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De l'insoutenable subjectivité de la presse américaine

Carl Desjardins, Vendredi, Avril 5, 2002 - 00:33

Mohamed El Moctar Ould Sidi Haib

La presse occidentale couvre le conflit israélo-arabe de manière biaisé.

On ne peut qu'être totalement sidéré et outré par la nature inouïe et l'ampleur de la tragédie continue et sans limites, vécue jour et nuit, dans l'abandon et l'isolement, sous le regard passif du Monde Arabe et de l'Occident, et avec pourtant une abnégation exceptionnelle dans le rejet de l'humiliation, de l'oppression et de la spoliation, par le peuple palestinien. Un peuple esseulé, mais non moins décidé et plus que jamais déterminé, en dépit d'une dépossession, sans contrepartie, vieille d'un demi-siècle et d'une occupation militaire (de plus de 34 ans) sans précédent dans les annales de l'histoire coloniale contemporaine, à se libérer définitivement et à vivre dignement.

Le manque affligeant d'honneur et de dignité des gouvernements arabes et la propension avérée de leurs dirigeants à la lâcheté, en plus de l'inertie de peuples complètement assujettis par des décennies de tyrannie, de corruption et de répression systématique, à côté, il faut l'avouer, le souligner et ne jamais cesser de le dénoncer, du soutien aveugle et inconditionnel de l'administration américaine, voilà le triptyque infâme qui fonde ce cercle du mal et de la honte. Un cercle vicieux qui recèle les piliers de base et la sève nourricière de l'arrogance et de l'extrémisme dévastateur de cette camarilla de condottieri qui président aux destinées, plus que jamais incertaines, de l'État d'Israël.

Un détail particulièrement répugnant de la complicité américaine dans ce processus féroce de colonisation, de carnage et d'expropriation est ce parti pris, flagrant et sans commune mesure, dans la couverture médiatique de ce conflit. Un parti pris subjectif qui s'opère à travers une distorsion permanente des faits et un ciblage délibéré et sélectif dans le reportage de l'actualité qui conduit inexorablement à une déformation et une inversion de la réalité. Ce procédé continu de désinformation et de manipulation des événements n'est pas, cependant, un fait nouveau. Il participe d'une volonté et d'un effort de relecture et de révision de l'histoire qui font, hélas! figure de norme et tiennent lieu d'école dans ce pays. La raison en est toute simple: le poids d'une approche, boiteuse et sans profondeur, de l'Histoire que perpétue une conception faite de préjugés et de connaissances souvent erronées, sans cesse exacerbée par la prééminence abusive, il faut le dire, du lobby anti-arabe, anti-islamique et pro-israélien.

Il est, d'ailleurs, plus que déconcertant de constater que l'écrasante majorité des avis, opinions et autres tentatives d'explications donnés par ces nombreux «experts» invités ici et là à paraître sur les chaînes de télévision ou dans les colonnes des grands journaux d'opinion concourent toujours à reproduire lamentablement les mêmes présomptions simplistes et éculées: la déformation des actions légitimes de la résistance palestinienne (qui ne se résument pas, loin s'en faut, aux déplorables attentats-kamikaze dirigés contre des civils en Israël), leur déconnexion par rapport à leur contexte originel, à savoir celui d'une occupation militaire sauvage et illégale, ensuite leur assimilation à la logique de terreur responsable des actes terroristes du 11 septembre, et enfin le rituel obligatoire de blâme et de condamnation de l'Autorité Palestinienne et à sa tête, ce «parrain maffieux» qu'est son président Yasser Arafat (l'expression n'est pas de Dore Gold mais bien du général Anthony Zinni même, actuel parrain des pourparlers de sécurité).

Aucune gêne ni désagrément, du reste, si l'expertise sollicitée provient toujours des mêmes personnages viscéralement partiaux et de mauvaise foi
que sont les Daniel Pipes, Frank Gaffney (du Center For Security Policy), Stevenson Emerson,... Fareed Zakaria (NEWSWEEK) et j'en passe encore, rejoints à chaque fois, dans la campagne de mensonges et d'intoxication sans fin, par de nouvelles recrues (récemment Janine Zakaria du JERUSALEM POST et Jeffrey Golberg du THE NEW YORKER) au ton plus caustique, et présélectionnées non pas pour leur compétence en la matière, mais plutôt en fonction de leur indéniable talent dans la confection des clichés et autres caricatures stéréotypées dont on raffole ici. Pire encore, les interlocuteurs de ces prétendument experts ne sont autres que ces journalistes, sans souci d'objectivité et dépourvus du sens de l'équité que sont ces inamovibles Chris Matthews (CNBC), Paula Zhaun, Wolf Blitzer (CNN) et autres Judith Miller et Thomas Friedman (THE NEW YORK TIMES) qui ne ratent jamais la moindre occasion pour mettre en lumière le danger qu'encourt Israël du fait du «terrorisme» arabe et islamique, en éludant, à chaque moment, l'essentiel du problème, là où réside indéniablement la quintessence du désespoir, de l'injustice et du mal, c'est-à-dire l'usurpation violente et la confiscation illicite par Israël des territoires arabes.

Hormis quelques exceptions, parmi lesquelles il importe de saluer James Zogby, Hussein Ibish (Arab-American Council), Clovis Maqsud, ou la
journaliste Raghida Dergham (AL HAYAT), les rares intervenants arabes pêchent souvent par leur manque d'entrain à décrier la vérité et, pis encore, leur méconnaissance de cet indispensable outil de communication et de propagande que constitue la langue, ici l'anglais.

On a même très fréquemment droit - quelle farce! - à des «débats» à sens unique, sous forme de monologues en chœur, ou les intervenants, tous
pro-israéliens, rivalisent de zèle dans la mésinterpretation et la partialité. Certaines démonstrations intellectuelles qui semblent, a priori, absurdes voire ridicules ailleurs, sont ici acceptées, sans scrupules et présentées, parfois, comme des innovations dignes d'intérêt. Exemple cinglant de ce genre de ratiocinations: la semaine dernière - tenez-vous bien! - dans l'émission de télévision Hardball (CNBC) de Chris Matthews, un professeur de droit du nom de Fetcher (Columbia Law School) a même eu l'outrecuidance de remettre ouvertement en cause l'illégalité de l'occupation des territoires arabes. Son argument-massue: un alliage d'érudition docte et de subjectivité hors du commun. En face de lui, il y avait Nasser Al Qidwa (observateur pour l'OLP aux Nations Unies). Ce diplomate était incapable de répliquer une seule fois avec pugnacité ou de manière appropriée, malgré les innombrables atouts à sa disposition, dont le droit et la justesse de la cause. C'est vraiment désolant et lamentable!

La supercherie qui enveloppe dans ce pays la réalité de ce conflit est sans égale. Ses aspects sont multiples et son ampleur stupéfiante. Elle se reflète même, avec éloquence, dans les termes totalement inadéquats et hors de propos utilisés pour démasquer en les disqualifiant des situations de fait dont la caractérisation juridique est claire et sans appel. En effet, plutôt que de se conformer au droit et à la raison en appelant un chat par son nom, de nombreux Américains parmi les officiels politiques (congressmen, sénateurs, maires,...) et leurs hommes lige dans les grands organes de presse, choisissent diamétralement le contraire. Ce faisant, ils empruntent la voie discréditante du parti pris et de l'irrationalité, confirmant ainsi leur absence totale d'objectivé et leur mépris de la logique et de l'équité. Un exemple de cette déviation qui recouvre les registres du langage et de la terminologie se manifeste à travers l'usage récurrent et incorrect du terme «Disputed Territories» en lieu et place de «Occupied Territories». Quelle partialité!

Autre constat de cette situation scandaleuse: la censure. Sous forme d'ostracisme total ou partiel, cette violation inadmissible des libertés est une pratique courante dans les médias de ce grand pays de tradition démocratique. Elle se traduit par une sorte de bannissement, à caractère sournois, qui vise en premier lieu les intellectuels dont les vues et opinions contrastent avec l'esprit des concepts et paradigmes en vigueur. S'il est rare d'entendre publiquement la voix de Noam Chomsky, Israel Shahak, Yvonne Haddad ou John Esposito, il est quasiment impossible d'écouter ou de lire, sur les grandes antennes de télévision ou dans les journaux majeurs d'opinion, le point de vue de Paul Findley ou d'Edward Said. L'intransigeance exemplaire et l'éloquence imposante de ce dernier intellectuel sont des sources permanentes d'inquiétude pour ses innombrables détracteurs. Elles constituent les motifs sous-jacents de sa marginalisation publique.

En fait, la continuité du drame palestinien dévoile, avec netteté, le double jeu des États-Unis d'Amérique, et leur complicité chaque jour plus manifeste jette l'opprobre, une fois de plus, sur les États arabes et démasque, de manière édifiante, l'impuissance de l'Europe à agir sur ce terrain.

Sans vision de l'avenir et aveuglé par l'illusion du «pouvoir et de l'autorité», le leadership palestinien assume, quant à lui, sa part indéniable de responsabilité. Aussi s'est-il personnellement laissé leurrer en ayant la maladresse tragique de brader, en contrepartie d'une souveraineté éphémère et fragmentée, dans des accords à la «Versailles» (Oslo et Washington) des décennies de sacrifice et de combat farouche. Vivant sous un régime à la «Vichy» depuis 1993, toujours dans des ghettos, interminablement serpentés de points de contrôle militaires et de colonies de peuplements juives, le peuple palestinien se révèle être, malheureusement, la première victime de cette capitulation historique sans précédent dans l'histoire des mouvements de lutte pour la libération et l'indépendance. Un sort immérité qu'exprime bien le titre peu enviable de l'excellent ouvrage de Franz Fanon, plus que jamais d'actualité: «LES DAMNÉS DE LA TERRE».

Mohamed El Moctar Ould Sidi Haiba.

Site de solidarité avec le peuple palestinien


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