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Les mouvements sociaux et l’enjeu de la ZLEA

vieuxcmaq, Thursday, October 5, 2000 - 11:00

Dorval Brunelle (brunelle.dorval@uqam.ca)

Dans les lignes qui suivent, nous allons effectuer un tour d’horizon des stratégies mises en avant par plusieurs organisations syndicales des trois pays de l’Amérique du Nord face au projet de signature d’un accord de libre-échange nord-américain, l’ALENA, avant de nous pencher sur les oppositions et coalitions mises en place contre le projet de création d’une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) et l’éventuelle signature d’un Accord de libre-échange des Amériques (ALÉA).

Ceci dit, nous allons concentrer l’attention sur une dimension spécifique de cette action, à savoir sa dimension politique, et sur deux niveaux, le niveau national et le niveau continental. Il s’agit dès lors de rendre compte des stratégies auxquelles le mouvement syndical a eu recours pour manifester son opposition à la fois politique et idéologique à l’ALENA, plus tard, au projet de ZLEA.

Le contexte

Les États-Unis ont ouvert la voie qui conduira à la signature d’une nouvelle génération d’accords commerciaux, tels que nous les connaissons aujourd’hui et tels qu’ils seront négociés par un nombre croissant de partenaires dans les Amériques, avec la négociation d’un premier accord bilatéral de libre-échange avec Israël, accord qui entra en vigueur en 1985 3. À peine cet accord signé, la Maison Blanche amorça un second cycle de négociations, avec le Canada cette fois, à l’hiver de la même année, cycle qui aboutit à la fin de 1988 à la signature d’un accord de libre-échange d’une très grande portée. L’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALE) entrera en vigueur le premier janvier 1989. Ceci fait, les autorités américaines se tournèrent alors vers leur autre voisin, le Mexique, et amorcèrent un troisième cycle de négociations commerciales bilatérales, tout en élargissant considérablement le périmètre de leurs ambitions en proposant à l’ensemble des pays d’Amérique latine et de la Caraïbe d’implanter le libre-échange de l’Alaska à la Terre de Feu dans le cadre de ce qui sera appelé en juin 1990, l’Initiative pour les Amériques. Pour toutes sortes de raisons tactiques et stratégiques, et malgré la faiblesse des échanges commerciaux entre le Canada et le Mexique, les autorités canadiennes sollicitèrent une place à la table des négociations essentiellement, pour protéger et consolider les acquis de l’ALE, une requête qui leur fut accordée par le président George Bush, apparemment, selon certains observateurs, à la suite de l’appui enthousiaste apporté par les autorités canadiennes à l’opération Desert Storm contre l’Irak à l’hiver 1991.

C’est ainsi que les négociations à trois furent enclenchées au tout début des années quatre-vingt-dix par les présidents George Bush du Parti Républicain et Carlos Salinas de Gortari du Parti révolutionnaire institutionnalisé (PRI), ainsi que par le Premier ministre Brian Mulroney du Parti Progressiste-conservateur, et qu’elles aboutiront, en décembre 1992, avec la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Mais ce n'est finalement qu’en septembre 1993, après de nouvelles négociations, à la demande du Président Clinton, que les termes de l’entente seront définitivement arrêtés. La seule différence notable entre les projets de Bush et de Clinton, c’est que ce dernier exigera que l’ALENA soit accompagné de deux accords parallèles portant respectivement sur le travail, l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT), et sur l’environnement, l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement (ANACE). Une exigence qui visait à calmer les appréhensions de deux alliés de longue date du Parti démocrate, les syndicats et les groupes environnementalistes, grâce à quoi l’Accord pourra être ratifié par le Congrès et entrer en vigueur comme prévu le 1er janvier 1994.

Au Canada, la seule différence notable entre l’approche du Premier ministre conservateur et celle du nouveau Premier ministre, le libéral Jean Chrétien, c’est que ce dernier signera l’ALENA quoique’il l’ait dénoncé en tant que Chef de l’opposition d’une part et qu’il s’opposera, de même que son vis-à-vis mexicain, mais sans résultat, à l’ajout des deux accords parallèles d’autre part, une opposition qui ne tiendra toutefois plus quand viendra le temps de négocier et de signer un accord de libre-échange entre le Canada et le Chili en 1997, puisque ce dernier incorpore deux accords parallèles qui reprennent les termes de l’ANACT et de l’ANACE 4. Aux États-Unis, en décembre de cette même année 1994, faisant fond sur le projet des Amériques de son adversaire politique et prédécesseur sur ce point également, le président Clinton sera l’hôte du Premier Sommet des Amériques qui réunira à Miami les 34 chefs d’État et de gouvernement "démocratiquement élus", excluant de facto la présence de Cuba. C’est à cette occasion que seront amorcées les premières discussions en vue d’en arriver à un accord de libre-échange pan continental d’ici 2005. Le quatrième cycle de négociations sera officiellement lancé à l’occasion du deuxième Sommet des Amériques, à Santiago au Chili, au mois d’avril 1998.

L’opposition politique et idéologique de l’AFL-CIO à l’ALENA s’explique par le lien direct que les analystes de la centrale établissaient entre le libre-échangisme et la perte d’emplois à court terme, une perte qui résulterait d’une relocalisation de certaines activités industrielles au Mexique de la part d’entreprises qui voudraient profiter des bas salaires et autres conditions avantageuses qui leur sont offertes dans ce pays par comparaison avec celles qui prévalent aux États-Unis. Cette menace pesait d’ailleurs plus sur les salariés syndiqués que sur tous les autres. Cependant, afin de contourner le reproche un peu facile qui lui était adressé de s’opposer à l’ALENA pour des motifs essentiellement corporatistes, l’AFL-CIO a très tôt cherché à étendre les enjeux et à élargir ses alliances: concernant les enjeux, l’organisation syndicale a invoqué d’autres questions sociales comme le travail des enfants, les migrations illégales ou le "dumping social", et quant aux alliances, elle a cherché, pour des raisons tactiques, à se rapprocher d’un autre adversaire des accords de libre-échange, le mouvement écologiste. En effet, les relations étaient demeurées tendues entre organisations syndicales et organisations environnementales, essentiellement parce que les premières reprochaient aux secondes d’ignorer ou de sous-estimer les effets négatifs de l’imposition de normes environnementales aussi bien sur les niveaux d’emplois que sur les perspectives de création d’emplois.

L’opposition au Mexique : la RMALC

Le cas mexicain est très différent de celui des États-Unis et du Canada, surtout à cause de l’ascendant qu’exerce le PRI, au pouvoir depuis 19287, sur l’ensemble des composantes de la société civile et de ses organisations. Le mouvement syndical officiel est en fait incapable de soutenir et de défendre une position autonome face à la politique économique du gouvernement. L’adhésion au libre-échange à l’aube des années quatre-vingt est d’autant plus révélateur de cette absence d’autonomie du mouvement syndical officiel que les autorités mexicaines avaient systématiquement eu recours au protectionnisme pendant les décennies précédentes d’une part.

Le plus frappant dans la "contre-révolution monétariste" mexicaine, au-delà de ses dimensions politiques, voire idéologiques, c’est la rapidité du revirement de la part de l’opinion publique qui s’est montrée passablement complaisante vis-à-vis de la sanction d’un éventuel accord de libre-échange avec les États-Unis. Ce retournement s’explique non seulement par l’efficacité de l’ascendant du PRI et de ses instruments de propagande sur les organisations de la société civile, mais également par le fait que des segments importants de l’opinion publique ont crû repérer dans cette éventuelle ouverture commerciale, une occasion à saisir pouvant permettre à la fois de desceller l’emprise du PRI sur la société et d’élargir l’espace de la démocratie sur le plan domestique. Soulignons, au passage, que la privatisation et la déréglementation apportent sans doute, dans nombre de contextes, leur lot de misères et de capitulations, il n’en demeure pas moins que, en obligeant des pouvoirs institués passablement autoritaires ou autocratiques à relâcher certains contrôles et à lever certaines entraves, ces mêmes mesures peuvent permettre d’ouvrir des brèches dans les dispositifs de domination et de contrôle des pouvoirs en question.

Ces précisions prennent tout leur sens dès que l’on se tourne du côté des quelques organisations qui ont fait état de leur opposition au projet d’accord de libre-échange et qui, plutôt que de s’opposer purement et simplement à l’ensemble du processus d’intégration économique, ont choisi la voie de l’ébauche d’un projet alternatif. Il est revenu à une organisation syndicale comme le Frente Autentico del Trabajo (FAT) de saisir l’occasion dès 1991 pour monter, de concert avec d’autres organisations, une coalition, la Red Mexicana de Accion frente al Libre Comercio (RMALC) qui s’est donnée le double mandat d’élargir l’opposition à l’ALENA et d’engager une réflexion d’ensemble autour de la rédaction d’un autre accord d’intégration qui tiendrait compte des exigences d’un développement social et durable.

La RMALC a d’abord exigé que les discussions autour des termes d’un éventuel accord soient menées en public et revendiqué en parallèle l’élargissement de la participation. Par la suite, une fois l’accord signé, le réseau a modifié son action et sa stratégie pour se concentrer sur l’analyse et l’étude des impacts de l’ALENA sur l’économie nationale et la population d’une part, et ouvrir les discussions autour d’une proposition d’accord alternatif qui favoriserait de manière efficace un développement soutenable et juste, d’autre part. Parmi ces actions, la plus notable, est sans doute celle qui a conduit la RMALC à élaborer et à proposer un programme économique alternatif pour le Mexique qui fut soumis à une consultation publique à l’occasion de la tenue d’un "Référendum de la liberté" en 1995. Plus de 430 000 citoyens participèrent à cette consultation.

Les oppositions au Canada et au Québec : Common Frontiers et RQIC

Le coup d’envoi des négociations commerciales Canado-américaines sera donné par les deux chefs d’État, le président Ronald Reagan, et le Premier ministre, Brian Mulroney, lors du Sommet Shamrock tenu à Québec en mars 1985. Le débat devait capter l’attention jusqu’aux élections fédérales de 1988.

Au départ, tous les organismes syndicaux et nombre d’organismes sociaux mettront en lumière les menaces que le projet faisait planer sur l’emploi, sur la législation du travail et, plus généralement, sur les lois sociales au pays.

Au Québec, c’est en 1986 que la Coalition québécoise d’opposition au libre-échange (CQOL) est formée. Elle regroupe les principales centrales syndicales, à savoir la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ), la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), ainsi que l’Union des producteurs agricoles (UPA). La première coalition canadienne, Pro-Canada Network, qui changera son nom et s’appellera bientôt Action Canada Network, naîtra l’année suivante, en 1987. Malgré la publication et la diffusion de travaux et d’analyses sur les effets négatifs d’un éventuel accord de libre-échange, la CQOL ne connaîtra jamais le même succès que sa contrepartie canadienne qui saura, quant à elle, engager un véritable débat de société autour des enjeux sociaux et culturels du libre-échange.

Entre temps, dans un important document publié en 1986, la Coalition québécoise avait fait état des effets éventuels du libre-échange, non pas tant sur les conditions de vie et de travail des travailleurs syndiqués, mais bien sur le sort des politiques sociales canadiennes. En fait, autant le débat sur le libre-échange, au niveau canadien, aura pu compter sur des appuis vastes issus de milieux les plus divers, c’est-à-dire les milieux sociaux, politiques, culturels, environnementaux, entre autres, autant au Québec, le débat sera concentré surtout sur les effets économiques du libre-échange et, dans une moindre mesure, sur ses effets sociaux.

Quoi qu’il en soit, le résultat de l’élection fédérale de l’automne 1988 eut un effet démobilisateur pour les opposants au libre-échange au Canada et, peu de temps après, les coalitions se sont sabordées. Tout au plus certains groupes et syndicats opposeront-ils une fin de non recevoir quand s’annoncera la ronde subséquente de négociations, avec le Mexique cette fois, mais ils renonceront à s’engager plus avant.

En revanche, la situation au Québec évoluera différemment, puisque dès avril 1991, dans la foulée même de l'ouverture des négociations entre le Canada, les États-Unis et le Mexique en vue d'en arriver à la signature d'un Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), une Coalition québécoise sur les négociations trilatérales (CQNT) est mise sur pied. Cette coalition se donnera trois objectifs : premièrement, critiquer l'approche réductrice, c'est-à-dire exclusivement commerciale et tarifaire, adoptée par les trois partenaires tout au long de leurs délibérations ; deuxièmement, porter le débat sur la place publique en organisant rencontres, colloques et conférences de presse, tout en sollicitant des entrevues auprès des responsables de ce dossier au niveau politique ; et, troisièmement, participer à la mise sur pied de rencontres et d'échanges avec des syndicats, des associations ou des groupes qui, à l'échelle du continent, partageaient cette approche critique vis-à-vis du projet d'intégration en cours d'implantation.

Peu de temps après, des groupes et syndicats formèrent une nouvelle coalition au Canada, Common Frontiers, tandis que la CQNT, après avoir également élargi ses alliances, devient le Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC), en 1994, après l’entrée en vigueur de l’ALENA.

Depuis lors, les deux coalitions ont resserré leurs liens. Elles travaillent en parallèle autour des questions de formation et d’information d’une part, et elles ont toutes deux été activement impliquées, à l’instar des coalitions issues d’autres pays, dans l’organisation du Sommet des peuples tenu à Santiago en avril 1998, en marge du Deuxième Sommet des Amériques, d’autre part.

L’opposition à la ZLEA

Avant de traiter des oppositions à la ZLEA, il convient d’apporter quelques précisions au sujet du processus de la négociation lui-même. Ce processus opère à deux niveaux. Au premier niveau, nous avons les sommets des chefs d’État et de gouvernement qui sont convoqués aux quatre ou aux trois ans : le premier Sommet des Amériques s’est tenu à Miami en décembre 1994, le deuxième Sommet, à Santiago du Chili, en avril 1998, tandis que le troisième Sommet aura lieu à Québec en mai 2001. Au second niveau, nous avons les Réunions ministérielles qui réunissent les 34 ministres du commerce des Amériques et qui se tiennent tous les dix-huit mois. Elles ont été tenues successivement à Denver (Colorado) en 1995, à Carthagène (Colombie) en 1996, à Belo Horizonte (Brésil) en 1997, à San José (Costa Rica) en 1998 et, enfin, à Toronto (Canada), en novembre 1999. La sixième Réunion ministérielle aura lieu en avril 2001 à Buenos Aires, soit un mois avant le Sommet de Québec. Elle servira à faire le point sur l’avancement des négociations et à lancer l’étape subséquente, tout comme la quatrième Réunion ministérielle de mars 1998 à San José avait permis de mettre au point le Plan d’action et la formule de négociation qui furent divulgués le mois suivant lors du deuxième Sommet des Amériques.

Quant au contenu, si le premier Sommet avait débouché sur la conclusion d’un accord de principe en vue de la création d’une Zone de libre-échange d’ici 2005, c’est lors du deuxième Sommet que l’on assiste au lancement officiel des négociations de la ZLEA. Un récent document officiel du gouvernement du Canada précise la portée des négociations en cours dans les termes suivants : "L’objet de ces pourparlers est de créer la zone franche la plus vaste au monde, un marché unique qui comprend aujourd’hui 800 millions d’habitants et affiche une produit intérieur brut (PIB) global de plus de 10 billions (10 000 milliards) de dollars US. La ZLEA servira à consolider les régimes de libre-échange que le Canada a établis avec les États-Unis, le Mexique et le Chili, ainsi que les liens, de plus en plus nombreux, qu’il noue avec d’autres pays du continent ".

À l’issue du Sommet de Santiago, le Canada assumera la tâche de présider les négociations pendant les dix-huit premiers mois, responsabilité qui échoira à l’Argentine après la Réunion ministérielle de Toronto. À titre de président des négociations, le pays responsable dirige le Comité des négociations commerciales (CNC). La première réunion du CNC a eu lieu à Buenos Aires en juin 1998 et l’on y a défini le programme de travail de neuf équipes de négociations et des trois organes consultatifs. Depuis septembre 1998, les négociations se poursuivent à Miami "afin de mettre au point un ensemble important de mesures de facilitation du commerce pour réaliser les progrès concrets souhaités par les chefs d’État et de gouvernement et les ministres d’ici l’an 2000 ".

Les négociations officielles sont suivies de très près par les milieux d’affaires qui ont mis sur pied un Forum des gens d’affaires des Amériques (FGAA), mieux connu sous son appellation anglaise, Americas Business Forum (ABF), forum qui s’est vu octroyer un statut consultatif officiel par les chefs d’État et de gouvernement. Le Forum tient ses rencontres en même temps que celles des ministres et celles chefs d’État et de gouvernement depuis la réunion ministérielle de Denver en 1995. À cette occasion, "les discussions s’articulaient autour des secteurs économiques énoncés dans la déclaration de Miami sur l’amélioration de la coopération économique, soit les télécommunications, l’énergie et les transports ". La fois suivante, à Carthagène en 1996, de même que les fois subséquentes, les travaux des participants du Forum furent liés de très près à ceux des Réunions ministérielles. Ainsi, à Belo Horizonte, "plus de 200 recommandations ont été formulées et présentées aux ministres du commerce", tandis qu’au Forum de San José, "les discussions ont porté sur les 221 mémoires présentés par diverses organisations du secteur privé de 17 pays et groupes régionaux tels CARICOM, le MERCOSUR et le Marché commun d’Amérique centrale (…) et les participants ont établi quelque 210 recommandations ". L’effet utile de ces rencontres mérite d’être souligné car "plusieurs des recommandations proposées par les participants au Forum de San José se reflètent dans le mandat des équipes de négociations de la ZLEA et dans le Plan d’action issu du Sommet des Amériques de 1998 "19. D’ailleurs, au-delà de ces entrecroisements stratégiques entre milieux politiques et milieux des affaires, il faudrait également faire état du soutien financier réciproque qui a conduit les gouvernements à subventionner la tenue des Forum des gens d’affaires, tout comme des entreprises contribuent au financement des rencontres officielles, soit dit en passant.

Au cours de ces années, nous assistons à un rapprochement significatif et original, non seulement entre les centrales syndicales elles-mêmes, qui poursuivent leurs échanges et consultations comme elles le faisaient par le passé, mais aussi entre les centrales syndicales et les autres mouvements sociaux à l’intérieur des coalitions nationales d’opposition au libre-échange mises en place au Nord comme au Sud. Ainsi, lors de la réunion des présidents des pays membres du MERCOSUL, du Chili et de la Bolivie tenue à Fortaleza en décembre 1996, la principale centrale syndicale des États-unis, l’AFL-CIO, de même que l’ORIT, envoyèrent des représentants pour appuyer les autres centrales sud-américaines qui s’étaient entendues pour commémorer une "journée internationale de lutte pour les droits des travailleurs du MERCOSUL". Cependant, peu après, lors de la troisième Réunion ministérielle de Belo Horizonte en mai 1997, ce ne sont plus seulement les représentants du mouvement syndical des Amériques qui se réunissent, mais également les délégués des coalitions d’opposition au libre-échange qui cherchent depuis lors à développer des positions communes et à construire les alternatives à l’intégration par les marchés. Parmi les décisions prises à Belo Horizonte, la plus innovatrice est sans doute celle qui a consisté à lancer une Alliance sociale continentale (ASC), c’est-à-dire à jeter les bases d’une alliance large et profonde appuyée sur la construction "d’alternatives viables et concrètes à la ZLEA ".

Par la suite, les principales coalitions nationales ont réussi à organiser, en marge du Deuxième Sommet des chefs d’État et de gouvernement des Amériques, le premier Sommet populaire des Amériques, tenu à Santiago du 14 au 17 avril 1998. Ce sommet avait été convoqué à l’instigation de cinq coalitions nationales d’opposition au libre-échange, dont quatre issues du Nord, ART, la RMALC, Common Frontiers et le RQIC, une issue du Sud, la Red Chile por una Iniciativa de los Pueblos (RECHIP), la coalition hôte, ainsi qu’à l’instigation d’organisations, dont l’ORIT, environnementales, féministes, autochtones, de même que de l’Instituto Brasileiro de Analise Social e Economica (IBASE). Le Sommet des peuples a non seulement représenté un moment fort de l’opposition au libre-échange dans les Amériques, il a surtout permis de rassembler des opposants venus des horizons les plus divers et d’établir un consensus autour d’un document intitulé: "Des Alternatives pour les Amériques. Vers un accord entre les peuples du continent". Ce document réunit et rassemble les déclarations et prises de positions issues des dix forum réunis autour du Sommet des peuples.

Face à de semblables initiatives politiques et sociales, les gouvernements ne sont pas restés passifs, loin de là. Inquiets devant la montée des oppositions au projet de ZLEA et tirant d’amères leçons du ratage des négociations menées à l’instigation de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en vue d’en arriver à un Accord multilatéral sur l’investissement (AMI), les chefs d’État et de gouvernement des Amériques ont mis sur pied un Groupe consultatif sur la participation de la société civile (Deblock et Brunelle, 1999). L’idée générale qui court derrière cette initiative, c’est que les négociations de l’AMI, en particulier, ont péri faute d’information de sorte que, si l’on réussissait à remédier à cette lacune, les populations adhéreraient sans réticence au projet des Amériques. Cependant l’initiative en question rallie les deux extrêmes, à savoir les deux pays les plus riches, les États-Unis et le Canada d’une part, la plupart des 21 plus petits pays d’autre part, tout en rencontrant une opposition très forte de la part d’un seul, le Mexique, mais dont on sait par ailleurs qu’il sert de porte-voix à quelques autres qui préfèrent demeurer passifs sur toute cette question. Étant donné que le processus de négociation, dans le cadre de la ZLEA, est mené sur la base de consensus, chaque partenaire dispose, dans la pratique, d’un droit de veto. La position mexicaine vis-à-vis de la société civile est d’autant plus difficile à défendre que l’ABF est dûment reconnu et accrédité, et que les pays soutiennent activement et financièrement sa participation. En revanche, la position mexicaine s’explique aisément : au niveau formel, elle s’appuie sur une vision exclusive du rôle des pouvoirs législatif et exécutif en tant que seuls représentants dûment mandatés pour parler au nom de la société civile ; au niveau stratégique ou tactique, elle veut éviter les affrontements avec une opposition politique qui occupe une place fort réduite au sein des institutions officielles. On aura alors compris que cette position de principe rallie essentiellement les pays qui vivent sous l’empire de régimes autoritaires, mais cette qualification ne peut évidemment pas être utilisée dans le contexte d’une négociation menée entre chefs d’États et de gouvernement "démocratiquement élus", l’exigence qui a servi à exclure Cuba des négociations en cours.

En attendant, le processus de formation de coalitions s’étend et s’approfondit. Après le Brésil et la formation là-bas de la REBRIP, ce fut au tour de l’Amérique centrale de se doter de sa propre coalition, la Iniciativa de la sociedad civil sobre la integracion centro-americana (ICIC), tandis que le Congrès latino-américain d’organisations rurales (CLOC) se joignait à l’ASC. À leur tour et au niveau interne, chacune de ces coalitions rallient un nombre croissant d’organisations. Elles sont activement engagées dans la formation au niveau de chacune des sociétés civiles, tout en travaillant à la constitution d’un front large d’opposition au projet des Amériques. Ceci dit, ces coalitions ne visent pas à établir une quelconque hégémonie sur les organisations issues de la société civile puisque certaines d’entre elles, les organisations des femmes et des autochtones, pour ne citer que ces deux-là, préfèrent conserver leur autonomie, leur marge de manœuvre ainsi que leur propre stratégie d’internationalisation.

Les Alternatives pour les Amériques et l’Alliance sociale continentale

Prenant acte des échecs consécutifs aux stratégies poursuivies par les coalitions nord-américaines contre les accords de libre-échange durant les deux étapes successives de négociations de l’ALE, puis de l’ALENA, d’une part, et prenant acte des acquis, aussi réduits soient-ils, obtenus par suite des pressions et négociations menées par les syndicats et autres acteurs sociaux dans le cadre du MERCOSUR, d’autre part, les membres des diverses coalitions d’opposition au projet des Amériques ont convenu de défendre une approche plus offensive face au projet des Amériques. Cette approche vise à accroître l’implication des opposants et à en élargir le nombre en travaillant sur des alternatives au Plan d’action, au lieu de se contenter d’un refus pur et simple. Devant la démultiplication des lieux d’opposition, devant l’accroissement des effets pervers de la mondialisation des économies et devant la prolifération des critiques, le temps était venu d’engager la convergence la plus large possible en vue de dégager des pistes de réflexion et d’action susceptible d’offrir des alternatives, et non plus une alternative, à la mondialisation des économies.

La diffusion, dans les quatre langues officielles, au lendemain de la tenue du Premier Sommet des peuples des Amériques, du document intitulé Des Alternatives pour les Amériques. Vers un accord entre les peuples du continent, marquait à la fois l’aboutissement d’un travail amorcé à Belo Horizonte et un jalon important dans cet ambitieux projet de constitution d’un alliance sociale embrassant le plus grand nombre de secteurs et d’acteurs issus des 35 sociétés civiles des Amériques, y compris Cuba.

Au point de départ, le document sur les alternatives définissait les principes généraux suivants, à savoir que " le commerce et l'investissement ne doivent pas constituer des fins en soi, mais bien des moyens susceptibles de nous mener vers un développement juste et durable. il est essentiel que les citoyens et les citoyennes exercent leur droit de participer à la formulation, à la mise en œuvre et à l'évaluation des politiques sociales et économiques du continent. Les objectifs centraux de telles politiques doivent être la promotion de la souveraineté économique, le bien-être collectif et la réduction des inégalités à tous les niveaux ".

Or, en attendant cet autre événement majeur qui fournira une nouvelle occasion de rassembler les forces sociales des Amériques dans la ville de Québec lors de la tenue du troisième Sommet des chefs d’État et de gouvernement en 2001, quelque deux cents représentants de l’Alliance sociale continentale se sont réunis à Toronto du premier au 5 novembre, en marge de la cinquième Réunion ministérielle. Cette réunion a permis de consolider l’Alliance et de préparer le terrain en prévision du deuxième Sommet des peuples des Amériques. Une des revendications centrales autour de laquelle l’unanimité s’est faite, c’est la dénonciation de la clandestinité du processus de négociation et l’exigence de transparence. Nous sommes dès lors encore loin de l’établissement d’une consultation en bonne et due forme.

Conclusion

Pour le moment, les partenaires des États-Unis poursuivent les négociations sans se préoccuper outre mesure des contraintes constitutionnelles, tout en gérant au mieux les défis posés par les revendications issues des sociétés civiles elles-mêmes. Dans le cas du Canada, une position conciliante a poussé les autorités politiques à reconnaître le rôle de la société civile et de ses représentants ; cette reconnaissance a pris la forme d’un appui apporté à l’organisation du Sommet parallèle qui s’est tenu en même temps que le Sommet ministériel de Toronto en novembre 1999. Bien sûr, on peut penser que cette concession de la part des autorités canadiennes relève moins d’une ouverture d’esprit qu’elle ne répond à un objectif stratégique précis ; en effet, en tant qu’hôte du troisième Sommet des chefs d’État et de gouvernement qui se tiendra à Québec en avril 2001, le gouvernement doit chercher à atténuer du mieux que possible les éventuelles oppositions sociales au projet des Amériques.

Pour leur part, les coalitions ne font pas relâche non plus. On peut s’attendre à un élargissement des alliances d’un côté, à l’approfondissement des revendications de l’autre. De plus en plus, elles dénoncent la clandestinité de la négociation elle-même, ne serait-ce qu’en comparaison du peu qui se fait déjà dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), par exemple.

D. Brunelle et C. Deblock enseignent à l’UQAM et sont membres du Groupe de recherche sur l’intégration continentale



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