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Bolivie - Etats des lieux

Anonyme, Mercredi, Octobre 4, 2006 - 11:25

Yves Remmords

A l’aube d’une refonte totale de l’état, Morales, le président indigène vers lequel se tourne tous les regards de l’Amérique latine saura t-il être à la hauteur, ou assiste-t-on une fois de plus au lancement d’un pétard mouillé ? Etat des lieux.

L’Antagonisme dogmatique

Dans son discours d’investiture du 22 janvier 2006, Evo Morales se définissait comme le successeur de « Manco Inca, Tupaj Katari, Tupac Amaru, Bartolina Sisa, Zarate Villca, Atihuaiqui Tumpa, Andres Ibanez, Che Guevara, Marcelo Quiroga Santa Cruz, Luis Espinal […] tombés pour la lutte pour la liberté dans toute l’Amérique Latine. […] Gloire aux martyres de la libération ! » (4) On ne présente plus Che Guevara, mais attachons nous à l’un des personnages :

« En 1781, Tupac Amaru assiégeait Cusco. Ce métis cacique, descendant direct des empereurs incas prit la tête d’un mouvement messianique et révolutionnaire de grande envergure. La révolte éclata dans la province de Tinta. Monté sur son cheval blanc, Tupac Amaru entra dans la place de Tungasuca au son des tambours. […] Quelques jours plus tard, Tupac Amaru promulgua un nouvel édit qui rendait aux esclaves la liberté. Il abolit les impôts et la « répartition » de la main-d’œuvre indigène sous toutes ses formes. Par milliers, les autochtones venaient grossir les rangs du « père de tous les pauvres, de tous les misérables et déshérités »
Evidemment les intérêts en place réagirent violemment.
« Tupac fut supplicié, avec sa femme, ses enfants et ses principaux partisans. […] On lui coupa la langue, On lui attacha bras et jambes à quatre chevaux pour l’écarteler, mais le corps ne se déchira pas. On le décapita au pied du gibet. On envoya sa tête à Tinta, l’un de ses bras à Tungasuca […]. On brûla ce qui restait de lui et on jeta ses cendres dans l’Huatanay. Il fut ordonné que toute sa descendance, jusqu’au quatrième degré, serait exterminé. » (1) On souhaite à Evo Morales une meilleure destiné.

Ainsi, Morales appartient à une famille politique qui a une longue tradition de lutte contre l’oppression libérale, et fait dans son discours d’investiture, mention à 7 reprises des « 500 ans » d’exploitation colonialiste de la population et de mis à sac des ressources naturelles de la Bolivie. L’ethnie aymara dont il est issu, localisée sur l’Altiplano dans la région de La Paz et du Lac Titicaca, a conservé sa langue et des bribes de sa religion a travers des rites secrets ou des rituels chrétiens détournés. Le témoignage en 1833 d’une fervente catholique nous apprend que « La religion catholique dans les temps de la plus profonde ignorance, n’a jamais exposé au grand jour d’aussi indécentes bouffonneries, des parades plus scandaleusement impies. » (5) ce qui lui semble impie n’est alors que le syncrétisme de 2 religions. Les conquêtes espagnoles ont apportée la ruine d’un empire, l’esclavage et la déroute de tout un univers cosmogonique et religieux, ainsi « L’Evangélisation signifie pour les indiens en premier lieu une agression » (6). Pas étonnant que les mouvements populaires indigènes se reconnaissent en la laïcité des idées marxistes, y voyant l’aboutissement du refus colonial, incluant en un seul dogme le refus de la soumission physique, économique et spirituel.

Dans cet optique Morales a convoqué l’Assemblée constituante pour la refonte totale du pays en une nation socialiste solidaire et laïc. Il est à noter que Morales ne veux pas détruire l’église, il n’en a de toute façon pas les moyens, il prône la liberté de culte, mais déclare "Quelques pontifes de l’Église Catholique agissent comme dans les temps de l’Inquisition. Nous sommes catholiques et il va se respecter le catholicisme, mais ils doivent comprendre la liberté de culte, il va se respecter la religion mais ils ne peuvent continuer avec leur ostentation de pouvoir". On peut lire sur les murs d’un café à La Paz « Le temps est venu d’un état laïc » et durant une semaine des barrages routiers ont empêchés les véhicules de desservir Copacabana car les campesinos (paysans de l’Altiplano) revendiquaient l’hospice de Copacabana gérée par l’Ordre de Saint François et déclaré appartenant au patrimoine national. Ainsi Morales, et son parti le Mouvement Social (MAS) entretiennent et baignent dans le souvenir de la période coloniale où « les Indiens [sont] poussés au suicide par désespoir et pour échapper aux mauvais traitements : les uns se pendent ; certains se laissent mourir de faim ; d’autres absorbent des herbes vénéneuses ; les femmes enfin tuent leurs enfants à leur naissance, pour les libérer des tourments dont elles souffrent. » (6)

D’un autre coté, les terres basses et amazoniennes, les anciennes régions de l’Oriente, (le gouvernement Morales a récemment effectué un nouveau partage administratif géographique) que sont le Pando, le Beni, Santa Cruz et Tarija qui forment selon la presse bolivienne la « demie lune », ne se retrouvent pas du tout dans cette optique de lutte contestataire. Bien sûr on y trouve une oligarchie qui dispose de moyens et de privilèges et par conséquent lui sont largement opposés, mais celle-ci paradoxalement bénéficie d’un réel soutien populaire. En effet, à l’est, les populations ont dans leur grande majorité totalement oublié leur langue indigène d’avant la colonisation et avec elle l’histoire de leur esclavage, quand à la religion, les églises évangéliques y foisonnent et se répandent à qui mieux mieux. Un pasteur de Santa Rosa, dans le Beni, m’expliqua « il est très facile d’ouvrir son église, il suffit de connaître la bible et d’être guidé par l’esprit saint ». J’ai vu par moi-même les techniques que tout un chacun peut apprendre en regardant sur le câble nord américain la chaine « God TV ». Appliquées sur les populations locales, elles ont un succès grandissant, quelque uns m’affirmant les larmes aux yeux qu’ils ont « ressenti la présence du Christ dans leur cœur ». L’église catholique y est même obligée d’y faire du marketing agressif pour protéger ses intérêts. Malheureusement, dans des zones où l’état s’est désengagé depuis trop longtemps, la foi est bien souvent la seule chose qui apporte une ligne conductrice dans un univers qui n’a d’autre repaire que la violence de la pauvreté, l’absence d’hygiène et de services hospitaliers et les infinies d’une nature piétinée.

La confrontation entre ces 2 perceptions différentes est exacerbée par l’issue improbable de l’Assemblée constituante. En effet Morales qui veux faire passer sa réforme ne dispose, avec ses alliés, que de 55% des voies alors que l’approbation nécessite les 2/3. C’est ainsi que s’oppose à lui une levée de boucliers lorsqu’il prône que la majorité est suffisante pour l’adoption. Pendant ce temps ont peut lire dans les journaux : « Evo est insulté et s’enfuit du conseil municipal crucénien (de Stanta Cruz) » (7), « La ministre du gouvernement Alicia Munoz Ala, dénonçait hier au Palais Quemado (centre du pouvoir exécutif) la formation de paramilitaires dans la région du Pando » (8) Le 20 septembre le vice président Garcia Linera appelait le peuple à prendre les armes pour défendre la politique du gouvernement avant de finalement s’excuser et se rétracter. Enfin, l’ancien chef des forces armées Marcelo Antezana déclarait « Nous sommes face aux dangers du totalitarisme […] aujourd’hui la majorité est déçu par la manière de faire et par l’absence de d’orientation politique, social et économique du pays. […] L’armée est prête à répondre à toute agression qui attente à la sécurité du pays, qu’elle soit interne ou externe. » (7) L’ensemble des régions de la « demie lune » a déjà montré l’étendue de ses pouvoirs en organisant une grève d’une journée généralisée, et malgré le gouvernement la qualifiant de « fiasco », ce fut une véritable démonstration de force.

L’extrémisme idéologique

Le gouvernement se prétend être populaire, mais les choses sont plus compliquées que cela. Elu par une large frange populaire il ne représente pas néanmoins bon nombre de ceux qui ont voté pour lui. Ainsi, par exemple, la COB (Centrale Ouvrière Bolivienne) le plus grand syndicat ouvrier de Bolivie a une tradition de lutte pour la justice sociale au moins aussi longue et intense que celle dont se réclame le MAS. Historiquement la COB représente les dernières et les plus tenaces, résistances à toutes les dictatures successives. Il est étonnant que Morales, dans la longue liste de personnages illustres nationaux auxquels il fait référence dans son discours, ne fasse jamais mention des grandes figures de la COB et notamment à Domitilia Chungura l’auteur d’un des très rares best-sellers international qui a émut toute la planète (9) et qui fut l’inspiration pour la réalisation d’un film (10). Elle contribua par son engagement à rassembler toute la nation dont les conséquences furent la chute de la dictature d’Hugo Banzer. Le fait est que Domitilia était croyante et fit même parti, durant une courte période, des témoins de Jéhovah puis lassé par leur attentisme stérile elle s’orienta vers la lutte syndicale tout en gardant sa foi. Ceci faisant d’elle, peut être, une référence embarrassante pour les autoproclamés successeurs de Che Guevara. Un autre problème vient du fait que la COB se revendique indépendante. Elle ne milite pas pour imposer un dogme mais pour plus de justice, plus d’équité. La COB ne fait pas de politique et ne tente pas d’imposer quelques idées que se soit, elle est juste le garant de droits minimum pour les ouvriers. Pedro Montes Gonzales, un dirigeant local de la COB explique « Je n’appartiens à aucune classe politique, je suis totalement apolitique. […] la COB ne peut pas être gouverné, elle doit être indépendante. […] Nous maintenons l’indépendance de classe, politique, syndical et idéologique, il n’y a à se sujet aucun doute possible. » (11) Enfin, un certain dédain rend les relations délicates entre paysans campesinos et ouvriers. (9).

Pendant ce temps, dans les rues de La Paz circule un carnet qui se paye le luxe d’être édité 2 fois, dépassant les 2000 exemplaires vendus, dans un pays où les plus grands best-sellers ne dépassent pas les 1000 exemplaires et qui explique comment défendre le gouvernement populaire :
« Le gouvernement doit pouvoir compter sur une organisation politique qui soit capable de répondre à toute attaque, en tout lieux et à tout moment. […] La création d’un système de communication de masse est la garantie de la diffusion des idées du Gouvernement. […] Il est nécessaire que les forces vives du MAS, […] et les organisations de travailleurs, intellectuelles, syndicales, universitaires, artistiques, étudiantes, etc., manifestent leur serment d’allégeance au peuple et au gouvernement. […] L’organisation de la défense de l’Etat bolivien est une nécessité de première importance à laquelle doit participer tout citoyen et citoyenne bolivien. Son objectif principal est : enseigner, organiser et orienter la société civile pour la défense de l’Etat bolivien avant une hypothétique invasion. […] Méditons sur notre hymne national, Mourir avant de vivre esclaves. » (12)

Les forces du MAS cherchent donc un soutien populaire qui à priori leur est favorable, mais tout en leur imposant ses méthodes et idées. Cette manière d’agir les prive d’un réel soutien sans lequel ils sont impuissants. Il semble clair que l’exécutif, restant dans sa logique de lutte n’est pas rentrée dans une logique de gouvernement. Son manque de réalisme politique risque de coûter très cher, au pouvoir en place, mais surtout au peuple bolivien. Ainsi le gouvernement est caractérisé par : « le manque de coordination politique entre les ministres et le président […]le pouvoir ébréché des ministres, avec leurs ailes coupées par la centralisation des décisions dans les mains d’Evo Morales et de son vice-président Alvaro García Linera. […] l’absence d’espaces de débat politique à l’intérieur du gouvernement et un empirisme qui confine, par moments, à l’improvisation. […] Il y a deux explications pour expliquer les difficultés auxquelles fait face le processus de révolution démocratique et culturelle dans ses huit premiers mois de gestion : la première, le complot conservateur avec soutien des Etats-Unis, la seconde les problèmes de gestion d’un personnel politique sans expérience dans la conduite de l’Etat. » (13)

La réforme agraire

Les 87% de la surface agricole appartient à 7% des propriétaires. 90% de la population rurale vit sous le seuil de pauvreté. Pourtant depuis la révolution nationale de 1952, les réformes agraires se succèdent et se ressemblent, En 1990 on assiste même à la naissance de l’Institut National de la Réforme Agraire. Celle-ci se trouve alors devant un travail colossale, problèmes de terrains usurpées ou octroyés de manière plus ou moins légales par les différentes dictatures à leurs collaborateurs et sympathisants, et redistributions de terres « oisives » laissées en friches dans l’optique d’être revendues aux mieux sur le marché de la spéculation des terres agricoles. Mais ceux qui ont les moyens de se payer des avocats, sont ceux qui bénéficient de ces réformes : Privée de moyens, l’INRA a dû déléguer aux demandeurs de titres le fardeau de l’expertise. « Ce qui a évidemment favorisé les gros propriétaires et empêché des enquêtes sérieuses sur leurs terres », note Carlos Romero Bonifaz, directeur du Centre d’Etudes Juridiques et d’Investigation Sociale (CEJIS). De 1953 à 1992, 95% des terres allouées par l’Etat l’ont été à des latifundistes (grands propriétaires). Dans le seul Département de Santa Cruz, une douzaine de famille possèderaient un total de 10 millions d’hectares. Cela a favorisé l’esclavage moderne : les paysans sans terres s’embauchent pour un salaire de misère, travaillent pour rembourser les prêts contractés pour l’acquisition des instruments agricoles, semences et autres engrais, qui les enferment dans une logique de dettes dont ils ne sortent que très rarement. En effet, « le siècle finissait (19ème) lorsque les latifundistes […] taillèrent leurs crayons et firent leurs comptes : les salaires de subsistances revenaient désormais moins cher que l’achat et l’entretient des esclaves. L’esclavage fut aboli en 1888 et remplacé par un système qui mêlait le servage féodale et le travail rétribué et qui s’est maintenu jusqu’à nos jours. » (1). On apprenait encore en 1970 au Brésil, pays possédant la même politique latifundiste : « La police de l’Etat a Pernambouc a arrêté, dimanche dernier, dans la commune de Belémdo Sao Francisco, deux cent dix paysans qui allaient être vendus à des propriétaires ruraux de l’Etat de de Minas Gervais à dix-huit dollars par tête » (2).

Evo Morales, fut élu sur la promesse de redistribuer quelque 20 millions d’hectares, 1/5 du territoire, sous forme de dotations collectives. Et l’espoir est grand : « Nous ne nous contenterons pas des miettes, nous avons 10 000 paysans qui attendent une terre de pied ferme », avertit la militante du Mouvement Bolivien des Sans Terre (MST-B) Asunta Salvatierra. Le gouvernement prétend avoir déjà en possession un cinquième de cette surface, mais ces terres sont presque exclusivement de propriété étatique… Malgré tout les efforts sont là. Grâce à un prêt de la Banque Interaméricaine de Développement (BID), l’INRA pourra désormais appuyer les petits paysans à réaliser les expertises foncières nécessaires à la titularisation. Dorénavant, non seulement les terres improductives sont susceptibles d’être sous la menace d’une confiscation mais également celles qui ne respectent pas l’environnement, et les propriétés collectives seront favorisées pour la distribution des terrains. Enfin, l’Etat promet un encadrement technique et financier pour l’installation des nouveaux propriétaires. Par exemple des milliers de tracteurs à 12 000 dollars pièce devraient être fournis aux communautés grâce à des prêts gratuits sur quinze ans. (3) Il faut espérer que pour une fois Galeano aura tord en disant que la meilleur manière pour éviter la réforme agraire c’est d’en parler. Car les problèmes sont complexes, celui de l’immigration controversée de paysans de l’Altiplano dans la région de Santa Cruz est l’un d’eux avec la montée de racisme et xénophobie face aux privilèges menacés de grands propriétaires qui s’organisent et fondent leurs propres associations de résistance en arborant les rentrées d’argent conséquentes que leurs monocultures d’exportations apportent au budget national. Oui, mais qui en profite ?

La nationalisation

Malheureusement l’extrémisme idéologique reste idéologique : l’une des seules politique qui aurait put rassembler le peuple bolivien, la nationalisation des ressources naturelles est restée lettre morte. Un périodique publiait le 22 septembre : « Il n’y a pas de nationalisation, ni de refondation d’YPFB (la société nationale d’hydrocarbure), ni industrialisation des hydrocarbures. » (14) On y apprend que malgré la résolution des Nations Unies 1803 qui stipule que tout Etat à le droit de « nationaliser, exproprier et transférer les propriétés de biens étrangers et que dans ce cas, l’Etat devra payer des une compensation appropriée en tenant compte de ses lois et réglementations applicables dans toutes les circonstances que l’Etat considèrera pertinentes. », Morales a suivit la politique de « nationaliser sans exproprier » avec les louanges de Tony Blair, Jaques Chirac et Rodrigez Zapatero. En aout dernier, durant une session au sénat, le ministre des hydrocarbures Soliz Rada - qui a depuis démissionné pour avoir effectué l’appropriation de raffineries de sociétés brésiliennes sur le sol bolivien alors que Morales avait promis à Lula (président brésilien) qu’il n’y toucherait pas pour des raisons électorales - déclarait que le décret qui stipulait la nationalisation n’était appliqué en aucun de ses points et admettait que la Bolivie était à la merci de la bonne volonté des entreprises internationales.

La coca

A la fin de la seconde guerre mondiale, Claus Altman, alias Claus Barbie, alias « le boucher de Lyon », avec l’aide du Vatican se réfugiait en Bolivie où il prit contact avec les services secrets nord américains. Plus tard, devant les risques d’une montée de la gauche et une peur bleue des agents de l’infection communiste, les services de la CIA eurent le plaisir de mettre en contact Hugo Banzer, et ledit Claus Barbie afin que celui-ci dans sa grande bonté chrétienne puisse lui enseigner les techniques de torture modernes. Le coup d’état qui suivit fut l’un des plus sanglants de toute l’histoire bolivienne. Le ministre de l’intérieur Arce Gomez, qui s’occupait entre autre de la gestion de la cocaïne, déclarait que chaque bolivien devait sortir dans la rue avec son testament. Le régime narcotrafiquant de la terreur s’était mis en place et en un an, la cocaïne représentait 80% des exportations sous la bienveillance des Etats-Unis. (15) Plus tard, Arce Gomez fut arrêté et jeté dans les prisons nord américaines à grand renfort de flashs, de caméras et d’allégations qui stipulaient que la chasse à l’homme avait duré plusieurs années avant de conclure ce beau coup de filet. En réalité, quand il fut arrêté Gomez était vieux et vivait paisiblement retiré des affaires, en face du commissariat. Les vrais tenant du commerce de drogue mondiale ne figurent même pas sur les listes de la DEA (Drug Enfoncement Agency) ils vivent en Floride ou en Californie et ont leurs entrées chez les magistrats, juges et autres hommes politiques de l’état à la bannière étoilée. (16)

La politique anti drogue jusqu’à présent mis en œuvre, fut mené entre autre, oh ironie du sort, par le même Hugo Banzer revenu au pouvoir par voie démocratique qui déclarait en 1997 sa politique de « zéro coca ». Rogez Cortez, député opposant de l’époque signalait que « l’Etat manque d’autonomie pour définir ses propres priorités, il agit comme un otage de la politique américaine. Sous cette pression il a privilégié une ligne répressive et militaire pour éradiquer la coca, en tolérant et encourageant les abus et les violations des droits de l’homme. »

En 2002 Evo Morales qui défendait la culture traditionnelle de la coca qui existait sous l’empire Inca et ne reconnaissait pas son statut de drogue (Il faut une demie tonne de feuille de coca pour obtenir 100 grammes de cocaïne) fut appelé par l’ambassadeur Nord américain de l’époque, que la population bolivienne surnommait le « vice roi », « le Ben Laden des Andes ».

Après la politique nord américaine d’arrachage de plan de coca dans le Chaparé bolivien en 2002, on pouvait lire dans le journal « Le Monde », « Dans la « guerre contre la drogue » lancée par Nixon en 1968 et poursuivie depuis par tous les gouvernements américains, le Chaparé joue un rôle particulier. Le budget antidrogue des Etats-Unis est passé de moins de 1000 millions de dollars en 1981 à plus de 17 000 millions de dollars en 2000 […] il est de l’intérêt des bureaucrates encore plus que des politiques de continuer cette guerre. Certains politiques une fois retraités, comme le secrétaire d’Etat américain George Schultz, reconnaissent que c’est un effort stérile et que la solution est ailleurs. Dans ce contexte le Chaparé est une vitrine. Il donne la possibilité aux partisans de cette guerre de faire états de petites victoires qui servent à justifier l’octroi de nouveaux crédits, alors qu’en réalité les résultats obtenus en Bolivie ont un impact insignifiant sur le marché mondial de la drogue. » (17) Alors, si Morales avait raison ?

Ecologie et économie

La recherche de la forêt vierge en Bolivie s’apparente à celle de la mer d’Aral en Russie. On ne la voit pas mais tout le monde vous dis qu’elle existe toujours « plus loin ». Après les shows télévisés pour dénoncer la déforestation à grands coups de slogans et de stars du showbiz, après avoir exhibé quelques indigènes aux primes times, après la jouissance monétaire de la grande kermesse mercantile larmoyante, les terrains de football qui disparaissent journellement ont fait des petits et l’Amazonie n’existe plus – le poumon de la planète est en phase terminale du cancer humain, vous pouvez retenir votre respiration ! – dans une grande partie de son espace originel. Il y a des régions en Amazonie bolivienne où l’œil n’embrase pas un seul arbre jusqu’à l’horizon et la désertification avance à grand pas ! La sécheresse qui sévit par suite du manque de précipitations dus à la déforestation est historique. Sur le Rio Mamoré, le grand affluent du Rio Madera, lui-même l’un des principaux affluent de l’Amazone, les bateaux de plus d’un mètre de tirant d’eau ne peuvent quasiment plus naviguer et s’échouent à longueur de journée sur des bancs de sable d’où il faut s’extirper. Les navires ne disposant pas de sonars, les marins passent leurs journées à sonder les profondeurs des eaux, qui parfois ne dépassent pas 30 cm, avec des perches. « l’Amazone, le fleuve le plus puissant de la planète, est à son étiage le plus bas depuis 30 ans. Au-delà, il n'existe pas de statistiques. Un peu en aval d'Iquitos, capitale de l'Amazonie péruvienne, à la confluence de l'Itaya et de l'Amazone, la profondeur des eaux, 15 mètres en temps normal, n'est plus que de 80 cm au lieu-dit La Barra. Du jamais vu. […] Aujourd'hui, une barge de 500 tonneaux met 25 jours, au lieu de 4 à 6 avec un étiage normal, pour parcourir […] quelque 600 km. » (18)

Dans ces terres où la quasi-totalité des marchandises transitent par le réseau fluviale, les routes n’ayant pas de revêtement et étant peu commodes, les villes sont peu à peu asphyxiées. Par exemple, l’alimentation qui est issue de l’importation, monoculture d’exportation oblige, se réduit aux quelques aliments rares et chers produits localement. « Une citerne terrestre qui transporte un maximum de 20 000 litres en comparaison d’une citerne fluviale de 500 000 litres à pour conséquence une hausse importante des prix. » Le manque à gagner jusqu’au 31 aout s’élevait déjà à plus de 10 millions de dollars. Ces pertes sont en grandes parties issues des propriétaires de bétail qui voient leurs bêtes mourir de soif (19). Le déficit en eaux atteint ainsi entre 48% et 62% dans la région du Beni. On observe donc une « sahelisation » d’une partie de l’Amazonie ! De plus les feu annuels crées par les propriétaires pour fertiliser leurs terres, alors qu’ils l’appauvrissent, engendrent des embrassements généralisés de la forêt asséchée. Un seul incendie à ravagé près de 100 000 hectares de forêt cet été.

Pillage et copyright

A Guayanamerin, petite ville frontalière avec le Brésil les contrebandiers écoulent leurs stocks. Le commandant d’un rafiot qui avait récupérer 4 tortues géantes de plus d’un mètre de longueur espérait en tirer entre 30 et 40 euros l’unité. Il les avait trouvés sur une plage avant qu’elles n’aient eu le temps de pondre… A la question « vous ne risquez rien ? » la réponse fuse « Rien, légalement en Bolivie je peux avoir une amende de 100 dollars, mais pratiquement, je peux faire mon commerce en face du commissariat sans problème. En revanche au Brésil c’est autre chose… Ils risquent 2 ans de prisons, et la police est beaucoup moins conciliante ». A bord d’un autre bateau, un marin qui avait capturé un alligator alors qu’il ne dépassait pas 10 cm le laissait grandir dans une cuve en plastique le temps « d’en tirer un bon prix ». A l’aéroport de Trinidad, on peut acheter en toute légalité des ceintures en peaux de crocodiles, ou en cuir d’autres animaux protégés… De même, les parcs sensés être des havres de paix intouchables s’avèrent être des lieux où la corruption va bon train et sont exploités en sous mains par des organismes de peu de morale. Le 26 aout pour contrer la destruction progressive d’un des plus beaux parcs naturels de Bolivie, le parc Madidi, Le gouvernement Morales décida d’en prendre le contrôle en y avoyant une force armée. Malheureusement, il semble plus qu’il s’agisse de mettre fin à une « exploitation irrationnelle » pour une exploitation au profit de l’état, plutôt que de préserver purement et simplement ces restes d’étendues sauvages. L’état espère ainsi bénéficier d’un million et demi de dollars en récupérant ces ressources naturelles. (20)

Point de vue culturel, personne ne vit de la vente de livre en Bolivie. Le livre est un article de luxe et personne ne lit pour le plaisir… « Un livre ça sert à étudier » ! La plus grande maison d’édition vit grâce aux subventions étatiques étrangères et des ONG pour publier des livres de qualités mais réservés à une élite intellectuelle, dans un pays où « un écrivain est considéré par la majorité de la population, comme un raté ». Car l’élite, est une élite d’argent qui n’a aucun scrupule à étaler son ignorance. Quelques petits cercles d’intellectuels existent, mais ils sont de petites îles perdues dans l’océan. Aucun écrivain n’est rémunéré, et au mieux il est « payé » en livres. Les livres à succès sont automatiquement photocopiés et vendus 10 fois moins cher dans des magasins ayant pignons sur rue. Les disques originaux à 12 euros vendus dans les magasins fréquentés par les « gringos » se trouvent 30 mètres plus loin 10 fois moins cher, sous l’œil bienveillant de la police locale.

Tourisme

Les tours opérateurs ‘indigena tours’, ‘aventurous tours’ et autres ‘nature tours’ pullulent dans la partie amazonienne, et après plusieurs heures de pirogues sur de petites rivières à 1 heure de route de la piste la plus proche, on trouve des hôtels touristiques qui naissent depuis 5 ans comme des champignons. On peut ainsi croiser plus d’une vingtaine de pirogues chargée de touristes dont le hurlement des moteurs fait fuir les oiseaux. Sur les rivages, après leur passage, on trouve des cadavres d’alligators et de capibaras le corps strié de marques rouges… « morsures issues de luttes », me dit-on… à moins que ce ne soit les hélices des moteurs. On est loin des aventures de Nicolas Hulot qui avançait en pagayant et parlait à voix basse pour se fondre dans l’environnement. Ici, les bienfaits du progrès ont fait irruption. L’ethno-tourisme propose des aventures « en toute sécurité ». Pour une somme modique, de l’ordre de quelques dizaines d’euros, on a le droit de pêcher du piranha, et de prendre en photo ce qui reste de la flore pillée mais présentée comme vierge à des touristes crédules, véritables Indiana Jones du dimanche qui pourront étaler leur albums photos de retour à la maison. Bien sûr, le tourisme entraine avec lui abondance de sacs, bouteilles et autres emballages plastiques, malheureusement plus abandonnés par les autochtones que par les touristes. « Chez vous on vous coupe la tête si vous jetez vos affaires par terre, ici on s’en fout » me répondait un vendeur d’un marché local à qui je posais l’incongrue question « où y a-t-il une poubelle ? ».

Malgré tout à Rurrenabaque, une véritable ville de gringo dont toute l’économie est tournée vers le tourisme, la tenancière d’une auberge m’expliquait « il y a 6 – 7 ans le tourisme n’était pas développé, les gens jetaient tout par terre ou dans la rivière, on n’osait plus se baigner dans le rio Beni tellement y flottaient les immondices. Aujourd’hui pour attirer les touristes les gens font attention, car sans touristes nous retournerions dans pauvreté. La rivière, et les rues sont propres aujourd’hui… S’il y a un mauvais coté au tourisme je ne le connais pas. »

Il n’empêche qu’aux alentours du lac Titicaca, où foisonnent rastas et touristes baba cool qui suivent dans leurs aventures presse bouton les recommandations à la lettre du guide touristique qui s’est imposé à tous les voyageurs, les relations avec les locaux sont pour le moins ambigües et parfois tendues. Ceux qui bénéficient du tourisme, vous sourient avec un regard quelque fois concupiscent, et d’autres vous expliquent clairement qu’ils ne sont pas des animaux dans un zoo à qui l’on jette des cacahouètes, et que des touristes il y en a « assez ! ». Bien sûr la majorité est amicale ou apathique, mais lorsque les relations entre humains deviennent uniquement pécuniaires, les risques de conflits d’intérêts augmentent, surtout dans un pays où le salaire moyen est de 45 euros par mois, comme en atteste cette dépêche: « assassinat lundi d'un jeune portugais sur la plage de Copacabana. Selon la police, trois groupes de touristes ont été victimes d'assaillants armés à Copacabana et au centre-ville en un peu plus de 24 heures. Mercredi soir un groupe de 14 touristes de différentes nationalités repartait du quartier en vogue de La Paz, au centre-ville, quand leur minibus a été intercepté par six hommes armés en moto. L'un d'eux a pris le volant du véhicule et pendant dix minutes a circulé dans les environs escorté par trois motos pendant qu'un complice dépouillait les touristes. Jeudi à Copacabana, cinq fonctionnaires du gouvernement chinois ont été attaqués et volés par deux hommes armés de couteau et en soirée trois colombiens ont subi le même sort. » (21)

Une autre chose est évidente, c’est le mal que peuvent faire les guides touristiques. La quasi-totalité des touristes suivent les mêmes consignent et visitent les mêmes endroits. La sécurité de savoir où l’on va et ce que l’on va faire les privent d’une curiosité salutaire : « tout est dans le guide ». Perdu aux alentours du Lac Titicaca, je demande ma route à un habitant. Celui-ci me demande mon « livre de touriste ». Incrédule, je lui tends le guide qu’en bon touriste je possède, celui-ci sait exactement à quelle page se trouve le plan de sa ville… derrière ce même guide on y vente « la Bolivie garantit des expériences inédites loin des foules. »

Conclusion

Aujourd’hui la Bolivie exporte les quelques ingénieurs et scientifiques qu’elle forme. En moyenne l’Espagne raccompagne à la frontière 500 boliviens quotidiennement. Dans ces conditions, il est temps que la Bolivie cesse de faire de la politique pour mettre les mains à la patte, étant donné son retard, son potentiel est phénoménale. Si Morales veut incarner ce grand réformateur populaire qu’attend le pays depuis trop longtemps il lui faudra faire preuve d’imagination et d’intuition, laissant les modèles vénézuéliens et cubain au Venezuela et à Cuba, et inventer sa propre voie bolivienne, en prenant en compte tous ses particularismes. Le tourisme, future ressource de très grandeur envergure, ne doit pas se développer anarchiquement au détriment de l’écosystème, mais doit être réfléchit et organisé, de manière aussi à être une ressource plus juste. Enfin, l’émancipation intellectuelle ne s’impose pas, elle s’acquière sur le long terme grâce au temps libre et aux moyens d’éducation mis à disposition de la population. Il est primordiale que Morales comprenne qu’il doit gouverner la population qu’il a, et non celle qu’il voudrait.

(1) Les veines ouvertes de l’Amérique Latine – Eduardo Galeano
(2) France Presse, 21 avril 1970
(3) RISAL - Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine
URL: http://risal.collectifs.net/
Source : Le Courrier (www.lecourrier.ch), 26 août 2006.
(4) En Bolivia el modelo neoliberal no funciona ! Triunfara le nueva constituyente ? –Evo Morales Ayma, Ediciones Bolivarianas.
(5) Les prérégrinations d’une paria – Flora Tristan
(6) La vision des vaincus – Nathan Watchel
(7) La Prensa – La Paz, 23 septembre 2006
(8) El Diaro – 23 septembre 2006
(9) Si l’on me donne la parole – Domitilia, édition Maspero
(10) Domitilia 1982 – Y. Langlois
(11) El Diaro international – 1 juillet 2006
(12) 10 tacticas y estrategias para defender al Gobierno del Pueblo (MAS)
Luis Urviola, Johann Valenvar ediciones Bolivarianas
(13) h...@hns-info.net - La Paz, Pablo Stefanoni, 21 septembre 2006
(14) Periodismo del Nuevo tiempo HORA 25 – n°42
(15) On dit que j’ai survécu quelque part au delà des mers – Gunter Holzmann, édition La découverte
(16) The big white lie : the CIA and the Cocaine – Michael Levine
(17) Le Monde 5 avril 2002, Laetitia Moreau
(18) Sécheresse sur l'Amazonie: incendie en Bolivie et Amazone peu navigable au Pérou - LatinReporters.com, Richard Uzta, 19 septembre 2005
(19) La razon – 23 septembre
(20) El Diaro – 26 aout
(21) dépêche AFP, vendredi 18 août 2006


[ EDIT (pour le CMAQ, Mic. Lessard)
* ajouté les thèmes: Écologie | Agriculture | Économie | Politiques ]



Dossier G20
  Nous vous offrons plusieurs reportages indépendants et témoignages...

Très beau dessin: des oiseaux s'unissent pour couper une cloture de métal, sur fonds bleauté de la ville de Toronto.
Liste des activités lors de ce
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