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Uribe légitime avec 25% de l'électorat ?

Anonyme, Dimanche, Juin 25, 2006 - 10:51

James Petras

par James Petras, le 6 juin 2006.
CX36 Radio Centenario (Trad. de l'espagnol par MichelCollon.info)

« Nous devons questionner la légitimité d'un président (Uribe) élu dans des conditions de répression, et qui obtient seulement 25 pour cent de l'électorat »

Source: Centre for Research on Globalization (CRG)

Efraín Chury Iribarne, CX36 Radio Centenario

_ Chury : Chers auditeurs, je suis en ligne directe avec James Petras qui se trouve aux Etats-Unis. Petras, bonjour comment vas-tu ?

- Petras : Bonjour Chury ; bonjour à Montevideo.

- Chury : Très bien. Nous allons aborder aujourd'hui deux sujets majeurs.Nous voudrions que tu nous apportes ta vision du triomphe d'Uribe en Colombie, et que tu nous livres les explications qui nous manquent pour éclairer cette actualité.

- Petras : D'abord, la grande majorité des gens - selon les derniers chiffres - environ 60 pour cent de l'électorat n'a pas voté, alors les abstentionnistes représentent 3 fois plus de voix que Monsieur Uribe. C’est la première chose que nous devons comprendre. En réalité Uribe obtient 25 pour cent de l'électorat, c'est-à-dire, 62 pour cent des 40 pour cent qui ont voté. Ce n'est pas une victoire éclatante . Et puis il faut noter que 230 mille soldats et policiers, étaient sur tous les points de vote. Cela signifie que chaque électeur était repéré - comme le montrent les photos venues de Colombie - par des fonctionnaires armés, avant d'entrer voter. C’est un acte d'intimidation. Troisièmement : les paramilitaires ont annoncé qu'ils contrôlent un tiers des représentants au parlement qui allaient se présenter aux élections. Nous avons là une trajectoire de violence et de terrorisme autour des élections. Ce processus, culminant le jour des élections, est marqué par des attaques militaires dans les communautés rurales et des actes d'intimidation le jour même des élections. Ce n’était donc pas une élection libre et sans fraude. Je ne sais pas s'il y a eu effecivement fraude, mais je sais bien qu'il existait un énorme déploiement troupes et d’activité militaire, la veille même du vote, ce n’est pas dans les règles du jeu démocratique. Et encore moins quand on a vu les paramilitaires présentant leurs candidats et en circulant par tous côtés avant et pendant le vote.

- C'est pourquoi je crois qu’en première instance nous devons interroger la légitimité d'un président élu avec ces pressions, qui obtient seulement 25 pour cent de l'électorat. Et deuxièmement, malgré les conditions désastreuses, les élections montrent un grand bond en avant du vote de gauche. Malgré le harcèlement,et tous les moyens de communication de masses organisés pour soutenir Uribe, la gauche obtient 22 pour cent de l'électorat, en pésentant le Parti Libéral comme l'alternative aux conservateurs. Cela signifie que maintenant le pays au moins sur le plan électoral, reproduit la polarisation sociale entre la gauche et droite, entre paysans et travailleurs contre l'oligarchie et entre la guérilla contre les USA qui contôlent l'armée colombienne. Nous avons maintenant une polarisation plus claire au niveau électoral comme dans les autres sphères de la politique . Cependant, je crois que ces élections vont favoriser une continuation de la politique répressive et de terrorisme d'Uribe. Il semble qu'avec 25 pour cent des votes, il pourra poursuivre la politique du terrorisme d'État, et continuer à livrer le marché et les matières premières aux multinationales. Et je crois que par rapport au Venezuela, il va continuer son double jeu : en parlant avec Chávez et en travaillant pour les USA. Il va poursuivre les incursions à la frontière et va continuer à harceler les réfugiés qui sont déplacés par les agressions militaires.

- Chury : Quel rôle peut jouer la situation actuelle de l’Équateur dans cette région à la lumière de cette nouvelle élection gagnée par Uribe ?

- Petras : J'ai reçu aujourd’hui même un document sur la candidature d'un dirigeant très important de gauche, du CONAE, le parti le plus représentatif des Communautés indigènes. Luis Macas est le candidat présidentiel. Il est une personne d’une grande intégrité, ce qui est un grand pas parce que le CONAE et ses amis Pachacuti et d’autres partis, y compris le groupe marxiste MPT, le Parti Socialiste et quelques syndicats importants, appuient Luis Macas et il pourra probablement gagner le premier tour ou au moins aller au deuxième tour des élections. Je connais Luis Macas ; c'est un intellectuel brillant, mais plus que brillant, c’est une personne honnête qui a fait un bon travail afin de reconstruire l'organisation CONAE après la debâcle qu’ils ont subie par leur soutien au charlatan, Lucio Gutiérrez. C'était difficile parce que les bases étaient très déçues mais Macas a fait du bon travail. Cest un leader collégial, ce n'est pas un caudillo, ce n'est pas un harangueur de foules comme Vázquez avec les travailleurs. Macas est, je le crois,un bon atout. L’inquiétude que l’on peut avoir vient des Etats-Unis ,à partir de la Colombie, si Luis Macas gagne les élections.

- En ce sens je crois qu'ils craignent que l'axe Cuba-Venezuela- Bolivie soit étendu maintenant à Équateur où la grande majorité - au moins dans le pays, est en faveur de l'alternative à gauche. La grande problématique est Guayaquil et la côte où la droite est assez forte avec des machines électorales et des moyens de communication. Je crois que les USA en première instance vont investir des millions pour mettre en échec Luis Macas. Ils vont en outre devoir chauffer à blanc les militaires et ils vont chercher enfin des façons d'intervenir pour diviser et discréditer la campagne en inventant un autre candidat pseudopopuliste ou en mettant en lice des intellectuels qui ne peuvent pas gagner mais qui peuvent nuire le seul candidat avec des chances de gagner.

- _Chury : Dans les dernières heures les médias ont publié ici qui le président Chávez du Venezuela a dit que si Alan García gagne les élections au Pérou il sera obligé de cesser les relations avec le Pérou. Y a-t-il un contentieux très fort entre Chávez et Alan García?

- Petras : Bon, Chávez a textuellement dit qu'Alan García est un voleur et un démagogue. J'étais au Pérou à cette époque et je puis te dire qu'il est sorti de la présidence avec des accusations très fondées portant sur 50 millions de dollars. Il était accusé par tous d’escroquerie lors de sa présidence.

- Il a même dû sortir du pays pour un temps parce qu'il avait un ordre d’arrestation contre lui. Puis, comme pour tous les politiques de la bourgeoisie, on a suspendu les jugements et il revient. Alors Chávez a beaucoup de données, ce n'est pas une simple dispute ou une réaction d’oppositant. Non, il y a beaucoup de preuves et de justifications. Deuxièmement : il faut dire qu'Alan García est un assassin parce qu'il a tué plus de mille prisonniers politiques emprisonnés, en donnant des ordres aux militaires pour entrer et tuer. Je sais cela parce que j’y étais. Je suis même allé dans les prisons essayer d'aider les groupes de Droits de l’Homme. Curieusement c’est à ce même moment qu'Alan García a été impliqué dans les meurtres. C’était la Seconde Internationale organisée dans un Congrès à Lima et j’y étais avec des délégués italiens -je parle des socialistes de Craxi, pas précisement la gauche - avec belges et néerlandais qui faisaient déjà leurs valises pour partir, et invités par Alan García, accusé d’assassinat. C’est alors que Alan García presqu'en pleurant appelle la Fondation Ford pour demander ce qu'il doit faire, s'il peut faire intervenir avec l'ambassade ou s’il peut être absous de l'accusation en déclarant que les militaires avaient agi pour leur compte. Les militaires ont renvoyé la balle et ont dit à Alan García : Tu es le président qui a ordonné le meurtre, si tu continues nous allons te mettre un coup de pied dans le derrière pour t’éjecter de la présidence.

- C’est le moment qu’Alan García a choisi sans gloire, pour appeler les médiateurs de la Fondation Ford pour voir si l'ambassade pouvait intervenir contre les putchistes militaires qui ne voulaient pas être accusés d'agir pour leur compte. C’est l'histoire d’Alan García qui est un démagogue et un voleur comme l’a dit le président Chávez.

- C'est une histoire connue au Pérou mais inconnue ailleurs, où on le présente maintenant comme un Chef d'Etat face à un nationaliste soutenu par Chávez.

- Chury : Petras, venons maintenant à notre pays (Uruguay) parce que nous avons eu un week-end très particulier avec le jeu du bon ministre et du mauvais ministre, et au jeu du bon et du méchant, il y avait Mujica et Astori. Mujica dit qu’il veut résoudre le problème de la dette des producteurs, mais avons des informations très récentes qui montrent qu'Astori a déjà dit que non, qu’institutionnellement ce n’est pas possible, en fin, il y a une série de faits, encadrées dans une espèce d'unité et un semblant de lobby pour que le gouvernement soit maintenu étant donné qu’apparemment tout va bien. Voilà, mais il est bon savoir comment tu perçois ceci, de l’extérieur.

- Petras : Bon, je crois qu'il faut analyser en profondeur. Les ministres doivent régulièrement traiter avec les secteurs qu’ils sont sensés représenter, c’est-à-dire: les grands propriétaires,de « latifundios »; des agro- exportateurs, et dans un plus moindre degré des producteurs moyens. D’une certaine manière ils doivent coordonner et chercher que les deux secteurs - gouvernemental- ministériel et dirigeants sectoriels - aient une relation. Alors quand il y a une grande dette comme celle du secteur agricole, le ministre doit au moins assumer une certaine position pour résoudre le problème même partiellement. Il doit offrir quelque chose parce que sinon il perd toute légitimité comme interlocuteur. Alors je ne crois pas que ce soit une simple conspiration entre les ministres, qu'un est bon et l'autre mauvais. Le ministre d'agriculture a, en fait, double fonction : soutenir le gouvernement et maintenir aussi la base qu'il a.

- Comme Astori est un fou extremiste, il ne pense pas politiquement qu’il a besoin d'un appui social, c'est pourquoi il agit seulement dans les intérêts des banquiers pour l'excédent budgetaire qui est de 3% . Alors le ministre ne veut donner aucun financement pour essayer d’aider les secteurs endettés, c’est là que tout se complique : un ministre qui ne peut articuler aucune politique avec aucun secteur social et économique, n’a pas beaucoup d’avenir, il va être écarté et personne ne va vouloir dialoguer avec lui. Comme il vient avec les mains vides, on va lui opposer qu’il est inutile comme ministre. Avec le rejet d'Astori de part et d'autre par les différentes composantes de ce secteur, il n'a rien faire, ainsi s’il le souhaite il pourrait bien aller à la pêche. Il gagnera plus avec un poisson dans les mains qu’avec un ministère impotent.

- -Chury : Il y a un cas très particulier qui se présente avec Mujica, car d'une part il intégre un exécutif qui soutient sans restriction l’appropriation de la terre par des étrangers et l’exploitation à outrance de la cellulose, et d'autre part,il dit aux fermiers, que la faute du déboisement vient de ces situations . Cest un double discours.

- Petras : Oui, il est double mais dans le fond, nous devons retourner au marxisme et l'analyse de classe. Articuler une politique purement classiste, est un cas classique : il subventionne sa classe et marginalise ceux avec lesquels il n'a rien voir. La seule façon d'analyser ceci est d'analyser les classes sociales qui relèvent du modèle du ministre Astori: c'est un homme très consistant, très cohérent, avec sa classe. Il est l’autre illustration de ce dont nous parlons chaque semaine. Astori est le meilleur représentant de la classe capitaliste domestique et internationale, qui a été présente dans toute l'histoire de l'Uruguay. Il articule des politiques de long terme et à une grande échelle et il ne va pas changer cette politique parce qu’il est engagé avec sa classe. Il est fondamental que le PIT-CNT et tous les autres qui le soutiennent, doivent comprendre qu'il trahit leur classe. C'est une dure réalité mais Monsieur Astori est conséquent avec sa classe. La question est s’il est conséquent avec sa classe que diable font les syndicalistes en suivant la classe qui marginalise les producteurs petits et moyens, les endettés et les consommateurs ?

- Chury : James Petras, nous arrivons au terme de notre entretien. Comme toujours, je vous remercie d’avoir éclairci cette série de sujets .

- . Petras : Bon, C’est un plaisir de prendre part à ces entretiens et j'espère qu'un jour nous pourrons converser en personne avec ceux qui écoutent l’émission.

- Chury : Mais bien sûr, nous allons le faire sans aucun problème.

James Petras est professeur à l'Université d'État de New York.
Traduit de l’espagnol : Yanick de la Fuente

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