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L'imposture sécuritaire: Jérusalem ville ouverte

Carl Desjardins, Wednesday, March 27, 2002 - 12:17

Olivier Six

Depuis que je suis, en spectateur assidu, les événements de ce qu'on appelle à la télévision «le Proche-Orient» (que nous appelons ici Palestine), il y a une chose qui m'a d'abord frappé, puis surpris, et qui maintenant m'indigne: l'imposture sécuritaire...

- Olivier Six, journaliste indépendant

24 mars 2002

Depuis que je suis, en spectateur assidu, les événements de ce qu'on appelle à la télévision «le Proche-Orient» (que nous appelons ici Palestine), il y a une chose qui m'a d'abord frappé, puis surpris, et qui maintenant m'indigne: l'imposture sécuritaire...

Je vais tenter de vous expliquer ce qui me chiffonne tant dans le discours israélien que dans la façon dont les médias le rapportent. Le premier motif d'Israël pour refuser (ou suivant les cas esquiver, escamoter, etc.) un retour à la négociation avec les Palestiniens, c'est la sécurité: on ne discute pas sous la menace terroriste. La sécurité sert aussi d'alibi pour des incursions toujours plus nombreuses et toujours plus puissantes dans les Territoires. La sécurité est au cœur de toutes les discussions.

Les journaux israéliens publient fréquemment les photos de tous les Israéliens morts depuis le début de l'Intifada. Et à chaque attentat, on publie les photos des victimes du jour. Si en plus on peut les trouver en costume de mariée, c'est encore mieux. (Je m'excuse de ce coup de griffe en passant, mais vraiment je pense que ces photos sont soigneusement choisies pour titiller le pathos. Qu'une jeune femme meure à l'armée, on ne nous la montrera pas en uniforme, boudinée dans son treillis informe, mais un jour où elle sortait en boîte, toute lumineuse de bonheur, fraîcheur, etc. Je suppose que c'est de bonne guerre, mais je crois tout de même que ça relève plus facilement de la propagande que de l'information).

Examinons maintenant la situation de la sécurité en Israël, et plus spécifiquement dans ce que la presse israélienne appelle - à juste titre - «le ventre mou» du pays: Jérusalem.

Jérusalem (Ouest, car c'est seulement cette partie-là de la ville qu'on protège) a deux, voire trois lignes de défense. Dans l'ordre, en venant de l'extérieur, les check-points, les contrôles volants, et la population.

Dans le plan idéal, tel qu'on nous l'expose, les check-points servent à filtrer le plus gros des attaques. De fait, on y attrape parfois des kamikazes potentiels, des armes, etc. Ceux qui échappent aux check-points sont susceptibles d'être attrapés dans les limites de la ville par la police ou l'armée, qui patrouille, avec des postes plus ou moins fixes, suivant les jours et les alertes. Enfin, au pire, tout «terroriste» (je reviendrai plus loin sur la définition du terroriste) qui se dévoile au moment de passer à l'acte peut être arrêté (ou plus fréquemment abattu) par un des innombrables soldats au repos, policiers en civils, ou simples citoyens armés qui arpentent les rues de Jérusalem.

Il y a en réalité une quatrième ligne de défense: les informateurs. Beaucoup d'attentats sont prévenus par ce biais, et l'armée intervient en général dans les Territoires pour abattre le ou les terroristes potentiels. C'est probablement la plus efficace des lignes de défense. Nombre des Palestiniens qui sont à un moment ou un autre de leur vie arrêtés (pour excès de vitesse ou lors d'une incursion des FDI dans un camp) se voient proposer le marché célébrissime: «si tu collabores avec nous, tes problèmes financiers sont terminés, et tes enfants pourront aller à l'école» (parfois l'offre est plus ciblée, du genre «tu t'appelles Ali, ta femme, Fatima, tu gagnes tant par mois, tu as trois enfants, etc.») Nombre de chiffres circulent concernant le nombre d'informateurs payés par Israël dans les Territoires; aucune n'est vérifiable, mais on peut supposer qu'il y en a pas mal.

Voilà pour la théorie. La théorie veut, de plus, que si malgré ce déploiement sécuritaire des attentats se produisent (à Jérusalem notamment), on ne discute pas, on cogne, et les Palestiniens sont des terroristes barbares.

Alors maintenant, la pratique...

1) La première ligne de défense autour de Jérusalem est une escroquerie

C'est ça, ou bien le gouvernement israélien, l'état-major des FDI, et un tas d'autres, sont un ramassis d'incompétents. Ce que je ne crois pas une minute.

Le problème des check-points autour de Jérusalem, c'est qu'ils sont totalement et par essence inefficaces. Pour chaque check-point que je connais, il y a au moins une, et en général plusieurs, façons de les éviter sans trop se casser les pieds. Prenons le check-point que je connais le plus: Ras al-Amud, entre Jérusalem et Abu Dis. Celui-là est à mon avis exemplaire d'un check-point duquel tout le monde sait, Israéliens et Palestiniens confondus, qu'il est tout à fait superflu et évitable. Démonstration:

- Je connais déjà CINQ routes qui permettent de l'éviter. Sur ces cinq routes, quatre sont tellement routinières que les taxis ne facturent même pas de supplément pour les prendre. Emprunter la cinquième coûte un demi shekel de supplément. Rien...

- Quand on se tient sur le bord de la route qui mène à Jérusalem, le chauffeur de tout véhicule qui approche fait un geste de la main qui indique s'il emprunte la route qui passe par le check-point, ou s'il fait le détour. C'est institutionnalisé au point qu'il existe une station de taxis à Abu Dis où la seule destination accessible est Jérusalem SANS passer par le check-point;

- Une des routes de contournement aboutit à exactement quatre mètres du check-point, et passe au pied du mirador qui assure la protection des soldats, avant de passer devant un commissariat de police israélien. Qu'on ne vienne pas me dire qu'ils ne voient pas la file de véhicule qui défile là toute la journée. J'ai même VU un soldat engueuler un chauffeur qui débouchait de la route de contournement... parce qu'il roulait trop vite.

- Une des autres routes de contournement débouche à environ 50 mètres du check-point, en vue des factionnaires.

- Aucun suivi régulier n'est fait, côté israélien, de qui passe. Parfois, on a bien un soldat qui ramasse tous les papiers d'identité et qui les donne à un de ses collègues, lequel s'applique, langue entre les dents, à noter tous les noms sur une feuille de papier. Il y a en général un paquet de ces feuilles de papier par terre, un peu comme si elles étaient jetées après avoir été remplies. Le seul effet concret de ces «statistiques» est un embouteillage.

La question qui vient à l'esprit est la suivante: «comment se fait-il que l'armée annonce régulièrement des prises d'armes et de terroristes aux check-points?»

Quelques éléments de réponse:

- C'est rarement aux check-points proches de Jérusalem que ça se passe, pour ce que j'en sais;

- Les terroristes palestiniens font souvent preuve d'un amateurisme presque affligeant, et qui prêterait à rire si tant de vies n'étaient pas en jeu. On a vu des terroristes se faire attraper parce que non seulement ils tentaient de passer un check-point, mais parce qu'ils tentaient de le passer SANS PAPIERS.

2) La seconde ligne de défense est une autre escroquerie

Cela fait six mois que je vis à Jérusalem, et rares sont les fois où j'ai dû montrer mes papiers. Comprenons-nous bien; on me les demande rarement, je n'ai pas le physique de l'emploi pour faire terroriste palestinien. Mais à chaque fois que je VOIS un point de contrôle, je regarde si j'aurais pu l'éviter sans me faire remarquer: c'est quasiment toujours possible. De plus, les points de contrôle volants entre Est et Ouest concernent (j'allais dire «pénalisent», j'y reviendrai) aussi beaucoup d'Israéliens, donc on les emploie avec modération. Quant aux policiers en civils, ils arborent en général leurs radios et leurs armes, ça limite pas mal l'effet de surprise.

Le lendemain d'un attentat rue de Jaffa, on a annoncé dans la presse des mesures ronflantes: tireurs sur les toits, contrôles fixes, patrouilles, etc. Sur le terrain, j'ai vu en tout et pour tout deux clampins à un bout de la rue de Jaffa, et deux autres sur l'esplanade de la rue Ben Yahouda. Ah oui, il y a aussi les deux types à moto qui montent puis descendent la rue; on les reconnaît aux gilets pare-balles apparents et aux fusils d'assaut qui pendent sur le côté. Tout ce petit monde pratique le contrôle au faciès; quand on connaît la diversité des types physiques rencontrés à Jérusalem, on a une idée de l'ampleur de la tâche, mais aussi du déchet de la tâche.

Les jours de grande tension, il y a des hélicos de police qui circulent au ras des toits. C'est peut-être efficace, mais ça ne saute pas aux yeux.

3) La troisième ligne de défense pourrait bien devenir une faiblesse

Combien de temps va-t-il falloir à un ou plusieurs terroristes pour se rendre compte que la meilleure façon de cacher une arme rue de Jaffa est de la porter en bandoulière? Il y a tellement d'artillerie au mètre carré, du combiné fusil d'assaut-lance-grenades au «simple» 9 mm, qu'il suffirait d'un peu de culot.

En conclusion de tout ça...

Il est évidemment impossible de clôturer hermétiquement Jérusalem. Mais, passant d'un extrême à l'autre, on a là un arsenal de mesures de sécurité qui relève de l'emploi d'une passoire pour aller chercher de l'eau. Alors à quoi servent les check-points?

Car il est là le seul et vrai problème.

Alors que la deuxième ligne de défense ne gène grosso modo personne, la troisième a probablement au moins deux utilités, en ceci qu'elle permet d'abord, dans le cas de fusillades, d'y mettre fin très rapidement par la présence quasi instantanée d'éléments armés «favorables», et ensuite parce qu'elle permet à chaque citoyen de se sentir concerné par la défense de la ville, ce qui est forcément psychologiquement intéressant pour le gouvernement.

Restent les check-points. Pour ceux-là, j'en suis à me demander si on ne regarde pas le problème dans le mauvais sens.

Je crois qu'on se sert de la sécurité pour justifier les check-points. Les check-points, comme outils de domination et de soumission, d'humiliation. Les check-points pour étouffer l'économie, empêcher le développement des infrastructures. Les check-points pour réduire un peuple au désespoir... juste assez de désespoir pour générer quelques attentats... qu'on utilise pour justifier les check-points...

Les check-points s'auto-entretiennent, et permettent à un gouvernement de rester en place, de cacher aux yeux du monde la colonisation en la déguisant en mesures de sécurité. Même logique pour les récentes visites des FDI dans les camps. De leur propre aveu, ils n'ont capturé que peu de personnes «intéressantes». Mais ils sont suscité des tas de vocations, à coups de personnes tuées, de maisons détruites, d'humiliations...

Pour faire face à ce flux de vocations, il faudra... des check-points. Des incursions. On a fait le tour du problème...

Appendice: du terrorisme, et de la résistance...

Pour moi, une personne qui s'attaque à des civils est un terroriste et pas un résistant. J'ai toute la sympathie du monde pour la cause palestinienne, sauf quand ils tuent des civils. Un militaire israélien qui tue des civils dans un camp est tout autant un terroriste, naturellement. De même que celui qui lui donne l'ordre de le faire, quand ordre il y a. Gouvernement compris.

Je n'ai aucun état d'âme quand un char d'assaut explose avec son équipage dans les Territoires, ni quand un tireur isolé envoie dix soldats au tapis à un check-point dans les Territoires. Les militaires israéliens tués dans les Territoires sont les seuls morts que je ne pleure pas.

Olivier Six

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Depuis septembre 2001, Olivier Six réside à Jérusalem-Est, et tient une chronique que l'on peut lire sur http://www.amnesix.net/blog/index.html

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