rues, sales, clairement à la dérive. Signe de déchéance et d’abandon sociaux. Auparavant, dans les autres quartiers visités, nous sentions la présence de la structure familiale. Des parents surveillaient des enfants turbulents et en bonne santé -malgré leur pauvreté- pour les rappeler à la maison quand ils s’éloignaient pour nous suivre. Rien de tout ça ici... La tâche sociale à réaliser est énorme. Quatre ans de Front populaire n’auront pas suffit à résoudre tous les problèmes sociaux. Si quatre ans de plus... Mais aussi des gens accueillants, simples, émus de la visite du Gouverneur. Un vieux monsieur noir, une tête toute ronde et chauve pleure d’émotion au contact d’Olivio qui lui prodigue un vigoureux abraço. Des encouragements ; de l’espoir au milieu de l’inconfort qui provoque aussi des rejets de notre groupe. Et nous retrouvons des lieux plus accueillants. Nous sortons de la zone dévastée. Tout s’imbrique, ici. Misère, ilôts de relative prospérité, de richesse. Et de nouveau de la crasse noir foncé... Et du clinquant... Un bidonville au détour d’un chemin et que l’on ne s’attendait pas à trouver là. De l’aliénation, beaucoup d’aliénation sociale et, comme par enchantement, voilà qu’une personne, puis la voisine et deux ou trois autres se mettent à nous parler de socialisme. Et un pick-up rempli d’étranges personnages patibulaires, les yeux cachés par des lunettes bien opaques. Contrastes, paradoxes, confusion. Difficile à apréhender, tout ça... Résultats visibles Un passage dans les îles de Porto Alegre -dont les peu sûres Île aux Fleurs (Ilha das Flores) et Ilha Grande dos Marinheiros- où tout est quasiment inondé et où se côtoient, sur l’Ilha da Pintada, d’un côté de la route immenses propriétés (côté fleuve) des riches Portalegrenses, et de l’autre (côté marais) de simples maisons. Le niveau bas des terres en fait de véritables marécages en cette saison de pluies abondantes. Globalement, sur l´Ilha da Pintada, l’endroit est plutôt bien loti. Tout au moins celui qui a été choisi par le Comitê Sindical. Le lieu semble avoir bénéficié de la politique de développement de la Municipalité. Le long du trajet, de petits bidonvilles se succèdent... Un retour sur la terre ferme et campagne dans un des secteurs à fort vote PCdoB (Partido Comunista Do Brasil), Vila Esperança. L’accueil est franchement sympathique. Les Communistes semblent avoir fait un travail éducatif en profondeur, à travers des associations locales bien implantées. Par ce biais, ils ont appuyé, dans le cadre du Front populaire, l’inscription au Buget Participatif (OP) pour le développement de cette zone de Porto Alegre qui était bien désolée et où un énorme travail reste à faire. Une partie du quartier reste en effet encore assez dangereuse et bien sous le contrôle des trafiquants. La Municipalité aura investi un total de 140 millions R$ (plus de 40 millions Euros - novembre 2002) au terme de ce projet, prévu pour 2007, dont une bonne partie en fonds propre et avec le soutien du programme fédéral "Habitar Brasil" et du financement international du Fond Financier pour le Développement de Bacia do Prata(2) (Fundo Financeiro para o Desenvolvimento da Bacia do Prata - FONPLATA). Déjà 413 familles à faibles ressources bénéficient de ce programme de développement. 3 000 devront en profiter d’ici à 2007, qui vivent actuellement dans les conditions de précarité rapidement décrites plus haut. Des maisons neuves et avec toutes les commodités nécessaires à une vie décente ont été construites. Des rues goudronnées, un éclairage public, des égouts. Des écoles, des crèches, des points santé. Restructuration urbaine, restructuration environnementale : de nombreux espaces paysagers et de détente sont prévus et certains ont déjà été réalisés. Le travail voulu par les citoyens organisés va changer l’aspect de cette entrée Nord de la cité. Cette partie de la ville était -et est encore- la zone très pauvre et exclue de la métropole Gaúcha. Le développement de Vila Esperança doit servir à dynamiser la restructuration sociale de tout le Nord. Des activités économiques citoyennes se mettent en place : Coopérative de construction et de services, Centre de tri des déchets solides et centres de formation. Des petites entreprises devraient s’installer là d’ici la fin du projet. Cela devrait permettre la création de nombreux emplois et drainer toute la population défavorisée du Nord et au-delà vers un meilleur futur bien engagé. Ceci est un exemple de ce que les pouvoirs publics peuvent faire quand ils s’en donnent les moyens... Pour cette raison, les habitants de l’endroit sont bien sûr favorables à ceux qui ont permis ce amélioration notable de leurs conditions d’existence, c’est à dire le Front populaire à dominante PT. Autre Brésil à l’horizon... De voir cet enthousiasme populaire nous fait vraiment croire que la droite peut être défaite, malgré la campagne active des médias locaux dont le journal Zero Hora(3) est le fer de lance . Ça rassure, mais la difficulté de la tâche n’est pas oubliée et nous entraine encore dans d’autres quartiers de Porto Alegre. Des lieux agréables, d’autres moins, sympathiques, d’autres hostiles... Ainsi va la campagne. Mais au final, très peu d’agressions, si ce n’est, pour le Comitê Sindical, celle relatée plus haut. Le dernier jour de campagne fut le plus fourni en démonstrations publicitaires de l’adversaire : toutes les troupes et les gros moyens financiers déballés ; du bruit et de la paperasse... Et tout cela ne s’est pas trop mal passé, puisque Lula a été finalement élu avec plus de 65% des votants. La déception fut locale, puisque Tarso Genro, dernier Maire PT élu de Porto Alegre se présentant à la succession d’Olivio Dutra a été dérouté avec 47,5% contre 52,5% à son adversaire de la droite conservatrice, Germano Rigotto. Quand le principal soutien de ce dernier, le journal Zero Hora, annonçait, au pire moment de ses tentatives de manipulations de l’opinion, 44% contre 56%... Malgré les préjudicables luttes de tendances locales (c’est ce qui se dit dans les couloirs de la militance), la droite aura quand même eut du mal à retourner aux affaires. Parce que c’est bien d’affaires dont il s’agit : privatisations en masse, retour aux petites habitudes entre amis, ... "Lula lá", c’est un autre Brésil qui peut être envisagé. Un autre monde aussi, vu le poids de ce pays. Suite au prochain épisode des aventures politiques de l’Humanité. Pierre Bérard (1) La mata atlântica est la forêt qui couvre la zone côtière du Brésil. Elle était très importante avant l’arrivée des colons et est en voie de totale disparition actuellement, malgré les politiques de sa protection. (2) Le Bassin de Prata est la zone de circulation fluviale la plus étendue d’Amérique Latine. Il comprend les bassins des tois fleuves qui se rejoignent en un troisième, entre Argentine et Uruguay, Buenos Aires et Montivedeo, le Rio de la Plata (Rio da Prata, en Portugais). Les trois cours d’eau, Paraná, Paraguay et Uruguay (tous naissent au Brésil) concernent cinq pays, Argentine, Bolivie, Brésil, Uruguay et Paraguay, et représentent une aire de 3 200 000 km2, soit un tiers de l’Europe. Le bassin, avec son débit de 22 600 m3/s, représente un des plus grand réservoir d’eau douce de la planète dans une zone riche en ressources minérales, forêts et autres terres fertiles... C’est aussi là que se réalise pratiquement 80% du PIB des cinq pays. (3) À ce sujet, lire l’article en français : http://www.autresbresils.net/ARTICLES/boicote.htm du site d’informations et analyses "Autres Brésils" : http://www.autresbresils.net |
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