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Une terre bien de «chez nous»

vieuxcmaq, Mercredi, Mars 28, 2001 - 12:00

David Kavanaght (david_kavanaght@altavista.com)

Analyse de certains aspects du colonialisme à l'intérieur du continent Américain. Article paru dans le spécial ZLÉA de l’Unité 13 mars 2001.

On dit que la mondialisation est celle du libre-échange. Il est avancé que le capital peut circuler plus aisément que jamais alors que les commodités du capital (femmes, enfants et travailleurs immigrants) se voient de plus en plus contrôlés à toutes les frontières. En occident, on voit d’un œil particulièrement suspicieux les demandeurs d’asile. Ces Chinois, Vietnamiens, Haïtiens, Kurdes ou Chiliens et j’en passe qui débarquent des bateaux, viennent-ils nous siphonner nos programmes sociaux ? Au fait, en Amérique, d’où nous viennent les barrières non naturelles à la libre circulation des humains que l’on nomme frontières ? En quoi l’histoire de ces démarcations artificielles est liée à la mondialisation actuelle, à l’impérialisme ?

-La conquête est un vol

D’aucun remontent à la prise de possession du continent par M. Christophe Colomb pour bien saisir le phénomène. Noam Chomsky, intellectuel bien connu qu’on pourrait qualifier d’anarchiste, n’a pas écrit L’an 501, la conquête continue en 1993 pour rien. 1992 marquait le 500e anniversaire du vol[1] du continent américain par les européens.

L’autorité de Dieu sur terre donna son aval officiel à cette invasion. En 1493, le pape Alexandre VI a signé la bulle inter cetera divina reconnaissant le droit aux souverains d’Aragon et de Castille (rois d’Espagne) d’acquérir et de christianiser les Îles et la terre ferme des nouvelles régions[2]. Il a ainsi accordé à l'Espagne tout le monde n'étant pas déjà possédé par les États chrétiens sauf la région du Brésil qui fut octroyée au Portugal. Une première frontière était dessinée par une bulle.

500 ans plus tard, le Conseil des Églises du Christ des États-Unis adoptait une résolution[3] honnête quant aux conséquences de la «découverte» :

En 1992, il y aura la tenue de célébrations entourant l’arrivée de Christophe Colomb dans le «Nouveau Monde». Pour les descendants des survivants de l’invasion subséquente, du génocide, de l’esclavage, de l’«écocide», et de l’exploitation des richesses de la Terre, une célébration n’est pas la forme appropriée de commémoration de cet anniversaire.

-Un découpage démocratique

Dans les Amériques au cours du XVIIe siècle, il y a eu instauration d’une série de lois connues sous Leyes de Indias. Semblable à la Proclamation de 1763 instaurée plus tard par les Britanniques en Amérique du Nord, les lois ont coupé la région des Andes (au Pérou) en deux soit la "République d'Espagne" et la "République des Indes" - chacune ayant son propre système judiciaire, ses propres lois et ses propres droits. Les Leyes de Indias étaient: «du point de vue de l'état colonial... une mesure pragmatique afin de prévenir l'extinction de la main d'œuvre (indigène)... »[4].

Alors que les guerres entre les métropoles européennes scellent l’issue des disputes territoriales en Amérique, la France cède la Nouvelle-France à l’Angleterre. En 1763, la Couronne Anglaise édicte la proclamation Royale décidant de l'emplacement d'un «territoire indien» à l'ouest des Appalaches et les Treize Colonies d'origine. À l'intérieur de ce territoire, personne n'aurait le droit d'y acheter des terres, sauf la Couronne. Cette Couronne, vestige du féodalisme et investie de l’autorité de Dieu pouvait seule harnacher les ressources de ces vastes territoires «inhabités».

Dans les colonies maintenant sous l'empire britannique les colons occupant des territoires indigènes non-cédés seront relocalisés et les achats de terres, occupées par ou réservées pour les indigènes, à des fins privées deviendront interdits. Seule la Couronne pouvait acheter ces terres, en présence des Premières Nations. Par cette proclamation, la terre n’appartient pas aux premiers habitants pas plus qu’aux colons. Pendant ce temps, aujourd’hui au Québec, on en est à se demander pourquoi le bois coupé sur les «terres de la Couronne» appartient aux compagnies forestières... Richard Desjardins l’a pourtant compris bien avant la réalisation de son film.

En 1776, les États-Unis déclarent leur indépendance de la métropole anglaise.

Presque cent ans après, en 1867, l’Angleterre procède à l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique créant le dominion du Canada, qui regroupe l’Ontario (anc. Haut-Canada), le Québec (anc. Bas-Canada), la Nouvelle-Écosse et le Nouveau Brunswick. Mais qui était là en premier ? Les colons Français ou les colons Anglais ? Ou bien les personnes humaines ayant la mauvaise couleur de peau qui n’existent toujours pas aujourd’hui parce que les corporations transnationales n’ont pas fini d’exploiter les richesses naturelles de ce continent ?

Partons de l’hypothèse généralement admise que nous vivons en démocratie. Admettons que nous sommes un État de droit par opposition au féodalisme où «le roi règne par la grâce de Dieu» et est donc le seul dépositaire de la souveraineté. Dans un régime monarchique, le roi est la source du pouvoir et le seul détenteur de son exercice. Il fait les lois et les applique. En démocratie, il doit y avoir séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Finalement, par un examen du processus d’adoption créant son État on peut voir que la constitution du Canada se devrait d’être un reflet du caractère démocratique de notre société.

Or, en 1864, 33 représentants[5] des colonies britanniques d’Amérique du Nord se prononcent sur 72 Résolutions qui constituent la charpente de la nouvelle constitution créant le Canada. (...) En 1867, les Pères de la Confédération ne recourent pas (...) à une convention constitutionnelle pour élaborer la loi suprême de l’État, pas plus d’ailleurs, qu’il ne soumettent la Constitution canadienne, un fois rédigée, au peuple par un référendum constitutionnel ou par un élection à caractère référendaire. Cette façon de faire en dit suffisamment long sur la légitimité de notre démocratie surtout lorsqu’elle est examinée à la lumière du contexte de la situation de l’époque.

Mais tout ce territoire est volé. Il s’agit du fondement de notre état de Droit. Notre État de droit est né sur un vol. Ce processus ne lui enlève rien de sa légitimité car ce vol a été perpétré à l’égard de non-humains, des sauvages comme les décrivait sans guillemets une revue québécoise «progressiste» l’an dernier.

Plus tard, en 1876, le Canada adopte une disposition donnant au gouvernement fédéral, à travers son département des Affaires Indiennes, le plein contrôle sur les affaires économiques, sociales et politiques des communautés indigènes. C’est la loi sur les indiens. Après avoir volé la terre, commencé à exploiter les richesses, on rend le tout légal.

Bien plus qu'un simple instrument législatif d'administration des "Affaires Indiennes", la loi sur les Indiens était et est une attaque sur le fondement des Premières Nations en tant que nations. En plus de la chasse et de la pêche restrictive et de la criminalisation des moyens de subsistance économique indépendants (en 1881, la disposition a rendu illégal pour les Indigènes la vente, le troc ou le trafic du poisson), la loi a aussi défini qui était et qui n'était pas un Indien. Bref, quel pays du monde accepte qu’un autre pays décide de la façon avec laquelle un demandeur pourra obtenir la citoyenneté ?

En plus, la loi a retiré le statut d'Indien aux femmes indigènes qui mariaient des non-Indigènes et a criminalisé des aspects vitaux de l'organisation et de la culture indigène tels que le potlatch, la danse-du-soleil, et les pow-wow. Ce qui a fait dire aux commentateurs de lignes ouvertes l’an dernier que les communautés Mohawk près de Montréal sont sexistes ou racistes parce qu’elles appliquent une disposition vielle de plus de cent ans et imposée de force aux autochtones par les colons blancs. La communauté Mohawk demandait aux partenaires blancs de femmes autochtones de quitter la réserve dans un délai de trente jours.

Dans la même veine, pendant que le Canada se vante d’avoir inspiré la lutte aux violations des droits humains et de sa participation aux sanctions contre le gouvernement de l’Apartheid en Afrique du Sud, il oublie un pan de son histoire. La loi sur les Indiens a aussi refusé le droit de vote aux Indigènes et a implanté un système de laissez-passer semblable, sinon le précurseur, du «Pass Laws» dans les Bantoustans d'Afrique du Sud.

-Les frontières des États-Unis

Les États-Unis, à l’instar du Canada ont d’abord été une colonie. Suite à leur accession à l’indépendance, ils ont aussi élaboré une constitution. Le caractère démocratique de ce processus n’est pas plus entaché d’irrégularité que la façon de faire canadienne. Le fait que des esclaves noirs aient été importés d’Afrique et qu’ils n’aient pas le droit de vote à ce moment là illustre bien ce fait.

Selon Alexis de Tocqueville[6], un des précurseurs de la démocratie moderne et ardent défenseur de l’égalité, la naissance des États-Unis est comparable à «la marche triomphante de la civilisation dans le désert». Il était particulièrement impressionné par la façon avec laquelle les pionniers pouvaient porter atteinte aux droits des Indiens «avec une telle félicité, tranquillité, légalement, de façon philanthropique, sans une effusion de sang, et sans violer le moindre principe de moralité sous l’œil attentif du monde.» Il était impossible de détruire un peuple avec «plus de respect pour les lois de l’humanité,» a-t-il observé.

Voici donc un exemple concret de la conquête du territoire américain. Un pavillon de l’université du Colorado au États-Unis a changé de nom le 6 octobre 1989. Du nom de «Nichols Hall» le pavillon a été rebaptisé «Cheyenne-Arapho Hall». La raison : le capitaine David Nichols, commandant de la Compagnie Boulder (Compagnie D) du 3e régiment de la cavalerie bénévole du Colorado était impliqué dans le massacre de Sand Creek en 1864. Le 29 novembre de cette année-là, 600 personnes des peuples Cheyenne et Arapaho du Sud, dont deux tiers étaient des femmes et des enfants, campaient près de la baie de Sand Creek dans le sud du Colorado. Les gens étaient en paix. Le capitaine Nichols «a pris part avec enthousiasme au massacre au cours duquel des cerveaux étaient broyés, des oreilles d’enfants coupées et les parties génitales d’hommes et de femmes étaient coupées afin de servir de blagues à tabac ou d’ornements de selle». Le capitaine Nichols et son unité ont été identifiés comme étant les meurtriers d’indiens les plus efficaces au cours de ce massacre. Jusqu’à la fin, il est demeuré sans remords, disant même sur son lit de mort, je m’en tiens aux affirmations de mes supérieurs : «je n’ai rien à me reprocher pour Sand Creek»[7].

Les États-Unis sont aussi le berceau du rêve. Ce rêve américain qui nous dit que dans une société capitaliste, si vous vous donnez à cent pour cent et que vous êtes chanceux votre fortune pourra peut-être se comparer à celle de Bill Gates. En outre, pour affirmer sa puissance militaire et économique, la première démocratie en Amérique a dû défendre sa conception de la démocratie à l’extérieur de ses frontières. À peu près au même moment où ils ont procédé à l’annexion du Texas, du Nouveau-Mexique et de la Californie à l’issue de la Guerre contre le Mexique en 1848, les États-Unis ont développé la doctrine de la «Destinée Manifeste» qui dit que le destin de l’homme blanc anglo-saxon est de conquérir.

Cette doctrine suivait de peu la doctrine Monroe qui, en 1823, lançait un avertissement sérieux aux puissance coloniales de l’Europe. Dorénavant, toute intervention des métropoles européennes dans les pays des États-Unis serait considérée comme une agression envers les États-Unis.

De cette façon, tout au long du vingtième siècle lorsque des intérêts économiques des compagnies multinationales américaines étaient menacées par des mouvements de libération nationale dans un pays quelconque des Amériques les États-Unis sont intervenus de façon ouverte ou secrète, légale ou par la force afin d’ouvrir les frontières aux investissements étrangers. Mexique, Panama, Haïti, El Salvador, Guatémala, Honduras, République dominicaine, Chili, Pérou, Colombie, etc. Les États-Unis défendaient les pays contre une agression extérieure, doit-on croire dans le contexte de la guerre froide dans un premier temps et contre les narcotrafiquants terroristes de façon plus récente. Ces procédés du discours sur la politique étrangère ont fait dire à plusieurs commentateurs que les États-Unis considèrent les Amériques comme leur arrière cour.

Finalement, la propriété de la terre en Amérique ne fait l’objet d’aucun débat. Des petites communautés comme Kanawakhe ou Kanesatake peuvent toujours revendiquer. Les richesses naturelles situées sur le territoire du continent américain ne peuvent faire l’objet d’aucune dispute légale hormis des déclarations de principe de la Cour Suprême. On n’a qu’à regarder une province comme l’Alberta avec son pétrole. Toutes les communautés indiennes du Québec n’ont rien de commun avec la communauté Lubicon en Alberta qui se défendait contre la compagnie Daishowa ou la communauté Ts'peten en Colombie-Britannique qui se défendait contre l’armée canadienne en 1995. Les agents de pêches et océans Canada avait toute la légitimité de notre constitution de pays démocratique pour foncer avec leur bateaux sur des autochtones micmacs qui pêchaient à Burnt Church l’an dernier. En 1994, les Zapatistes ne revendiquaient «aucun» territoire volé à des autochtones. Depuis 1999, le plan Colombien «ne vise pas» à déposséder des paysans autochtones de leur terres, seul moyen de subsistance nonobstant toute véilléllité de lutte hypocrite contre les drogues illégales. Enfin, quelqu’un questionnera-t-il la légitimité continentale de l’occupation européenne ? Les classes moyennes des pays industrialisés reconnaîtront-elles la parenté de leurs luttes pour des mesures sociales efficaces avec la lutte contre le génocide et l’exploitation raciste de 500 années de colonisation ? Peut-être.

Notes

[1] Pendant tout le XVle siècle, on estimait à seulement 100 000 le nombre d'émigrants européens en Amérique. (...) Au cours de [cette] période de 100 ans, les populations indigènes sont passées de 70 -100 millions à près de 12 millions. Source 500 ANS DE RÉSISTANCE INDIGÈNE - tiré de Oh-Toh-Kin, vol.1 no 1, hiver/printemps 1992.

[2] GOTTSCHALK, Paul, Earliest Diplomatic Documents of America, New York, 1978, p. 21.

[3] Adoptée par le comité exécutif (Governing Board) le 17 mai 1990. Résolution du National Council of the Churches of Christ in the USA. Tiré d’un courriel envoyé le 17-07-91 à la liste NATIVE-L Issues Pertaining to Aboriginal Peoples par : Nati...@gnosys.svle.ma.us et dont le titre était : Quincentenary: info (National Council of Churches statement).

[4] CUSICANQUI, Silvia Rivera. Aymara Past. Aymara Future. Report on the Americas, vol. XXV, n° 3.

[5] Sylvie Arend, Christiane Rabier, Le Processus politique, Les presses de l’université d’Ottawa, 2000, p. 283.

[6] Noam Chomsky, On power and Ideology, Black Rose Books, 1987, p. 12.

[7] Annette Jaimes, The State of Native America, South End Press, 1992, p. 1 et 2.



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