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Antilibéralisme ou anticapitalisme ? [Première partie]

vieuxcmaq, Vendredi, Février 23, 2001 - 12:00

Nicolas Phébus (nicolasphebus@yahoo.com)

Une analyse d'Alain Bihr sur l'actuel mouvement 'antimondialisation'.

ANTILIBERALISME OU ANTICAPITALISME ?
Comment ne pas prendre des vessies roses pour des lanternes rouges.

Par Alain Bihr

Au cours de ces dernières années, on a vu émerger et rapidement se renforcer, en France comme dans d'autres pays capitalistes développés, un ensemble de mouvements sociaux, politiques et culturels, dont le commun dénominateur a été la critique, en actes et en paroles, des politiques néo-libérales suivies par les gouvernements, de gauche comme de droite, depuis maintenant près de vingt ans. Parmi ces mouvements, par ailleurs très divers par leurs terrains d'interventions et leurs formes d'action, on peut compter, en allant des plus informels ou plus organisés :

- les mobilisations de chômeurs, dans le cadre de "marches contre le chômage" ou d'actions "coup de poing" lors des fêtes de fin d'année (notamment en 1997 et 1998) ;

- le développement d'organisations tels que AC !, le DAL, Droits devant, etc., luttant pour l'obtention ou le respect de droits sociaux (droits à l'emploi, au logement, à la protection sociale, etc.) ;

- les mouvements de grève de novembre-décembre 1995 contre les projets et tentatives de réforme de l'assurance-maladie et de certains régimes spéciaux d'assurance-vieillesse, mouvements largement contrôlés par les quelques grandes organisations syndicales (CGT, FSU et "Groupe des 10" notamment) ;

- des mouvements et organisations avançant des revendications quant à la nécessaire régulation et quant au contrôle démocratique de la mondialisation économique : naissance d'ATTAC (autour du projet de taxe Tobin et plus largement de taxation des transactions financières), mobilisation contre l'AMI (projet de libéralisation de l'investissement dans le cadre de l'OMC), mobilisations périodiques à l'occasion de la réunion des dirigeants des principaux Etats et des organismes du capital financier transnational (FMI, Banque mondiale), dans le cadre du G7 (ou du G8), de l'OCDE, du sommet de Davos, etc., dont certaines (notamment celle de Seattle fin novembre 1999 et celle de Millau fin juillet 2000) ont connu un beau succès.

Cette liste, non exhaustive (on pourrait y ajouter les mobilisations contre Mac Donald's, pour l'abolition de la dette du Tiers Monde, pour la promotion d'un commerce équitable, etc.), donne une idée de l'étendue et de l'extrême diversité de ces mouvements. En fait, un ensemble de mouvements qui ne forment pas encore, de loin, un mouvement d'ensemble, unifié autour de quelques finalités et objectifs communs, encore moins autour de quelques organisations phares. Et pourtant, ce qui permet de leur trouver un air de famille, c'est incontestablement l'antilibéralisme qui leur fournit au moins un point de convergence. Que faut-il penser de cet ensemble de mouvements ? Quel espoir peut-on fonder sur eux ? Quelles sont inversement leurs limites et les critiques qu'on peut leur adresser ? Telles sont les principales questions que cet article se propose d'aborder.

Retour sur le libéralisme classique

Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de procéder à un petit détour théorique et historique, en rappelant le contenu et la signification de libéralisme en tant que mouvement politique et idéologique. La pensée libérale émerge en Europe occidentale au cours des XVIIe et surtout XVIIIe siècles, dans le contexte de la transition du féodalisme au capitalisme. Elle est élaborée et diffusée par des intellectuels, des groupes, des mouvements liés, de près ou de loin, à la bourgeoisie, qui est alors la classe qui, dans toute l'Europe occidentale, est en train de supplanter l'ancienne aristocratie féodale comme classe dominante, sur le plan économique d'abord, sur le plan politique ensuite. Elle constitue l'idéologie dont cette classe se sert tout à la fois pour lutter contre l'ancien ordre féodal et pour justifier les nouveaux rapports économiques, juridiques, politiques qu'elle est en train d'introduire et de développer.

Une fois parvenue au pouvoir, établie comme classe dominante, la bourgeoisie se servira du libéralisme pendant tout le XIXe siècle comme idéologie justifiant les rapports sur lesquels se fonde sa domination, en particulier contre les idéologies socialistes portées par le mouvement ouvrier naissant. Le libéralisme est donc typiquement une pensée bourgeoise, elle exprime la vision du monde propre à cette classe sociale dans sa phase de conquête du pouvoir et la première phase (historique) de son exercice. En tant que tel, il s'articule autour de trois idées-forces et valeurs-phares.

* La première est, comme la dénomination même du libéralisme l'indique, la liberté, essentiellement en fait la liberté individuelle. Liberté dont le libéralisme décline les différentes formes : liberté économique (assimilée au libre développement des échanges marchands) ; liberté politique (assimilée à la constitution de ce qu'on appelle d'habitude un Etat de droit) ; liberté de conscience enfin (liberté en matière de choix moraux, religieux, philosophiques, etc.).

* La deuxième idée et valeur clé du libéralisme est l'individu, mais compris d'une manière individualiste, comme un être existant en lui-même et par lui-même, indépendamment de et antérieurement à tout rapport social, à toute vie en société, et dont les intérêts particuliers ne sauraient être fondamentalement différents de l'intérêt général du corps social qui n'en est que l'addition. Cette conception individualiste de l'individualité s'articule d'ailleurs étroitement sur et avec l'exaltation de la liberté individuelle. En effet, tel que le conçoit l'individualisme, l'individu est l'homme libéré de tous les liens et de toutes les contraintes, hormis celles qui naissent de l'obligation de respecter la liberté de ses semblables, des autres individus parmi lesquels il vit.

* D'où la troisième idée et valeur clé du libéralisme : l'égalité juridique, l'égalité de droit entre tous les individus, l'égalité des individus face au droit et à la loi, égalité qui doit précisément lui garantir les conditions d'exercice de sa liberté. En effet, tout privilège (tout avantage garanti par le droit ou la loi) est tenu comme directement contraire à la liberté individuelle et doit être aboli à ce titre. Mais le libéralisme se désintéresse évidemment de l'égalité réelle des individus, celle de leurs conditions matérielles et sociales d'existence.

Liberté, individualité (individualisme), égalité, telle est la devise de la pensée libérale. Elle l'était déjà lors de sa formulation, au cours du XVIIIe siècle. Elle l'est encore de nos jours.

Cette pensée, hégémonique tout au long du XIXe siècle au sein des principaux pays capitalistes développés d'Europe occidentale et d'Amérique du nord, va entrer en crise à partir de la fin de ce même siècle, dans un contexte marqué successivement par la transformation du capitalisme concurrentiel en capitalisme monopolistique ; par la montée des rivalités entre nations impérialistes ; par le déclenchement de la Première Guerre mondiale et l'effondrement de la culture humaniste classique qui s'ensuivit ; par la faillite des politiques économiques libérales dans les années 1930, incapables de juguler la crise structurelle dans laquelle s'est enfoncé alors le capitalisme monopolistique ; enfin par sa faillite aussi bien idéologique que politique face aux fascismes comme face au stalinisme.

Dans le contexte de l'après-guerre, le libéralisme semble avoir définitivement vécu. Le cadre institutionnel dans lequel le capitalisme occidental se sort de sa crise structurelle et engage la période des "trente glorieuses" années de croissance fordiste tourne délibérément le dos à certains principes libéraux. Il procède en effet de la conviction que le libre marché n'est pas auto-régulateur ; que la somme des initiatives individuelles (celles des entrepreneurs capitalistes) ne saurait assurer par elle-même les conditions d'une croissance économique continue et encore moins l'intérêt général du corps social, qu'elle demande à ces fins à être encadrée par tout un dispositif de conventions collectives, de réglementations juridico-administratives, de régulations étatiques ; et que l'égalité juridique formelle se doit de se prolonger et de s'approfondir par des dispositifs garantissant sinon une parfaite égalité réelle, du moins un ensemble de droits sociaux universels limitant et réduisant la dérive spontanément inégalitaire à laquelle conduisent les marchés. Ces principes sont alors clairement énoncés par une pensée qui s'inspire pour partie de la tradition social-démocrate (et, à travers elle, d'un marxisme abâtardi en économisme) ; et pour partie aussi des travaux de John Maynard Keynes. Dans ce cadre, le libéralisme ne se survit plus que sur le plan politique dans l'Etat de droit qui trouve une nouvelle légitimité dans l'édification de l'Etat-providence et dans le "socialisme réellement existant" qui lui sert de repoussoir ; ainsi que sur le plan éthique, dans le développement de l'individualisme consumériste, au delà même de la sphère de la consommation marchande, qui tend alors à se subordonner l'ensemble de la vie quotidienne dans le cadre de la soi-disant "société de consommation".

L'offensive néo-libérale

La crise dans laquelle est entrée le modèle fordiste de développement du capitalisme au cours des années 1970 va fournir au libéralisme l'occasion d'effectuer un inattendu retour au premier plan de la scène politique et idéologique. C'est en effet sous sa bannière que, à partir de la fin de cette même décennie, va se mener l'offensive de la classe dominante destinée à "faire payer" la crise aux travailleurs ; offensive relayée, sur le plan politique, à la suite de Thatcher au Royaume Uni et Reagan aux Etats-Unis, par la quasi totalité des gouvernements occidentaux et, sur le plan idéologique, par la grande masse des médias et, sous diverses formes, par la plus grande partie des intellectuels (journalistes, universitaires, essayistes, etc.). En lui prêtant son langage, ses thèmes et ses thèses, ses concepts, le libéralisme aura apporté sa contribution à la cohérence et, par conséquent, au succès de cette offensive. Celle-ci se sera fixé essentiellement trois objectifs, dont l'inspiration libérale est à chaque fois manifeste.

* En premier lieu, le démantèlement du rapport salarial fordiste, dont la réglementation est accusée de fausser la concurrence sur le marché du travail dont résulterait à la fois le chômage et la dégradation de la valorisation du capital (la chute du taux de profit)

Sont ici particulièrement visés :

- la réglementation légale ou conventionnelle des conditions d'embauche, d'emploi et de licenciement de la main-d'oeuvre salariée, qui doit être laissée à la totale initiative capitaliste ;

- l'existence de seuils minimaux (salaire minimal) légaux ou conventionnels, les salaires devant pouvoir fluctuer à la baisse jusqu'à retrouver le point d'équilibre entre offre et demande de travail, censé faire disparaître le chômage ;

- l'indexation des salaires sur les prix et sur la productivité, pivot de la régulation fordiste et élément majeur des politiques keynésiennes, les salaires ne devant progresser au mieux qu'au rythme de la croissance économique générale ;

- le principe de la négociation collective et centralisée des conditions d'usage et d'emploi de la force de travail, auquel les libéraux proposent de substituer une individualisation la plus poussée possible du rapport salarial ;

- enfin, l'existence de systèmes publics de protection sociale, auxquels les libéraux proposent de substituer des systèmes volontaires d'assurance privée.

A travers la déréglementation systématique du rapport salarial, l'objectif, non avoué parce que non avouable, est d'obtenir une baisse du coût salarial global et, surtout, de placer collectivement les travailleurs dans une situation où le rapport de forces ne peut que leur être défavorable, condition de leur exploitation accrue.

* La seconde cible de l'offensive néo-libérale aura été "l'Etat interventionniste". Entendons la gestion de l'économie capitaliste par l'Etat, dont la période fordiste a fourni une première forme historique. A la régulation de l'économie par l'Etat qui, selon les libéraux, ne peut qu'aggraver les déséquilibres de tous ordres, ils proposent de substituer sa régulation par le marché qui seule assurerait "l'allocation optimale des ressources".

Ce sont ainsi tous les aspects de la gestion étatique qui se sont trouvés remis en cause.
Notamment :

- l'Etat entrepreneur (le capital d'Etat), par le démantèlement des secteurs publics, dont les éléments non rentables doivent être purement et simplement liquidés et les éléments rentables vendus (bradés) au capital privé ;

- l'Etat-providence, par le démantèlement, brutal ou rampant, des mécanismes institutionnels de protection sociale ; par l'abandon des politiques sociales sectorielles ; l'ensemble devant être remis entre les mains du capital privé ou de la "société civile" (entendons les réseaux d'entraide associatifs ou mutualistes), quant ce n'est pas tout simplement à la famille (la "famille-providence", en fait les femmes, étant censée prendre le relais de l'Etat-providence défaillant) ;

- l'Etat régulateur par la déréglementation de tous les marchés, en particulier du marché du travail, comme nous l'avons vu plus haut ; mais aussi du marché du capital (des marchés monétaires et financiers, dans le cadre de l'accélération de la transnationalisation de l'économie qui aura marqué les deux dernières décennies ;

- enfin, l'Etat est récusé dans son rôle de régénérateur des capitaux : c'est l'abandon de toute politique industrielle sectorielle et de ses moyens (subvention, prêts bonifiés, tarifs publics avantageux, etc.).

* Se superposant en partie aux deux précédentes, il est cependant possible de discerner une troisième cible de l'offensive néo-libérale, les "débiteurs". Car le néo-libéralisme, ce n'est pas seulement une agression du capital contre le travail, mais c'est aussi la revanche des créanciers sur les débiteurs. C'est en ce sens qu'il exprime fondamentalement les intérêts du capital financier, y compris contre ceux du capital industriel, un capital financier à la pointe du mouvement de dérèglement, dérégulation et mondialisation.

Il s'agit ici de mettre fin à la dérive propre à cette "économie de surendettement" sur laquelle avait fini par déboucher le fordisme et la première phase de gestion de sa crise. La cible apparente est donc l'inflation, qu'il s'agit de réduire autant que possible. La cible réelle, quant à elle, est triple.

Sont ici simultanément visés :

- Les "canards boîteux" : entendons tous le capitaux qui ne sont plus rentables, qui ont survécu grâce aux facilités de crédit propres aux politiques keynésiennes, et qu'il s'agit maintenant d'éliminer par un vaste mouvement de destruction et de restructuration du capital en fonction. Bref, il s'agit d'apurer les comptes entre capitalistes eux-mêmes, en mettant fin aux engagements inefficients de capital, essentiellement à travers la hausse des taux d'intérêts réels qui auront atteint des records historiques au cours des années 1980 et jusqu'au milieu de la présente décennie. En faisant, une fois de plus, payer les conséquences des "pots cassés" aux travailleurs ; car ce sont eux qui se trouvent en définitive jeter sur le pavé lorsqu'on ferme des entreprises jugés non rentables.

- L'Etat encore, dont il s'agit de réduire le "train de vie", en procédant à des coupes claires dans les dépenses publiques, mais aussi du coup en faisant baisser les fameux prélèvements obligatoires, du moins ceux qui portent sur le capital et ses revenus (profits et intérêts), quitte à alourdir ceux assis sur le travail.

- Enfin, les pays du ci-devant Tiers Monde, plus particulièrement ceux que les banques occidentales elles-mêmes avaient incité à s'endetter au cours des années 1970 pour s'industrialiser (Mexique, Brésil, dragons asiatiques, etc.). D'où les politiques dites d'"ajustement structurel" imposées par le FMI et la Banque Mondiale, à partir du début des années 1980 à ceux de ces pays demandant le rééchelonnement de leurs dettes. Politiques impliquant la suppression des subventions publiques aux produits de première nécessité ; des couples claires dans les budgets des Etats, conduisant au démantèlement des systèmes sanitaires et scolaires ; la libéralisation du commerce extérieur, ruinant les producteurs locaux ; avec les conséquences dramatiques qui s'en sont suivies pour les populations de ces pays et qui sont aujourd'hui connues de tous.

Ce bref tableau de l'offensive néo-libérale ne serait pas complet si l'on ne soulignait pas expressément deux autres de ses aspects, trop brièvement mentionnés précédemment, sans lesquels le retour en force de l'idéologique libérale ne saurait s'expliquer.

L'offensive néo-libérale a en effet accompagné et justifié :

- d'une part, la mondialisation des rapports capitalistes de production, la mondialisation des échanges de marchandises et plus encore de capitaux, impliquant le décloisement des marchés nationaux et le démantèlement des régulation et réglementations nationales de ces marchés opérées jusqu'alors par les Etats ;

- d'autre part, la montée en puissance et l'autonomisation relative du capital financier transnationalisé (la "géofinance"), à la faveur de l'éclatement du système monétaire international instauré à la fin de la Seconde Guerre mondiale (accords de Bretton Woods), faisant du dollar l'étalon monétaire international ; de la désintermédiation financière : du recours grandissant des entreprises, notamment multinationales, aux marchés financiers et non plus aux banques pour se financer ; de la montée des taux d'intérêt réels due notamment au creusement des déficits publics ; etc. Mais aussi, il faut le souligner, à la faveur de la déréglementation et dérégulation précédente.

[Ce texte à notamment été publié dans 'À Contre Courant' http://www.acontrecourant.org]

site web du premier lieu où ce texte à été publié.
www.acontrecourant.org


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