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Syrie - Tant de morts, tant d’illusions qui seront fracassées

mihelich, Jeudi, Juin 23, 2011 - 09:50

Richard St-Pierre pour le Groupe internationaliste ouvrier

Un commentaire de la Tendance communiste internationaliste

La révolte

Depuis le mois de février, la Syrie est la scène de tueries massives. Plus de 1300 personnes, y inclues des jeunes enfants, ont été tuées (comparées à 800 morts avant que l’armée ne destitue Moubarak en Égypte) et au moment où nous écrivons ces lignes, 70 personnes l’ont été à Hamah et dans d’autres villes après un autre vendredi de manifestations. La réponse de la «communauté internationale» est notable par sa faiblesse. Depuis des décennies, les États-Unis accusent la Syrie d’être un «État promoteur du terrorisme» et ce pays vit déjà sous la coupe de sanctions, mais il n’y a eu aucun appel des États-Unis exigeant la fin du régime de Bachar el-Assad. Fait révélateur, aucune résolution des Nations-Unies contre la Syrie n’a été présentée, il n’y a pas eu de tentative d’intervenir militairement comme en Lybie et Obama et les autres chefs d’État s’en sont tenus à de faibles condamnations verbales. Il est évident que la tragédie des manifestants syriens est qu’il n’y a pas de pétrodollars ou de réserves de pétrole en cause. Il est aussi évident que l’Occident et Israël n’accueilleraient pas favorablement un «changement de régime» en Syrie car cela mènerait à encore plus de tourmente qu’auparavant au Moyen-Orient. Le régime Assad, soutenu par ses alliés impérialistes en Iran (qui lui ont envoyé des spécialistes des affrontements de rue – une question sur laquelle ils ont une longue expérience), en Russie et en Chine, s’est vu donné carte blanche pour supprimer brutalement toutes les manifestations depuis le début du mouvement.

Février n’est pas un mois heureux dans l’histoire récente de la Syrie. C’est durant ce mois qu’en 1982, les Frères musulmans organisèrent un soulèvement de 5000 hommes armés dans la ville de Hamah contre le président de l’époque et le père du dirigeant actuel, Hafez el-Assad. L’armée entoura alors la ville, coupa l’eau, l’électricité et les lignes de communication, puis se mit à la bombarder. Personne ne put s’échapper et on rapporte que même des personnes appuyant le régime furent exécutées par l’armée. On croit que jusqu’à 25 000 personnes ont pu périr dans le massacre. Le message était clair et il fut compris. Toute résistance serait réprimée sans merci. Depuis lors, jusqu’au mois de février 2011, il n’y a eu que quelques voix d’intellectuels pour mettre en cause la corruption du régime et la stagnation de l’économie. Le soulèvement actuel dans plusieurs villes a commencé lorsque la police a arrêté deux adolescents pour avoir fait des graffitis anti-régime dans la ville de Deraa.

Cependant, l’inspiration des «soulèvements actuels» provient sans aucun doute de l’exemple de la Tunisie, de l’Égypte et d’ailleurs dans le monde arabe. Comme ailleurs, les gens qui participent au mouvement sont principalement des jeunes, des sans-emploi, des précaires ainsi que des éléments de la petite bourgeoisie qui ont reçu une formation universitaire, mais dont au moins 20% n’ont pas de travail. Comme leurs homologues ailleurs (y inclus dans les pays capitalistes plus riches), ils n’ont pas d’espoir d’avenir. Se marier ou se trouver un travail salarié rémunérateur leur semble hors de portée et la majorité doit vivre chez leurs parents. La classe ouvrière industrielle dans son ensemble ne les a pas encore rejoints sur une base de classe, sauf de façon individuelle lors des manifestations. Comme avec les autres révoltes du «Printemps arabe», les principales revendications sont la fin du règne actuel des castes dominantes et l’introduction de la «démocratie». Ils exigent que soit révoqué l’article 8 de la Constitution qui désigne le «Parti Baas arabe socialiste» comme direction de l’État au côté d’un vague «front nationaliste et progressiste» et que le régime Assad soit renversé. Le mot d’ordre dominant dans toutes les manifestations a été de tout simplement mettre fin à ce régime. Cependant, la révolte n’a pas la même cohésion qu’en Tunisie et en Égypte et pour l’instant, il n’est que l’addition de mouvements séparés dans telle ville ou dans tel village.

Quelques données sur ses origines

À première vue, il semble que le régime soit dans une situation périlleuse. Il faut dire qu’il est basé uniquement sur la minorité musulmane arabe des nusayrîs (1) qui adoptèrent le nom d’alaouites sur l’insistance des colonialistes français qui en firent la promotion après 1919. La France avait reçu le «mandat» de diriger la Syrie et le Liban, tous deux arrachés aux Ottomans par le traité de Sèvres à la fin de la Première Guerre mondiale. Le mandat devait s’étendre jusqu’au jour où les Syriens (qui n’avait jamais existé en tant que nation) soient «capables de se gouverner eux-mêmes», selon l’expression condescendante des cercles impérialistes de l’époque. Les alaouites sont une secte musulmane bizarre (aucune condamnation de l’alcool et la non-observance de plusieurs des dogmes du culte musulman – comme ne pas fréquenter les mosquées et faire prière aux saints chrétiens - sont parmi les plus non-orthodoxes). On les appelle souvent à tort des chiites car ils professent aussi leur allégeance à Ali, le quatrième calife révéré par tous les chiites, mais en Syrie ils sont moins de 7% de la population (personne ne le sait exactement car les recensements syriens évitent la question des dénominations religieuses), dans un pays constitué de plusieurs minorités laïques et religieuses, dont les Kurdes, les musulmans druzes et les chrétiens, mais avec une énorme majorité sunnite estimée à 75%. Sous la domination française, les alaouites et les autres minorités ont eu droit à des subventions, des droits légaux et des impôts inférieurs à leurs voisins sunnites alors qu’ils furent promus pour contrebalancer l’influence ottomane. Ils développèrent particulièrement leur influence dans l’armée. Comme les Alaouites étaient surtout des paysans, ils trouvèrent dans l’armée un levier utile de mobilité sociale et puisqu’après 1946, date de l’indépendance du pays, ils ne pouvaient pas payer la taxe d’exemption, plus d’alaouites se retrouvèrent à tous les niveaux de l’armée que leur nombre dans la société ne l’aurait justifié. Ce fut une réalité que les sunnites, qui dominaient à nouveau la Syrie après l’expiration du mandat français, ont négligé de prendre en compte. Ils ont éliminé les alaouites du gouvernement et du service public, mais pas de l’armée. Les alaouites (qui sont eux-mêmes divisés en quatre clans rivaux) ont trouvé un outil d’unification dans le Parti Baas (le mot veut dire renaissance) fondé en 1947. Avec son idéologie laïque et «socialiste arabe», il divisa les sunnites mais plut aux alaouites. Il ne mit pas fin à leurs divisions mais devint le véhicule par lequel ils prirent le pouvoir. Suite à une série de coups d’État militaires, le Parti Baas prit le pouvoir en 1963, puis en 1970 le coup d’État sans effusion de sang du ministre de la Défense d’alors, Hafez el-Assad (père du président actuel Bachar el-Assad), institua non seulement le pouvoir baasiste, mais unifia aussi les clans alaouites. C’est le fondement sur lequel le régime s’est établit, en accordant des faveurs aux autres minorités religieuses et à des sunnites triés sur le volet, dans le but de maintenir des assises politiques suffisantes.

Le régime a subi plusieurs crises (l’assassinat du président libanais Rafiq Hariri et le retrait syrien subséquent du Liban en 2005, le massacre de Hamah mentionné plus haut, etc.), mais la crise la plus importante que le régime ait connue a été le décès d’Hafez el-Assad en 2000. Cela mena à l’accession au pouvoir de son fils, l’ophtalmologue Bachar el-Assad. Bachar a du abandonner sa carrière de choix lorsque Bassel, son frère ainé décéda en 1994. Il est alors précipitamment promu dans l’armée où il atteindra rapidement le rang de colonel. Lorsque son père est décédé, la constitution fut amendée (il était âgé de 34 ans, auparavant on devait avoir au moins 40 ans pour devenir président)) pour lui permettre de prendre la place. Tout cela pour que la vieille garde baasiste, l’élite alaouite et surtout la famille Assad puisse continuer à maintenir son contrôle. Alors que ses oncles, ses cousins et son plus jeune frère s’occupent des services de sécurité militaires, les affaires sont dominées par la famille de sa mère, les Makhloufs (à tel point qu’on appelle souvent ironiquement la Syrie, le «Mahkloufistan»). Il va de soi que la corruption opère comme elle le faisait en Tunisie et en Égypte à tous les niveaux de l’État et que les renseignements militaires sont omniprésents.

Djisr el-Choghour

Comme la Syrie ne manque pas d’appuis internationaux (contrairement à Kadhafi), le régime Assad n’est pas dans une situation aussi désespérée. Sa faiblesse peut être que les troupes d’élite de l’armée syrienne comportent 200 000 alaouites, mais que les 300 000 conscrits sont sunnites. Pendant l’actuelle campagne de répression, les principales forces impliquées ont été les soldats issus des rangs des autres minorités (Kurdes, Druzes, etc.) (2), mais la situation à Djisr el-Choghour laisse croire que les premières fissures dans l’unité de l’armée commencent à apparaître. L’information est peu abondante et non vérifiée, mais alors que le gouvernement affirme que 120 membres de ses forces de sécurité furent tués, il y a des indications qui laissent penser que ceux-ci étaient révoltés par les actions du gouvernement. Cela ne peut pas encore être confirmé, mais la prochaine phase du massacre est déjà en préparation. Au moment où nous écrivons ces lignes, 30 000 soldats gouvernementaux ont encerclé la ville et ont brûlé les récoltes dans les champs qui l’entourent. Tous ceux qui le peuvent ont fui, soit en Turquie où le Croissant rouge a établi des camps (pour lesquels l’armée turque refuse l’accès à la presse internationale), soit dans des villes côtières syriennes. Certains affirment que c’est déjà une ville-fantôme que seuls les plus pauvres n’ont pu fuir. L’eau et l’électricité ont été coupées en prévision de l’assaut des troupes gouvernementales. Tout rappelle Hamah en 1982.

Jusqu’à maintenant, il s’agit d’une situation où un mouvement civil principalement désarmé revendique des «droits démocratiques» tandis que le monde «démocratique» observe ce qui se passe sans lever le petit doigt. Cela démontre non seulement la bestialité du régime Assad, mais aussi la banqueroute du système décadent qu’est le capitalisme moderne. La tragédie est que ces populations, comme celles du reste du monde arabe qui manifestent et meurent au nom de la «démocratie» devront apprendre à leur dépens et à grand prix que le culte de la démocratie capitaliste est le meilleur moyen de poursuivre leur exploitation effrénée (quoique sous des oripeaux moins barbares). Personne ne peut les persuader du contraire. Ils devront l’apprendre par leur propre expérience douloureuse – c'est-à-dire, si on le leur permet…

Jock

(1)D’Ibn Nusayr, le fondateur de la secte au IXe siècle.
(2)Cependant les rapports sont contradictoires. Puisque les journalistes étrangers n’ont pas accès au pays, plusieurs de leurs commentaires factuels peuvent être mis en doute. Certains rapportent que l’essentiel de la répression a été commis par la Quatrième Division blindée, menée par le frère cadet du président, Maher.



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