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GENES- Comment j'ai été tabassée dans les prisons italiennes

vieuxcmaq, Mercredi, Novembre 28, 2001 - 12:00

publié par l'Humanité le 28/11/01 Proposé au cmaq par sebgc (?@humanite.fr)

" Voici un document rédigé dans le seul but de
témoigner avec précisions et détails, sur des
événements que j'ai vécus à l'occasion des
manifestations à Gênes les 20, 21, 22 et 23 juillet
2001, avertit Valérie Vie. Il est écrit dans un souci de
clarté et loin de toute ambition littéraire ou
journalistique. L'important est de savoir et de faire
savoir. "

GENES- Comment j'ai été tabassée dans les prisons italiennes

" Voici un document rédigé dans le seul but de
témoigner avec précisions et détails, sur des
événements que j'ai vécus à l'occasion des
manifestations à Gênes les 20, 21, 22 et 23 juillet
2001, avertit Valérie Vie. Il est écrit dans un souci de
clarté et loin de toute ambition littéraire ou
journalistique. L'important est de savoir et de faire
savoir. "

Arrestation

J'ai été arrêtée Piazza Dante, vendredi 20 juillet à 14
heures, par un corps d'hommes armés, casqués,
protégés de boucliers. Ils m'ont traînée à l'écart de la
manifestation, des regards et des médias qui étaient
présents Piazza Dante. Là ils m'ont remise aux
mains d'une dizaine d'hommes en civil qui m'ont
ordonné de monter dans une voiture banalisée.
Devant leur nombre, leur violence verbale et
gestuelle et l'agressivité évidente qui émanait d'eux,
je me suis couchée au sol et j'ai demandé une
personne parlant français, un avocat, et des papiers
justifiant qu'ils étaient bien de la police. Les premiers
coups sont tombés, ils m'ont plaquée la tête au sol
et menotté les mains dans le dos en me donnant
des coups de bottes. Ils m'ont maintenue dans cette
position durant une trentaine de minutes. Je les
entendais crier : " Niente fotos !, niente fotos ! ". Ils
m'ont fouillée et vidé mes poches par terre. Soudain
ils m'ont attrapé et demandé d'entrer dans la voiture.
J'ai revendiqué : qu'on m'ôte les menottes, que l'on
m'explique, que l'on me montre des papiers justifiant
que je devais leur obéir. Ils m'ont saisie violemment
à cinq et forcée à entrer dans la voiture. J'ai résisté,
crié, appelé à l'aide en m'agrippant à un panneau de
signalisation. Un homme en civil est arrivé. Une
discussion entre eux, en italien, a débuté. Cela a
duré. Soudain, la voiture banalisée a démarré, une
voiture de police avec cellule blindée à l'arrière a pris
sa place. Une policière (en tenue) en est sortie, les
cinq hommes m'ont re-attrapée à bras-le-corps, et la
femme m'a frappée au visage de toutes ses forces.
Sonnée, j'ai malgré tout tenté de me débattre et
d'appeler à l'aide, en vain.

Transfert Bolzaneto

Le transfert a eu lieu dans un véhicule de police avec
une cellule blindée en plexiglas avec une banquette
en plastique lisse sur laquelle il n'est pas possible
de se maintenir assise dans les virages. · l'avant, un
policier (en tenue) au volant et une policière, celle qui
m'avait frappée, à ses côtés. J'avais les mains
menottées dans le dos et le véhicule roulait à fond,
j'ai aperçu 140 au compteur. · chaque coup de frein
ou virage, j'étais projetée durement d'une partie à
l'autre de la cellule. La voiture a stoppé quelques
instants à un barrage de camions et autres véhicules
militaires ou policiers. La femme policière est sortie
discuter, l'homme s'est retourné vers moi et m'a
demandé : " Va bene ? " J'ai fait signe que j'étouffais,
il m'a montré l'arrivée d'air à mes pieds. Puis nous
sommes repartis.

Le véhicule est sorti de la ville, a emprunté une
autoroute et un péage.

Bolzaneto

· l'arrivée, la voiture s'arrête devant un groupe de
bâtiments. Dans la cour une quarantaine de
militaires (?) habillés en kaki, avec des bottes noires,
des gants noirs, des gilets pare-balles noirs, des
matraques, des armes, des menottes accrochées
aux pantalons. Ils me sortent du véhicule avec
violence et me lancent dans le premier bâtiment à
ma gauche. Pour y accéder, il y a des marches, en
haut des marches il y a un hall d'entrée assez large
avec de suite à droite un bureau, et à gauche un
autre. En face un long couloir large de 2 mètres, avec
de chaque côté des portes au début et des grilles de
cellules ensuite. Je suis emmenée dans la
deuxième cellule à droite. En traversant ce bâtiment
je remarque qu'il n'y a pas d'autres prisonniers et
que c'est plutôt calme. Je me souviens avoir penser
être la seule à m'être fait arrêtée. Mais dans la
cellule, je vois une jeune fille d'une vingtaine
d'années au fond, debout les jambes écartées les
paumes contre le mur, qui pleure. La policière (en
tenue kaki) qui surveillait la grille a tourné sa clef et
m'a fait signe de la main de me mettre dans la
même position. Je n'imaginais pas encore ce qui se
passerait quelques minutes plus tard et, pleine de
courage, je lui ai répondu que c'était une blague,
qu'on n'était pas au Moyen ¶ge et je me suis assise
en tailleur au milieu de la cellule. La policière a
haussé les épaules et m'a tourné le dos.

Je me suis tournée vers la jeune fille et je lui ai
demandé si elle était française, elle m'a dit être
allemande. Je lui ai expliqué en anglais qu'elle
n'avait pas à subir ce genre d'humiliation et qu'elle
pouvait s'asseoir. Elle semblait terrorisée et en
larmes elle m'a dit qu'elle ne voulait qu'une chose,
c'était obéir pour en finir et sortir d'ici au plus vite.

On est venu me chercher de suite pour un premier
interrogatoire. Dans le couloir, déjà il y avait un début
d'effervescence et dehors on entendait des sirènes.
On m'a reçue dans le premier bureau à droite en
entrant dans le bâtiment. Un homme, qui semblait
être le chef des lieux, la quarantaine, un peu plus
petit que moi, en civil, un peu rond, la tête ronde,
chauve, les yeux bleus. Il m'a parlé en français. Il m'a
traduit les questions que me posait un homme brun,
assis au bureau. Nom, prénom, âge, noms des
parents, profession de chacun, etc. Ils avaient mon
passeport ouvert sur le bureau. Il m'avait été pris
dans la poche de mon jean Piazza Dante. J'ai
répondu à chaque question en rapport avec mon état
civil, et lorsqu'ils ont commencé à me demander ce
que je faisais dans la manifestation, j'ai demandé un
avocat, que l'on prévienne ATTAC, et le consulat.
L'homme rond et chauve est sorti du bureau
visiblement énervé, et le brun m'a tendu un dossier
de plusieurs feuilles, en me demandant d'y écrire ce
que je venais de leur dire, c'est-à-dire nom, prénom,
profession, etc., et de signer en bas de chaque page.
Il y avait des textes en italien sur chaque page et des
blancs avec des pointillés. J'ai dit : " Je ne
comprends pas l'italien, je veux un avocat, je ne
signerai pas. " Il est sorti du bureau, très énervé lui
aussi et l'homme chauve est revenu quelques
secondes plus tard. (Dans le bureau, il y avait en
permanence deux ou trois militaires.) Il s'est assis
en face de moi, sur le bureau, et m'a dit, les yeux
dans les yeux : " Ecoute, pour l'instant, on n'a rien à te
reprocher. Ces papiers, c'est la procédure normale,
ça dit ce que tu as fait, où tu as été attrapée, et les
textes habituels. Si tu signes, ce soir tu es chez toi. "
J'ai répondu : " Je veux un avocat, je ne signerai pas.
" Il est sorti. Les militaires m'ont attrapée violemment
et m'ont traînée jusqu'à la cellule, dans laquelle ils
m'ont " jetée ".

Dans la cellule, il y avait toujours la jeune fille
allemande, debout les mains sur le mur. Une autre
Allemande nous a rejoint peu après.

Quelques minutes plus tard, la caserne a
commencé à résonner de cris et d'agitation, dehors
on entendait des sirènes de police ou d'ambulance.
J'ai vu deux ou trois premiers prisonniers en sang
projetés devant ma cellule. Ensuite les hurlements
se sont amplifiés, les prisonniers filles et garçons,
tous très jeunes, sont arrivés en nombre. Les
militaires les faisaient mettre la face contre le mur
jambes et mains écartées, qu'ils soient valides ou
blessés. Ils ont commencé à les frapper avec une
violence extrême à coup de bottes au niveau des
jambes, les parties sexuelles, le dos, les côtes. Ils
leur donnaient des coups de casques derrière la
tête, et le visage des prisonniers s'écrasait contre le
mur. · ce moment, un militaire est rentré dans la
cellule, m'a projetée contre le mur. Il m'a fait mettre
en position face au mur et m'a intimé l'ordre de ne
plus tourner la tête. Là, le vacarme était terrifiant : le
couloir résonnait de hurlements de souffrance, de
plaintes et aussi d'insultes gueulées par les
militaires. Les bruits de coups et de brisements d'os
étaient insupportables, et, malgré les menaces, je
gardais les yeux vers le couloir, pour voir et savoir.
Les militaires cognaient contre les barreaux dès
qu'ils me voyaient tourner la tête, mais ils avaient "
mieux à faire ". Certain prisonnier du couloir
s'écroulait et là, c'était une avalanche de coups de
bottes. Je remarquais que les militaires
s'acharnaient sur les plaies et les traces de coups
déjà présentes... Notamment, une jeune fille avec
une plaie ouverte au front a reçu des coups de poing
répétés sur sa plaie. Lorsqu'ils m'ont emmenée pour
le second interrogatoire, j'ai vu dans le hall d'entrée,
plusieurs dizaines de corps, allongés, qui baignaient
dans le sang. Pour moi, à ce moment-là, certains
étaient morts.

J'entendais toujours des sirènes au-dehors. · partir
de ce moment-là, tous les déplacements pour être
interrogé se faisaient à coup de bottes, de matraque
et de bourrades jusqu'au bureau. Aller et retour, j'ai
été projetée par terre, tirée avec violence par les
vêtements et les cheveux, j'ai reçu des coups du plat
de la main derrière la tête et sur la face, j'ai été
insultée.. Ma cellule s'est remplie de garçons et de
filles dont certains étaient très amochés. Plaies
ouvertes, yeux totalement fermés par des
hématomes, bouches éclatées. Les premiers qui ont
demandé à aller aux toilettes étaient également
frappés et violentés jusqu'aux WC. On entendait
leurs hurlements et leurs plaintes. Quand j'ai voulu à
mon tour aller aux toilettes, une codétenue m'a fait
signe de me laver les mains car, pour elle, le fait
qu'elle ait " oublié " de le faire a été prétexte à un
tabassage sous les insultes. Beaucoup de détenus
ont uriné discrètement dans la cellule. Jusqu'à tard
dans la nuit et peut être jusqu'au petit matin, les
scènes décrites plus haut se sont poursuivies, les
prisonniers étaient copieusement et
systématiquement passés à tabac avant d'êtres
envoyés en cellule ou traînés jusqu'au hall s'ils
étaient inconscients. Aucun soin n'était prodigué,
même à ceux qui étaient visiblement en danger de
mort. J'ai vu un jeune garçon pris de convulsions, du
sang coulait de ses oreilles ou de son crâne. Il avait
de la bave blanche qui sortait de sa bouche et il avait
les yeux révulsés. Il a été laissé gisant par terre, je
l'ai vu à plusieurs reprises durant mes transferts,
toujours au même endroit et inanimé. Je donne ici la
liste des insultes proférées par les militaires que j'ai
comprises : " Comunisti, integralisti, rossi, porchi,
cani ".

Chez les militaires, il y avait des hommes et
quelques femmes. Les hommes étaient les plus
actifs pour les violences, mais les femmes
participaient activement, riaient tout le temps, et
étaient d'une grande dureté. Aucune trace de
compassion ou l'ombre d'un réconfort et à plus forte
raison aucune tentative d'interposition ne s'est
manifestée, à aucun moment, de la part des
militaires ou d'aucun autre personnel de la caserne.
Tous étaient pris d'une sorte d'hystérie de violence.

Dans les autres interrogatoires que j'ai subis, peut
être quatre dans la nuit, les militaires me
demandaient de signer ces fameux formulaires en
italien et avec de nombreux blancs. J'ai toujours
refusé de signer et, sur chacun des papiers, ils ont
inscrit " Si rifiuta " [" Refuse " - NDLR] . Lors d'un des
interrogatoires, un policier m'a montré les photos de
mes enfants sur mon passeport et dans son
français a dit " C'est dommage, la mamma en prison
se non firma [" si elle ne signe pas "] - NDLR]. Tu ne
veux plus voir tes enfants ? " J'ai dit que je préférais
la prison, que de signer ce que je ne comprenais
pas. Il m'a dit que je n'étais pas prête de sortir de
prison et qu'en Italie, les intégristes, " on les traitait
comme ça ". Au dernier interrogatoire, le " gros
chauve " m'a signifié que devant mon refus de
signer, il me mettait en état d'arrestation et qu'il me
livrait aux autorités pénitentiaires.

Un autre interrogatoire a eu lieu avec les policiers
pénitentiaires (leur uniforme était légèrement
différent). Il y avait une policière parlant un peu
français, qui a tenté de me traduire ce que me
demandait un policier. Là encore, d'autres
formulaires en italien à signer. Devant mon refus, les
policiers pénitenciers se sont énervés, m'ont
clairement signifié que j'étais maintenant une
prisonnière et que j'étais en état d'arrestation. J'ai
craqué nerveusement, je me suis effondrée par terre
en disant que je voulais que l'on prévienne ma
famille, un avocat. Mais je n'ai rien signé. Retour
dans la cellule, toujours debout, toujours les cris, les
bruits de coups.

Un moment, j'ai été menottée et emmenée dans une
autre partie du bâtiment pour ce qui allait être une "
visite médicale ". Ils m'ont fait entrer dans une pièce
meublée d'un divan recouvert d'une nappe de papier,
d'une table, de quelques chaises. J'ai remarqué un
pèse-personne. Il y avait trois femmes, dont la
policière qui parlait un peu français, une femme en
blouse blanche, et environ dix hommes en uniforme
qui allaient et venaient, rentrant et sortant de la pièce.
Un morceau de couverture était déplié par terre au
milieu. Ils m'ont demandé de me mettre sur la
couverture et de me déshabiller entièrement. Il y avait
toujours des hommes dans la pièce. J'ai demandé à
l'" interprète " s'ils pouvaient se retourner. Elle leur a
traduit : l'un deux s'est levé et s'est mis à crier,
agressif et énervé. L'" interprète " m'a traduit qu'il n'y
avait ici que des docteurs et des infirmiers et que
j'avais intérêt à me déshabiller très vite. Je me suis
exécuté. Pas assez vite à leur goût. Ils m'ont répété
de me dépêcher.

La policière me prenait mes vêtements au fur à
mesure, les secouaient et les scrutaient, avant de
les jeter par terre. Une fois nue, j'étais en face d'eux,
je tentais de protéger ma pudeur ; la policière m'a fait
écarter les jambes en me donnant deux coups de
pieds secs au niveau des genoux et m'a dit de mettre
mes bras à l'horizontale, devant moi. Elle m'a
demandé de m'accroupir trois fois. Ensuite, elle m'a
retournée. Après de longues minutes, la policière
m'a tendu mon slip que j'ai pu remettre. On m'a dit
ensuite de me mettre sur le divan et la femme en
blouse blanche m'a auscultée et pris la tension. Elle
m'a aussi posé des questions que la policière avait
du mal à traduire. Cela concernait apparemment
mes antécédents médicaux. J'ai compris qu'elle
m'indiquait que ma tension était élevée, 17 ou 18.
Elle n'a semblé ne pas faire attention aux nombreux
hématomes que j'avais sur le corps, notamment sur
l'épaule et la cuisse (coups de matraque). Elle ne
m'a jamais demandé ce que c'était, ni si je souffrais.
Les hommes étaient toujours là, allant, venant. J'ai
demandé un médicament pour soulager ma tête (je
souffrais du coup de poing de mon arrestation). La
femme en blouse blanche a dit quelques mots à la
policière qui a traduit qu'on allait s'occuper de moi.

J'ai été ramenée à la cellule et il n'a plus été
question de médicament ni de soin. Au contraire, les
sévices ont continué dans les cellules. Un militaire
plus survolté que les autres désignait un détenu au
hasard (mais plus facilement ceux qui étaient percés
ou tatoués, ou qui portaient des dreadlocks), l'attirait
contre les barreaux et se mettait à le frapper à coup
de gifles et de bottes. Un autre coupait avec des
ciseaux les cheveux longs des filles et des garçons,
et les capuches des blousons.

Plus tard, encore un autre transfert, menottée dans le
bâtiment, pour la prise des empreintes et les photos.
Le fonctionnaire chargé de ces formalités était de
mauvaise humeur et semblait reprocher au policier
son surcroît de travail. Au bout de la nuit, les policiers
se sont lassés de nous maintenir debout car
beaucoup d'entre nous s'écroulaient de souffrance et
d'épuisement. Nous avons fini par tous nous
accroupir dos contre le mur et nous blottir les uns
contre les autres. Nous tremblions de peur et de
froid. Dans ma cellule, nous étions en cette fin de
nuit, deux filles, une Américaine nommée Teresa,
moi-même, et huit garçons. Je me souviens
particulièrement de l'un d'eux très maigre qui pleurait
en silence. Tout à coup, un groupe d'une vingtaine de
militaires a fait irruption dans la cellule. Ils nous ont
empoignés et menottés deux par deux. Teresa et
moi ensemble... Les gifles se sont encore mises à
pleuvoir. Nous avons été jetés hors de la cellule puis
dans le couloir. Ils s'en sont alors pris aux garçons.
Des bruits de coups violents et des hurlements
insoutenables ont une fois de plus longuement
retenti, puis ils nous ont emmenés dans un fourgon
cellulaire. Au passage, dans le hall, j'ai aperçu à
nouveau le même corps inanimé que j'avais vu dans
l'après-midi, il n'avait pas bougé...

Transfert prison

Il faisait nuit noire lorsque nous avons traversé la
cour vers le fourgon cellulaire. · l'intérieur, trois
cellules grillagées. Une fois dedans, deux par deux
(j'étais avec Teresa), on ne voyait plus les autres
prisonniers (quatre garçons), on les entendait
seulement. Dans ce fourgon, garé au milieu de la
cour remplie de militaires qui s'agitaient, nous
sommes restés une éternité. Je me rappelle m'être
endormie deux ou trois fois, et réveillée à chaque fois
à coups de matraque dans la grille, alors que nous
étions menottées et enfermées dans la cellule.
Chaque fois que Teresa et moi nous endormions
l'une contre l'autre, un militaire nous réveillait à
grands coups dans la grille. Par la porte du fourgon
laissée ouverte tout le long, j'ai vu que la ronde
d'ambulance continuait à circuler. Nous n'avions
aucune explication. Nous avions faim, soif, nous
étions frigorifiées et terrorisées. Là, nous étions à
nouveau aux mains des militaires, les " tabasseurs ".
Je remarquai une femme corpulente, trente ans,
blonde, coupe au carré, qui était restée devant la
grille de ma cellule tout le long de la soirée. Elle
semblait particulièrement à l'aise dans cette
ambiance de massacre et n'hésitait à encourager
ses collègues. Neuf militaires, dont la femme
blonde, sont montés dans le fourgon. J'ai remarqué
qu'ils s'équipaient avec bouclier, armes prêtes à
servir, comme s'ils s'attendaient à un assaut du
fourgon. Nous avons roulé longtemps sur des
autoroutes, je pense. Arrivés dans une prison, nous
avons à nouveau été traînés tous les six, sans
ménagement, à travers les couloirs. Cela me
semblait être " une livraison " à une autre équipe de
militaires. Ils nous ont séparées des garçons,
dé-menottées et envoyées dans une minuscule
cellule avec toilettes. La porte est à peine refermée,
les hurlements, les bruits de coups, les insultes ont
repris à nouveau de manière insupportable pendant
15 minutes. · ce moment-là, Chiara puis Ariana, deux
Italiennes, nous ont rejointes. Leurs yeux étaient
exorbités, Chiara tremblait de froid. Nous nous
sommes blotties les unes contre les autres.

Très vite, nous avons été menottées et transférées
dans un nouveau fourgon, pour reprendre la route.
Nous n'avons jamais revu les garçons.

Prison d'Alessandria, samedi

Quand nous sommes arrivées à la prison
d'Alessandria, le jour s'était à peine levé. Nous avons
été alors enfermées dans une cellule sans toilette,
avec un rebord en ciment de 10 centimètres sur
lequel il est impossible de s'asseoir. La grande
fenêtre à barreaux donnait directement sur l'extérieur
sans vitrage. Le matin devait être frais, ou était-ce
l'état de choc, toujours était-il que nous avions
horriblement froid. J'ai aperçu à ce moment l'état de
Teresa. Son dos n'était plus qu'une plaie. Des
hématomes longs, boursouflés, sanguinolents
débordaient les uns sur les autres. Il n'y avait pas 1
centimètre carré de peau entre les fesses et les
épaules qui soit intact. Je me rappelle maintenant
que lors du transport, Teresa faisait son possible
pour ne pas s'appuyer sur le dos, elle posait sa tête
sur ses genoux.

Chiara était surtout blessée sur les côtes et les
jambes. Ariana semblait moins touchée
physiquement, mais son visage était ravagé par la
peur. Durant la matinée, d'autres filles nous ont
rejoint jusqu'à que nous soyons neuf dans la cellule.
Ester est Italienne, mais parle français. Elle est, elle
aussi, couverte d'ecchymoses. · chaque arrivée de
détenue, nous interpellions les gardiens pour qu'il
nous donne à boire ou pour aller aux WC. Après une
longue attente, entre 20 et 40 minutes, ils nous
permettent d'aller aux toilettes, une par une. Enfin est
venu mon tour. Il y a un robinet dans les WC et j'ai pu
boire.

En début d'après-midi, nous avons été amenées, à
tour de rôle, pour les formalités et la fouille mais,
cette fois-ci, uniquement en présence de deux
femmes. D'abord dans un premier bureau, ils ont fait
l'inventaire de mes affaires : certaines m'avaient
suivie, carte bleue, lunettes, d'autres avaient disparu,
notamment les interviews de Christophe Aguiton,
José Bové et les journaux que j'avais achetés et qui
m'auraient servi à rendre compte de la manifestation
(!). Pour la visite médicale, le docteur, un homme
d'une cinquantaine d'années, a trouvé à nouveau ma
tension élevée et m'a proposé un cachet pour dormir.
J'ai refusé. Il a demandé si j'étais blessée mais ne
m'a ni auscultée, ni examinée. Ensuite, dans un
autre petit bureau, j'ai récupéré un sac-poubelle avec
une couverture, un drap, une assiette, une fourchette
et une timbale en plastique blanc. Sur mon
formulaire d'enregistrement d'incarcération, il était
marqué 15 heures. J'ai été alors conduite dans un
bureau qui me semblait être celui du directeur de la
prison. J'ai rempli encore des formulaires (état civil).
Là, j'ai recommencé à demander un avocat et à ce
que l'on prévienne ma famille, le consulat, etc. Pour
l'avocat, il fallait que j'attende le lendemain
(dimanche). Pour la famille, j'ai dû noter mon numéro
sur un bout de papier et le directeur m'a assuré qu'il
s'en occupait personnellement dans l'heure qui
suivait. Il m'a également garanti que je pourrais voir
mon avocat demain matin, que je pourrais
téléphoner à mes enfants. Il a ajouté que, pour
l'instant, l'important était que je dorme.

J'ai enfin été emmenée dans ma cellule de prison
avec Chiara et Diana : une cellule de trois lits
métalliques, avec un robinet d'où coulait un filet d'eau
et un WC " sec ". J'ai fait mon lit, je me suis allongée.
Les pensées, l'attente, la lumière permanente, les
appels dans le couloir, l'angoisse, la faim.
Impossible de dormir. Il devait être 16 heures. Diana
pleurait sans arrêt, elle était très fragile, Chiara
semblait plus solide, mais j'ai vite vu beaucoup de
dégâts sur son corps : toujours ces multiples traces
de matraques longues et noires, des bleus, des
hématomes. On a commencé à se réconforter, à
panser nos plaies, à se masser.

Le régime carcéral était " normal ", bien que les
gardiens se livraient à un petit jeu psychologique très
pénible : ils promettaient, en fin de poste, des visites
d'avocats, nous demandaient de nous préparer à
sortir de la cellule pour téléphoner à nos familles. La
joie et l'espoir nous faisaient danser la ronde toutes
les trois et on entendait les mêmes réactions dans
les deux cellules voisines. Puis la relève de gardiens
avait lieu et on nous annonçait qu'il n'en avait jamais
été question. Cette pratique a duré tout le temps à
Alessandria, et c'est semble-t-il le régime carcéral
normal.

Notre premier repas a été servi vers 18 h 30, soit 30
heures après mon arrestation. On nous a également
remis des formulaires de télégrammes, en nous
disant que celles qui avaient de l'argent pouvaient
envoyer un message de suite et qu'il serait à
destination dans la soirée. Ce que nous avons fait.

Nous avons su par la suite qu'aucun coup de fil n'a
été passé, aucun télégramme n'est parti avant
l'annonce de notre libération.

Prison d'Alessandria, dimanche

Le dimanche nous avons eu deux promenades dans
la cour de la prison, le matin et l'après-midi. · notre
première rencontre du matin, toutes les neuf, nous
avons vite compris que nous sortions du même
enfer et que nous avions subi le même sort durant la
nuit précédente. De toute évidence les degrés de
gravité de blessures étaient liés à l'apparence
physique : celles qui portaient un tatouage, ou un
piercing, ou un vêtement noir, ou des dreadlocks,
avaient plus de plaies et de traces que les autres.

Dès la première rencontre, j'ai proposé que nous
rédigions au plus vite nos témoignages afin de les
faire passer à la première personne venant de
l'extérieur (avocat, personnel soignant ou magistrat)
que l'une d'entre nous rencontrerait. Nous n'avions
en effet aucune idée du temps que nous passerions
en prison. Je leur ai dit qu'il était urgent de faire
savoir à l'extérieur ce qu'il s'était passé la nuit du 20
juillet. L'après-midi déjà, on me remettait
discrètement trois premiers témoignages. Nous
avons eu deux visites ; un responsable socialiste et
un magistrat italien qui ont tenté de nous rassurer
sans rien nous dire vraiment, et qui sont restés en
tout dix minutes chacun. Très peu de nouvelles de
l'extérieur, très peu de précisions sur notre sort. Ils
nous ont annoncé la mort de Carlo Giuliani. Ils
étaient l'un comme l'autre escortés de policiers et
militaires. Nous n'avons pas pu parler des
traitements subis, de nos blessures, ni remettre les
premiers témoignages que j'avais dans mon slip.

· 11 h 30, on nous a servi une assiette remplie de riz,
de verdure, d'une tranche de melon par-dessus et
d'une couche de brocolis supplémentaire en nous
précisant qu'il n'y aurait rien d'autre de la journée.

Journée de lundi : avocats, juge et libération

On a su dès la première heure que nous serions
reçues par un juge dans la journée et que nous
verrions sûrement des avocats. Pas plus de
précisions sur l'heure, le lieu, les conséquences.
Promenade du matin, je reçois discrètement deux
témoignages de plus. Ensuite, c'est l'attente.

On est venu nous chercher peut-être vers 10 heures
ou 11 heures. Pas de petit-déjeuner. Rien dans le
ventre depuis la veille 11 heures. Nous avons été
menottées, transportées en fourgon cellulaire dans
une autre ville, à une heure environ d'Alessandria,
remises toutes ensembles dans une cellule
minuscule avec toilettes mais pas d'eau. Encore
attendre.

Dans le courant des heures qui ont suivi, nous
sommes passées une par une devant un avocat,
puis une juge. Je pense que nous avons toutes
décrit d'abord ce qui s'était passé la nuit du 20 juillet,
bien que nous étions entendues pour nos faits et
gestes. Les avocats nous ont fortement conseillé de
témoigner en détail de ces événements durant
l'entretien avec la juge.

Ce que j'ai fait pour ma part d'une façon floue et peu
précise en réalité parce que je n'avais pas dormi
depuis quatre nuits, parce que j'étais épuisée,
affamée et surtout parce que le couloir et
l'établissement étaient remplis de militaires
ressemblant à ceux qui avaient " tabassé " la nuit du
20 juillet, et que je n'avais aucune confiance en qui
que ce soit.

· la fin de l'entretien, on m'a annoncée que j'étais
libre. Moi j'ai entendu : " Le cauchemar est fini ".
Naïvement, en sortant du bureau du juge, j'ai marché
vers une sortie. Un militaire m'a empoignée et
dirigée vers la cellule, je me suis tournée vers mes
avocats, l'un deux m'a rassuré, m'a parlé de
procédure, de quelques corvées administratives qui
ne seraient plus très longues. Il devait être 14
heures.

Retour en cellule avec les autres filles pour d'autres
heures d'attente.

· un moment, la porte de la cellule a été ouverte pour
l'une de nous et nous avons vu passer des civils,
avec attaché-case, cravates, etc. Dans un même
élan, nous leur avons crié à l'aide, hurlant que nous
avions faim et soif. Une demi-heure plus tard, on
nous a remis un carton remplis de sandwiches au
fromage, et l'on nous a fait sortir une par une pour
boire à un robinet.

Dans l'après-midi, la moitié d'entre nous, dont moi,
avons été transportées dans un fourgon, sans les
menottes, jusqu'à la prison d'Alessandria. On nous a
remises dans nos cellules respectives en nous
demandant de plier nos affaires et de nettoyer. Une
fois les préparatifs terminés, nous avons été placées
dans la cellule à la grande fenêtre où nous étions
restées la journée du samedi. Chiara s'impatientait
et avant d'entrer dans la cellule, elle a demandé : " Je
croyais que nous étions libres, pourquoi nous
enfermer encore ? " Le policier lui a répondu de se
calmer et qu'il y en avait pour 10 minutes. Il devait
être 17 heures.

Les autres filles sont arrivées peu de temps après.
Nous attendions toujours dans cette cellule sans
toilettes, ni eau, ni chaise. Libres. Vers 19 heures,
Chiara a commencé à s'inquiéter car sa remise en
liberté était sous la condition qu'elle se présente
tous les jours au commissariat de Gênes avant 20
heures à compter du jour même. Elle a appelé
l'agent durant de longues minutes. Lorsqu'il s'est
présenté, elle lui a expliqué qu'elle devait prendre un
train pour Gênes. Il semblait très énervé et a gueulé
en italien pendant 5 minutes. Chiara a répondu en
gueulant également. Je ne comprenais que
quelques mots, elle parlait de liberté et d'innocence,
elle parlait de droit. Il a fait ouvrir la grille et s'est jeté
sur elle en la frappant. Il l'a menacée, son visage tout
contre celui de Chiara en la tenant par le col et la
plaquant contre le mur. J'ai compris qu'il disait être le
chef ici et qu'elle n'était rien. Elle s'est redressée,
fière, et lui a signifié qu'elle était libre et qu'elle n'avait
pas peur. D'un coup, il s'est reculé, a crié des ordres
et des policiers sont entrés dans la cellule et nous
ont toutes menottées. Nous avons été poussées
jusqu'à nos anciennes cellules et ré-enfermées
dedans. Pour ma part, j'ai craqué nerveusement et je
me suis écroulée en larmes. J'entendais les autres
pleurer également dans les cellules voisines.

Ils sont venus chercher Chiara sans ménagement
quelques minutes plus tard. Puis quand la nuit a
commencé à tomber, ils sont venus nous chercher
les unes après les autres et nous avons effectué le
parcours administratif de sortie. Remise des affaires
personnelles, signature de papiers, etc. Dans mes
affaires, il n'y avait plus mon argent, ou quelques
centimes italiens, et, à la place, j'avais un reçu de la
poste d'Alessandria pour un télégramme d'une
valeur de 200 francs environ, parti le jour même à 14
heures. Il s'agissait du télégramme que j'avais écrit à
ma famille, annonçant mon arrestation, donnant de
mes nouvelles, et demandant un avocat et que
j'avais rédigé le samedi à mon arrivée.

Nous avons été libérées, il était 22 heures.

Valérie Vie

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