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Le paradoxe de l'Amérique

vieuxcmaq, Jeudi, Février 14, 2002 - 12:00

Salman Rushdie (imcfrance-contact@yahoogroupes.fr)

En dehors de chez eux, les succès des Etats-Unis ne leur valent pas beaucoup de sympathie

On nous annonçait une campagne longue et hideuse, et elle l'est effectivement. Le combat de l'Amérique contre le terrorisme est entré dans sa seconde phase, caractérisée par la tempête qui fait rage autour du statut et des droits des prisonniers détenus au camp X-ray, et par la frustration qu'engendre son incapacité à mettre la main sur Ben Laden et le mollah Omar. D'autre part, si l'Amérique attaque d'autres pays suspectés d'héberger des terroristes, elle le fera très certainement toute seule.

En dépit de ses succès militaires, l'Amérique se trouve maintenant confrontée à un adversaire idéologique d'une tout autre envergure, qui pourrait bien se révéler aussi difficile à neutraliser que l'Islam militant: l'antiaméricanisme, qui, partout dans le monde, se manifeste chaque jour avec un peu plus d'éclat. Le point positif est que l'ère posttalibane constitue pour les fanatiques islamistes une période on ne peut plus sombre. Morts ou vivants, Oussama ben Laden et le mollah Omar ressemblent à ces guerriers impies, qui autrefois poussaient leurs hommes au martyre, alors qu'eux-mêmes se retranchaient derrière leurs collines. De plus, si les rumeurs persistantes sont fondées, l'élimination du noyau terroriste afghan a peut-être empêché un coup d'Etat islamiste contre le président pakistanais Pervez Musharraf, organisé en sous-main par les éléments les plus extrémistes des forces armées et des services secrets du pays - tels que le terrifiant général Hamid Gul. Et le président Musharraf, loin d'être lui-même un enfant de choeur, a été contraint d'arrêter les chefs des groupes terroristes cachemiris qu'il soutenait jadis. Partout dans le monde, on est en train de tirer les leçons de l'intervention américaine en Afghanistan.

Par ailleurs, le jihad n'est plus cette idée «inoffensive» qu'elle était encore à l'automne dernier. Les Etats soupçonnés de secourir les terroristes tentent soudain de redorer leur image, allant jusqu'à faire arrêter quelques voyous. De la même manière, l'Iran a accepté la légitimité du nouveau gouvernement afghan. Même la Grande-Bretagne, qui s'est montrée bien plus tolérante que d'autres nations à l'égard du fanatisme islamiste, commence à faire la distinction entre le fait de combattre l'«islamophobie» et celui d'offrir refuge à des êtres de la pire espèce.

L'Amérique a fait, en Afghanistan, ce qui devait être fait, et l'a bien fait. Mais hélas, en dehors de ce pays, ses succès ne lui ont pas valu beaucoup de sympathie. Au contraire: l'efficacité de la campagne américaine a certainement contribué à renforcer la haine des populations de certaines régions du monde à l'égard des Etats-Unis. En Occident, les pourfendeurs de la campagne afghane enragent car les faits leur donnent tort sur tous les points: non, les forces américaines n'ont pas connu l'humiliation subie par les Russes; oui, les frappes aériennes ont bien fonctionné; non, l'Alliance du Nord n'a pas massacré de civils à Kaboul; oui, les talibans, en tyrans honnis qu'ils étaient, ont abandonné toutes leurs positions, y compris leurs bastions du Sud; non, l'Amérique n'a pas peiné à faire sortir les militants de leurs forteresses souterraines. Et oui, les diverses factions ont réussi à former un nouveau gouvernement qui semble bénéficier d'un large soutien parmi la population. Dès lors, dans les mondes arabes et musulmans, ceux qui rendent l'Amérique responsable de leur sentiment d'impuissance se sentent plus impuissants que jamais.

Comme toujours, le radicalisme antiaméricain se nourrit de la colère qu'alimentent un peu partout les souffrances des Palestiniens; il est vrai que la conclusion d'un accord de paix acceptable au Moyen-Orient serait le meilleur des remparts contre la propagande des fanatiques. Mais si cet accord se concluait dès demain, l'antiaméricanisme ne faiblirait pas pour autant: il est également devenu un commode écran de fumée, qui masque les nombreuses défaillances des sociétés musulmanes - leur corruption, leur incompétence, l'oppression qu'elles exercent sur leurs peuples, leur stagnation sur les plans économique, scientifique et culturel. La haine de l'Amérique est devenue une sorte de repère identitaire, et elle a permis l'émergence d'une rhétorique vantarde et violente, qui encourage les hommes à brûler des drapeaux et leur donne un sentiment d'autosatisfaction.

Ces temps-ci, ces accusateurs semblent aussi nombreux à l'extérieur qu'à l'intérieur du monde musulman. Quiconque a visité l'Angleterre ou l'Europe, ou (simplement) suivi les conversations publiques là-bas ces cinq derniers mois, aura été frappé, voire choqué, par la profondeur du sentiment antiaméricain au sein de larges couches de la population. L'antiaméricanisme occidental est un phénomène radicalement plus pétulant que son pendant is lamique, et davantage per son na lisé. Les pays musulmans n'aiment pas la puissance américaine, son «arro- gance», ses succès; mais dans le monde occidental non américain, l'objection principale concerne apparemment le peuple américain. Nuit après nuit, je me suis retrouvé à écouter les diatribes des Londoniens contre les égarements du peuple américain («il ne se préoccupe que de ses [propres] morts»). Le patriotisme américain, son obésité, son émotivité, son égocentrisme: voilà les enjeux cruciaux.

Il ne serait pas étonnant que dans le climat d'hostilité actuel, l'Amérique ne parvienne pas à réagir aux critiques constructives, ou pire: qu'elle commence à se comporter comme la superpuissance qu'elle est, prenant des décisions et pesant de (tout) son poids, sans égard pour les sujets d'inquiétude de ce qu'elle perçoit comme un monde malveillant. Le traitement infligé aux détenus du camp X-ray est un symptôme inquiétant. L'administration Bush ne traite plus avec mépris les conventions internationales, comme c'était le cas au début de son mandat, et il est important pour elle de ne pas cesser de rechercher un consensus. La puissance et la richesse ne seront peut-être jamais populaires, mais, plus que jamais, nous avons besoin que les Etats-Unis exercent leur pouvoir économique et si possible de façon responsable. Ce n'est pas le moment d'ignorer le reste du monde et de décider de faire cavalier seul, sauf à vouloir tout perdre après avoir tout gagné.

(traduit de l'anglais par Bérangère Erouart)
Libération le lundi 11 février 2002

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