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Les étapes de la formation du parti unique de la bourgeoisie canadienne

Anonyme, Lundi, Février 28, 2011 - 20:54

Le Drapeau rouge

On saura dans quelques semaines si une élection fédérale aura lieu ce printemps. Si c’est le cas, on vous annonce dès maintenant que le parti unique de la grande bourgeoisie canadienne va reprendre le pouvoir! Ses deux ailes, le Parti libéral et le Parti conservateur sont, parmi tous les partis bourgeois d’Occident et du monde impérialiste, au nombre des cinq ou six partis, tout au plus, qui ont construit les liens les plus durables, qui ont assis leur longévité sur l’implantation dans les milieux capitalistes et la défense des intérêts communs à toute la bourgeoisie, parmi les plus solides que l’on puisse trouver à travers tous les parlements bourgeois.

Traçons à grands traits les caractéristiques des trois grandes époques qui ont marqué la formation par la bourgeoisie de son parti unique.

A. De 1867 à 1921

C’est la formation de l’État canadien. Il passe d’une situation coloniale jusqu’à venir cogner aux portes du club des pays impérialistes. Ce sont plus de 50 années dont a eu besoin la bourgeoisie, à défaut d’une véritable impulsion révolutionnaire puissante, pour constituer ses deux principaux partis, les conservateurs et les libéraux, et ce, à partir de tendances politiques, religieuses, nationales et régionales éparses et contradictoires qui préexistaient à la Confédération.

Cinquante années cruciales au cours desquelles la bourgeoisie a forgé son hégémonie politique, non pas dans la démocratie, mais dans l’oppression. Pendant cette première étape, seuls les possédants jouissaient de droits électoraux. Le suffrage universel ne fut instauré qu’en 1920, avec l’adoption de l’Acte des élections fédérales (qu’avait précédé deux ans plus tôt l’attribution du droit de vote aux femmes). Et encore, il fallut attendre 1948 pour que les Canadiens d’origine asiatique puissent voter et 1960 pour les autochtones.

Entre 1867 et 1920, le droit de vote était censitaire, c’est-à-dire qu’il était basé sur la propriété d’un bien-fonds d’une valeur minimale (établie en 1867 à 400$), et capacitaire (par exemple, il pouvait s’appliquer aux religieux, aux professions libérales, aux enseignants). Les femmes, les autochtones, les ouvriers, les paysans pauvres n’avaient tout simplement pas le droit de vote.

Au début de la Confédération (1867 à 1872), on estime que 15% de la population seulement constituait l’électorat habilité à voter. En 1882, c’était moins de 20%. Puis, 22% en 1891; 25% en 1911; 30% en 1917; et à peu près 50% en 1921. Le taux de participation aux élections (plus ou moins 70% pendant toute cette période) doit au surplus être appliqué à ces électorats minoritaires pour bien saisir quelle est la part de la population qui a forgé les deux seuls partis de gouvernement dans l’histoire du Canada.

Ce fut une période cruciale pendant laquelle le Parlement et ses partis ont établi leur (fausse) légitimité auprès de toute la société, en dépit du fait qu’ils n’étaient l’émanation que d’une minorité de possédants. C’est pourtant pendant ces 50 ans que le Canada a procédé à son industrialisation, qu’il a développé ses chemins de fer, qu’il a constitué sa bourgeoisie commerçante et financière, qu’il a unifié son marché interne vers l’ouest et sur les territoires autochtones et métis, qu’il a établi de nouveaux rapports avec le capital britannique et le capital américain, qu’il a forgé ses principales institutions, etc.

B. De 1921 à la Seconde Guerre mondiale

L’enjeu est tout autre. Il s’agit littéralement de «bouffer» les autres classes, c.-à-d. d’adapter le système des partis qui s’est constitué sous la gouverne solide de la bourgeoisie, aux autres classes sociales qui commencent à se manifester sur la scène politique: la petite bourgeoisie dans l’agriculture (les fermiers) et la classe ouvrière.

Cette adaptation se fera aussi bien par l’intégration (couper court à l’autonomie) de ces classes dans les partis bourgeois, en disciplinant les leaders et les organisations des classes populaires, et en réprimant la classe ouvrière, ses luttes, ses grèves et son parti, le Parti communiste.

Rappelons l’époque. Le Canada est aux portes du monde impérialiste (en septembre 1929, dans une lettre au Parti communiste canadien, le comité exécutif de l’Internationale communiste va affirmer… que la bourgeoisie canadienne jouait un rôle impérialiste de plus en plus évident). Après la Première Guerre mondiale et la poussée révolutionnaire qui a suivi la révolution d’Octobre 1917 en Russie, la classe ouvrière canadienne s’est affirmée elle aussi dans des combats importants: grève générale de Winnipeg en 1919, création du Parti communiste canadien en 1921, luttes contre la répression, crise de 1929, grandes grèves des années 1930. Par ailleurs, au début des années 1920, les fermiers de l’Ouest et de l’Ontario constituent le Parti progressiste (qui fait élire 63 députés en 1921) et les Fermiers unis réussissent à former des gouvernements dans plusieurs provinces.

La bourgeoisie va faire face à ces défis de la façon suivante:

• Elle va laisser émerger dans le système des partis le courant de droite de la social-démocratie (le CCF au début des années 1930, suivi du NPD dans les années 1960).

• Elle va aussi laisser se disperser rapidement au milieu des années 1920 le militantisme politique des fermiers à travers ses propres partis conservateur et libéral, et éventuellement au sein du CCF dans les années 1930.

• Et elle va, troisièmement, réprimer de façon très significative le Parti communiste et les organisations révolutionnaires de la classe ouvrière. Dès septembre et novembre 1918, des décrets du conseil des ministres adoptés en vertu du War Measures Act interdisent la plupart des organisations politiques ouvrières (le Socialist Labor Party, les IWW, le Parti social-démocrate, etc.). Donc, dès sa fondation en 1921, le Parti communiste se retrouve dans l’illégalité. Il vivra légalement sous le nom de Workers Party of Canada.

Les décrets de la Loi des mesures de guerre seront annulés en 1923. En avril 1924, le Parti communiste canadien peut exister légalement. Pour quelques années à peine… En 1931, en pleine crise économique, le gouvernement de R.B. Bennett, au moyen de l’article 98 du Code criminel décrète le parti «association illégale». En août 1931, neuf dirigeants du PC sont arrêtés. Huit subiront un procès pour association illégale et conspiration séditieuse. Pendant qu’il est en prison à Kingston, Tim Buck, le chef du parti, est victime d’une tentative de meurtre.

En juin 1936, le nouveau gouvernement de Mackenzie King abroge l’article 98. Mais tout de suite après, en mars 1937, le gouvernement nationaliste de Maurice Duplessis à Québec fait voter la Loi contre la propagande communiste dans la province de Québec (dite «Loi du cadenas»).

En septembre 1939, c’est à nouveau la promulgation de la Loi des mesures de guerre. Toutes les publications et toutes les organisations du PC sont soumises à la répression. Le 6 juin 1940, le Parti communiste et 15 autres organisations sont officiellement interdits.

Toute cette deuxième période montre bien que pour la bourgeoisie canadienne, l’apparition et la persistance d’un flanc gauche dans son système de partis, dans son Parlement, constitué de sociaux-démocrates, d’humanistes religieux, d’agriculteurs et de petits-bourgeois intellectuels, est une chose acceptable, fort utile même. Plus son caractère impérialiste s’accroît, plus ce socialisme bourgeois ou légal devient compatible avec la situation avantageuse de la bourgeoisie.

Par contre, l’action révolutionnaire du Parti communiste dans les années 1920 et 1930, ses combats et ses succès, ont constitué à l’inverse un fait inacceptable pour la bourgeoisie, entraînant une répression systématique.

À mesure que le révisionnisme va progresser et s’installer dans le PC, celui-ci va répondre à sa quasi-exclusion de la démocratie bourgeoise par l’État en se pliant aux diktats de la bourgeoisie et en confinant son horizon politique à celui du parlementarisme organique.

C. De l’après-guerre à maintenant

La bourgeoisie a pu profiter de la situation favorable dans laquelle elle s’est retrouvée après la guerre pour renforcer la position de ses partis. C’est la période d’or du parti unique de la bourgeoisie. Et cela n’est en rien contradictoire avec l’alternance (inégale et irrégulière) des libéraux et des conservateurs canadiens au gouvernement, de Louis St-Laurent (libéral) à John Diefenbaker (conservateur), de Pearson-Trudeau à Mulroney, de Chrétien-Martin à Harper…

C’est en premier lieu le parlementarisme comme institution, nappé de cette fausse prétention d’être une institution produite par la société dans son ensemble, par toutes les classes et tous les groupes, qui constitue le parti unique.

C’est aussi en second lieu le fait que les partis de gouvernement défendent des intérêts quasi identiques et gouvernent en conformité avec une même ligne générale, ligne qui se déplace dans le temps et selon les conjonctures davantage que d’un parti à l’autre.

C’est en troisième lieu le rabattage incessant qu’effectuent vers le Parlement des mouvements électoralistes plus secondaires ou marginaux (sociaux-démocrates, écologistes, socialistes, etc.), contribuant ainsi à ramener des forces fraîches dont ne peut se passer aucun Parlement bourgeois.

C’est tout cela qui constitue le parti unique actuel, un des actifs les plus puissants pour la bourgeoisie, mais en même temps, par son propre succès, un facteur qui accroît la coupure entre le Parlement et les masses laborieuses.

L’organisateur libéral tout puissant des années 1960 et 1970, Keith Davey, a un peu résumé cette période d’or du Parlement. Ce qu’il dit à propos du Parti libéral s’applique en vérité au parlementarisme bourgeois dans son ensemble, y compris pour le caractère retors de l’institution: «Nous avons réussi, dans une certaine mesure, à amener les villes à penser que nous sommes pour elles et la campagne que nous sommes pour elle, et même à être à la fois le parti des ouvriers et du monde des affaires – ç’a été un joli tour.»

Ainsi en est-il de la vie politique dans ce pays qu’on nous présente comme l’un des plus «avancés» sur la voie de la démocratie.

C’est contre cette illusion que s’inscrira la prochaine campagne de boycott de l’élection fédérale, que les révolutionnaires du PCR mèneront avec d’autres camarades qui rejettent eux et elles aussi le parlementarisme bourgeois décrépi.


(Adapté d’un article paru dans Le Drapeau rouge nº 49, juin 2004)

Lire également: «Boycottons les élections!»

ledrapeaurouge.ca


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