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Sur le lynchage de Saddam Hussein

Eric Smith, Samedi, Janvier 13, 2007 - 21:10

Arsenal-express

- Un éditorial du Service de presse du magazine A World to Win

(Le 8 janvier 2007) De toute évidence, la pendaison de Saddam Hussein n'aura rien eu à voir avec la justice: ce ne fut en effet qu'un lynchage pur et simple. En dernière analyse, on peut dire que c'est le président des États-Unis lui-même qui l'a commis -- un président connu pour son amour de la peine capitale, qui se prend en outre pour un élu divin et qui est déjà responsable de la mort de centaines de milliers d'Irakiennes et d'Irakiens.

La constitution islamique actuellement en vigueur en Irak interdit toute exécution pendant la Fête du sacrifice: néanmoins, Saddam a été mis à mort le jour même où les sunnites célébraient le début de ce rite religieux (pour les chiites, la Fête du sacrifice commençait seulement le lendemain). Cette véritable provocation, sans doute destinée à aggraver la situation de guerre civile que l'Irak subit, visait en outre à faire passer clairement ce message: à savoir que désormais, ce sont les chiites qui mènent le pays. Les railleries à caractère religieux et les gestes d'humiliation auxquels les bourreaux se sont livrés à l'encontre de leur victime semblaient tout droit sortis du manuel de procédures de la prison de Guantanamo. La mise en scène macabre à laquelle le monde entier a assisté est on ne peut plus représentative de ce que l'Irak est devenu sous la botte des Américains.

Aux États-Unis, en Israël et en Iran, la pendaison de Saddam fut accueillie par des réjouissances non contenues. Il est plutôt ironique de constater que les éditoriaux qui ont été publiés dans la presse officielle iranienne au lendemain de l'exécution auraient pu être traduits et repris tels quels dans les médias les plus farouchement favorables au président Bush aux États-Unis, sans que personne ne s'en formalise (et vice-versa). Ce n'est que quelques jours après l'exécution, quand les clips du "carnaval de la potence" tournés à l'aide d'un téléphone cellulaire ont commencé à circuler et à susciter l'indignation de l'opinion mondiale, que les gouvernements américain et britannique ont commencé à nuancer leur point de vue et à réfréner leur enthousiasme. Le premier ministre irakien Nouri Al-Maliki -- pourtant appointé par les États-Unis -- fut alors blâmé pour ce que George W. Bush a fini par qualifier de spectacle "indigne".

Mais même si l'exécution s'était déroulée plus "dignement" (sic) ou si on l'avait retardée de quelques jours, sa signification politique n'en aurait pas moins été tout aussi réactionnaire.

Saddam Hussein a été tenu responsable de la mort de 148 villageois, hommes et garçons, dont il avait ordonné l'exécution en représailles à une tentative d'assassinat dont il avait été lui-même victime à l'instigation du parti Dawa (le parti de l'actuel premier ministre). Les États-Unis voulaient que Saddam soit exécuté pour ce crime, très précisément. Ils souhaitaient ainsi que cela mette un terme, ou à tout le moins que cela jette de l'ombre sur le deuxième procès de l'ex-président, qui venait de débuter. Ce procès porte sur la fameuse opération Anfal, lors de laquelle les forces armées de Saddam ont tué entre 100 000 et 200 000 Kurdes en Irak. C'est l'Allemagne qui avait alors fourni les gaz toxiques utilisés par l'armée irakienne. À l'époque, les États-Unis, qui soutenaient Saddam inconditionnellement, avaient tout fait pour étouffer l'affaire sur la scène internationale, allant même jusqu'à empêcher une éventuelle intervention de la part des Nations unies. Si Saddam était resté en vie, peut-être aurait-il pu appeler son ancien allié Donald Rumsfeld en défense, afin qu'il témoigne à propos de cette fameuse rencontre où on l'avait surpris en train de serrer la main de Saddam...

Selon le journaliste britannique Robert Fisk, lors des séances préliminaires de ce deuxième procès auxquelles il a pu assister avant son exécution, on a d'ailleurs "formellement interdit à Saddam Hussein de faire état de ses relations avec Donald Rumsfeld, ou encore du soutien qu'il a reçu de la part de George Bush père" (The Independent, 06/11/2006). Les États-Unis ne souhaitaient certainement pas que Saddam soit exécuté pour le massacre des Kurdes, ne serait-ce que parce qu'il s'agit là d'une spécialité à laquelle se consacrent depuis déjà bien longtemps leurs amis généraux qui gouvernent toujours la Turquie.

Quant au troisième procès auquel Saddam devait faire face, les États-Unis y auront trouvé une autre bonne raison de se réjouir de sa disparition prématurée. Saddam devait y être accusé du massacre de la population d'origine arabe qui s'était soulevée contre son régime à la veille de l'invasion américaine de 1991. Alors que l'aviation américaine n'avait pourtant pas hésité à massacrer les troupes de Saddam en déroute qui avaient déposé les armes sous les bombardements, les États-Unis avaient délibérément choisi de laisser les forces irakiennes régler leur compte aux insurgés qui s'en étaient pris au régime baasiste. Cette complicité évidente aurait pu soulever des questions embarrassantes lors du procès.

En outre, Saddam Hussein a commis bien d'autres crimes pour lesquels les États-Unis n'ont jamais eu l'intention de le traduire en justice. Ainsi, dans la nuit qui a suivi le coup d'État ayant porté le parti Baas au pouvoir, de 3 000 à 5 000 communistes, militants de gauche et nationalistes révolutionnaires ont été capturés à partir d'une liste soigneusement confectionnée par la CIA, avant d'être massacrés par le nouveau régime (voir l'ouvrage de Larry Everest qui fait état de ces événements, Oil, Power and Empire, publié chez Common Courage Press). On pourrait également parler de ce qui est sans doute le plus important crime jamais commis par Saddam, toujours sous les encouragements des États-Unis: à savoir l'invasion de l'Iran, suite à laquelle plus d'un million de personnes ont perdu la vie. La guerre mettant aux prises les régimes réactionnaires irakien et iranien a été alimentée du début jusqu'à la fin par les États-Unis. Ceux-ci ont alors considéré que les gestes posés par Saddam étaient acceptables, dans la mesure où cela servait leurs intérêts.

Les États-Unis n'ont pu invoquer aucun fondement légal pour procéder à la mise en accusation de leur ancien allié. D'une part, l'occupation américaine en Irak est en soi illégale. D'autre part, en vertu du droit international, les forces qui occupent un autre pays n'ont pas le droit d'y établir un tribunal d'exception: c'est pourtant précisément ce que les États-Unis ont fait. Le parlement irakien s'est même senti obligé d'adopter une loi décrétant que le procès relevait de ses propres prérogatives, rétroactivement, plusieurs jours après que les procédures eurent déjà été entamées! Tout au long de l'instance, l'ambassade américaine n'a jamais cessé de transmettre ses directives aux juges qui l'ont présidée. Le procès s'est déroulé dans la fameuse "zone verte", qui est en fait une forteresse américaine dans laquelle les citoyens et citoyennes d'Irak ne peuvent pénétrer. En outre, tous les frais du procès ont été assumés par les États-Unis.

Une des principales raisons pour lesquelles les États-Unis ont insisté pour que Saddam soit jugé rapidement devant un tribunal d'apparence irakienne tient à leur opposition de principe à l'existence du Tribunal pénal international, dont le siège se trouve à La Haye. Les porte-parole de l'administration Bush ont dû admettre que si les États-Unis reconnaissaient la compétence de ce tribunal en matière de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, le principal survivant parmi ceux qui ont mené la guerre au Vietnam, Henry Kissinger, ainsi que d'autres figures importantes parmi celles qui commandent actuellement l'armée américaine -- voire le président Bush lui-même -- pourraient devoir faire face à la justice.

Lorsque le tribunal "irakien" a finalement condamné Saddam au mois de novembre, George W. Bush a déclaré que le procès auquel son ancien allié a été soumis représentait "un jalon dans les efforts du peuple irakien pour remplacer le règne d'un tyran par l'autorité de la loi". La réalité, c'est que c'est tout le contraire qui s'est produit:

- Pas moins de trois avocats chargés d'assurer la défense de Saddam ont été kidnappés au cours de l'instance, avant d'être carrément assassinés. Un quatrième a survécu de justesse à une tentative de meurtre. Bien que membre en bonne et due forme de l'équipe de défense de Saddam, l'ancien ministre de la Justice du gouvernement américain Ramsey Clark s'est vu refuser le droit de séjour en Irak pour la majeure partie du procès. Il s'est fait carrément bouter hors du tribunal par les gardes de sécurité après qu'il eut présenté une requête dans laquelle il avait osé qualifier le procès de "parodie de justice".

- Les États-Unis ont littéralement "magasiné" le juge de leur choix: le premier juge ayant été appointé à titre de président du tribunal a d'abord démissionné, après avoir constaté qu'il n'avait pas un mot à dire sur ce qui se passait à l'intérieur de sa propre salle d'audience. Jugé trop "mou" par les Américains parce qu'il a autorisé Saddam à prendre la parole pour sa défense, son successeur s'est ensuite vu reprocher d'avoir déjà été membre du parti Baas, et il fut prestement écarté de l'affaire. Quant au troisième et dernier juge, dont les États-Unis se sont enfin satisfaits, il s'est avéré que des membres de sa propre famille avaient été personnellement victimes de Saddam, précisément dans l'un des massacres dont il était accusé! Étrangement, au lieu d'emporter sa récusation, cela fut considéré comme un facteur ajoutant à sa compétence.

Le procès de Saddam fut tout sauf une procédure légale et conforme à la primauté du droit; ce fut pour l'essentiel une sorte de règlement de compte entre bandits en brouille. C'est bien la force brute des armes qui y a prévalu, et certainement pas "le droit et la justice". Après la mort de centaines de milliers d'Irakiennes et d'Irakiens résultant de l'invasion qu'ils ont commise et de l'occupation qu'ils poursuivent; après le massacre de la population civile à Fallouja et les révélations sur ce qui s'est produit à la prison d'Abu Ghraib, l'idée même que les États-Unis puissent donner quelque leçon que ce soit en matière de justice ne peut être vue que comme une sinistre blague. "L'Opération Libération de l'Irak" a remplacé la tyrannie de Saddam par une tyrannie encore plus grande et brutale: celle de la domination directe de l'impérialisme US.

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L'exécution de Saddam largement dénoncée au Népal

Alors que les dirigeants des pays européens qui se targuent d'avoir banni la peine de mort n'ont dénoncé que du bout des lèvres la pendaison de Saddam, le premier ministre du Népal, G.P. Koirala, a déclaré qu'il s'agissait là "d'un geste contraire à la civilisation humaine". Au même moment, des manifestations ont éclaté un peu partout au Népal pour dénoncer l'exécution de l'ex-président irakien, notamment à Katmandou, Biratnagar, Pokhara et Butwal. Dans un communiqué, le porte-parole du Parti communiste du Népal (maoïste), Krishna Bahadur Mahara, a déclaré ce qui suit: "L'exécution de Saddam par le gouvernement irakien fantoche et orchestrée par l'administration Bush, représente non seulement une grave violation des droits de la personne, mais elle constitue un exemple éclatant du double standard des États-Unis en cette matière".

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Article paru dans Arsenal-express, nº 126, le 14 janvier 2007.

Arsenal-express est une liste de nouvelles du Parti communiste révolutionnaire (comités d'organisation).

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