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De vieilles haines nourries par la peur

Anonyme, Vendredi, Mai 3, 2002 - 14:27

Naomi Klein

Je savais par des messages électroniques qu'il se passait quelque chose d'inédit à Washington le week-end dernier. Une manifestation contre la Banque mondiale et le Fonds monétaire international avait été rejointe par des opposants à la guerre et des manifestants contre l'occupation israélienne du territoire palestinien. Au final, tous les manifestants ont convergé pour former ce que les organisateurs ont décrit comme la plus grande démonstration de solidarité avec la Palestine de l'histoire des États-Unis - 75 000 personnes selon les estimations de la police. Dimanche soir, j'ai allumé mon poste de télévision dans l'espoir d'y apercevoir cet événement historique. J'y ai vu autre chose : un Jean-Marie Le Pen triomphant, célébrant son nouveau statut de deuxième leader politique en France. Depuis, je me demande si la nouvelle alliance qui s'est manifestée dans la rue peut aussi surmonter cette nouvelle menace.

Je savais par des messages électroniques qu'il se passait quelque chose d'inédit à Washington le week-end dernier. Une manifestation contre la Banque mondiale et le Fonds monétaire international avait été rejointe par des opposants à la guerre et des manifestants contre l'occupation israélienne du territoire palestinien. Au final, tous les manifestants ont convergé pour former ce que les organisateurs ont décrit comme la plus grande démonstration de solidarité avec la Palestine de l'histoire des Etats-Unis - 75 000 personnes selon les estimations de la police. Dimanche soir, j'ai allumé mon poste de télévision dans l'espoir d'y apercevoir cet événement historique. J'y ai vu autre chose : un Jean-Marie Le Pen triomphant, célébrant son nouveau statut de deuxième leader politique en France. Depuis, je me demande si la nouvelle alliance qui s'est manifestée dans la rue peut aussi surmonter cette nouvelle menace.

Etant à la fois critique de l'occupation israélienne et de la mondialisation imposée par les transnationales, il me semble que la convergence réalisée à Washington le week-end dernier se faisait attendre depuis longtemps. En dépit des étiquettes faciles de type "antimondialisation", c'est bien l'autodétermination que revendiquent depuis trois ans les protestations liées au commerce : le droit des peuples de toute la planète à décider comment organiser au mieux leur société et leur économie, qu'il s'agisse d'introduire une réforme foncière au Brésil ou de produire des médicaments génériques contre le SIDA en Inde, ou même de résister aux forces d'occupation en Palestine.

Quand des centaines de militants de l'altermondialisation se sont rassemblés à Ramallah pour servir de "boucliers humains" entre les tanks israéliens et les Palestiniens, la théorie qui se développe depuis quelque temps en marge des sommets consacrés au commerce a trouvé une application concrète. Ramener cet esprit courageux à Washington, où se décide une part si importante de la politique au Proche-Orient, était logiquement l'étape suivante.

Mais quand j'ai vu M. Le Pen rayonnant à la télévision, les bras levés triomphalement, j'ai perdu un peu de mon enthousiasme. Il n'y a aucun lien quel qu'il soit entre le fascisme français et ceux qui ont manifesté à Washington pour une "Palestine libre" (en fait, les seuls que les partisans de M. Le Pen semblent exécrer plus que les Juifs sont les Arabes). Et pourtant, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à tous les événements récents auxquels j'ai assisté où la violence contre les musulmans était justement condamnée, Ariel Sharon faisait l'objet de sévères critiques méritées, mais aucune mention n'était faite des attaques contre les synagogues, les cimetières et les centres culturels juifs. Ou au fait qu'à chaque fois que je me connecte à des sites d'informations militants comme Indymedia.org, qui pratiquent "la publication ouverte", je me trouve face à une série de théories d'une conspiration juive sur le 11 septembre et à des extraits des Protocoles des sages de Sion.

Le mouvement altermondialiste n'est pas antisémite, mais il ne s'est pas encore totalement confronté aux implications de l'engagement dans le conflit du Proche-Orient. La plupart des gens de gauche se contentent de choisir leur camp et au Proche-Orient, où l'un subit l'occupation et l'autre bénéficie du soutien de l'armée américaine, le choix paraît clair. Mais il est possible de critiquer Israël tout en condamnant avec force la montée de l'antisémitisme. Et il est possible aussi d'être en faveur de l'indépendance palestinienne sans plonger dans une dichotomie simpliste "pro-palestiniens/anti-Israël", image en miroir des équations bien contre mal dont le Président George W. Bush est friand. Pourquoi s'encombrer de ces subtilités quand on continue d'extraire des corps des décombres à Jénine ? Parce que toute personne qui veut combattre le fascisme de type Le Pen ou la brutalité de style Sharon doit regarder la réalité de l'antisémitisme en face. La haine des Juifs est un puissant outil politique entre les mains de la droite en Europe et en Israël. Pour M. Le Pen, l'antisémitisme est une aubaine, qui contribue à faire grimper son pourcentage d'électeurs de 10 à 17% en une semaine. Pour Ariel Sharon, c'est la crainte de l'antisémitisme, réelle et imaginaire, qui est l'arme. M. Sharon se plaît à dire qu'il affronte les terroristes pour montrer qu'il n'a pas peur. Mais en réalité, sa politique est mue par la peur. Son grand talent est de parfaitement comprendre les profondeurs de la peur juive d'un nouvel Holocauste. Il sait établir des parallèles entre l'anxiété que l'antisémitisme suscite parmi les Juifs et les craintes américaines du terrorisme.

Et il est passé maître dans l'art d'exploiter l'ensemble de ces peurs pour servir ses desseins politiques. La peur première, et familière, sur laquelle s'appuie M. Sharon, celle qui lui permet de prétendre que tous les actes d'agression sont défensifs, est que les voisins d'Israël veulent repousser les Juifs à la mer. La peur secondaire que M. Sharon manipule est la crainte qu'ont les Juifs de la diaspora d'être à terme contraints de chercher refuge en Israël. Cette peur conduit des millions de Juifs dans le monde entier, dont beaucoup sont écoeurés par l'agression israélienne, à se taire et à envoyer leur chèque, un acompte pour le futur sanctuaire.

L'équation est simple : plus les Juifs ont peur, plus M. Sharon est puissant. Elu sur un programme de "paix dans la sécurité", son gouvernement pouvait à peine masquer sa satisfaction face à l'ascension de M. Le Pen, appelant immédiatement les Juifs français à faire leurs valises et à rejoindre la Terre promise. Pour M. Sharon, la peur des Juifs est la garantie que son pouvoir ne sera pas maîtrisé, ce qui lui donne l'impunité nécessaire pour faire l'impensable : envoyer des troupes au ministère de l'éducation de l'Autorité palestinienne pour voler et détruire des archives ; enterrer vivants des enfants sous leurs maisons ; empêcher les ambulances d'atteindre les mourants. Les Juifs de la diaspora se trouvent maintenant pris dans un étau qui se resserre : les actes du pays qui était censé assurer leur sécurité future nuisent à leur sécurité présente. M. Sharon gomme délibérément les distinctions entre les termes "Juif" et "Israélien" et affirme qu'il combat non pour le territoire israélien, mais pour la survie du peuple juif. Et lorsque l'antisémitisme monte, en partie à cause de ses actes, c'est M. Sharon qui est, une fois encore, en mesure d'en recueillir les dividendes politiques. Et ça marche. La plupart des Juifs ont si peur qu'ils feraient désormais n'importe quoi pour défendre la politique d'Israël. Si bien qu'à la synagogue de mon quartier, dont l'humble façade porte les traces d'un incendie suspect, la pancarte sur la porte ne dit pas "Merci pour rien, Sharon" mais "Soutenez Israël. aujourd'hui plus que jamais."

Il y a une issue. Rien n'effacera l'antisémitisme, mais les Juifs de la diaspora et ceux d'Israël seraient peut-être plus en sécurité s'il y avait une campagne pour différencier les diverses positions des Juifs et les actes de l'État d'Israël. C'est là qu'un mouvement international peut jouer un rôle crucial. Déjà, des alliances se forment entre les militants pour l'altermondialisation et les "refuzniks" israéliens, ces soldats qui refusent de servir dans les territoires occupés. Et les images les plus marquantes des manifestations de samedi étaient celles des rabbins marchant aux côtés de Palestiniens. Mais ce n'est pas assez. Il est facile pour les militants de la justice sociale de se dire que puisque les Juifs ont déjà des défenseurs si puissants à Washington et à Jérusalem, l'antisémitisme est une bataille qu'ils n'auront pas à livrer. C'est une erreur dangereuse. C'est précisément parce que l'antisémitisme est utilisé par des gens comme M. Sharon qu'il faut se réapproprier la lutte contre lui. Ne plus considérer l'antisémitisme comme une affaire juive, à traiter par Israël et le lobby sioniste, c'est priver M. Sharon de son arme la plus efficace dans cette occupation indéfendable et de plus en plus brutale. Et en prime, dès lors que la haine des Juifs diminue, les gens comme Jean-Marie Le Pen perdent de la hauteur.

- Naomi Klein. Publié dans Toronto Globe and Mail, 24 avril 2002

- Publié dans le courriel d'ATTAC



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