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Le Saint-Siège veut contrôler la sexualité des réfugiés

vieuxcmaq, Dimanche, Février 3, 2002 - 12:00

Micheline Carrier (michecar@globetrotter.net)

Avec l'assurance de quiconque détient l'exclusivité de la vérité, les autorités de l'Église catholique s'en prennent à un programme sur la «santé reproductive» que l'ONU destine aux femmes réfugiées. L'intervention du Saint-Siège, qui prend la forme d'une «note» aux évêques, soutient que ce programme favorise l'irresponsabilité sexuelle et enseigne des «anti-valeurs». Les porte-parole religieux dénoncent notamment la pilule du lendemain destinée aux femmes violées. Peut-être l'Église catholique devrait-elle faire le ménage dans sa propre maison au lieu de chercher à imposer sa morale dans les chambres à coucher de la planète.

Micheline Carrier / 25.01.2002 /

Dans une note aux évêques, le Saint-Siège a dénoncé en novembre dernier un manuel consacré à la sexualité et à la santé des personnes qui vivent dans des camps de réfugiés. Ce manuel date déjà de deux ans et a été préparé par le Haut Commissariat pour les réfugiés de l’ONU, en collaboration avec l’OMS et des organisations non gouvernementales. Il traite des violences sexuelles, de la maternité, de l’accès aux services de contraception et de la prévention des maladies transmises sexuellement.

Ce qui dérange l’institution catholique dans ce programme de «santé reproductive», c’est surtout l’utilisation de la «pilule du lendemain» pour les femmes victimes de viol. Le Saint-Siège assimile cette pilule à une méthode d’avortement. (1) Il voit dans le guide de l’ONU une conception utilitariste de la sexualité humaine. Il prête (ou feint de prêter) à ses administrateurs l’intention de contrôler les naissances dans le but de restreindre l’accroissement de certaines populations : «La Note, "face à un courant de pensée que l’on peut qualifier d’utilitariste et de néomalthusien", met en garde contre les modalités d’assistance en faveur des réfugiés, telles qu’elles sont proposées par Reproductive Health in Refugee Situations: Interagency Field Manual, publié en 1999 par l’ACNUR, l’UNFPA, l’OMS et différentes ONG.» (2) En proposant la contraception et l’avortement, «le Field Manual diffuse des contre-valeurs qui offensent la dignité des populations les plus pauvres et les plus vulnérables», selon le Saint-Siège.(3)

Le Saint-Siège s’inquiète également que le programme puisse créer «de la confusion morale et intellectuelle» et «promouvoir des comportements sexuels irresponsables». «La distinction entre sexualité et procréation, soutenue par le manuel qui défend une attitude sans préjugé à l’égard des rapports hors mariage ou homosexuels, ne peut être acceptée», selon les auteurs de la Note, qui soutiennent que l’idéologie de base du manuel «augmente le risque» de la propagation du sida.

Avec l’assurance de qui se croit détenteur exclusif de la vérité, le Saint-Siège veut encadrer de ses principes l’action d’un organisme laïc qui est au service de toutes les populations, sans égard à leur confession religieuse, et qui n’a pas de compte à lui rendre. Par ailleurs, les conséquences dramatiques de grossesses imposées pour toutes ces femmes «les plus pauvres et les plus vulnérables» ne semblent pas au coeur des préoccupations vaticanes.

Qui sont ces femmes - puisqu’il s’agit principalement de femmes - que le Saint-Siège veut protéger de la «mauvaise influence» de l’ONU? Au cours des dernières années, pour les raisons que l’on sait, l’Afghanistan est le pays qui a connu le plus fort contingent de personnes réfugiées et environ 85% d’entre elles sont des femmes et des enfants. On estime à 3,5 millions le nombre d'Afghanes et d’Afghans déplacés et, parmi eux, la moitié vivent dans des camps au Pakistan, une partie dans des camps en Iran ou dans d’autres pays limitrophes. (4)

L’absence de liberté, la promiscuité, la faim, la maladie, l’insécurité, la frustration, la détresse psychologique et morale, sans compter les coutumes misogynes qui justifient la domination des hommes sur les femmes, toutes ces conditions exposent femmes et enfants à la violence. Les viols sont chose courante, dans ces camps, tout le monde le sait, le Vatican y compris. Des femmes, mais aussi des fillettes de 10 ou 12 ans, se voient ainsi imposer des grossesses. Les rapports des Nations Unies sur les populations réfugiées le déplorent année après année.

En outre, plusieurs des femmes vivant dans ces camps ont la responsabilité de cinq ou sept enfants, le conjoint étant décédé, à la guerre ou resté au pays natal. Une autre grossesse ajouterait à la détresse de ces femmes. La «pilule du lendemain» peut donc leur être d’un grand secours. Fort de son pouvoir d’ingérence dans la conscience et la vie d’autrui, le Saint-Siège attend de ces femmes, dont la plupart ne sont pas de confession catholique, qu’elles acceptent tout naturellement ces grossesses imposées. Les femmes afghanes ou iraniennes, pour ne nommer que celles-là, ont-elles échappé aux intégristes islamistes de leur pays pour tomber sous l’influence «occulte» d’intégristes catholiques?

Ce n’est pas la première fois que le Vatican condamne les programmes de l’ONU dans le domaine de la «santé reproductive». En 1999, il s’était vivement opposé à la distribution de la «pilule du lendemain» aux milliers de femmes du Kosovo violées par des soldats serbes. La responsable du Fonds pour la population de l’ONU avait alors dénoncé l’«insensibilité» du Saint-Siège à l’égard de ces femmes (5). Mais pour les autorités catholiques, «une grossesse résultant d’un viol peut être transformée en ¨acte d’amour¨ par la décision de la femme de la mener à terme.» (6)

Les autorités vaticanes ont une curieuse conception de l’amour et même de la charité chrétienne. Cette conception s’inscrit dans le traditionnel déni des droits sexuels et de l’autonomie morale des femmes. Hier, la hiérarchie catholique menaçait de l’enfer les célibataires enceintes et les femmes mariées qui ne mettaient pas au monde un enfant chaque année. Aujourd’hui, elle se sert de son influence morale et politique pour harceler les gouvernements, les organismes internationaux et les personnels de la santé qui dispensent des services d’éducation sexuelle, de contraception et d’avortement. De qui le Saint-Siège tient-il la légitimité d’imposer ses doctrines sur la sexualité et sur la procréation ?

Par ailleurs, en matière de «confusion morale» et de promotion de «comportements sexuels irresponsables», le Vatican n’a pas de leçon à donner. La rigidité de la morale qu’il impose aux catholiques peut aussi être source de confusion et d’irresponsabilité. Elle a parfois même des effets meurtriers. Combien de morts dues au sida auraient pu être évitées sans la campagne irresponsable des autorités catholiques contre le condom ? Combien de morts de femmes dus aux avortements clandestins auraient pu être évitées sans l’anathème pontifical lancé contre l’avortement légal ? Dans quelle mesure les pressions indues sur les dirigeants politiques empêchent-elles des pays ultra-catholiques d’adopter des lois réalistes, ce qui ne laisse pas d’autre choix à des milliers de femmes que de recourir aux charlatans?

C’est plus facile d’édicter stoïquement des principes sur la contraception et l’avortement, auxquels on n’aura jamais à se conformer, que de faire respecter dans sa propre maison la morale qu’on veut imposer dans les chambres à coucher de la planète. Les dérives morales de prêtres et de religieux en sont une désolante illustration. Je pense en particulier aux violences et aux abus d’ecclésiastiques à l’endroit de religieuses. (7) Certaines de ces femmes sont mortes des suites du VIH transmis par leurs agresseurs, d’autres, des suites d’avortements imposés et pratiqués dans des conditions dangereuses. Des ecclésiastiques de haut niveau ont agi comme si les communautés étaient des bordels dont les supérieures ne pouvaient leur refuser l’accès. (8)

Soucieux de la promotion de «comportements sexuels responsables», le Vatican aurait pu donner l’exemple en incitant les ecclésiastiques incapables de respecter ses interdits sexuels à assurer leur protection et celle de leurs partenaires. Ces hommes n’auraient peut-être pas abusé de religieuses parce qu’ils craignaient de contracter le VIH auprès de prostituées. Le Vatican aurait ainsi fait preuve de plus d’honnêteté qu’en agissant comme si tous les prêtres et religieux pratiquaient l’abstinence sexuelle. Il y aurait une tragédie de moins à mettre au compte de la rigidité morale des autorités catholiques.

... ET SE SUBSTITUER AUX TRIBUNAUX CIVILS DANS LES CAS D’ABUS SEXUELS

On souhaite que le Vatican ait pris des mesures pour aider ces prêtres et religieux en difficulté et pour prévenir pareille situation. Il n’y parviendra toutefois pas en renforçant le secret et le silence sur les abus sexuels commis par des membres du clergé, comme il en exprime l’intention dans une lettre adressée à tous les évêques et rendue publique au début de décembre. Le Vatican a demandé aux évêques d’informer immédiatement la Congrégation pour la doctrine de la foi des dénonciations pour agressions et abus sexuels, incluant les actes de pédophilie, qui impliquent des prêtres ou des religieux. La congrégation romaine entend déférer l'affaire au tribunal diocésain ou la juger à son propre tribunal et agir dans le secret absolu.

Dans les cas d’abus sexuels contre des mineurs, «le tribunal diocésain peut devenir automatiquement tribunal de la Congrégation. En outre, le "secret pontifical" est imposé à toute la procédure.» (9) Il n’est pas mention de collaborer avec les autorités civiles dans ces cas d’abus. Les évêques seraient exemptés d’aviser les autorités judiciaires des cas dont ils sont saisis. (10) Autrement dit, le Saint-Siège semble vouloir instituer comme règle le comportement de l’évêque de Bayeux-Lisieux, Mgr Pierre Pican, qui a été condamné en 2001 à trois ans de prison avec sursis pour ne pas avoir dénoncé les actes pédophiles d'un prêtre de son diocèse. Non seulement il n’a pas dénoncé ces agressions contre des enfants, mais il a maintenu le prêtre à son poste pendant plusieurs années. (11)

Le Saint-Siège veut-il se substituer aux tribunaux civils? La directive pontificale donne «l’impression détestable mais bien compréhensible que, encore une fois, l'Église catholique se sent au dessus, ou au moins en marge, des lois humaines faites pour le commun des mortels. Et que ses représentants, prêtres et évêques, n'ont de comptes à rendre qu'à Dieu dont le pape ou ses proches collaborateurs seraient les seuls mandataires officiels.» (12)

En cherchant à soustraire ses membres à l’appareil judiciaire, le Vatican n’adopte-t-il pas une attitude susceptible de créer la confusion dans l’esprit des catholiques qui seraient en droit de se demander pourquoi les gens d’Église devraient être traités différemment de la population laïque? L’Église catholique, qui préconise pour le monde entier le respect des droits de la personne, chercherait-elle à protéger ceux de ses dignitaires qui bafouent ces droits? «Le procès (ecclésiastique), a déclaré Mgr Tarcisio Bertone, secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi, protège les droits des victimes mais aussi les droits de l'Église et de la communauté ecclésiale qui a souffert à cause du scandale et a subi des dommages, et même le droit de l'accusé à se défendre.» (13) Comment les droits des victimes pourront-ils être protégés dans un procès ecclésiastique conduit à huis clos par des hommes qui jugeront leurs pairs au sein d’une institution préoccupée d’abord de sauvegarder sa réputation?

Par ailleurs, le secret ne risque-t-il pas de perpétuer ce qu’on dénonce et souhaite corriger? Sachant que leurs actes échapperont au processus judiciaire et à la désapprobation publique, les abuseurs potentiels ne pourraient-ils pas se sentir plus libres d’agir? Le Vatican voudrait «couvrir» à l’avance les crimes sexuels au sein de l’Église qu’il n’agirait pas autrement. Reverrons-nous l’époque où évêques, juges et politiciens s’entendaient pour camoufler les viols et autres dérives de quelques ecclésiastiques? Dans des sociétés démocratiques, la protection des droits fondamentamentaux est une responsabilité des États, et elle s’étend aux droits de toutes et de tous. Il serait inacceptable qu’un groupe détourne le cours de la justice à ses propres fins. Le Vatican confondrait les rôles respectifs de l’Église et de l’État? Aurait-il une tendance «talibane»?

Que les autorités pontificales, meurtries par la publicité qui a entouré les dérives sexuelles d’une minorité d’ecclésiastiques, veuillent être avisées sans délai des cas d’abus sexuels, cela est tout à fait légitime et compréhensible. S’il ne s’agissait que de cette intention, il n’y aurait rien à redire. Mais chaque fois qu’il fait allusion à ces dérives, le Saint-Siège tente de minimiser leur importance en parlant de «diffamation». Le fait de rendre ces actes publics serait-il à ses yeux diffamer l’Église? On le suppose, puisqu’il veut maintenant régler les cas «en famille» et dans le secret absolu.

Ce n’est certes pas une bonne façon de conserver la confiance des fidèles et de préserver son image. Il devrait plutôt adopter la voie de la transparence et de la vérité. C’est cette voie qu’a choisie l’Église canadienne en décidant de se soustraire aux directives du Saint-Siège et de laisser aux tribunaux civils le soin de juger les auteurs d’agressions sexuelles. La Conférence des évêques du Canada estime à juste titre que ces tribunaux sont plus aptes que les autorités diocésaines (et vaticanes) à juger les cas de ce genre qui lui sont soumis. (14) Un exemple à suivre.

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SOURCES
1. En fait, le document est l’oeuvre du Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en déplacement, du Conseil pontifical pour la Pastorale des Services de la Santé et du Conseil pontifical pour la Famille. Il a cependant été approuvé par le pape.
2. Agence internationale Fides, 16 novembre 2001
3. Agence internationale Fides, 30 novembre 2001
4. Fraternet, 4 décembre 2001. www.fraternet.com
5. The Guardian, 13 May 1999
6. Mario Roy, La Presse, 30 novembre 2001
7. John L. Allen JR et Pamela Schaeffer, National Catholic Reporter, 16 March 2000, «Reports of abuse. AIDS exacerbates sexual exploitation of nuns, reports allege.» http://www.natcath.com/NCR_Online/archives/031601/031601a.htm
8. Rapport O’Donohue 1994, «Memo from Sr. Maura O’Donohue MMM:
Urgent Concerns for the Church in the Context of HIV/AIDS», http://www.natcath.com/NCR_Online/documents/UrgentConcernsO'DONOHUE.htm
9. Zenith, «Abus sexuels: Le Vatican évoque à soi les procès contre prêtres ou religieux», 6 décembre 2001
10. Marc Rochette, «Les secrets du Vatican», Le Nouvelliste, 11 janvier 2002
11. Le Nouvel Observateur, 3 septembre 2001(http://quotidien.nouvelobs.com/icons_edition/lettrines/L.gif).
12. Pierre Gravel, La Presse, 13 janvier 2002
13. Zenith,10 décembre 2001. Voir adresse: http://www.zenit.org/>ZENIT.org
14. Jeanne Corriveau et Stéphane Baillargeon, «Pédophilie: L’Église canadienne se soustrait aux directives de Rome», Le Devoir, 10 janvier 2002

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