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Il y a vingt ans, l'affaire Kirt Haywood

lacrap, Lundi, Novembre 21, 2011 - 02:18

Le 3 juillet 1991, Marcellus François fut abattu par un policier qui l’avait mépris pour Kirt Haywood, un informateur de police recherché pour tentative de meurtre. Deux mois plus tard, Haywood fut lui-même assassiné. Puis, une semaine plus tard, ce fut au tour de son avocat, Paul Beaudry, lui-même un ancien de la GRC, de périr sous les balles. Enfin, le 14 novembre, Osmond Seymour Fletcher fut « suicidé » lors d’une intervention policière, trois semaines après avoir donné une entrevue à la télévision durant laquelle il s’interrogeait sur la relation entre Haywood et la police. Retour sur une série de morts violentes hautement suspectes.

***

Le lieutenant Pablo Palacios, matricule 4803, est reconnu pour ses méthodes cavalières, ce qui lui a valu le surnom de « Dirty Harry », en référence à ce célèbre personnage de cinéma interprété par l’acteur Clint Eastwood.

Cette réputation commença à lui coller à la peau en 1990, année où le lieutenant Palacios fut assigné à l’ancien poste 24, qui couvrait notamment la Petite Bourgogne, un quartier basé dans le sud-ouest de Montréal où réside la plus ancienne communauté noire de la métropole.

Avec un taux de chômage officieux atteignant 30 %, la Petite Bourgogne était aussi un quartier défavorisé, comptant 54 % de familles monoparentales et dont 60 % des ménages disposaient d’un revenu annuel de moins de 20 000 $, selon des statistiques de l’époque. (1)

« Quand je suis arrivé ici, la Petite Bourgogne était un secteur criminel monolithique, raconta Palacios à un journaliste du Mirror, un hebdomadaire culturel. (2) Il y avait une crack-house à chaque deux blocs à appartements. La plupart des policiers locaux étaient des francophones qui ne comprenaient pas les problèmes – ou ne s’en souciaient pas ».

Les articles de journaux montréalais de l’époque témoignent que la Petite Bourgogne était régulièrement associé aux problèmes liés à la vente et la consommation de crack, un dérivé de cocaïne particulièrement addictif qui fit son apparition à Montréal en 1987.

Certains résidents parlèrent de leur sentiment d’insécurité à une journaliste du quotidien The Gazette. « J’ai peur, déclara une jeune fille âgée de six ans. J’ai entendue des coups de feu. Les gens vont au magasin et volent des choses, puis ils vont dans les maisons et vendent ça, et s’achètent de la cocaïne avec l’argent. » (3) Une résidente affirma que des chauffeurs de taxi refusaient même de venir la prendre quand elle leur donnait l’adresse de son appartement, située dans la Petite Bourgogne.

De son côté, le révérend Francis Xavier confia qu’il avait cessé de visiter ses paroissiens à la tombée de la nuit. Cependant, l’attitude certains policiers faisait aussi partie du problème, selon lui. « Les gens ne sont pas prêts à aider la police à combattre le problème du crack parce que, très souvent, des personnes innocentes ont été emmenées au poste », déplora le révérend. (4)

Quand la fin justifie les moyens

Le lieutenant Pablo Palacios, qui a lui-même déjà travaillé comme agent double à l’escouade des stupéfiants (5), décida de combattre le feu par le feu. Il sollicita l’aide d’un vendeur de crack du nom de Kirt Haywood, qui était inscrit comme informateur à la division du renseignement du Service de police de la communauté urbaine de Montréal (SPCUM) depuis octobre 1989. (6)

En outre, Haywood avait un code d’informateur et trois contrôleurs, dont le lieutenant Palacios. En effet, à partir de juillet 1990, Palacios fit de Haywood son informateur. (7) « Il avait même une relation bien spéciale avec lui », écrivit le coroner Harvey Yarosky dans son rapport sans offrir davantage de précisions. (8)

Carol Williams, la mère des trois enfants de Haywood, a d’ailleurs déclaré durant son témoignage qu’au temps où elle habitait sur la rue Charlevoix avec Haywood, le lieutenant Palacios était un familier de leur appartement. (9) Haywood était également bien connu de la plupart des policiers du poste 24.

Pour le lieutenant Palacios, son association avec Haywood fut des plus fructueuses. Grâce aux informations fournies par Haywood, son équipe fit fermer pas moins de trente crack-house dans le quartier en l’espace d’un an. Évidemment, Haywood y trouva aussi son compte. En échange de ses tuyaux, l’informateur reçu la promesse que la police ne sévirait pas contre son crack-house. (10)

Haywood pouvait donc écouler en toute tranquillité sa cargaison de crack dans la Petite Bourgogne puisque ses concurrents se voyaient forcés de fermer boutique les uns après les autres suite aux descentes effectuées par l’équipe du lieutenant Palacios.

Durant son témoignage, le lieutenant Palacios prétendit à qui voulait bien l’entendre qu’il n’avait jamais payé Haywood, ni accordé des faveurs ou fermé les yeux sur ses infractions criminelles. (11) L’officier du poste 24 voulait peut-être nous faire croire que le vendeur de crack agissait par altruisme ?

Pour quelques bijoux

Un an plus tard, les choses commencèrent à se gâter pour Kirt Haywood. Sans le sou, à cours de drogue et sous pression policière, l’informateur aurait décidé de se sortir de sa mauvaise passe en faisant un « burn de drogue », c’est-à-dire dévaliser un autre vendeur de drogue. (12)

Durant la fin de soirée du 1er juillet 1991, Haywood et un dénommé Carol Richards se rendirent dans un immeuble à appartements de la rue du Parc, dans le quartier Parc-Extension. Haywood demanda à rencontrer un des locataires de l’immeuble, un certain Juan-Francisco Castillo, en disant vouloir lui acheter divers bijoux en or. (13)

Après discussion, Haywood et Castillo convinrent de procéder à la transaction dans la chambre de lavage, au sous-sol de l’immeuble. Or, une fois à l’intérieur de la pièce, Richards, qui se trouvait dans l’embrasure de la porte du lavoir, brandit une carabine à canon tronçonné de calibre .12 en criant « don’t move! ». Castillo se sauva en direction de l’appartement numéro 5 dont la porte était débarrée. Haywood se lança à sa poursuite, suivi de Richards.

Castillo se projeta au travers de la vitre de la fenêtre de l’appartement no. 5, lequel donnait sur la rue Jeanne-Mance. À ce moment précis, Castillo fut atteint d’une décharge de chevrotine au bras droit. Malgré sa blessure, il continua sa course à l’extérieur et parvint à se réfugier dans un autobus de transport en commun. Le chauffeur d’autobus contacta alors le SPCUM.

Des policiers du SPCUM furent dépêchés sur les lieux peu après minuit. Parmi eux se trouvaient le sergent-détective Paul Leblanc, du poste 43, qui rencontra deux témoins. Ceux-ci lui ont dit connaitre les deux suspects, qui ont été identifiés comme étant Kirt Haywood et Carol Richards.

Le sergent-détective Leblanc rencontra ensuite Castillo sur son lit d’hôpital. Castillo confirma l’identité de ses deux agresseurs et précisa que le coup de feu avait été tiré par Richards. (14) Le sergent-détective Leblanc essaya alors de retracer les deux suspects. Ses recherches n’avaient pas abouti lorsqu’il termina son quart de travail, le 2 juillet, à 8h00 am.

Le dossier fut alors confié à un collègue enquêteur du poste 43, le sergent-détective Daniel Barbeau. Un informateur affirma au sergent-détective Barbeau que Haywood et Richards se livraient au trafic de drogue à partir d’un appartement de la rue Bourget, dans Saint-Henri, un quartier voisin de la Petite Bourgogne. (15) Voilà où en était rendue son enquête lorsqu’il termina son quart de travail, à 15h00.

Palacios à la recherche de Haywood

Fait particulier, le sergent-détective Daniel Barbeau ne fut pas le seul policier à mener des recherches pour trouver Kirt Haywood. Le lieutenant Pablo Palacios du poste 24 se mit en effet lui aussi de la partie.

Ainsi, le lieutenant Palacios apprit au début de son quart de travail du 2 juillet, à 15h00, que Haywood et Richards étaient tous deux recherchés pour tentative de meurtre en prenant connaissance d’un télex distribué plus tôt en journée. Il décida alors de prendre les choses en main. (16)

Curieusement, le lieutenant Palacios décida de ne pas informer les enquêteurs du poste 43 du fait que le suspect Haywood était informateur. Durant son témoignage, l’officier du poste 24 laissa même entendre que l’enquêteur responsable du dossier n’avait que lui-même à blâmer pour son ignorance. « Si l’enquêteur avait vérifié aux Renseignements, il aurait vu qu’il était informateur. Il aurait vu les noms des gens qui étaient ses contrôleurs », a-t-il lancé. (17)

Plutôt que d’offrir sa collaboration à l’enquêteur au dossier, le lieutenant Palacios décida d’entreprendre une enquête parallèle pour retrouver Haywood. « Le processus d’enquête que moi j’ai déclenché ça a été fait de façon autonome et personnelle », a précisé l’officier durant son témoignage. (18)

Durant la soirée du 2 juillet, le lieutenant Palacios ne ménagea aucun effort pour tenter de localiser son informateur. Il rencontra la mère de Kirt Haywood, deux femmes à qui Haywood fournissait de la drogue ainsi qu’un ancien partenaire de Haywood dans le narcotrafic. Il visita également tous les motels de la rue Saint-Jacques ouest, et quelques restaurants de Verdun souvent fréquentés par les deux hommes. (19)

Carol Williams a même déclaré durant son témoignage que le lieutenant Palacios alla jusqu’à offrir « 10 roches » de crack à quiconque lui fournira la nouvelle adresse de Haywood. (20) Malgré tous ses vaillants efforts, le lieutenant Palacios ne réussissa pas à retrouver la trace de son précieux informateur.

Une perquisition sans mandat

Durant l’avant-midi du 3 juillet, le sergent-détective Daniel Barbeau rencontra des résidents qui disaient avoir déjà vu Kirt Haywood à l’appartement de la rue Bourget. Il apprit plus tard que Carol Richards fréquentait également cet endroit de temps à autre.

Malgré le fait que le sergent-détective Barbeau n’avait aucune certitude quant à la présence de Haywood à l’intérieur de l’appartement de la rue Bourget, il fit tout de même appel à la Section technique du SPCUM, mieux connue sous le nom de SWAT, ainsi qu’à une unité de l’escouade tactique, afin de pénétrer à l’intérieur des lieux. Notons que le sergent-détective Barbeau ne tenta jamais d’obtenir un mandat de perquisition, ni même un mandat d’arrestation. (21)

Vers 12h45, une équipe du SWAT défonça la porte arrière de l’appartement de la rue Bourget à l’aide d’un bélier, sans y trouver quiconque. (22) Curieusement, les policiers n’essayèrent même pas de chercher des armes à l’intérieur des lieux. Cette descente s’effectuait pourtant dans le cadre d’une enquête sur une tentative de meurtre effectuée à l’aide d’une arme tronçonnée. (23)

Le sergent-détective Barbeau renvoya ensuite le SWAT et l’escouade tactique. Croyant que les suspects reviendront tôt ou tard à cet endroit, il décida alors de mettre l’appartement sous surveillance. Il parvint à obtenir une équipe de filature de trois policiers en civil de la Section intervention région ouest (SIRO). (24) Des photos couleur des deux suspects furent ainsi remises à l’agent Denis Laplante, l’un des policiers affecté à l’opération de surveillance.

Notons que les agents de la SIRO étaient équipés d’un appareil radio, qu’ils utilisaient à la fois pour communiquer entre eux ainsi qu’avec leur point d’attache, surnommé « la base », situé au poste de police 14, à Ville Saint-Laurent. (25)

Pendant ce temps, l’agent Michel Leclair, le répartiteur de « la base », se préparait pour le changement de quart de travail. À cette fin, il communiqua avec la Section de l’identification du SPCUM pour obtenir des photos des deux suspects. Des copies de photographies de Haywood et de Richards lui furent envoyées par télécopieur. L’agent Leclair fit alors des photocopies des copies des photos reçues par fax et les remit au sergent Pierre Sasseville, matricule 3926, le responsable de l’équipe de la SIRO pour le quart de travail débutant à 15h00. (26)

Vers 15h45, les trois agents en civil affectés à la surveillance de l’appartement de la rue Bourget furent remplacés par trois autres policiers de la SIRO. À son départ, l’agent Denis Laplante omit de remettre les originaux des photos couleur des deux suspects à l’équipe de relève. (27) La nouvelle équipe d’agents en civils allait donc devoir se débrouiller avec des photocopies de copies de photos de suspects transmises par fax…

Entre-temps, le sergent-détective Barbeau confia le dossier au sergent-détective Claude Paquette, qui devint le troisième enquêteur responsable du dossier en moins de deux jours. Peu après, le sergent Michel Tremblay, matricule 783, informa le sergent-détective Paquette de la disponibilité de son équipe du SWAT en cas de besoin. (28)

Erreur sur la personne !

Vers 16h20, l’un des policiers affecté à la surveillance de l’appartement de la rue Bourget, l’agent André Marcoux, matricule 1751, aperçut une voiture Pontiac Bonneville de couleur bourgogne se stationner devant l’endroit ciblé.

Le véhicule immatriculé en Ontario était occupé par deux hommes et deux femmes. Le conducteur était Edson Ford, un résident d’Ottawa âgé de 31 ans qui était de passage à Montréal pour aider sa mère à déménager. Marcellus François, 24 ans, se trouvait sur le siège passager avant, tandis que Carol Williams, 28 ans, et Lisa Stouffer, 23 ans, occupaient la banquette arrière.

Les quatre sortirent du véhicule et entrèrent dans l’appartement de la rue Bourget sous les regards des policiers de la SIRO. Le policier Marcoux ne put identifier aucune des quatre personnes, sinon que de constater qu’il s’agissait de quatre personnes de race noire. (29) L’agent Marcoux a cependant cru voir une ressemblance entre l’un des passagers et la photo de Kirt Haywood, lui aussi de race noire. Il informa ses collègues de la SIRO que son taux de certitude se situait à 75%. (30)

En fait, l’agent Marcoux confondit Marcellus François avec Kirt Haywood. Pourtant, les deux hommes ne se ressemblaient guère. « C’était vraiment le jour et la nuit », a d’ailleurs écrit dans son rapport le lieutenant Pablo Palacios. (31)

Ainsi, Haywood avait une cicatrice dans le sourcil droit, les cheveux tressés et longs jusqu’aux genoux, pesait 160 livres et mesurait six pieds et un pouce. Marcellus François, lui, avait des cheveux courts et mesurait cinq pieds et huit, pesait 130 livres et n’avait pas de cicatrice. (32) Bref, leur seul point en commun se limitait à la couleur de leur peau…

Cette méprise aurait probablement pu être évitée si l’équipe de relève de la SIRO avait eu en main la photo couleur de Haywood. Cette photo permettait en effet de voir que Haywood avait de longues tresses alors que les photocopies provenant du télécopieur laissaient croire qu’il avait les cheveux courts. Or, Marcellus François avait des cheveux courts, coupés ras. (33) Fait à remarquer, les membres de l’équipe de filature n’ont jamais été informés que le répartiteur à « la base » avait en sa possession une photo couleur de bonne qualité du suspect. (34)

Notons que tout au long de l’opération, les agents de la SIRO utilisèrent des expressions à connotations racistes lorsqu’ils communiquèrent entre eux. Ainsi, ils parlèrent de « nègres », « négresses », « tam-tams », « couleurs » et « noiraud » en faisant allusion aux quatre passagers de la Pontiac. (35) Des membres de la SIRO ont même avoués durant leur témoignage que les agents de filature utilisaient souvent le mot « nègre » lors d’opérations de surveillance. (36)

Entre-temps, le sergent Pierre Sasseville rencontra le sergent Michel Tremblay du SWAT, et lui remit des feuilles d’information concernant Haywood et Richards. « Je le connais », dit alors le sergent Tremblay, en faisant allusion à Haywood. (37)

À l’instar du lieutenant Pablo Palacios, le sergent Tremblay avait lui aussi déjà travaillé à l’escouade des stupéfiants par le passé. C’est dans ce contexte que Haywood lui avait fourni un « tuyau » au sujet d’une « cache » de drogue, le 22 juin 1989. (38) Le chef d’équipe du SWAT était donc parfaitement au fait que le suspect recherché était informateur de police. (39)

Les autres membres du SWAT observèrent que les deux suspects étaient des Rastafariens, ce qui, dans leur esprit, signifiait que ces individus étaient plus difficiles à contrôler et possiblement dangereux (40) « Si c’est des rastas, faut faire plus attention, a ainsi déclaré l’agent Richard Bélair durant son témoignage. On s’est mis en garde ». (41)

« On va le sauter pis on va le savoir »

Vers 16h44, les deux hommes et deux femmes reprirent place à l’intérieur de la Pontiac et quittèrent la rue Bourget. Des policiers de l’équipe de filature se mirent à suivre la Pontiac, mais ils perdirent de vue le véhicule quelques minutes plus tard.

Vers 17h55, les agents de la SIRO parvinrent à retrouver la Pontiac. Ils continuèrent à suivre à la trace les déplacements du véhicule dans le quartier de Verdun. Le SWAT fut alors à nouveau mobilisé. Pourtant, l’incertitude demeura entière quant à l’identité du passager du siège avant à qui l’agent André Marcoux attribuait une ressemblance à Kirt Haywood.

Vers 18h49, alors que le doute planait toujours, le sergent Pierre Sasseville décida de faire intervenir le SWAT. Le responsable de l’équipe de la SIRO avait une solution toute simple pour tirer au clair l’ambiguïté entourant l’identité du passager du siège avant. « On va le sauter pis on va le savoir », lança-t-il sur les ondes radio. (42)

La Pontiac était désormais suivie par cinq « voitures fantômes » de la SIRO et deux camionnettes non-identifiées du SWAT. Le véhicule continua sa route jusqu’à la Cité du Havre, avant d’emprunter l’autoroute Bonaventure. Entre-temps, le poste de police 24 fut contacté afin de solliciter deux véhicules pour assurer le transport des occupants de la Pontiac après l’interception.

C’est à ce moment-là que le lieutenant Pablo Palacios se joignit au cortège de voitures de police banalisées. Une curieuse décision puisqu’il était lui-même au volant d’une camionnette de police bien identifiée… Durant son témoignage, le lieutenant Palacios a prétendu à qui voulait bien le croire qu’il ignorait à ce moment-là que l’informateur qu’il cherchait à retracer depuis maintenant deux jours était la cible de l’opération en cours. (43)

Précisons que la méthode retenue pour procéder à l’interception de la Pontiac est connue sous le nom de « hijack » dans le jargon policier. Habituellement, un « hijack » nécessite l’utilisation de trois véhicules : un premier qui se place discrètement en avant du véhicule ciblé de façon à lui bloquer la voie lorsque le chef de l’équipe du SWAT en donne l’ordre, et deux camionnettes du SWAT, l’une se plaçant à gauche du véhicule ciblé et l’autre à l’arrière de façon à couper toute possibilité de fuite.

En théorie, le conducteur de la première camionnette du SWAT doit actionner la sirène de police au moment de l’interception, tandis que le chef de l’équipe doit faire face au véhicule suspect l’arme à la main, épaulé par les autres membres du SWAT qui prennent place à des endroits-clés. Ce plan de match ne sera cependant pas suivi dans ce cas-ci.

Soulignons que le sergent Michel Tremblay hérita de la lourde responsabilité de diriger l’opération du SWAT alors qu’à ce moment-là, il était, avec son coéquipier Michel Wilson, le membre de l’équipe le moins expérimenté dans ce type d’opération. En effet, le sergent Tremblay faisait partie du SWAT depuis seulement six mois et n’avait pris part qu'à un seul « hijack » par le passé. (44)

En comparaison, les constables Richard Bélair, Réjean Galarneau et Robert Chaudier, qui faisaient partie de l’équipe du SWAT depuis quatre ou cinq ans, avaient alors à leur actif entre cinquante et soixante-quinze expériences en matière de « hijack ». *

Un « hijack » catastrophique

Le sergent Michel Tremblay confia à un membre de la SIRO, l’agent Gilbert Moreau, le rôle de barrer la route à la Pontiac en vue de procéder à l’interception. Notons que le policier Moreau, matricule 3700, avait lui-même tué un homme deux ans plus tôt, en septembre 1989. Il avait en effet fait feu sur Normand Major, 29 ans, suite à un vol à main armée dans une succursale de la Banque de Montréal. (45)

À 19h19, la Pontiac s’arrêta derrière un autre véhicule, immobilisé à un feu rouge, au coin des rues Saint-Antoine et McGill. Le conducteur Edson Ford informa alors ses passagers qu’ils étaient suivis et qu’il va tenter de semer ceux qui sont à leurs trousses. Il embraya son véhicule à reculons afin de se dégager du véhicule se trouvant devant lui.

À ce moment précis, le constable Moreau plaça son véhicule devant la Pontiac, empêchant celle-ci d’avancer. Au même moment, l’agent Robert Chevigny de la SIRO plaça son véhicule à droite de la Pontiac et l’agent Pierre Vincent, également de la SIRO, immobilisa son véhicule à l’arrière de la Pontiac.

La camionnette de l’équipe du SWAT conduite par le constable Richard Bélair et transportant le sergent Tremblay, se plaça sur le côté gauche de la Pontiac et s’immobilisa. Au même moment, la seconde camionnette du SWAT, celle conduite par l’agent Réjean Galarneau, s’immobilisa derrière celle conduite par le constable Bélair. La Pontiac se retrouva donc coincée avant même que les quatre passagers n’aient le temps de réaliser qu’ils étaient pris au piège.

Au même moment, la Pontiac amorça son mouvement de recul. Durant son témoignage, le sergent Tremblay a prétendu avoir crié « Police - Freeze ». Il a également affirmé avoir vu le passager du siège avant placer ses deux bras entre deux jambes avant d’esquisser un mouvement comme s’il allait lever ses bras. Toujours selon ses dires, il a cru que ce passager pouvait être sur le point de brandir une arme. (46) Selon Ford, Marcellus François tentait plutôt de détacher sa ceinture de sécurité durant cet instant fatidique. (47)

Quoi qu’il en soit, il n’en fallu pas plus pour que le sergent Tremblay prenne la décision d’ouvrir le feu avec sa mitraillette M-16. Le projectile traversa le pare-brise de la Pontiac et atteignit Marcellus François en plein front. Du coup, un fragment fit voler en éclats la vitre du côté du passager.

« La balle à bout creux utilisée par le sergent Tremblay a pour caractéristique d’éclater et de former un champignon au moment de l’impact, a expliqué l’expert en balistique Robert Gaulin durant son témoignage. Elle vise à mettre la personne hors de combat ». (48)

Fait à souligner : de toutes les personnes appelées à témoigner à l’enquête du coroner Harvey Yarosky, le sergent Tremblay est la seule qui a déclaré avoir vu bouger les mains de Marcellus François. Ainsi, aucun des sept policiers de la SIRO qui se trouvaient sur les lieux du drame n’a été en mesure de confirmer les dires du chef d’équipe du SWAT. (49)

Dans les faits, la vie du sergent Tremblay n’a jamais été sérieusement mise en danger, et ce, même dans le pire scénario, soit celui où le passager du siège avant aurait fait feu avec la même arme qui a été utilisée contre Juan-Francisco Castillo.

Lors de son témoignage, le sergent Tremblay a non seulement dû admettre que la veste pare-balle fournie à tous les membres du SWAT était capable de résister à n’importe quel projectile tiré à l’aide d’une arme de poing, mais aussi que la force d’une décharge aurait nécessairement été affaiblie par le pare-brise de la Pontiac. (50) Quant à la tête, elle est à l’abri des balles grâce au casque de protection que portent les policiers du SWAT.

Une version douteuse

Les témoins tant civils que policiers s’entendent pour dire que la scène se déroula à la vitesse de l’éclair. À tel point que la plupart des policiers n’eurent même pas le temps de freiner au moment où le coup de feu fut tiré. (51) Ainsi, Mario Lessard, un ex-militaire canadien qui allait entrer dans un immeuble de la rue Saint-Antoine au moment du drame, a témoigné que le coup de feu a été tiré par la police avant même que tous les véhicules impliqués dans l’intervention soient immobilisés. (52)

Edson Ford et Carol Williams ont tous deux témoignés que le sergent Michel Tremblay a tiré son coup de feu une seconde, ou une fraction de seconde, après l’ouverture de la porte coulissante de la première camionnette du SWAT. Quatre policiers de la SIRO ont même témoigné que le coup de feu et l’avertissement avaient été entendus quasi-simultanément. (53)

Tout se passa si vite que les agents Robert Chaudier et Réjean Galarneau du SWAT n’eurent même pas le temps de sortir de leur camionnette, comme le prévoit la marche à suivre lors d’un « hijack », avant que le sergent Tremblay n’ouvre le feu. (54) De plus, l’agent Bélair ne fit jamais retentir la sirène de police de sa camionnette.

En fait, les policiers dérogèrent dès le point de départ à la procédure normale en matière de « hijack ». Ainsi, la Pontiac aurait dû être « accotée » ou « squeezée » de l’arrière par l’autre camionnette du SWAT qui se trouvait sur les lieux. Mais la manœuvre n’a pu être accompli parce qu’une voiture de la SIRO se trouvait dans le chemin, avec pour conséquence que Ford fut en mesure de faire reculer son véhicule sur une distance de quelques pieds. (55)

Par ailleurs, bien que le sergent Tremblay ait prétendu avoir donné l’ordre de ne pas bouger avant de tirer, son collègue du SWAT, l’agent Bélair, a semblé le contredire en témoignant à l’effet qu’il ne se souvenait pas que son chef d’équipe ait dit quelque chose avant d’ouvrir le feu. Or, l’agent Bélair a déclaré du même souffle qu’il se rappelait avoir vu le sergent Tremblay crier après les occupants de la Pontiac après avoir fait feu. (56)

Pour sa part, Ford a témoigné qu’il avait d’abord entendu un crissement de pneu et une détonation. « Ce n’est que deux secondes plus tard que j’ai entendu "Freeze!" et que j’ai vu des policiers du SWAT en uniforme marine dans la rue », explique-t-il. (57) Carol Williams a abondée dans le même sens durant son témoignage. (58)

Autre point douteux de la version du sergent Tremblay : le chef d’équipe du SWAT a écrit dans son rapport qu’il était descendu de la camionnette et se trouvait dans la rue au moment où il a tiré. Une affirmation cependant contredite par Carol Williams, qui a déclarée que le sergent Tremblay était légèrement accroupi dans sa camionnette lorsqu’il a fait feu. (59)

Dans son rapport, le coroner Yarosky écrivit que la preuve a « établit de façon prépondérante que le coup de feu fut tiré de l’intérieur de la camionnette ». (60) Le coroner Yarosky tira cette conclusion en se fondant sur la rapidité avec laquelle le sergent Tremblay fit feu et sur la trajectoire de tir, mais aussi en se basant sur le fait que la douille fut récupérée à l’intérieur même de la camionnette du SWAT.

Palacios aux commandes

Dans les instants qui suivirent le coup de feu, les policiers du SWAT formèrent un demi-cercle autour de la Pontiac en pointant leurs armes en direction des passagers. (61) Lorsque Edson Ford sortit du véhicule, les policiers le forcèrent immédiatement à se coucher au sol, où il fut menotté. Carol Williams et Lisa Stouffer subirent le même traitement. (62)

Ron Carroll, un réviseur de copie du journal The Gazette arrivé sur les lieux peu après le coup de feu, a décrit le comportement du policier du SWAT qui avait l’air en charge – vraisemblablement le sergent Michel Tremblay. Selon lui, ce policier était sur l’adrénaline, arpentant la scène tout en berçant sa mitrailleuse dans ses bras. Il regardait autour de lui avec des yeux hagards, comme s’il attendait que quelque chose d’autre se produise. (63)

De temps à autre, « le flic qui semblait être le grand patron visait sa mitrailleuse en direction de la tête du mec noir de quelques mètres pour une seconde ou deux - et puis il recommençait à arpenter avec le doigt sur la détente et l’arme pointée en l’air, se rappelle Carroll. Plus tard, il a passé beaucoup de temps sur un téléphone cellulaire, encore à arpenter autour de la scène ».

Durant son témoignage, le sergent Tremblay a expliqué qu’il s’était approché du côté passager de la Pontiac. « J’ai regardé par terre, j’ai regardé le suspect, j’ai regardé par terre. Là, je ne comprenais plus. Je ne voyais pas l’arme », a-t-il affirmé. (64) Le sergent Tremblay demanda alors au constable Bélair d’assurer le commandement et se retira de l’opération.

En fin de compte, ce fut plutôt le lieutenant Pablo Palacios qui, à titre d’officier supérieur se trouvant sur les lieux, prit le commandement de la scène. Carol Williams se rappelait bien de l’arrivée du lieutenant Palacios. « Kirt es-tu ici? », furent ses premières paroles. (65)

C’est aussi le lieutenant Palacios qui informa les policiers de leur méprise quant à l’identité du passager du siège avant. Par ailleurs, en s’approchant de la victime, Marcellus François, le lieutenant Palacios remarqua que celui-ci saignait abondamment d’une blessure à la tête et qu’il murmurait « help me - help me ». (66) Ron Carroll a estimé que François dû attendre de 15 à 20 minutes avant qu’il se fasse sortir de la voiture pour se faire mettre dans une ambulance, qui le transporta à l’Hôpital général de Montréal. (67)

C’est encore le lieutenant Palacios qui ordonna aux policiers d’emmener les trois passagers de la Pontiac au poste 24, et ce, même si rien ne pouvait le laisser croire que ceux-ci étaient liés de près ou de loin à la tentative de meurtre sur Juan-Francisco Castillo. (68)

« Ils m’ont traité de "Nigger" et de "Chiquita banana". Puis, ils m’ont dit que j’étais en état d’arrestation pour tentative de meurtre », a témoigné Ford. (69) Williams et Stouffer furent également informées qu’elles étaient arrêtées sous le même motif.

À 20h00, l’enquête policière fut confiée à la Sûreté du Québec, comme le prévoit la politique ministérielle lorsqu’une personne perd la vie ou subit des blessures pouvant causer la mort lors d’une intervention policière ou durant la détention. Les enquêteurs de la Sûreté du Québec arrivèrent sur les lieux et prirent charge de l’enquête à 21h30. (70)

Traités comme des moins que rien

Une fois rendus au poste 24, Edson Ford, Carol Williams et Lisa Stouffer furent enfermées dans des cellules différentes, les isolant ainsi les uns des autres, avant d’être rencontrés par des enquêteurs de la SQ. Fait à souligner, les témoins policiers reçurent un traitement fort différent.

« Ordinairement, il est de mise de séparer les témoins pour ne pas qu’un témoin influence la version ou le témoignage d’un autre, a expliqué le caporal Richard Bégin de la SQ lors de son témoignage. Mais dans le cas des policiers, on va habituellement les regrouper au poste et ils vont fournir un rapport écrit et non une version ou une déclaration. On ne peut pas les obliger à se séparer pour écrire leur rapport ». (71)

Les trois occupants de la Pontiac n’eurent droit à aucune considération. Ford demanda aux policiers la permission de téléphoner à sa mère, ce qui lui fut refusé. On ne lui offrit pas de quoi manger non plus. « Pas même un verre d’eau, a-t-il ajouté. Les policiers m’ont clairement fait savoir que je serais libre si je signais une déclaration ». Or, Ford était encore ébranlé. « Je n’étais pas dans un état normal. Je tremblais de tout mon corps, je voulais comprendre ce qui se passait ». (72)

Trois ou quatre heures plus tard, les trois occupants de la Pontiac furent remis en liberté sans aucune explication. « Les policiers ne se sont jamais excusés de nous avoir traités de la sorte », a déploré Carol Williams durant son témoignage. Bien au contraire. Les policiers du poste 24 firent preuve d’un mépris total à leur égard. (73)

À ce moment-là, les deux femmes n’avaient ni argent ni chaussures aux pieds car celles-ci étaient restées à l’intérieur de la Pontiac. Les policiers refusèrent même de les laisser téléphoner pour demander un taxi. « Vous en trouverez un dans la rue », leur a-t-on dit. (74) Quand Williams leur signala qu’ils n’avaient pas d’argent sur eux, un policier lui répondit ceci : « Lisa n’a qu’à aller sur la rue et travailler, parce qu’elle sait comment travailler sur la rue ». (75)

L’attitude des policiers fut condamnée par le coroner Yarsoky. « Edson Ford, Lisa Stouffer et Carol Williams venaient de voir leur ami, Marcellus François, tiré à bout portant par la police sans en connaître la raison et sans savoir dans quel état il se trouvait, écrivit-il. Leurs propres vies avaient été mises en péril inutilement. De plus, ils ont été arrêtés illégalement, détenus illégalement pour être ensuite relâchés dans des conditions qui démontrent une indifférence totale à leur endroit comme êtres humains ». (76)

Bavure ou exécution extrajudiciaire ?

L’opération policière du 3 juillet 1991 laissa évidemment place à plusieurs questionnements. « Je ne comprends pas pourquoi ils ne nous ont pas arrêtés plus tôt, s’est interrogée Carol Williams. Ils auraient eu beaucoup d’occasions de le faire plus tôt durant la journée, puisque nous nous sommes arrêtés souvent. Nous avons écouté de la musique forte et négligé de faire des stops ». (77)

Il faut dire que le SPCUM n’aida pas à y voir plus clair.

Dans les jours qui suivirent la désastreuse opération, le SPCUM s’appuya sur une version, que l’on sait aujourd’hui fausse, provenant supposément d’un obscur témoin oculaire dont on n’entendit plus jamais parler par la suite. (78) Ce témoin aurait ainsi affirmé avoir vu trois des occupants de la Pontiac sortir du véhicule sur ordre des policiers tandis que Marcellus François se serait penché pour ramasser un « objet » à ses pieds, peut-être une arme, tout juste avant le coup de feu fatal.

Tranchant avec l’impression générale d’un cafouillage remarquable au SPCUM, Edson Ford exprima plutôt l’opinion que les policiers savaient très bien ce qu’ils faisaient au moment du « hijack ». « Quel que soit celui qu’ils voulaient, ils le voulaient mort », a-t-il déclaré à un journaliste du quotidien The Gazette. (79)

Et si Marcellus François n’avait pas été victime d’une bévue tragique de la part d’un corps policier désorganisé, comme le veut la version officielle, mais bien d’une exécution extrajudiciaire ? Autrement dit, et si le décès de Marcellus François trouvait son explication dans le fait que certains policiers auraient convenu que Kirt Haywood ne devait pas être capturé vivant ?

La question mérite à tout le moins d’être posée. À plus forte raison que cette hypothèse, à première vue audacieuse, semble corroborée par un certain nombre d’éléments factuels :

- Le fait que Kirt Haywood n’était pas étranger au policier qui a tiré sur Marcellus François en croyant qu’il s’agissait du suspect ;

- Le fait que les enquêteurs ont omis d’émettre un mandat d’arrestation pouvait être une façon d’éviter que des collègues policiers d’un autre poste ne procèdent pas à une arrestation pacifique de Kirt Haywood ;

- Le fait que les policiers aient omis de procéder à la fouille de l’appartement de la rue Bourget a de quoi laisser songeur. La meilleure façon de ne pas trouver d’arme, c’est de ne pas en chercher ! Cette omission pourrait avoir contribué à donner au sergent Tremblay des « motifs raisonnables de croire » que l’individu qu’il croyait être Kirt Haywood était possiblement armé au moment du « hijack », de façon à légitimer aux yeux de la justice sa décision de tirer sur Marcellus François ;

- La rapidité avec laquelle le sergent Tremblay a tiré sur Marcellus François, ne lui laissant aucune chance, milite également en faveur de l’hypothèse de l’exécution extrajudiciaire ;

- la description que Ron Carroll a donné du comportement d’un policier qui semble être le sergent Tremblay donne par ailleurs froid dans le dos ;

- le fait que le sergent Tremblay n’a manifestement pas dit la vérité lors de son témoignage à l’enquête du coroner fait planer un sérieux doute non seulement sur sa version, mais aussi sur ses intentions. Si la crainte de mourir était vraiment à l’origine de sa décision de tirer, pourquoi alors a-t-il travesti les faits ?

- le fait que le SPCUM a fait circuler une version erronée de l’incident suggère que ce corps policier pourrait avoir quelque chose de sinistre à cacher ;

Enfin, l’hypothèse d’une exécution extrajudiciaire sera soutenue par le sort que connaitra Kirt Haywood lui-même.

Commotion dans la communauté noire

Maintenu artificiellement en vie à l’Hôpital général de Montréal pendant quinze jours, Marcellus François succomba à ses blessures le 18 juillet 1991. Cet homme originaire de Sainte-Lucie, dans les Antilles, laissa dans le deuil sa femme Sylvia Clark, 26 ans, alors enceinte de jumeaux, ainsi que ses deux jeunes enfants, Elijah, 3 ans, et Désirée, 1 an.

Si des policiers voulaient déjà avoir la peau de Kirt Haywood au moment de l’opération du 3 juillet 1991, la mort de Marcellus François viendra leur donner de nouvelles raisons de vouloir se débarrasser de cet informateur.

En effet, une enquête publique du coroner, si ce n’est un procès au criminel, sembla désormais inévitable, l’affaire Marcellus François étant devenu à la fois trop médiatique et explosive politiquement et socialement pour être balayée en-dessous du tapis.

Car le moins que l’on puisse dire, c’est que cette bavure provoqua une immense commotion dans la communauté noire de Montréal, qui n’avait pas oubliée les décès de d’autres jeunes hommes noirs aux mains de policiers blancs du SPCUM, soit Anthony Griffin (19 ans) en 1987 et Leslie Presley (25 ans), en 1990, , et Fritzgerald Forbes (22 ans), un mois plus tôt.

Le sentiment d’injustice était d’autant plus exacerbé que Marcellus François n’avait pas de dossier criminel, n’était pas recherché par la police, n’était pas armé et portait sa ceinture de sécurité au moment où il a été abattu par le sergent Michel Tremblay.

Les autorités eurent d’ailleurs droit à une démonstration de colère de la communauté noire lorsque 400 personnes manifestèrent devant le palais de justice de Montréal, le 6 juillet. L’événement donna lieu à un face-à-face tendu lors duquel une quarantaine de jeunes Noirs invectivèrent les policiers présents pendant quelques minutes. (80)

Le 25 juillet, le ministre de la Sécurité publique du Québec, Claude Ryan, annonça la tenue d’une enquête publique du coroner présidée par l’avocat Harvey M. Yarosky. Cette décision intervint au lendemain de l’annonce qu’aucune accusation criminelle ne fut retenue contre le sergent Tremblay.

De toute évidence, Haywood allait être appelé à devenir l’un des témoins-clé à l’enquête du coroner Yarosky.

Dans ce contexte, il n’est pas bien difficile d’imaginer que le SPCUM devait avoir toutes les raisons du monde de vouloir éviter comme la peste qu’un vendeur de crack jouissant d’une « relation bien spéciale » avec un de ses officiers ne témoigne en public.

Surprise : Haywood se livre gentiment

C’est seulement le 4 juillet, soit le lendemain de l’intervention policière qui couta la vie à Marcellus François, que les policiers demandèrent l’émission d’un mandat d’arrestation à l’encontre de Kirt Haywood et Carol Richards. (81)

Compte tenu de la médiatisation de l’affaire, il était devenu clair que Haywood et Richards allaient rapidement apprendre qu’ils étaient recherchés par le SPCUM. Ainsi, le 6 juillet, Haywood contacta son contrôleur, le lieutenant Pablo Palacios, après que sa photo, et celle de Richards, se soient misent à circuler dans les médias. (82)

Haywood affirma qu’il était prêt à se livrer, avec Richards, mais posa une seule condition à sa reddition : il voulait pouvoir rencontrer son contrôleur Palacios seul à seul. L’informateur indiqua au lieutenant Palacios qu’il ne voulait pas subir « le même sort que Marcellus François », un de ses amis de longue date, puisqu’il craignait d’être abattu par la police. (83) Sans doute avait-il ses raisons…

La rencontre eut lieu le jour même dans un motel de Brossard, sur la rive-sud. Le lieutenant Palacios se rendit seul, dans une automobile banalisée, pour cueillir les deux hommes. En bonus, l’informateur offrit à son contrôleur le nom d’un homme qui, selon ses dires, vendrait du crack dans un parc de la Petite Bourgogne, un certain… Osmond Seymour Fletcher. (84)

La recherche des deux suspects qui avait mobilisée un vaste déploiement de ressources policières venait de prendre fin. Cette paisible conclusion en a surprit plus d’un, compte tenu que les policiers armés jusqu’aux dents du SWAT avaient été mobilisés pour capturer Haywood. Évidemment, le public ignorait à ce moment-là que Haywood était informateur de police.

Durant sa détention, Haywood répondit aux questions du caporal Richard Bégin de la SQ dans le cadre de l’enquête policière sur le décès de Marcellus François. Haywood révéla au caporal Bégin toutes ses allées et venues entre le 1er et le 6 juillet, confirmant ainsi que les agents de la SIRO s’étaient royalement gourés lorsqu’ils crurent l’avoir reconnu sur la rue Bourget, trois jours plus tôt. (85)

Un nouveau rebondissement

Le 9 juillet, Kirt Haywood et Carol Richards furent amenés devant le juge André Duranleau, de la Cour du Québec, pour y subir leur enquête sur remise en liberté.

Avant d’aller plus loin, précisons que lorsqu’un tribunal doit décider si un accusé peut être libéré avant la tenue de son procès, il doit prendre en considération divers éléments, comme la gravité de l’infraction et la sévérité de la sentence qui pourrait être imposée en cas de condamnation.

L’infraction de tentative de meurtre étant passible d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité, la gravité de l’infraction ainsi que la sévérité de la sentence ne laissait place à aucun doute dans ce cas-ci.

Le tribunal doit aussi examiner les circonstances entourant la perpétration de l’infraction. Lorsqu’une arme à feu a été utilisée, cela ne milite évidemment pas en faveur de la remise en liberté de l’accusé. Enfin, les antécédents judiciaires de l’accusé doivent également être pris en compte.

En ce qui concerne Haywood, son casier judiciaire indiquait qu’il avait des antécédents de recel et d’entrave au travail policier. (On notera l’absence de condamnation pour trafic de stupéfiants...) Ainsi, Haywood n’avait jamais été condamné à purger une peine d’emprisonnement, ce qui n’était toutefois pas le cas de son co-accusé Richards.

En 1977, Richards fut trouvé coupable de deux vols à main armée et condamné à une peine de trois ans de pénitencier. En 1989, il reçu une peine de quinze jours de prison pour une affaire de voies de fait. En février 1990, il fut trouvé coupable de vol qualifié et condamné à 23 mois de prison et à une probation de deux ans. Bien que cette probation était toujours en vigueur en juillet 1991, Richards ne fut pas accusé de bris de probation dans cette affaire.

De toute évidence, la remise en liberté de Haywood et de Richards n’était pas gagnée d’avance. Les deux accusés reçurent cependant un coup de pouce de la part… du sergent-détective Paul Leblanc !

Ainsi, durant son témoignage, le sergent-détective Leblanc expliqua au tribunal que la victime, Juan-Francisco Castillo, était devenue introuvable depuis sa sortie de l’hôpital. Quant aux autres témoins, ils refuseraient de venir témoigner, selon l’enquêteur. (86)

Le sergent-détective Leblanc n’oublia pas de mentionner que Castillo avait lui-même des antécédents en matière de stupéfiants. Il présenta d’ailleurs toute cette affaire comme un règlement de comptes dans le milieu de la drogue. Invoquant son expérience avec le « milieu », l’enquêteur déclara au tribunal qu’il était probable que Castillo ne se présentera jamais à la cour.

Bref, à en croire cet enquêteur, les probabilités d’une condamnation semblaient plutôt minces. Évidemment, le tribunal ne pouvait savoir à ce moment-là que l’avenir donnera tort au sergent-détective Leblanc. Car non seulement Castillo témoignera-t-il au procès de Richards, mais aussi l’un des témoins prétendument récalcitrants, selon les dires de l’enquêteur.

Chose certaine, si le sergent-détective Leblanc voulait aider Haywood et Richards à retrouver la liberté, il n’aurait guère pu s’y prendre autrement.

C’est ainsi que le juge Duranleau conclua que Haywood et Richards ne représentaient pas un risque pour la sécurité publique et accepta de les remettre en liberté sous diverses conditions, notamment de ne pas avoir d’arme à feu en leur possession et de se trouver à leur lieu de résidence respectif de 23h00 et 7h00. (87)

L’affaire Kirt Haywood venait de connaître un nouveau coup de théâtre.

Vivre sur du temps emprunté

La police semblait tenir mordicus à ce que Kirt Haywood demeure en liberté.

Et ce, même après que l’informateur eut été arrêté en flagrant délit de bris de conditions, comme le révéla le défunt journal Le Juste Milieu, fondé par Gaétan Rivest, un ancien caporal de la Sûreté du Québec qui décida de dénoncer les abus policiers après quatorze ans de carrière policière.

Le Juste Milieu rapporta en effet que les policiers firent une descente dans un appartement de la rue Ropery, dans le quartier de Pointe-Saint-Charles, durant la nuit du 18 août 1991. Ils y trouvèrent notamment Kirt Haywood, dormant avec un revolver semi-automatique sous l’oreiller. (88)

Il n’était toutefois pas question pour la police de faire accuser Haywood. En fait, l’informateur du SPCUM fut même remis en liberté sans accusation la journée même.

Selon Le Juste Milieu, le sergent-détective Guy Welman écrivit ceci dans son rapport: « Techniquement, j’aurais pu l’accuser d’avoir enfreint son couvre-feu et d’avoir été en possession d’une arme à autorisation restreinte non-enregistrée. Je ne crois pas que cela aurait changé grand-chose de plus. Je suis convaincu qu’il s’en serait "tiré" avec un bénéfice du doute. »

Voilà un commentaire bien inusité de la part d’un enquêteur de police. Mais le journal de l’ex-caporal Rivest alla encore plus loin.

« Kirt Haywood est interrogé de 15h40 à 16h55 par le sergent-détective Guy Welman, assisté du constable Arlène Antoine, première femme de couleur à être admise au SPCUM. Devant elle, Welman prend un malin plaisir à mentionner que Kirt est un informateur. Il questionne Kirt sur ses relations avec ses contrôleurs. Il sait que la constable Antoine va faire passer le message dans le milieu… "Kirt Haywood est un informateur !" », allégua Le Juste Milieu.

« Qu’est-il advenu d’elle ? Elle s’est fait renvoyer à cause de ses relations avec le milieu criminel, en plus des actes criminel qu’elle a elle-même commis », lit-on également dans la publication de l’ex-officier de la SQ.

Les déboires de cette policière du poste 24 feront d’ailleurs l’objet de deux articles publiés dans La Presse, en 1994 et en 1995.

« Entrée au service de police le 31 mai 1988, elle est suspendue depuis trois semaines pour avoir fait un faux témoignage, à Philadelphie, dans le but de sortir son frère du pétrin ; ce dernier serait impliqué dans une affaire de trafic de stupéfiants. En outre, la police, qui enquêtait à son sujet depuis plus de six mois, lui reproche d'avoir utilisé son uniforme et son insigne de service, pendant ses congés, pour effectuer des enquêtes "privées", à son compte, dont elle monnayait les résultats », écrit le journaliste Éric Trottier. (89)

« La policière Arlène Antoine, suspendue depuis trois mois du Service de police de la CUM, aurait contracté un grand nombre d’emprunts auprès de plusieurs institutions financières en faisant des déclarations fausses », nous apprends également un article rédigé sous la plume du journaliste Yves Boisvert. (90)

Fait à souligner, les allégations explosives du journal Le Juste Milieu n’ont jamais données lieu à de poursuites en diffamation, ni à quelque réaction que ce soit de la part du SPCUM.

Haywood assassiné

Le 2 septembre 1991, Kirt Haywood, 28 ans, fut retrouvé sans vie près de la route Transcanadienne, dans un secteur industriel de la Ville de Pointe-Claire, dans l’ouest de l’île de Montréal. Son cadavre montrait qu’il avait été atteint à la tête et au corps par des projectiles d’une arme à feu de gros calibre.

Selon Le Journal de Montréal, le ou les meurtriers laissèrent peu d’indices sur place. « On peut tout de même présumer que la victime a été conduite sur les lieux de son exécution à bord d’un véhicule automobile, parce qu’il s’agit en l’occurrence d’un endroit isolé où l’on ne se rend généralement pas à pied... et que les policiers n’ont pas trouvé de véhicule sur place », fit observer le journaliste Serge Labrosse. (91)

Notons que le meurtre de Haywood survint onze jours avant le début de son enquête préliminaire relativement à la tentative de meurtre sur la personne de Juan-Francisco Castillo, et dix-neuf jours avant le commencement de l’enquête publique du coroner Harvey Yarosky.

Le journaliste Labrosse suggéra notamment que l’assassinat pourrait s’expliquer par le fait que Haywood agissait comme informateur. Ce fut d’ailleurs la première fois que le rôle d’informateur de Haywood fut évoqué publiquement.

« Haywood avait la mauvaise réputation, dans son propre milieu, d’être un informateur de la police, écrit-il. Cette conclusion serait venue à l’esprit de plusieurs trafiquants de crack de la Petite-Bourgogne après qu’on eut constaté qu’il était à peu près le seul à avoir échappé aux nombreuses perquisitions de l’escouade des stupéfiants. Harcelé par ses congénères qui en étaient venus à se méfier de lui, il avait été forcé de changer fréquemment son lieu de résidence dans les secteurs de Verdun et Saint-Henri. » (92)

Le tabloïd Allô Police confirma de son côté que Haywood menait une vie d’homme traqué dans les semaines précédant sa mort. « Il était depuis quelques semaines une véritable cible mouvante. On aurait même tiré quelques fois en sa direction et c’est pourquoi il se promenait toujours avec une petite mitraillette Uzi de fabrication israélienne sur lui », lit-on. (93)

Pour sa part, le journaliste Jean-Paul Soulié de La Presse évoqua la relation entre Haywood et le lieutenant Palacios. « Kirt Haywood a été victime d’un règlement de comptes non élucidé, mais qui pourrait être lié à ses contacts avec le lieutenant bien connu pour sa lutte contre les vendeurs de crack dans son secteur », écrit-il. (94)

D’autres mobiles pouvant expliqué le meurtre de Haywood furent également soulevées dans la presse écrite.

« Selon certaines rumeurs, dans le milieu, Haywood se serait également vanté d’avoir trempé de près ou de loin dans pas moins de 19 meurtres, à Montréal, Toronto et peut-être New-York », lit-on dans Le Journal de Montréal. (95)

Encore une fois, Allô Police abonda dans le même sens. « Haywood aurait été chargé de plusieurs règlements de comptes [sic] chez les Jamaïcains et on le soupçonne même d’être l’auteur de certains meurtres », explique-t-on. (96)

Compte-tenu de l’origine colombienne de Castillo, l’hypothèse d’un acte de vengeance de la part de la « filière colombienne » fut aussi mise de l’avant. Mais si le meurtre de l’informateur était un geste de représailles de la pègre colombienne, n’aurait-il pas été logique que Carol Richards écope lui aussi - à plus forte raison que c’était ce dernier, et non Haywood, qui ouvrit le feu sur Castillo ?

L’hypothèse d’un règlement de compte lié à la pègre jamaïcaine fut aussi mentionnée. S’il est vrai qu’une guerre des gangs (posses) Jamaïcaines sévissait depuis 10 mois à Montréal à ce moment-là, cela n’explique cependant pas pour quelle raison Haywood était devenu un homme à abattre à la fin de l’été 1991, et pas avant.

« Les motifs ne manquent pas », souligna le journaliste Labrosse.

Voilà qui tombe bien pour le ou les auteurs de l’assassinat… rien de mieux pour brouiller les pistes!

Informateurs jetables après usage

Quand la police veut faire disparaître un individu indésirable associé au monde criminel, elle peut s’y prendre de différentes façons.

Un policier peut lui mettre une balle dans la tête et ensuite plaider qu’il a craint pour sa vie. Les probabilités que ce policier subisse un procès devant une cour criminelle pour avoir enlevé la vie à une personne en de pareilles circonstances sont à toutes fins pratiques nulles au Québec.

Mais si la police préfère ne pas se salir les mains, elle peut tout simplement livrer en pâture l’indésirable pour que d’autres se chargent du sale boulot à sa place. Parfois, il peut suffire de faire circuler une rumeur pernicieuse, et le tour est joué. Le genre de rumeur qui ne pardonne pas – comme par exemple, untel est un informateur de police… – et qui donnera envie à d’autres types du milieu interlope de faire la peau eux-mêmes à l’indésirable.

Les porte-parole de la police attribueront alors le décès à un « règlement de compte » entre criminels tandis que les médias traiteront de cet événement comme d’un fait divers parmi d’autres. Quant au public, il y a peu de chance que le décès d’un hors-la-loi lui donne envie de verser des larmes.

Scénario paranoïaque ? Parlez-en à Stéphane Boucher.

Deux jours après avoir été arrêté pour le meurtre d’un policier montréalais, en mars 2002, Le Journal de Montréal révéla à la Une que Stéphane Boucher aurait été informateur de police. En effet, le quotidien écrivit que Boucher aurait fournit à plusieurs reprises des renseignements à la police sur de nombreuses affaires de vol et de trafic de drogue. (97)

À l’époque, Isabelle Richer, journaliste judiciaire pour Radio-Canada, rapporta que plusieurs avocats lui avaient déclaré que la police serait à l’origine de cette fuite. « En le faisant passer pour un informateur, les policiers s’assurent ainsi qu’il sera mal accueilli en prison », indique Radio-Canada. (98)

Dangereux et incontrôlable ?

Si les policiers étaient vraisemblablement animés par un désir de vengeance dans le cas de Stéphane Boucher, il reste encore à établir qu’est-ce qui aurait bien pu les pousser à vouloir causer la perte de Kirt Haywood.

On sait déjà que Haywood pouvait vendre du crack dans la Petite Bourgogne sans être inquiété par la police. Mais l’informateur ne semblait pas se satisfaire de sa situation d’intouchable qui aurait sans doute fait l’envie de plusieurs autres criminels sans scrupules. Comme on l’a vu lors de l’incident avec Juan-Francisco Castillo, les braquages violents pouvaient également figurer parmi sa gamme d’activités criminelles.

Avec le temps, peut-être que l’immunité dont jouissait Haywood lui a montée à la tête ? Simple hypothèse…

Rappelons que certains articles de journaux présentèrent comme Haywood comme un vendeur de drogue qui aurait eu beaucoup de sang sur les mains. Si ces informations étaient véridiques, on peut facilement comprendre pourquoi le SPCUM n’avait aucun intérêt à ce que Haywood témoigne à l’enquête du coroner Yarosky.

Imaginez les manchettes : « Le SPCUM protégeait un trafiquant de crack impliqué dans une multitude de meurtres » !

Voilà qui aurait assurément ouvert la porte à une foule de questions toutes plus embarrassantes les unes que les autres. Que savaient les contrôleurs de Haywood de l’implication de leur informateur dans des meurtres et d’autres crimes violents ? Soit les policiers ignoraient tout, ou soi ils savaient et ont fermés les yeux. Dans les deux éventualités, le SPCUM semblait destiné à perdre la face.

La vérité se trouve possiblement quelque part entre les deux : peut-être les policiers en savaient-ils juste assez pour en arriver à la conclusion que leur informateur était devenu à la fois trop dangereux et incontrôlable. Et que le temps était venu de s’en débarrasser.

Ce n’est peut-être pas le fruit du hasard si une rumeur s’est mise à circuler dans les rues du quartier de la Petite Bourgogne à l’effet que des flics corrompus auraient joué un rôle dans la mort de Haywood, comme le rapportait le journaliste Eddie Collister du quotidien The Gazette. (99)

Autre hypothèse : peut-être Haywood en savait-il tout simplement trop sur les dessous peu reluisants de la lutte antidrogue menée par le SPCUM…

Chose certaine, Haywood emmena tous ses secrets dans sa tombe.

Vingt ans plus tard, son meurtre demeure impuni.

L’avocat de Haywood à son tour assassiné

Le 10 septembre 1991, Me Paul Beaudry, l’avocat de Kirt Haywood, fut abattu par deux hommes dans son propre bureau, dans le Vieux-Montréal. Les deux inconnus tirèrent une dizaine de balles, dont trois qui atteignirent Me Beaudry à l’abdomen, à la poitrine et au bras. (100) Fait inusité, les deux tueurs agirent en plein jour et à visage découvert, qui plus est devant témoins. Et ils parvinrent même à prendre la fuite.

Selon La Presse, pendant que les policiers et secouristes s’affairaient autour de lui, l’avocat aurait nommé le leader d’un clan calabrais de la mafia italienne montréalaise comme étant le commanditaire de l’attentat. (101) Paul Beaudry, 34 ans, succomba à ses blessures quelques heures plus tard.

« C’est évident qu’il s’agissait d’un contrat, avec des gens qui voulaient être certains qu’ils tenaient la bonne personne, parce qu’ils ont demandé plus d’une fois si c’était bien lui », commenta Pierre Sangollo du SPCUM à La Presse. (102)

Le SPCUM refusa toutefois d’y voir un lien avec le meurtre de Haywood, survenu huit jours plus tôt. « Les gens ont tendance à lier cet assassinat à celui de son client, mais ça n’a peut-être rien à voir », affirma Sangollo. Peut-être aussi que le SPCUM ne voyait intérêt à ce que les gens fassent un lien entre ces deux meurtres…

Il faut dire que Beaudry sortait un peu de l’ordinaire comme avocat. En effet, Beaudry fut membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de 1977 à 1983 au Nouveau-Brunswick. La clientèle de cet avocat récemment admis au Barreau était composée en bonne partie d’individus d’origine colombienne et jamaïcaine accusés de trafic de drogue. (103)

La Presse révélera bien plus tard que Beaudry jouait sur différents tableaux. L’avocat de Haywood avait en effet une « source » au SPCUM, en l’occurrence le sergent-détective Jean-Claude Santerre, qui l’alimentait en informations confidentielles provenant du Centre de renseignements policiers du Québec (CRPQ), un système informatique reliant les corps policiers entre eux. (104)

Le sergent-détective Santerre a ainsi informé Beaudry que certains de ses clients colombiens étaient sous enquête policière. Or, en novembre 1990, Beaudry aurait eu l’imprudence de se vanter auprès d’un enquêteur de la GRC qu’il pouvait savoir par une « source policière » si ses clients faisaient l’objet d’une enquête. Conséquence : la GRC dû interrompre une enquête concernant la « filière colombienne ».

Ainsi, l’ex-policier devenu avocat d’un informateur de police avait lui-même un informateur policier au SPCUM…

Si on sait ce que Haywood obtenait en échange des tuyaux qu’il donnait au SPCUM, on ignore cependant ce que le sergent-détective Santerre recevait en retour pour les renseignements qu’il communiquait à Me Beaudry.

Curieusement, bien que la GRC fut désormais au parfum de ce petit manège, le sergent-détective Santerre pu continuer à couler des informations confidentielles en toute impunité pendant plusieurs mois à venir. Ainsi, en juillet 1991, Santerre consulta le CRPQ au sujet d’un certain Sylvain Bujold, trois jours après que la GRC eut saisi 260 livres de haschisch chez ce dernier, pour ensuite refiler ces informations à Me Beaudry.

Lorsque la GRC se décida à dénoncer les agissements du sergent-détective Santerre au SPCUM, celui-ci fut congédié en avril 1993. Ce congédiement fut maintenu par l’arbitre André Sylvestre, qui reprocha notamment à Santerre de ne jamais avoir communiqué avec ses collègues chargés de résoudre le meurtre de Beaudry.

Bien que Beaudry eu le temps de prononcer le nom de celui qui l’aurait fait assassiner, et bien que les visages des deux tueurs furent aperçus par différents témoins, le meurtre de l’avocat de Haywood ne donna lieu à aucune arrestation.

Dénoncer la police, puis mourir

L’affaire Kirt Haywood n’avait pas encore finie de faire couler de l’encre… ni du sang.

Le 24 octobre 1991, Osmond Seymour Fletcher dénonça le comportement de la police à l’égard des Noirs lors d’une entrevue à l’émission Newswatch, à la télévision anglaise de Radio-Canada. Il déclara notamment que lui et plusieurs autres Noirs étaient fouillés quasi-systématiquement lorsqu’ils croisaient des policiers sur la rue dans la Petite Bourgogne. (105)

Mais surtout, le reportage donna à Fletcher l’opportunité de s’interroger à voix haute sur la relation entre le lieutenant Pablo Palacios et Kirt Haywood. Ainsi, Fletcher affirma que cet officier du SPCUM avait permis en toute connaissance de cause à son informateur de vendre de la drogue. Il alla même jusqu’à dire que le lieutenant Palascios aurait lui-même vendu de la drogue. (106)

« Tout le monde a été arrêté… sauf Kirt. Kirt opérait toujours deux mois après que le quartier eut été nettoyé », fit remarquer Fletcher. Selon lui, la police approvisionnait Haywood en drogue. « Tout le monde le sait dans la communauté. Mais personne ne dit rien. À qui peut-on en parler, à la police ? » (107)

Fletcher souleva également des questions sur les circonstances entourant le décès de Haywood. Peu avant sa mort, un policier aurait voulu prévenir l’informateur que quelqu’un voulait le tuer, alléguait le reportage. « C’est un peu bizarre que [le policier] se mette à sa recherche et qu’on le découvre mort deux jours plus tard », fit valoir Fletcher. (108)

Fletcher ne croyait probablement pas si bien dire en parlant de coïncidences étranges.

En effet, le 14 novembre suivant, soit trois semaines après avoir accordé cette entrevue, Osmond Seymour Fletcher, 26 ans, perdit à son tour la vie après avoir reçu une balle dans la tête lors d’une intervention policière dans la Petite Bourgogne.

Le décès de Fletcher – le quatrième d’un jeune homme Noir lors d’une intervention policière à Montréal en l’espace de seulement dix-neuf mois – survint alors que l’enquête du coroner Harvey Yarosky sur le décès de Marcellus François battait son plein. En fait, Fletcher trouva la mort la veille du témoignage fort attendu du lieutenant Pablo Palacios à l’enquête Yarosky…

Dans les heures qui suivirent le décès de Fletcher, la police évoquait déjà ouvertement la thèse du suicide pour expliquer sa mort. (109)

Me Thérésa Jaworski-Kennedy, l’avocate de Fletcher, voyait les choses bien autrement et préféra plutôt de parler d’une exécution extrajudiciaire.

« Je prétends que ce qui est arrivé à Osmond Seymour Fletcher est une exécution. L’endroit où il a été atteint d’une balle est la place dont on se sert pour exécuter des opposants politiques dans certains pays », lança sans détour l’avocate. (110)

Selon Le Journal de Montréal, la coroner Térésa Sourour, à qui fut confiée l’investigation, éclata de rire en entendant ces allégations. « Il y a donc des gens qui sont arrivés à des conclusions avant moi, ajouta-t-elle ensuite. On n’avait vraiment pas besoin que de telles rumeurs se mettent à circuler. » La coroner ne semblait cependant pas s’émouvoir du fait que les corps policiers s’étaient empressés de faire circuler leurs propres « conclusions » dans les médias… (111)

De son côté, la haute direction du SPCUM n’attendait vraiment pas à rire. Le directeur Alain Saint-Germain déposa même une plainte au Barreau contre Me Jaworski-Kennedy en guise de protestation. « Le directeur Saint-Germain veut me faire taire parce qu’il a peur que la vérité sorte », répliqua l’avocate. (112)

Que s’était-il donc passé au juste ?

Voyons voir ce qu’en dit le rapport de la coroner Sourour, lequel contenait une transcription des conversations enregistrées sur les ondes de police durant cette intervention.

Poursuite à pieds dans la Petite Bourgogne

Le 14 novembre 1991, vers 10h50, les agents Sylvain Benoît, matricule 2198, et Stéphane Rainville, matricule 4524, du poste 24 patrouillaient sur la rue Notre-Dame lorsqu’ils aperçurent un « homme d’intérêt connu du secteur comme étant M. Wisley Barkley alias Osmond Seymour Fletcher ». (113)

Trois mois plus tôt, les policiers du poste 24 avaient été informés qu’un individu portant le même nom était recherché sur mandat par la police de Toronto pour avoir omis de se présenter à la cour dans une affaire de trafic de cocaïne avec un agent double remontant à 1989.

Les agents Benoît et Rainville auraient décidé de suivre Fletcher tout en cherchant dans leurs papiers l’avis de recherche le concernant. Après avoir retrouvé le document, les policiers auraient interpellé Fletcher aux coins de rues Vinet et Delisle, vers 10h55.

Mais Fletcher aurait cherché à échapper aux policiers en prenant ses jambes à son cou. Une poursuite à pieds se serait alors ensuivit alors dans les rues de la Petite Bourgogne.

À l’intersection des rues Dominion et Lionel-Groulx, Fletcher aurait sorti un revolver de la poche droite de son manteau tout en continuant à fuir les policiers. Alors que Fletcher se dirigeait vers les rues Lionel-Groulx et Georges-Vanier, un appel fut lancé sur les ondes policières. (114)

Fait particulier, la transcription des ondes policières révèle que les agents Benoît et Rainville ne firent aucune allusion à un mandat d’arrestation contre Fletcher dans leur appel. En fait, les premières communications entre policiers sur les ondes firent simplement état de la présence d’un « homme armé » sur la rue. Si cet avis de recherche était le motif d’interpellation de Fletcher, pourquoi alors les deux policiers du poste 24 n’en parlèrent-ils jamais sur les ondes ?

Une fois rendu à l’intersection des rues Georges-Vanier et Lionel Groulx, Fletcher aurait essayé d’immobiliser des automobilistes l’arme à la main, sans succès. Pendant ce temps, les agents Benoît et Rainville se cachaient derrière leur véhicule et pointaient leurs armes en direction de Fletcher. (115) Selon la coroner Térésa Sourour, « en aucun moment Osmond Seymour Fletcher n’a pointé son arme vers les policiers. Il ne les aurait pas menacé de mettre leur vie en péril ». (116)

Fletcher aurait ensuite pointé son arme à la hauteur de sa tête du côté droit. Les policiers auraient crié à Fletcher de lâcher son arme. Selon un agent du poste 24 dépêché sur les lieux en renfort, Fletcher aurait répondu : « I want to suicide ». (117)

À l’intersection de Georges-Vanier et Saint-Jacques, d’autres voitures de police tentèrent de couper le chemin à Fletcher. Selon un témoin automobiliste, Fletcher semblait calme, marchait lentement et ne criait pas. (118)

Flic « zélé » à l’œuvre

Un troisième policier, dont l’identité n’a jamais été révélée, aurait alors tenté de désarmer Osmond Seymour Fletcher.

À ce moment-là, Fletcher aurait tourné le dos aux policiers et continué à marcher tout en appuyant le canon de son arme contre sa tempe droite. Ce policier aurait donc prit un élan et sauta dans le dos de Fletcher, tout en lui empoignant le bras droit en poussant vers le bas. La manœuvre aurait provoqué la chute immédiate des deux hommes au sol. (119)

Dans son rapport, la coroner Térésa Sourour qualifia cette initiative de « tentative zélée de désarmer une personne qui démontrait nettement par la parole et le geste la possibilité de s’enlever la vie ». (120)

Aussi, cette « tentative zélée » s’avéra-t-elle un échec complet. Car Fletcher n’aurait jamais lâché son arme durant sa chute. (121) Le rapport de la coroner indique que Fletcher aurait réussi à se défaire de l’emprise du troisième policier sans toutefois expliquer comment. (122)

Le récit devient plutôt confus lorsque la coroner rapporta la version du troisième policier relativement à la chute au sol avec Fletcher. À un endroit, on lit que « les deux auraient roulé dans le gazon ». Puis, plus loin sur la même page, on lit que « le suspect perdit l’équilibre et tomba face contre terre et le policier a roulé à sa droite où il s’est retrouvé sur le dos. » (123)

Ce moment-clé de l’intervention policière fait donc l’objet de deux versions dans le rapport de la coroner. Laquelle des deux est la bonne ?

Cette contradiction n’est certes pas mineure puisqu’elle porte sur les derniers instants de la vie de Fletcher. Car c’est immédiatement après ce bref épisode qu’une détonation d’arme à feu se fit entendre.

Le troisième policier aurait ainsi « vu le suspect ramener l’arme près de sa tête et le son d’une détonation partir », mais ne précisa pas si Fletcher fut bien celui qui pesa sur la gâchette. (124) « On entend un "bang" », déclara laconiquement un autre policier, qui prétendit avoir eu un contact visuel de l’événement en tout temps. (125)

Curieusement, la première communication faite sur les ondes policières après le coup de feu ne laisse pas du tout croire à un suicide. « Le suspect est maîtrisé », déclara un policier. « Maîtrisé » par qui ? L’histoire ne le dit pas. Ce n’est que dans les minutes qui suivirent qu’un policier rectifia le tir sur les ondes en annonçant que « le suspect s’est tiré dans la tête ». (126)

Une scène de crime altérée

Ce sont des agents du SPCUM, dont certains étaient impliqués dans l’intervention funeste, qui assumèrent la responsabilité de surveiller la scène de crime en attendant l’arrivée des enquêteurs de la Sûreté du Québec et celle de la coroner Térésa Sourour. (127)

Des témoins expliquèrent à Me Thérésa Jaworski-Kennedy que le corps d’Osmond Seymour Fletcher se trouvait dans la position suivante : le visage contre l’herbe, le bras droit derrière le dos et le bras gauche le long du corps et les jambes croisées, la droite sur la gauche. (128)

« Aucune personne n’est entrée en contact avec le suspect à part le médecin », prétendirent les agents Benoît et Rainville. (129) Or, cette affirmation est manifestement fausse puisqu’elle est contredite par le rapport de la coroner.

« Le policier enlève l’arme de la main de Fletcher », écrit en effet la coroner en faisant référence au troisième policier. (130) D’ailleurs, celui-ci indiqua lui-même avoir « ressaisi l’arme des mains de l’homme ». (131) Un tel geste constitue clairement une altération de la scène de crime.

Ce n’est qu’à 13h12 que les policiers présents sur place depuis le début de l’événement quittèrent les lieux. (132)

Entre-temps, une centaine de curieux, dont une majorité de Noirs, attendaient silencieusement que la morgue vienne recueillir le corps de Fletcher. De temps à autre, un cri ou des injures aux policiers venait briser le silence. (133) « Ce n’est pas vrai qu’il s’est suicidé. Vous l’avez tué ! », lança une proche de Fletcher à l’attention des policiers. (134)

Fletcher est-il mort à cause qu’il avait démontré qu’il en savait trop sur la relation entre Kirt Haywood et la police ?

Chose certaine, certains policiers semblaient s’intéresser de près à ceux qui parlaient aux médias à proximité de la scène de crime. Ainsi, un journaliste du quotidien The Gazette rapporta-t-il que deux hommes assis dans une voiture banalisée photographiaient les Noirs qui discutaient avec les journalistes sur les lieux. (135)

Des conclusions contestables

« J’ai vu le corps, expliqua Me Thérésa Jaworski-Kennedy à un journaliste de La Presse. Il avait un trou à l’arrière de la tête, derrière l’oreille droite. Comme mon client était gaucher et qu’il ne se servait jamais de sa main droite, je ne vois pas comment il a pu tirer le coup. D’autant plus que le rapport d’autopsie démontre que la balle est entrée dans son crane en descendant. C’est pas possible. » (136)

La coroner Térésa Sourour arriva à une conclusion bien différente. « Osmond Fletcher est décédé de mort violente par passage d’un projectile d’arme à feu dans la tête. Il s’agit d’une autodestruction, résultat d’une manipulation de l’arme par la victime », a-t-elle écrit dans son rapport. Or, selon la coroner, Fletcher était « une personne qui n’était pas dépressive ni encline au suicide, il n’aurait jamais mentionné d’intention suicidaire dans le passé ». (137)

L’avocate et la fiancée du défunt, Jacqueline Powell, abondèrent toutes deux dans le même sens. Malgré ses tribulations avec l’immigration et la justice, Fletcher n’avait aucune raison de mettre à fin à ses jours, selon elles. « Il n’avait pas peur d’être déporté. Il n’avait pas peur d’aller en prison et il ne voulait certainement pas mourir, déclara Me Jaworski-Kennedy. (138)

Étonnamment, la coroner tenta d’expliquer le suicide par la consommation de… marijuana !

« On ne peut en effet présumer une intention claire et préméditée de s’enlever la vie, surtout que […], Osmond Fletcher était sous l’effet de drogues (cannabis), ce qui pourrait fort possiblement [avoir] altéré la clarté et la précision du jugement quant à l’évaluation d'une situation, de la gravité et des conséquences d’un geste posé par l’individu », écrivit-elle. (139)

Une hypothèse pour le moins douteuse que rejeta d’ailleurs du revers de la main Me Jaworski-Kennedy. « Il en prenait assez souvent et n’avait jamais agi de cette façon. Et puis, rien ne prouve qu’il venait d’en prendre puisque le cannabis laisse des traces pendant des semaines avant d’être éliminé du système », expliqua-t-elle. (140)

« Les conclusions du coroner, je n’y crois tout simplement pas. Selon moi, elle n’a fait que reprendre, sans se poser la moindre question, le rapport de la Sûreté du Québec. Ces conclusions, je ne peux pas les accepter », continua l’avocate.

Une opinion partagée par la mère de Fletcher, Elaine Lawrence. « Je suis toujours persuadée qu’Osmond n’a pu se suicider avec sa main droite, tout simplement parce qu’il était gaucher et qu’il n’utilisait jamais sa main droite. Je crois que c’est un cover-up », confia-t-elle à La Presse. (141)

Me Jaworski-Kennedy ajouta que trois témoins auraient une version toute différente de celle des policiers. Ils ne voulaient cependant pas témoigner. « Par peur de la police, précisa-t-elle. (142) « Je réclame donc une enquête publique. Si les policiers sont innocents, ils n’ont rien à craindre. » Une demande secondée par Leith Hamilton, directeur du Conseil de la Communauté Noire du Québec.

Le ministre de la Sécurité publique, Claude Ryan, fit toutefois la sourde oreille en refusant de donner suite à ces demandes. Avec pour conséquence que le rapport de la coroner Sourour fait aujourd’hui figure d’explication officielle au décès de Osmond Seymour Fletcher.

La pointe de l’iceberg

Au début de décembre 1991, l’enquête du coroner Harvey Yarosky sur le décès de Marcellus François tirait à sa fin… au grand soulagement de certains. Car l’enquête publique donna lieu à des allégations qui étaient en train de causer des remous en haut-lieu.

Ainsi, quand Carol Williams, la compagne de Kirt Haywood, témoigna que le lieutenant Pablo Palacios avait offert « dix roches » crack pour savoir où se terrait son informateur, cela eut l’effet d’une petite bombe. Mais ce n’était là que la pointe de l’iceberg des écarts de conduite policiers en marge de l’affaire Marcellus François.

En effet, le comportement de trois policiers du poste 24 était devenu si problématique que des leaders de la communauté noire exigèrent leur transfert dans un autre district afin de réduire les tensions entre les résidents et la police.

Dan Philip, président de la Ligue des Noirs du Québec, déclara à La Presse qu’il existait un « consensus » selon lequel ces trois policiers « abusaient de leur pouvoir, violaient les droits des citoyens noirs et se croyaient généralement au-dessus de la loi ». (143)

Le lieutenant Pablo Palacios fut l’un des trois policiers visés. « Nous avons des informations qui nous font croire qu’il coupe les coins dans son effort pour combattre le crime », déclara Leith Hamilton du Conseil de la Communauté Noire du Québec.

Les deux autres étaient des policiers faisant partie de l’équipe de Palacios, soit les agents surnommés « Batman » (agent Gilbert Gauvreau, matricule 4456) et « Robin » (agent Richard Prud’Homme, matricule 3992). Selon Jacqueline Powell, il s’agissait des deux policiers dont Osmond Seymour Fletcher se plaignait le plus. (144)

Ainsi, certains résidents reprochèrent au lieutenant Palacios d’avoir proféré des menaces de mort, incité des Noirs à vendre de la drogue ou d’être entré dans leur domicile sans mandat. (145) D’autres alléguèrent que la police fermait les yeux sur les activités d’un vendeur de drogue notoire du quartier, et invitait même les clients à s’approvisionner auprès de celui-ci. (146) Notons que ces allégations firent l’objet de plaintes formelles auprès du Commissaire à la déontologie policière. En tout, quinze plaintes furent déposées.

La proposition de Dan Philip se heurta cependant au refus du SPCUM. « Avant de transférer un policier, les allégations qui sont portées contre lui doivent être prouvées », déclara un porte-parole du corps policier. (147)

Qu’à cela ne tienne, cette avalanche de dénonciations à l’égard des trois policiers du poste 24 obligea les autorités politiques municipales à réagir. « Je trouve la situation pour le moins bizarre », déclara Michel Hamelin, président du comité exécutif de la Communauté urbaine de Montréal, qui ordonna au directeur du SPCUM, Alain Saint-Germain, d’instituer une enquête. (148)

De son côté, Leith Hamilton demanda au ministre de la Sécurité publique de tenir une enquête spécifique sur les problèmes existant entre les policiers et les Noirs de la Petite-Bourgogne. Une demande qui resta, elle aussi, lettre morte.

Et ce, même après qu’un reportage de l’émission Fifth Estate, à la télévision anglaise de Radio-Canada, permis d’apprendre que le lieutenant Palacios se servait d’un passe-partout offert par l’Office Municipal d’Habitation de Montréal pour pénétrer sans mandat dans des appartements de la Petite Bourgogne… (149)

La répression et ses limites

Le lieutenant Pablo Palacios pouvait cependant compter sur des citoyennes prêtes à se porter à sa défense. En effet, quatre résidentes de la Petite-Bourgogne – toutes des Blanches – firent circuler une pétition demandant aux autorités de garder en poste les trois policiers visés par les plaintes de nombreux citoyens Noirs. (150)

« Si le gouvernement cédait à ce type de pression, tous les policiers de la ville, et bientôt du Canada tout entier, pourraient éventuellement être mutés à cause de gens qui veulent se venger », s’inquiéta Hélène Saint-Louis, une des initiatrices de la pétition, qui recueillit au total un peu plus de 200 signatures. (151)

Ce soutien s’expliquait en bonne partie par le fait que la plupart des « dépanneurs » de crack avaient alors disparus du quartier. Des Noirs de la Petite Bourgogne reconnaissaient d’ailleurs que les efforts du lieutenant Palacios et de son équipe portèrent fruit. Ainsi, pas moins de 270 arrestations furent effectuées dans ce seul quartier après l’entrée en fonctions du « Dirty Harry » du poste 24. (152)

Les apologistes du lieutenant Palacios semblaient toutefois oublier qu’une partie du crédit revenait au vendeur de crack devenu informateur Kirt Haywood…

Linda Bernier, une conseillère en toxicomanie, se montra toutefois sceptique. « Tout le monde parle de Pablo, mais le problème de drogue est toujours présent, fit-elle remarquer lors d’un entretien avec une journaliste du quotidien The Gazette. Les policiers ont peut-être réussi à chasser quelques vendeurs de drogue, mais il y en aura toujours d’autres parce que la demande et la dépendance existe encore. » (153)

Pour Leith Hamilton, la controverse entourant les méthodes du lieutenant Palacios représentait l’occasion de lancer un débat sur les questions délicates, mais nécessaires, entourant le recours aux informateurs.

« Quelle est la politique vis-à-vis l’utilisation des informateurs par les policiers du SPCUM ?, s’interrogea-t-il. Qui supervise leur emploi ? Est-ce qu’on paie les informateurs ? Est-ce que des policiers permettent aux informateurs de vendre de la drogue ? Est-ce que des policiers se font voir avec des vendeurs de drogue sans les arrêter ? » (154)

De toute évidence, la société québécoise manqua une belle opportunité de se questionner sur les dessous souvent peu gratifiants de la lutte antidrogue.

Ce qui leur arriva

- MICHEL TREMBLAY fut limogé du SWAT par le directeur du SPCUM Alain Saint-Germain en raison de son rôle dans l’opération policière qui couta la vie à Marcellus François. (155) Tremblay conserva son grade de sergent, mais fut muté à la brigade des incendies criminels.

Accusé devant le Comité de déontologie policière avec dix-neuf autres policiers impliqués dans l’affaire Marcellus François, le sergent Tremblay fut acquitté au terme d’un procès qui nécessita quarante-deux journées d’audition. (156)

- les proches de MARCELLUS FRANÇOIS furent victimes d’actes de harcèlement de la part du SPCUM.

En août 1991, Johnny François, le frère de Marcellus, fut interpellé par des policiers en civil qui l’avaient supposément mépris… pour un vendeur de drogue. Ne sachant pas qu’il avait affaire à des policiers, Johnny se sauva en bicyclette. Ses poursuivants passèrent proche de l’écraser, ce pourquoi Johnny leur lança : « la prochaine fois, je serai prêt ». Les policières l’accusèrent alors d’avoir proféré des menaces de mort. (157)

En mars 1992, des policiers se disant à la recherche de bien volés perquisitionnèrent l’appartement de Sylvia Clarke, la veuve de Marcellus François. Les policiers repartirent bredouilles. « Tout ce qu’ils ont dit c’est qu’ils n’avaient pas de bonnes informations - encore une fois », laissa-t-elle. (158)

Quant à Carol Williams, la compagne de Kirt Haywood et passagère de la Pontiac où se trouvait Marcellus François lors de son décès, elle fut appréhendée par la police le jour même où le rapport du coroner Harvey Yarosky fut rendu public, le 7 mai 1992. (159)

En juin 1992, une poursuite de 5,4 millions $ fut intentée contre la Communauté urbaine de Montréal par les quatre enfants de Marcellus François, ainsi que sa mère, Bertha Aurélien. (160) En février 1997, la CUM annonça qu’elle versera la somme de 218 268 $ pour mettre un terme à cette procédure. (161)

- CAROL RICHARDS subit son procès pour tentative de meurtre sur la personne de Juan-Francisco Castillo en novembre et décembre 1992. Le 14 janvier 1993, le juge Jacques Coderre le trouva coupable d’avoir déchargé un fusil dans l’intention de blesser et de mettre en danger la vie de Castillo.

Notons que le tribunal conclua que l’accusé Richards n’avait pas planifié la transaction avec Castillo et que son rôle se limita à être le « garde du corps » de Kirt Haywood.

Richards fut condamné à purger une peine de deux ans et dix mois d’emprisonnement et se vit imposer une interdiction de posséder des armes à feu, des munitions ou de la dynamite pendant cinq ans.

- PABLO PALACIOS fut blâmé par le Comité de déontologie policière pour avoir ordonné la détention des trois passagers de la Pontiac Bonneville suite à l’opération qui couta la vie à Marcellus François.

« Le lieutenant Palacio a abusé de son autorité en détenant M. Ford ainsi que Mmes Williams et Stouffer », trancha le comité. (162) Le tribunal déontologique sanctionna Palacios en lui imposant dix journées de suspension. (163)

Fidèle à lui-même, le lieutenant Palacios n’exprima pas l’ombre d’un remord lorsqu’il fut invité à commenter la décision par un journaliste de La Presse. « Être confronté à la même scène, aujourd’hui, avec les mêmes données, je crois que je prendrais la même décision ; je les emmènerais au poste pour les interroger », déclara-t-il.

Le lieutenant Palacios fut également trouvé coupable d’avoir abusé de son autorité en procédant à une perquisition sans mandat chez une résidente de la Petite Bourgogne, en novembre 1991. (164) À l’époque, l’officier du poste 24 s’était fait ouvrir la porte en se faisant passer pour un livreur de pizza. Palacios écopa de cinq journées de suspension. (165)

En 1994, Palacios présenta sa candidature à la présidence de la Fraternité des policiers. Le tiers des membres du syndicat vota pour lui, ce qui fut toutefois insuffisant pour lui permettre de remporter l’élection. (166)

- THÉRÉSA JAWORSKI-KENNEDY, l’avocate de Osmond Seymour Fletcher, fut condamnée à payer une amende 1000 $ au Barreau du Québec pour avoir refusé de collaborer à l’enquête déclenchée suite à la plainte portée par le directeur du SPCUM. (167)

Sources :

(1) La Presse, « "Batman" et "Robin", sèment la terreur chez les Noirs », Richard Hétu, 30 septembre 1990, p. A1.
(2) Mirror, “In the line of fire”, Kristian Gravenor, March 17 1997.
(3) The Gazette, “Attack on crack - Little Burgundy residents work to oust pushers”, Ingrid Peritz, 14 July 1990 p. A3.
(4) La Presse, « Le directeur du poste 24 n'a jamais reçu de plainte de Noirs de la Petite-Bourgogne », Richard Hétu, 30 septembre 1990, p. A2.
(5) The Gazette, “How and why Marcellus Francois died remains a mystery”, James Mennie, December 7 1991. p. A5.
(6) La Presse, « "On aurait pu éviter ça", dit le coroner », Rollande Parent, 16 novembre 1991, p. A1.
(7) La Presse, « Les Noirs exigent le transfert de trois policiers du poste 24 », Richard Hétu, 5 décembre 1991, p. A1.
(8) YAROKSY, Harvey, « Rapport du coroner suite à une enquête sur le décès de Monsieur Marcellus François survenu le 18 juillet 1991, à l'Hôpital général de Montréal, résultant de blessures subies lors d'une opération policière du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal », Bureau du coroner (1992), p. 52.
(9) La Presse, « Affaire François - Un témoin parle de ses contacts avec le lieutenant Pablo Palacios », 2 juin 1993, p. A6.
(10) Op. cit., Mirror.
(11) La Presse, « Les Noirs exigent le transfert de trois policiers du poste 24 », Richard Hétu, 5 décembre 1991, p. A1.
(12) The Gazette, “Boss of Burgundy”, Jack Todd, January 21 1992, p. A3.
(13) Version basée sur les témoignages au procès de Carol Richards.
(14) Op. cit., Yarosky, p. 7.
(15) Id., p. 8.
(16) Id., p. 53.
(17) Op. cit., La Presse 16 novembre 1991.
(18) Op. cit., Yarosky, p. 55.
(19) Op. cit., La Presse 16 novembre 1991.
(20) The Gazette, “How and why Marcellus Francois died remains a mystery”, James Mennie, December 7 1991. p. A5.
(21) Op. cit, Yarosky, p. 10.
(22) La Presse, « Les policiers défoncent la porte: 600$ de dommages », Jean-Paul Soulié, 19 mai 1993, p. A5.
(23) The Gazette, “Suspects' apartment not searched for gun, Francois inquest told”, Jamie Mennie, September 25 1991, p. A3.
(24) Op. cit., Yarosky, p. 11.
(25) Id., p. 12.
(26) Id., p. 13.
(27) Id., p. 14.
(28) Id., p. 15-16.
(29) Id., p. 16.
(30) Id., p. 21.
(31) Id., p. 35.
(32) La Presse, « Des informations qui auraient pu sauver François ignorées », Suzanne Colpron, 3 octobre 1991, p. A3.
(33) Op. cit., Yarosky, p. 39.
(34) Id., p. 40.
(35) La Presse, «L’opération filature a débuté dans la confusion », Suzanne Colpron, 27 septembre 1991, p. A3.
(36) La Presse, « L’affaire Marcellus François: un avocat met en doute les rapports de police », Suzanne Colpron, 1er octobre 1991, p. A3.
(37) Le Journal de Montréal, « Le policier Tremblay connaissait Haywood », 2 octobre 1991, Rollande Parent, p. 2.
(38) La Presse, « "Ses mains bougeaient, j’ai tiré" », Suzanne Colpron, 24 octobre 1991, p. A1.
(39) Op. cit., Yarosky, p. 19.
(40) Idem.
(41) La Presse, « Le sergent Michel Tremblay contredit par le chauffeur de la camionnette de police », Richard Hétu, 26 octobre 1991, p. A3.
(42) Op. cit., Yarosky, p. 19.
(43) Id., p. 27.
(44) Id., p. 30.
(45) La Presse, « Policiers décorés », 11 mai 1991, p. H19.
(46) Id., p. 31.
(47) La Presse, « "Je n’ai pas entendu crier Police!", dit un compagnon de Marcellus François », Suzanne Colpron, 12 novembre 1991, p. A3.
(48) La Presse, « Les balles utilisées par le SWAT sont particulièrement meurtrières », Suzanne Colpron, 28 novembre 1991, p. A3.
(49) Op. cit., La Presse, 24 octobre 1991.
(50) The Gazette, “I thought Francois had a gun, cop who shot him says”, James Mennie, October 24 1991, p. A1.
(51) Op. cit., La Presse, 24 octobre 1991.
(52) La Presse, « Interventions du SWAT : la police modifie ses politiques », Suzanne Colpron, 27 novembre 1991, p. A3.
(53) La Presse, « Quelques fractions de seconde entre l’avertissement et le coup de feu », Suzanne Colpron, 23 octobre 1991, p. A3.
(54) Op. cit., Yarosky p. 32.
(55) Op. cit., La Presse 26 octobre 1991.
(56) Le Journal de Montréal, « Le coroner a servi quelques reproches au sergent Tremblay », 26 octobre 1991, p. 5.
(57) Op. cit., La Presse, 12 novembre 1991.
(58) La Presse, « Le sergent Tremblay n’a pas crié "Police!" avant de tirer sur Marcellus François », Suzanne Colpron, 29 novembre 1991, p. A3.
(59) Idem.
(60) Op. cit., Yarosky p. 33.
(61) Op cit., La Presse 27 novembre 1991.
(62) Op. cit., Yarosky, p. 33.
(63) The Gazette, “Out of control”, Jack Todd, July 10 1991, p. A3.
(64) Op cit., La Presse 24 octobre 1991.
(65) Op cit., La Presse 29 novembre 1991.
(66) Op cit., Yarosky, p. 34.
(67) Op cit., Gazette, July 10 1991.
(68) Op. cit., Yarosky, p. 34
(69) Op cit., La Presse 12 novembre 1991.
(70) Op. cit., Yarosky, p. 36.
(71) La Presse, « Une police raciste et pas très professionnelle ? », Suzanne Colpron, 6 décembre 1991, p. A3.
(72) Op cit., La Presse 12 novembre 1991.
(73) Op cit., La Presse 29 novembre 1991.
(74) Idem.
(75) Op. cit., Yarosky, p. 69.
(76) Id., p. 70.
(77) Op cit., La Presse 29 novembre 1991.
(78) La Presse, « La Sûreté du Québec contredit la version de la police de la CUM », Marie-France Léger, 6 juillet 1991, p. A3.
(79) The Gazette, “Driver upset with police for failing to notify him”, Jack Todd, October 1, 1991. p. A3.
(80) La Presse, « Gare au piège du racisme, avertit le maire Doré », Marie-France Léger, 7 juillet 1991, p. A1.
(81) La Presse, « Marcellus François - Des gardes armés aux audiences du Comité de déontologie », Jean-Paul Soulié, 14 mai 1993, p. A7.
(82) Op. cit., La Presse, 16 novembre 1991.
(83) The Gazette, “SWAT team's prey surrendered to lone officer”, James Mennie, November 16 1991, p. A4.
(84) Op. cit., Mirror.
(85) Le Juste Milieu, vol. 1 no. 1, p. 27-28.
(86) La Presse, « Faute de "témoins" et de "victime", Haywood et Richards sont libérés », Yves Boisvert, 10 juillet 1991, p. A7.
(87) The Gazette, “Pair behind Francois case released on bail”, Mary Lamey, Bart Kasowski, July 10 1991, p. A3.
(88) Op. cit., Le Juste Milieu.
(89) La Presse, « Deux policiers de la CUM devant la justice », Éric Trottier, 21 octobre 1994, p. A3.
(90) La Presse, « La policière Antoine - Plusieurs emprunts sous de fausses déclarations », Yves Boisvert, 5 janvier 1995, p. A7.
(91) Le Journal de Montréal, « Un "rasta" croule sous les balles », Serge Labrosse, 3 septembre 1991, p. 5.
(92) Le Journal de Montréal, « Le meurtre de Kirt Haywood : un casse-tête pour les policiers », Serge Labrosse, 4 septembre 1991, p. 5.
(93) Allô Police, « Celui que les policiers croyaient suivre quand ils ont tués Marcelus François… Exécuté ! », 15 septembre 1991, p. 12-13.
(94) Op. cit., La Presse, 2 juin 1993.
(95) Op. cit., Le Journal de Montréal, 4 septembre 1991.
(96) Op. cit., Allô Police, 15 septembre 1991.
(97) Le Journal de Montréal, « Boucher était un informateur de police », Michel Auger, 7 mars 2002, p. 1, 4 et 5.
(98) http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Montreal/nouvelles/200203/07/001-bo...
(99) The Gazette, “Batman and Robin are called an urban myth”, Eddie Collister, November 20 1991, p. A4.
(100) Le Journal de Montréal, « Le meurtre de Me Paul Beaudry pourrait être relié à la drogue », Guy Roy, 12 septembre 1991, p. 3.
(101) La Presse, « L'avocat Beaudry aurait été tué par la pègre italienne », Marcel Laroche, André Cédilot, 26 septembre 1991, p. A1.
(102) La Presse, « L’avocat Beaudry a travaillé sous trois identités », Marie-France Léger, 12 septembre 1991, p. A1.
(103) La Presse, « Me Paul Beaudry est le cinquième avocat en 25 ans à tomber sous les balles d'assassins », Éric Trottier, 11 septembre 1991, p. A3.
(104) La Presse, « Un arbitre maintient le congédiement d'un policier qui coulait de l'information », André Cédilot, 24 mars 1995, p. A5.
(105) La Presse, « Un Noir tué d'un coup de feu en résistant à son arrestation », Bisson Bruno, 15 novembre 1991, p. A3.
(106) La Presse, « Portrait du policier controversé de la Petite-Bourgogne à la télévision », Richard Hétu, 21 janvier 1992, p. A12.
(107) Op. cit., The Gazette, January 21 1992.
(108) The Gazette, “Inquiry demanded into police action”, Geoff Baker, January 22 1992, p. A3.
(109) Le Devoir, « Un nouvel incident ravive les tensions entre Noirs et policiers », PC et rédaction, 15 novembre 1991, p. A1.
(110) Le Journal de Montréal, « Le coroner rit des rumeurs d'exécution », Pierre Richard, 20 novembre 1991, p. 5.
(111) Idem.
(112) La Presse, « Le directeur Saint-Germain porte plainte au Barreau contre l'avocate Kennedy », Éric Trottier, 4 février 1992, p. A5.
(113) SOUROUR Térésa, Rapport d’investigation sur le décès de Osmond Seymour Fletcher, 4 février 1992, p. 23.
(114) Id., p. 23.
(115) Id., p. 17-18.
(116) Id., p. 25.
(117) Id., p. 18.
(118) Id., p. 21.
(119) Id., p. 19.
(120) Id., p. 25.
(121) Id., p. 9.
(122) Id., p. 18.
(123) Id., p. 19.
(124) Idem.
(125) Id., p. 18.
(126) Id., p. 11.
(127) Id., p. 9.
(128) La Presse, « L'avocate de Fletcher veut prouver qu'il ne s'est pas suicidé », Richard Hétu, 20 novembre 1991, p. A4.
(129) Id., p. 24.
(130) Id., p. 9.
(131) Id., p. 19.
(132) Id., p. 24.
(133) Op. cit., La Presse 15 novembre 1991.
(134) Le Journal de Montréal, « Au lieu d'être arrêté par les policiers, il se tire », Guy Roy, Stéphane Alarie, 15 novembre 1991, p. 3.
(135) The Gazette, “Delay judgement day”, Jack Todd, November 15 1991, p. A3.
(136) Op. cit., La Presse 20 novembre 1991.
(137) Op. cit., Sourour, p. 25.
(138) The Gazette, “Shooting victim never would have taken own life, lawyer says”, Mary Lamey, November 17 1991, p. A4.
(139) Op. cit., Sourour, p. 25.
(140) La Presse, « "Le coroner n'a retenu que la version policière" », Lilianne Lacroix, 14 février 1992, p. A4.
(141) La Presse, « Osmond Fletcher n'a pas été abattu par la police, selon le coroner », Éric Trottier, 13 février 1992, p. A2.
(142) Op. cit., La Presse 14 février 1992.
(143) Op. cit., La Presse 5 décembre 1991.
(144) Op. cit., The Gazette, November 17 1991.
(145) La Presse, « Pétition de citoyens blancs en faveur du lieutenant Pablo Palacios », Éric Trottier, 17 décembre 1991, p. A5.
(146) The Gazette, “Blacks file complaints against MUC officers”, Irwin Block, December 17 1991, p. A3.
(147) La Presse, « Poste 24: la CUM ordonne une enquête », Richard Hétu, 6 décembre 1991, p. A1.
(148) Idem.
(149) The Gazette, “Police to probe drug investigator's conduct”, Aaron Derfel, Michelle Lalonde, January 24 1992, p. A3.
(150) Op. cit., La Presse 17 décembre 1991.
(151) La Presse, « Une résidante de la Petite-Bourgogne se porte à la défense d'un lieutenant peu orthodoxe », Marie-France Léger, 4 juillet 1994, p. A1.
(152) Op cit., The Gazette, January 21 1992.
(153) The Gazette, “No easy answers”, Michelle Lalonde, March 4 1992, p. A3.
(154) Op. cit., La Presse, 5 décembre 1991.
(155) La Presse, « Le sergent Tremblay est limogé du SWAT », Éric Trottier, 21 janvier 1992, p. A1.
(156) Le Devoir, « Le sergent Tremblay absous par le Comité de déontologie policière », Sylvain Blanchard, Martine Turenne, 16 juin 1994, p. A3.
(157) The Gazette, “Brother of shooting victim charged with uttering threats”, November 21 1991, p. A3.
(158) The Gazette, “Francois's widow asks why police searched her home”, James Mennie, March 26 1992. p. A1.
(159) Le Journal de Montréal, « L'affaire François », Jean-V. Dufresne, 9 mai 1992, p. 6.
(160) The Gazette, “Francois heirs sue for $5.4 million”, Michael Orsini, June 20 1992, p. A3.
(161) La Presse, « La CUM paiera 218 268 $ aux héritiers légaux de Marcellus François », Éric Clément, 22 février 1997, p. A8.
(162) La Presse, « Pas de blâme au policier qui a abattu François », Éric Trottier, 15 juin 1994, p. A1.
(163) La Presse, « Le bras de la "déontologie" frappe 2 policiers de la CUM », Jean-Paul Soulié, 15 septembre 1994, p. A5.
(164) La Presse, « Le lieutenant Pablo Palacios de la police de la CUM accusé d'abus d'autorité », Jean-Paul Charbonneau, 23 octobre 1993, p. A3.
(165) La Presse, « Suspension de cinq jours pour "Dirty Harry" », Bruno Bisson, 24 novembre 1993, p. E7.
(166) La Presse, « Yves Prud'Homme réélu à la tête de la Fraternité des policiers », Martin Pelchat, 15 juin 1994, p. A5.
(167) La Presse, « Le Barreau impose une amende à une avocate pour refus de collaborer à une enquête sur elle », 2 septembre 1993, p. A9.



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