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Après Gênes, quelques réflexions sur la violence et l'état du mouvement

vieuxcmaq, Mercredi, Août 15, 2001 - 11:00

Pierre Khalfa (cybercoutch@iquebec.com)

Après Göteborg, les manifestations de Gênes ont reposé la question du rapport à la violence. Ce texte
vise à apporter quelques éléments au débat.

Après Gênes, quelques réflexions sur la violence et l'état du mouvement
Pierre Khalfa

Après Göteborg, les manifestations de Gênes ont reposé la question du rapport à la violence. Ce texte vise à apporter quelques éléments au débat. Le capitalisme, comme les autres systèmes basés sur la domination d'une classe sociale sur l'ensemble de la société, a été instauré dans la violence. Il a construit un mode de domination qui mélange de façon différente, suivant les époques et les circonstances, violence directe et recherche d'un consensus visant à masquer la brutalité oppressive du système, les grandes avancées sociales ayant toujours eu lieu dans un contexte d'affrontements plus ou moins violent.

Une impasse stratégique Pour lutter contre ce système, l'emploi ou le refus de la violence dans l'action quotidienne a été historiquement surdéterminée par une perspective "stratégique" globale. Il importe donc de revenir rapidement sur ces débats avant de traiter de la situation actuelle. Dès l'origine le mouvement ouvrier a été divisé sur le type de réponse à mettre en oeuvre. Deux grandes orientations ont vu le jour. L'une visait par une accumulation pacifique à gagner petit à petit des positions de force dans la société, arriver ainsi au pouvoir et imposer de cette manière aux classes dominantes des changements radicaux. Dans ce cadre, la violence n'était conçue que comme défensive, en cas de "provocation de la bourgeoisie", ou comme coup de pouce final si celle-ci ne se résignait pas à sa défaite. L'autre indiquait que, jamais les classes dominantes n'avaient abandonné la moindre parcelle de pouvoir sans se battre, que l'affrontement était inévitable - ce d'autant plus que l'appareil d'Etat se renforce jour après jour -, qu'il fallait donc le préparer et y "préparer les masses" de façon consciente. Aucune de ces deux orientations n'a fait la preuve de sa pertinence. La première appliquée de façon sincère a abouti à des tragédies - le cas le plus récent est celui du Chili de l'Unité populaire -, ou a été le plus souvent la simple couverture de l'acceptation du système et a même servi à justifier l'emploi de la répression contre les forces les plus radicales. La seconde a aussi connu des échecs sanglants, mais surtout ses succès ont été éphémères. Si, la dégénérescence des révolutions russes, chinoise, cubaine... ne peut être simplement expliquée par ce seul facteur, le rapport particulier qu'elles ont entretenu avec la violence y a joué un rôle important. De plus, la théorisation de la violence, voire son exaltation, a des conséquences au quotidien sur le comportement des individus et sur la culture développée dans les organisations qui la pratiquent. Elle ne fait pas bon ménage avec l'existence de débats ouverts et la mise en oeuvre de processus démocratiques. La violence n'est pas un moyen technique neutre et a des conséquences sur ceux qui la mette en oeuvre, sur la société qui la promeut et elle en vient inévitablement à dominer les autres rapports sociaux. Il est vain de croire qu'elle pourrait être contenue dans un "ailleurs" et ne pas toucher ceux qui l'emploient. L'idée que la violence ne puisse s'appliquer que contre les classes dominantes est largement illusoire et le "pas de violence dans le mouvement ouvrier" n'a été historiquement qu'un voeu pieux. De même, la distinction maoiste entre "les contradictions au sein du peuple" qui se résoudraient pacifiquement et "les contradictions entre le peuple et ses ennemis" où la violence pourrait être employée ne résoud aucun problème : quels sont ceux qui décident qui fait partie du peuple ? L'emploi de la violence contre les dominants a inévitablement des conséquences sur les dominés eux-mêmes et se propage en leur sein. Cependant, l'affirmation de la non-violence ne résout pas nos problèmes. Se dire non-violent n'entraîne pas que ceux d'en face le soient aussi. L'expérience gandhienne de la non-violence s'est accompagnée de nombreux massacres par l'armée britannique et n'a pas empêché que les indiens se massacrent entre eux par la suite. De plus, chacun sait que nombre de manifestations pacifiques ont été et sont l'objet de répression de la part des gouvernements, Gênes en étant l'exemple le plus récent. Ce bilan rapide du passé nous mène au coeur de nos difficultés actuelles. Il nous faut reconstruire une nouvelle perspective stratégique et cela ne peut se faire qu'à partir de l'état actuel des mouvements et en se réappropriant les débats du passé. Il est chimérique de croire que le capitalisme acceptera de se voir imposer sans réagir violemment des mesures qui remettent radicalement en question son fonctionnement. Comment se préparer à cette violence, comment y répondre ? Nous n'avons pas aujourd'hui de réponse claire à ces questions. C'est cette impasse stratégique qui rend les débats actuels compliqués et peu lisibles.

Partir de l'état du mouvement

Le mouvement contre la mondialisation libérale a connu depuis Seattle un développement important. Ce développement touche tant le rythme des mobilisations que leur ampleur et est porteur d'une radicalisation croissante en particulier dans la jeunesse. Mais, et c'est le fait essentiel, ces mobilisations ne sont que la pointe avancée de l'évolution globale des opinons publiques, au moins dans les pays capitalistes développés. Non seulement ces mouvements gagnent en force, mais ils rentrent en résonance avec les préoccupations de secteurs de plus en plus importants des populations. Le risque de récession, loin de remettre en question cette évolution accélère (pour le moment ?) les prises de conscience comme l'a montré les réactions face aux "licenciements boursiers". Cet écho croissant des thèmes portés par le mouvement a mis les gouvernements sur la défensive sur le plan idéologique et a accéléré la crise de légitimité des institutions internationales, même si cela n'a entraîné aucun changement d'orientation de leur part. C'est ce lien grandissant à l'opinion publique qui est le danger principal pour les gouvernements, c'est ce lien qu'ils veulent casser. C'est dans ce cadre, après Göteborg, qu'il faut comprendre l'attitude de Berlusconi lors du sommet de Gênes. Au-delà de dérapages qu'entraîne toute opération policière, le gouvernement italien (avec l'aval des autres gouvernements ?) a fait le choix de s'attaquer à l'ensemble des composantes du mouvement sans distinction. D'une part, il s'agissait de criminaliser l'ensemble du mouvement espérant ainsi le marginaliser dans l'opinion publique, de l'autre, de le diviser afin d'essayer d'intégrer ses composantes les plus modérées. Ce n'est pas l'attitude du Black Bloc qui est à l'origine des violences policières, mais un choix politique du gouvernement italien. Si le Black Bloc n'avait pas été là, nul doute que le gouvernement eût trouvé un autre prétexte. Cependant, le caractère visible des provocations policières, l'ampleur de la répression ont eu l'effet inverse à celui qui était recherché par le gouvernement italien. La condamnation de l'attitude du gouvernement a été le fait d'organisations qui n'avaient pas appelé à Gênes et loin de minoriser le mouvement, cela l'a amplifié. Son impact dans l'opinion publique s'est encore affermi, ce d'autant plus que les premières inculpations par la justice italienne confirment la thèse de la provocation policière. Cette force du mouvement a eu pour conséquence un changement de ton de la plupart des gouvernements qui ont été obligés de condamner la violence policière et de reconnaître la légitimité des problèmes posés par les manifestants, même s'ils ne semblent pas prêts d'adopter la moindre mesure concrète. En France, le PS se divise sur cette question : le député Jean-Marie Bockel qui ne voit aucune convergence avec les manifestants de Gênes s'oppose à Vincent Peillon porte-parole du PS et Christian Paul membre du gouvernement qui les soutiennent (à la veille d'élections, mieux vaut ne pas se couper de l'opinion !). Tout cela a pour conséquence de renforçer par contrecoup le poids du mouvement dans l'opinion. Dans cette situation, nous devons remplir simultanément quatre objectifs. D'une part, nous devons maintenir et renforcer le lien avec l'opinion publique, d'autre part éviter un éclatement du mouvement, ensuite être capable d'en assumer la radicalité montante, enfin continuer par des manifestations massives d'en démontrer la force. Remplir ces objectifs suppose éviter un certain nombre d'écueils. Il faut d'abord éviter une montée aux extrêmes dans les formes d'actions que certains peuvent justifier par l'autisme des gouvernements. Ce refus est décisif si nous ne voulons pas que les gouvernements marquent des points dans leur tentative de casser le courant de sympathie que nous rencontrons dans les opinions publiques, d'où notre choix pour la non-violence. Mais ce refus doit simultanément s'accompagner de la prise en charge de la radicalisation croissante d'une partie du mouvement. Cela passe par l'adoption de formes d'action qui intègrent symboliquement cette radicalité. Face à la violence du système, le choix de la non-violence ne peut être, ni synonyme de passivité, ni acceptation de principe de la légalité, d'où le caractère "actif" de notre recours à la non-violence. Le développement ces dernières années de formes d'actions radicales non-violentes par un certain nombre de mouvements sociaux - occupation des Assedic par les chômeurs, des logements vides par les sans-logis par exemple -, a permis à la fois d'exprimer fortement le ras-le-bol des intéressés, de rendre visible leur combat, tout en ayant un impact positif dans l'opinion publique. Il faut s'en inspirer. Plus nous affirmons le caractère non-violent de nos actions, plus nous devons mettre en scène notre détermination dans des formes d'actions appropriées se discutant au cas par cas. C'est dans ce cadre que nous devons situer nos rapports avec le Black Bloc. Même s'il ne s'agit pas d'un groupe structuré, mais plus d'une mouvance à géométrie variable, il est porteur d'une orientation qui a fait le choix d'une confrontation violente systématique avec la police et de la destruction des "symboles du capitalisme" (agences bancaires, voitures... ). Cette orientation est justifiée par "la dégradation de la propriété comme moyen stratégique d'action directe" et par l'objectif de créer des "zones autonomes libérées" ainsi que par la nécessité de réveiller une population endormie en révélant le visage répressif de l'Etat. Il faut le dire clairement : cette orientation n'est pas la nôtre. Elle ne peut qu'entraîner la minorisation et l'isolement du mouvement et est propice à toutes les manipulations. Cependant ce serait une erreur de rejeter ce courant comme étranger au mouvement et de le considérer comme étant simplement un ramassis de provocateurs. D'abord parce que, qu'on le veuille ou non, les gouvernements nous assimileront à eux et ce n'est pas nos protestations qui y changeront quoi que ce soit... sauf à changer radicalement en matière de formes d'action en s'adaptant à ce que les gouvernements sont prêts à accepter, ce qui signerait l'éclatement du mouvement et son arrêt de mort. Ensuite, parce que cette mouvance peut attirer un certain nombre de gens écoeurés par le système et qui pensent réellement pouvoir ainsi changer les choses. Ensuite et surtout parce que tout rejet brutal de ce courant ne pourra l'amener qu'à une radicalisation encore plus grande, dont l'aboutissement pourrait être la mise en oeuvre d'une logique Brigades rouges, qui serait utilisée par les gouvernements contre tous les mouvements sociaux. Les expériences allemandes et italiennes de la fin des années 70 sont éclairantes sur ces points. Enfin parce que leur attitude peut varier : elle n'était pas la même à Washington (avril 2000) et à Québec cette année qu'à Gênes (peut-être parce que sous la même appellation se trouvaient des groupes différents). Nous sommes donc sur une ligne de crête : Il nous faut à la fois clairement indiquer que les méthodes et les orientations des Black Bloc ne sont pas les nôtres et d'autre part ne pas les rejeter et tisser un dialogue politique avec eux.

Quelques pistes

Le débat sur les formes d'actions, dont le rapport à la violence n'est qu'une partie, traverse l'ensemble du mouvement. Nous devons l'assumer et l'organiser afin d'en faire un facteur d'homogénéisation politique. Dans ce cadre, il faudrait travailler à un texte international sur ces questions qui pourrait être adopté après débat par les différentes composantes du mouvement. Ce texte de référence pourrait servir de charte aux différents mouvements et comprendre un certain nombre d'engagements concrets. Dans ce cadre, il nous faut discuter de la forme que doit prendre la protection de nos cortèges et assurer notre droit à manifester. Nous devons avoir conscience que la première et la plus efficace des protections est celle qui est donnée par la force politique du mouvement et sa légitimité dans l'opinion publique. Cela ne signifie pas cependant qu'il nous faut sous-estimer cette question. Si nous devons éviter toute militarisation de nos cortèges, qui, outre une efficacité illusoire, aurait pour conséquence de brouiller notre image, il nous faut cependant être capable de construire un cadre qui soit assez rassurant pour permettre une participation massive à nos initiatives avec la mise en place d'un service d'ordre doté de moyens défensifs. Des propositions visant à jeter un pont entre le mouvement et les institutions sont en train de voir le jour. Daniel Cohn-Bendit (Le Monde du 11/08) propose une sorte de compromis pour les manifestations lors de la tenue du prochain sommet de l'Union européenne. Estimant que cette réunion a une légitimité démocratique que n'avait pas le G8, il propose d'assurer à cette instance la possibilité de se réunir sans problème en échange de la suppression de toute zone rouge et de la liberté totale de manifester. Une "zone démilitarisée" sans forces de police serait ainsi créée, protégée pacifiquement par deux mille "têtes citoyennes" (élus, des responsables d'associations, de syndicats... ). Cette proposition, admet implicitement que les sommets n'ont pas tous la même légitimité (quoique par ailleurs on puisse penser de son affirmation sur la légitimité démocratique de l'Union) et donc que certains n'ont pas de bien-fondé pour se tenir. Elle remet en cause la bunkérisation de ces réunions et admet que le rôle néfaste de la police. Elle pose cependant plusieurs problèmes. On peut d'abord douter que les gouvernements acceptent le principe d'un sommet sans protection policière ni de zone interdite aux manifestants. Le risque est donc grand dans ce cas que ces "têtes citoyennes" ne se transforment en auxiliaires de police pour empêcher les manifestants d'entrer dans la zone interdite. Sur le fond, une telle proposition vise à faire reposer sur nous la sécurité de réunions d'institutions dont nous contestons les orientations. Est-ce là notre rôle ? De plus, qui décide de la légitimité de tel ou tel sommet ou institution ? Au-delà des problèmes d'action, il nous faut approfondir nos réponses alternatives. Nous avons aujourd'hui un certain nombre de réponses limitées. Il faut leur donner une cohérence d'ensemble et surtout faire en sorte qu'elles soient reconnues par l'opinion publique. Cette démarche est d'autant plus importante qu'une grande partie de la crédibilité de notre action va se situer sur ce terrain, les gouvernements et les institutions internationales voulant nous enfermer dans le rôle "des gentils, sympathiques qui posent de vrais problèmes, mais n'ont rien à proposer". Enfin, il nous faut discuter très rapidement des deux échéances importantes qui sont devant nous : la réunion de l'OMC à Quatar en novembre et le prochain sommet de l'Union européenne en Belgique à Laeken en décembre.

Août 2001

Egroups d'Attac-Sorbone, où ce texte a été pris


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