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En Egypte, les dirigeants changent, la lutte des travailleurs demeure

Anonyme, Lundi, Octobre 24, 2011 - 03:06

Courant Communiste International

Point sur la situation en Egypte...

Le “mouvement de la Place Tahrir” du Caire, en Egypte, qui a fait chuter le régime de Moubarak, a inspiré les exploités du monde entier, en Espagne, en Grèce, en Israël et même aux Etats-Unis. Le courage et la détermination des manifestants ainsi que l’ampleur des rassemblements ont impressionné et donné confiance en la capacité des masses à se dresser ensemble, comme un seul homme, face aux puissants. Mais la force la plus importante dans ce mouvement a été la classe ouvrière. Les grèves dans tout le pays les 8, 9 et 10 février ont en effet constitué le facteur décisif dans la destitution du président Moubarak.

Cela dit, il faut aussi avoir conscience des limites objectives de cette lutte. Contrairement à ce que nous ont raconté la bourgeoisie et tous ses médias aux ordres, ce mouvement n’a jamais été une “révolution”. Qui est aujourd’hui au pouvoir ? L’armée ! Et à la tête de l’Etat, ses décisions sont tout ce qu’il y a de plus réactionnaire, répressives et anti-ouvrières. Elle a ainsi adopté presque immédiatement une nouvelle loi interdisant les grèves. Les travailleurs vivant en Egypte l’ont d’ailleurs instantanément compris. Ils ne sont pas laissés berner par ce changement de masque du régime, ils ont poursuivi la lutte pour défendre leurs conditions de vie. Depuis le début de septembre, il y a même une nouvelle vague de mécontentement et de contestation.

Des dizaines de milliers d’ouvriers du textile ont fait grève un peu partout dans le pays ainsi qu’une grande partie des 100 000 médecins, la moitié des 200 000 techniciens de la santé des hôpitaux, 4000 dockers de l’un des ports du canal de Suez, plus de 50 % des 1,7 million d’enseignants du pays. Cette grève des enseignants est très significative de la colère immense qui traverse le pays puisqu’il s’agit de leur première grève nationale depuis 1951 et qu’ils sont allés jusqu’à occuper un certain nombre de bâtiments gouvernementaux. Au Caire, 45 000 chauffeurs d’autobus, mécaniciens et contrôleurs de billets ont aussi été en grève. Certains ont rejoint les manifestations des enseignants au siège du gouvernement.

La vague de luttes spectaculaire qui avait fait trembler tout le pays début 2011 s’était presque totalement éteinte quelques semaines après le départ de Moubarak et l’annonce des nouvelles mesures envisagées par les nouveaux maîtres militaires. Mais toutes les promesses n’ayant évidemment jamais été tenues, la colère explose aujourd’hui de nouveau. Al-Masry Al-Youm a ainsi écrit le 15 septembre : “Les revendications économiques et politiques non satisfaites ont maintenu la fureur des ouvriers d’Egypte” et “Selon les analystes, la récente réapparition de grèves très étendues, reflète une désillusion profonde par rapport au processus de transition démocratique, avec des travailleurs qui sentent de plus en plus que l’amélioration de leurs conditions économiques et politiques ont été de vaines promesses de la révolution.” En guise “d’amélioration de leurs conditions économiques”, les masses ont vu l’inflation exploser, avec, par exemple, une hausse des prix des produits alimentaires de 80 % depuis janvier !

Un des principaux pièges qui attend la classe ouvrière en Egypte, c’est l’illusion de pouvoir être défendue par de nouveaux syndicats autonomes. Depuis le départ de Moubarak, il y a eu au moins 130 créations de syndicats. Ce n’est pas inattendu puisque les syndicats officiels étaient partie intégrante de la machine d’Etat. Mais vieux ou jeunes, les syndicats seront toujours contre les luttes ouvrières. Ces nouveaux syndicats “indépendants” se sont déjà révélés les dignes successeurs des anciens en arrêtant prématurément les grèves et en sapant le développement du mouvement avec une propagande pour “un capitalisme plus démocratique”. Il y a eu récemment de grandes manifestations pour “réclamer la Révolution”. L’acteur Sean Penn, notamment, était sur la place Tahrir. Ces manifestations, tout en s’opposant à l’actuel gouvernement, réclament… un calendrier pour des élections ! Le danger pour la classe ouvrière, c’est qu’elle soit prise dans ce type de bataille entre factions militaire et démocratique.

La dernière vague de grèves montre une force qui pourrait se développer, pour autant qu’elle ne soit pas détournée vers l’impasse démocratique

Courant Communiste International

CCI
www.internationalism.org


Sujet: 
D'accord sur les points évidants, mais la démocratie veut dire..
Auteur-e: 
Michael Lessard...
Date: 
Jeu, 2011-10-27 17:20

Oui, évidemment, d'accord sur l'évidence que tout le peuple égyptien a bien vu clairement déjà: ce fut une révolte, et pas encore une révolution, surtout que l'armée a pris le pouvoir.

Par contre, considérant que le mot démocratie signifie souveraineté du peuple et considérant que les peuples adhèrent encore à ce mot (tout en étant bien conscient que les systèmes actuels sont des illusions démocratiques), je trouve la propagande communiste anti-démocratie d'une rare stupidité.  Je vous trouve, sincèrement, vraiment imbéciles, surtout que vos communiqués ne disent jamais ce que vous voulez comme système de pouvoir qui remplacerait ladite démocratie.  À un moindre degré, certains anarchistes vont parfois faire des erreurs similaires, sauf que les mouvements anarchistes nomment de plus en plus clairement la démocratie qu'ils/elles proposent à la place.

Juger que les Égyptien.nes se sont fait avoir, comme s'ils/elles ne le savaient pas déjà depuis longtemps, mais sans réellement proposer explicitement un système politique alternatif, c'est un peu facile.

Michaël Lessard [me contacter]


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Sujet: 
Sur la perspective communiste et la « démocratie »
Auteur-e: 
Vieux Sympathis...
Date: 
Ven, 2011-10-28 08:37

Dire que les Egyptiens ont compris qu'ils se sont fait flouer est aller un peu vite en besogne ; cela signifierait qu'ils auraient compris ou seraient en train de comprendre que, vu qu'ils n'ont pas touché aux rapports de production ni abattu l'Etat, il ne peut y avoir de changement réel de régime. Ils n'en sont pas là, et de loin ! Les Egyptiens ne peuvent que constater que le régime qu'ils affrontent actuellement n'est pas plus « démocratique » que l'ancien ; malheureusement ça ne suffit pas. C'est le prolétariat d'Europe qui leur montrera la voie à suivre, parce qu'il est plus concentré, plus expérimenté, et qu'il fait face à la forme la plus pernicieuse du pouvoir capitaliste, la démocratie, avec ses partis de Gauche et ses syndicats.

Par ailleurs, je pense qu'aucun groupe ne développe la totalité de ce pour quoi il se bat dans chacun de ses articles. Le CCI du reste a écrit sur ce point un certain nombre de textes, par exemple : http://fr.internationalism.org/series/219

En quoi la dénonciation de la démocratie serait stupide, M. Lessard ne nous l'explique pas. Les groupes communistes du passé ont montré que la démocratie doit être abattue comme système politique, qu'elle a toujours été un système transitoire propre à une société de classe à un certain niveau de développement. Mais peut-être M. Lessard pense-t-il qu'il existe une « véritable » démocratie qui serait réellement un « pouvoir du peuple »?…

Dans ce cas, il faut mettre quelques petites choses au point : le communisme n'est absolument pas une « vraie » démocratie. Le principe « un homme, une voix » qui est la définition de la démocratie n'a jamais été utilisé que comme un pis-aller par la classe ouvrière car il est la sanction d'un fait, l'opposition d'intérêts qui existe dans la société de classes ; la démocratie est donc vouée à disparaître après la révolution, et du reste, la Révolution russe tant qu'elle a été vivante ne l'a jamais utilisé : dans les soviets, une voix d'ouvrier valait quatre voix de paysan.

C'est d'ailleurs un point de divergence entre communisme et anarchisme.


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Sujet: 
Re: Sur la perspective communiste et la « démocratie »
Auteur-e: 
Michael Lessard...
Date: 
Ven, 2011-10-28 14:20

Tout d'abord, je dois m'excuser sur un point: il est vrai que le CCI a, il me semble, exprimé ailleurs ce qu'il propose. Je réagis avec une certaine arrogance volontaire à une accumulation de ce type de messages un peu arrogants il faut le dire (on sous-estime l'intelligence et les réflexions de gens dans les pays arabes je trouve) et peu communicatifs...

J'estime idiot ce type de « communication » —qui n'en est pas vraiment une au sens réel du mot communication, car celle-ci implique un désir que l'autre comprenne de quoi nous parlons— qui dit aux peuples « Cessez de croire en la souveraineté potentielle du peuple » et ne tentez pas d'avancer à une véritable démocratie... mais sans que le texte mentionne moindrement l'alternative politique.  Quand je lis des textes de gauche (peu importe la tendance) qui se veulent en théorie une communication générale, mais qui ne s'adresse pas réellement aux gens en général, oui je trouve ça idiot.

Il est 100 % certain, sans l'ombre d'un doute, que les gens ne vont jamais suivre un mouvement qui ne propose pas clairement une alternative au problème politique (qui ne doit pas être un espace vide que des hommes de pouvoir et violents vont aussitôt combler). Que ce soit un mouvement anarchiste, communiste, socialiste ou autre, si vous n'avez pas une solution à proposer à la question du pouvoir à laquelle les gens pourraient adhérer, ce mouvement est alors 100 % certain de ne jamais voir son rêve se réaliser ; on peut alors se demander quels sont les objectifs inconscients d'un tel mouvement.

Les mouvements qui proposent des pistes de solution suscitent nécessairement une participation de la part des gens. C'est le cas de certains projets concrets anarchistes, du monde des coopératives ou encore de Québec solidaire. C'est incomplet et ne répond pas tout à fait au problème du pouvoir, mais il y a une tentative de résorber les problèmes de pouvoir et d'injustice qui suscite le respect des gens et de l'espoir.

Michaël Lessard [me contacter]

EDIT: j'ai incroyablement oublié de mentionner l'autre aspect crucial sans quoi les gens ne vont pas, et avec justesse, participer ni appuyer des mouvements de gauche : il faut aussi répondre aux besoins essentiels.  Personne ne veut placer ses enfants en situation de misère et de chaos.  L'économie n'étant pas du tout le capitalisme, il faut répondre au problème du pouvoir et offrir une économie viable, coopérative-démocratique et solidaire.


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Sujet: 
Sur la perspective communiste et la « démocratie »
Auteur-e: 
Vieux Sympathis...
Date: 
Sam, 2011-10-29 02:54

Je crois que la critique de M. Lessard au CCI était juste sur la forme, il n'y a pas d'alternative très lisible dans le texte. Quant au ton de ce texte et de certains autres, il est tout aussi critiquable que le fond ; mais la question de la démocratie posée par lui ne va pas d'après moi dans le bon sens.

La démocratie détermine une délégation de pouvoir à des professionnels de la politique, évidemment ceux disposant des relais médiatiques de la classe dominante. Lénine disait déjà à son époque que « parler de liberté d'expression alors que les meilleurs journaux, les meilleures imprimeries, les meilleurs typographes sont aux mains de la bourgeoisie, c'est une phrase creuse ». À notre époque il en va de même : la démocratie est condamnée à être contrôlée par la bourgeoisie. Elle est donc totalement un leurre.

L'alternative, c'est l'organisation des masses elles-mêmes, indépendamment des organisations démocratiques et syndicales, sur la base de la discussion la plus large et collective possible pour ne pas se laisser déposséder du mouvement. C'est en cela que les divers mouvements des Indignés, quand ils ont été massifs, ont été importants ; c'est pour cela que la convergence des grévistes en Egypte vers la symbolique Place Tahrir est importante aussi : il va y avoir des discussions, des échanges d'expériences. C'est la force de la classe ouvrière qui va pouvoir s'exprimer. Et c'est ça qui fera reculer la bourgeoisie, en Egypte comme ailleurs. Le mouvement des étudiants en France en 2006 l'avait montré dans un contexte tout-à-fait différent : la bourgeoisie recule face à la généralisation d'un mouvement.

Quant à la question du pouvoir, elle est présente mais pour l'instant elle fait peur. C'est en partie parce que dans la classe ouvrière se fraie l'idée que cette question est à terme incontournable…


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