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Dix ans de perdus pour la planète

tartosuc, Samedi, Août 10, 2002 - 19:42

Patrick Piro

L'état de la planète est très inquiétant. Le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, en 1992, avait suscité un réel espoir. Le Sommet de la Terre 2, appelé Sommet pour le développement durable, aura lieu à Johannesburg en Afrique du Sud, du 26 août au 4 septembre. Entre ces deux rendez-vous, une décennie d'hypocrisie et de gaspillages.

« Très mal parti », « échec annoncé », « conférence pour rien », « régression »... À un mois de l'ouverture du Sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg, qui se tiendra du 26 août au 4 septembre en Afrique du Sud, l'unanimité des commentaires devient préoccupante chez les observateurs, en particulier chez les officiels, qu'une diplomatie rituelle oblige à des formules plus mesurées. Rarement conférence des Nations unies n'aura engendré une telle déprime « pré-partum ». Nombreux sont ceux qui iront à Johannesburg parce qu'on ne peut pas faire autrement, avec au coeur le secret espoir d'assister à un petit miracle.

Johannesburg, c'est dix ans après Rio. L'objectif officiel du sommet sud-africain est de relancer le processus engagé au Sommet de la Terre en 1992 dans la ville brésilienne. En termes onusiens : « Combler le fossé du manque de mise en oeuvre des résolutions de Rio, par le biais de propositions concrètes. » À l'époque, il avait été de bon ton de fustiger la tiédeur des engagements pris par les gouvernements face à l'urgence des problèmes planétaires. Une décennie plus tard, par contraste, on se prend à reconnaître qu'un vrai souffle avait inspiré cette conférence - la plus grande jamais organisée par l'ONU - à laquelle avaient assisté près de 180 chefs d'État et de gouvernement. La protection de l'environnement et l'élimination de la pauvreté avaient été identifiées comme deux luttes à mener de front, et les États s'étaient mis d'accord sur la notion de « responsabilités communes, mais différenciées » : le Nord devait revoir ses modèles de production et de consommation, et le Sud devait mieux prendre en compte les dimensions environnementales et sociales de son développement. Le principe de précaution et la solidarité avec les générations futures avaient été affirmés. Un fonds spécial avait été créé pour financer le sustainable development, terme popularisé à Rio dont la traduction française mal fagotée se stabilisera en « développement durable ». Deux importantes conventions - sur les changements climatiques et la diversité biologique - avaient été adoptées, ainsi qu'une troisième sur la lutte contre la désertification, une déclaration sur les forêts, et l'Agenda 21, un guide pour l'action.

Dix ans plus tard, le processus d'application de ces textes demeure très décevant (voir encadré). Énergie, eau potable, santé, pauvreté, ressources, alimentation : la situation s'est dégradée dans tous les domaines. Les pays du Nord n'ont touché qu'aux marges leurs modes de production et de consommation. Les pays du Sud attendent que ceux du Nord tirent les premiers. Les attentats du 11 septembre 2001 ont encore renforcé la détermination des États-Unis, acteur central de ce fiasco, à mettre leur énergie dans la défense de la mondialisation économique et la lutte contre le terrorisme.

Il n'est pas prévu, à Johannesburg, de tirer un bilan officiel de « Rio+10 », et il n'est même pas certain que les engagements d'alors soient réaffirmés. « Le Sommet de la Terre de 1992 est arrivé vingt ans trop tard ou dix ans trop tôt », juge, amer, Ignacy Sachs, directeur du Centre de recherche sur le Brésil contemporain. L'émergence du concept de développement durable a coïncidé avec la montée du fondamentalisme en matière d'économie de marché. Il y a là une incompatibilité irréductible. Comment imaginer que le marché livré à lui-même puisse réagir à d'autres critères que celui de la seule rentabilité ? Depuis Rio, on a reculé sur tous les fronts. Pour Johannesburg, il serait plus approprié de parler de "Rio - 10"... »

La mondialisation économique a avalé tout cru un développement durable encore dans l'oeuf. Au cours de cette décennie, les Nations unies ont organisé une série de grandes conférences thématiques - la population et le développement (Le Caire, 1994), le développement social (Copenhague, 1995), les femmes (Pékin, 1996), l'habitat (Istanbul, 1996), l'alimentation (Rome, 1996), l'éducation (Dakar, 2000), sommet du Millenium (New York, 2000), les pays les moins avancés (Bruxelles, 2001), le financement du développement (Monterrey, 2002), la faim (Rome, 2002), etc. -, gravant au bas de chaque déclaration d'impérissables principes, pétris d'humanité et d'équité et aux objectifs définitifs : la santé, l'éducation et l'eau pour tous, la faim et la pauvreté éradiquées... Sans le moindre engagement concret, sans financement ni calendrier : pas question d'entraver le néolibéralisme économique, alors qu'enflaient les ambitions de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

« Johannesburg risque de consacrer cette démission des politiques », relève le Thirld World Network, un réseau citoyen international établi en Malaisie. Une simple déclaration politique est en préparation pour la conférence, mais, début juillet, il n'en existait pas le brouillon. Un programme d'action est en chantier, mais truffé de points de litiges, et la dernière conférence de préparation à Johannesburg, qui s'est tenue en juin à Bali, n'a pu que constater un blocage alarmant. Tout juste a-t-on validé les têtes de chapitres du programme d'action : cinq thèmes sectoriels (l'eau, l'énergie, la santé, l'alimentation, la protection des ressources naturelles) et trois thèmes transversaux (le financement, le commerce, la gouvernance).

Quant aux positions des protagonistes, elles sont très éloignées les unes des autres. En posture médiane, l'Union européenne. Coincée par une pratique du consensus rendue encore plus laborieuse depuis les récents changements de gouvernements dans le club des Quinze, elle se retranche derrière un strict légalisme, campant stricto sensu sur les « acquis » des conférences de l'OMC à Doha (en novembre 2001) et de l'ONU à Monterrey (en mars 2002). Aveu caractérisé d'impuissance, consistant - piège redouté - à ne reconnaître à Johannesburg que la fonction d'appendice de ces deux réunions qui ont confirmé la primauté du dogme du libre-échange dans le débat concernant la protection de l'environnement et les mécanismes de financement du développement.

Le groupe dit du « G 77 », conglomérat très hétéroclite de 133 pays non membres de l'OCDE et rassemblant des pays pauvres et des poids lourds comme l'Inde, la Chine ou le Brésil, fait en revanche une surenchère qui traduit son exaspération devant un non-événement annoncé. Le G 77 exige ainsi de la part des pays riches plus d'efforts financiers ainsi qu'une ouverture plus importante de leurs marchés pour leurs productions. Tout en refusant de se plier à des contraintes environnementales ou sociales. En somme, du développement pur et dur à la mode des années 1960. La position du G 77 est cependant friable. Alors que les pays de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), qui en font partie, ne veulent pas réduire la consommation des énergies fossiles, le Brésil pousse l'idée de faire passer la part des énergies renouvelables de 2 % à 10 % du bilan mondial d'ici 2020.

« Cette conférence manque à l'évidence de locomotive, constate Michel Mousel, président de la Commission française du sommet mondial pour le développement durable (CFSMDD, voir encadré). Aucun pays ne prend l'initiative de la tirer de l'ornière où elle se trouve. » Et surtout pas les États-Unis, soutenus par l'Australie, le Japon et le Canada, qui ne veulent pas entendre parler d'aide sans engagement des pays pauvres à lutter contre la corruption, à mieux gérer les affaires de l'État et à ouvrir leurs marchés.

De fait, l'apport le plus notable des États-Unis à la Conférence de Johannesburg, c'est la promotion des initiatives « de type II », un ensemble fourre-tout et ambigu de « partenariats » public-privé et ouverts à tout type d'acteur - entreprises, gouvernements, collectivités locales, institutions internationales, ONG... - pourvu qu'ils soient concrets et estampillées « développement durable », selon des critères établis par les Nations unies (1). « Il s'agit en fait d'une diversion, destinée à affaiblir toute démarche à caractère normatif, qu'il s'agisse d'engagements fermes ou de principes contraignants », traduit Michel Mousel. C'est ainsi que les « vedettes américaines » du sommet pourraient bien être... les entreprises, accueillies comme les pompiers du développement durable ! Pour l'économiste Susan George, directrice associée du Transnational Institute et vice-présidente de l'association Attac, l'affaire est entendue : « À Johannesburg, on va assister à leur canonisation ! Jamais un tel rôle officiel ne leur avait été reconnu. »

Dans les années 1970, on croyait aux vertus de l'aide publique au développement (APD) pour aider les pauvres à rattraper leur retard économique. Les nations industrialisées avaient proclamé leur ambition d'y consacrer, dès que possible, 0,7 % de leur Produit national brut (PNB). Seule une poignée de pays dans le monde, situés au Nord de l'Europe a atteint cet objectif. La France a lâché prise vers 0,54 % en 1992 pour stagner à 0,32 % aujourd'hui, valeur moyenne dans l'Union européenne. Qui vient de se ressaisir, promettant d'atteindre... 0,39 % d'ici 2012 ! Quant aux États-Unis, son APD est restée à 0,1 % de son PNB, et les fonds qu'elle destine à l'Afrique ont chuté de 1,93 à 0,93 milliard de dollars entre 1993 et 2000. Au total, lors de la dernière décennie, l'APD mondiale a dégringolé de près de 30 %, qui représentent aujourd'hui 50 milliards de dollars. À l'ONU, on appelle cela une « grave crise du financement du développement (2). » Dans les pays du Sud, les « largesses » des États industrialisés ne font plus rêver. « Même en supposant que les bonnes résolutions des années 1970 soient tenues, calcule Aziz Sow, ministre délégué chargé du Nepad (3) au Sénégal, il faudrait cent cinquante ans d'APD mondiale pour couvrir les besoins des pays en voie de développement. Il nous faut des flux de financement privés. Ils ont permis la reconstruction de l'Europe. Pourquoi ça ne marcherait pas en Afrique ? »

« Depuis Rio, le monde des affaires a compris qu'il était profitable d'investir le terrain du développement durable, explique Susan George. C'est même Maurice Strong, le secrétaire général de cette conférence, qui a introduit les multinationales dans ce processus, en créant un World Business Council on Sustainable Development, lobby de multinationales qui ont bloqué à Rio l'instauration de toute régulation à leur endroit. Elles revendiquent de pratiquer une autorégulation ainsi que de traiter d'égal à égal avec les États et les agences de l'ONU. Mais quid de leur responsabilité sociale et environnementale, quand la plupart d'entre elles, malgré la production de rapports internes, refusent toute évaluation indépendante et contradictoire de leurs pratiques ? J'estime que ce processus de légitimation, engagé depuis dix ans, ne sert qu'à masquer leurs objectifs premiers, à savoir faire du profit. » Bien plus que la santé ou l'éducation, les thèmes de l'eau, de l'assainissement et de l'énergie - où existent des marchés considérables à conquérir dans les pays du Sud - seront donc sur le devant de la scène à Johannesburg.

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