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Les esclaves de notre temps / Les immigrants apatrides

Anonyme, Mardi, Mars 28, 2006 - 15:08

Jorge Majfud

traduit de l’espagnol par :
Pierre Trottier

Une des images des plus typiques – que nous corrigions: stéréotypiques – d’un mexicain a été, depuis le siècle passé, un homme de peu de stature, ivre et querelleur qui, lorsqu’il n’apparaissait pas avec une guitare chantant un air local, était dépeint assis sur la chaussée faisant une sieste avec son énorme chapeau. Cette image du parfait fainéant, du vicieux irrationnel, nous pouvons la voir à partir de vielles illustrations du XIX è siècle jusqu’aux souvenirs que ces mêmes mexicains produisent afin de satisfaire l’industrie touristique, en passant par les bandes comiques des revues et les dessins animés de Walt Disney et Warner Bros du XX è siècle. Nous savons que rien n’est fortuit; encore les défenseurs de « l’innocence » de l’art, de la valeur peu importante et récréative du ciné, de la musique et de la littérature ne peuvent empêcher que nous signalions la transcendance éthique et la fonctionnalité idéologique des personnages les plus infantiles et des narrations les plus ‘’neutres’’. Bien sûr, l’art est beaucoup plus qu’un simple instrument idéologique; mais cela ne le met pas à l’abri de la manipulation idéologique qu’un groupe humain fait de lui en son bénéfice propre et au préjudice d’autrui. A moins que nous n’appelions pas « art » ces ordures.

Ironies du destin : peu de groupes humains comme les mexicains qui vivent aujourd’hui aux États-Unis -,et par extension, les autres groupes hispaniques, - peuvent dire qu’ils représentent mieux l’esprit de sacrifice et de travail de ce pays. Peu (Nord) d’américains pourraient rivaliser avec ces millions de dévoués travailleurs que nous pouvons voir de toutes parts, suant sous le soleil des plus suffocants jours de l’été, dans les villes et les campagnes, répandant l’asphalte chaud ou quittant la neige des chemins, risquant leur vie dans les hautes tours en construction ou lavant les vitres des importants bureaux où se décide le sort de millions de personnes que, dans le langage post-moderne, l’on connaît comme « consommateurs ». Pour ne pas parler de leurs compagnes qui font le reste du travail difficile, pour ne pas dire « sale », occupant des postes dans lesquels nous verrons rarement des citoyens de droits entiers. Rien pour justifier le discours raciste que le président Vicente Fox fit récemment déclarant que les mexicains faisaient aux États-Unis le travail que ‘’ni même les noirs américains ne voulaient faire’’. La présidence ne s’est jamais rétractée, n’a jamais reconnu cette ‘’erreur’’ mais au contraire, a accusé le reste de l’humanité d’avoir ‘’mal interprété’’ ses paroles. Par la suite, il en vint à inviter deux leaders ‘’afro-américains’’ (un beau jour on m’expliquera qu’avaient d’africain ces américains), faisant l’exercice d’une vieille tactique : au rebelle, au divergent, on le neutralise avec des fleurs; avec les fauves, par la musique; aux esclaves salariés, avec du cinéma et des maisons de tolérance.

Bien sûr, il eut suffit d’éviter l’adjectif « noir » le changeant pour celui de « pauvre ». Dans le fond, ce maquillage sémantique eut été plus intelligent quoique jamais libre de toute suspicion. L’éthique capitaliste condamne le racisme, puisque sa logique productive est indifférente aux races et, comme le démontre le XIX è siècle, le trafic d’esclaves fut toujours contre ses intérêts de production industrielle. Par conséquent, l’humanisme anti-raciste maintenant a gagné dans le cœur des peuples et il n’est pas aussi facile de l’extirper si ce n’est à travers de pratiques occultes derrière d’élaborée et convaincants discours sociaux. Cependant, la même éthique capitaliste approuve l’existence de « pauvres », selon lequel l’emploi de ‘’pauvres américains’’, au lieu de ‘’noirs’’, de la part du président mexicain, n’eut scandalisé personne. Tout ceci démontre, d’autre part, que non seulement ceux du Nord vivent des malheureux immigrants qui risquent leur vie en traversant la frontière, mais aussi que les politiciens et la classe dirigeante du Sud, moyennant des remises millionnaires, le second revenu le plus important du pays après le pétrole, via la ‘’Western Union madre pobre’’, moyennant le sang et la sueur des expulsés par ce même système qui s’enorgueillit d’eux, et ainsi les récompense avec de si brillants discours qui servent seulement à ajouter un problème de plus à leurs désespérantes vies de fugitifs productifs.

La violence n’est pas seulement physique; elle est aussi morale. Après avoir contribués à une partie indispensable de l’économie de ce pays et des pays desquels ils proviennent – de ces pays desquels ils furent expulsés par la faim, le chômage et le désavantage de la corruption – les hommes sans nom, les non-identifiés doivent revenir à leurs demeures dans la peur d’être découverts dans l’illégalité.

Lorsqu’ils tombent malades, ils résistent simplement jusqu’à ce qu’ils soient au bord de la mort et ils se rendent à un hôpital où généralement ils reçoivent le service et la compréhension d’une partie consciente de la population, pendant qu’une autre partie cherche à les nier. C’est le cas de plusieurs organismes anti-immigrants qui, avec l’excuse de protéger les frontières ou de défendre la légalité, ont promu des lois et des attitudes hostiles qui, de façon croissante, leurs nie le droit humain à la santé ou à la tranquillité, à tous ces travailleurs qui sont tombés dans l’illégalité par la force de la nécessité, par l’empire de la logique du même système qui ne les reconnaît pas, qui traduit ses contradictions par des morts et des épuisés. Bien sûr que nous ne pouvons pas et ne devons pas être en faveur de quelque type d’illégalité. Une démocratie est ce système où les règles se changent ou se conservent selon les intérêts de ceux qui ont le pouvoir de le faire, et souvent cet intérêt peut passer au-dessus des plus élémentaires Droits Humains. Les travailleurs sans papiers n’auront jamais le plus minime droit de participer ni même à quelque simulacre électoral, ni d’un côté ni de l’autre côté de la frontière : ils sont nés sans temps et sans espace propre, avec l’unique fonction de laisser leur sang dans le processus productif, dans le maintien de l’ordre des privilèges qui les excluent de façon répétée et, en même temps, se sert d’eux. Tous savent qu’ils existent, tous savent où ils sont, tous savent d’où ils viennent et vers où ils vont; mais personne ne veut les voir. Peut-être les enfants cesseront-ils d’être des esclaves salariés, mal nés, mais alors les esclaves seront morts. Et s’il n’y a pas de ciel alors ils se seront foutus de tout. Et s’il y en a un, pire, ils iront en Enfer, la reconnaissance posthume au lieu de l’oubli et de la paix tant souhaitée.

Pendant que les citoyens, les « véritables humains » gardent les bénéfices de leurs serviteurs par des salaires minimes et pratiquement sans droits, jour et nuit menacés par tout type de phantasmes, ils n’éprouveront aucune nécessité de changer les lois pour reconnaître une réalité instaurée à postiori. Ce qui, jusqu’ici, paraît logique. Cependant, ce qui cesse d’être ‘’logique’’ – si nous écartons quelque type d’idéologie raciste – ce sont les arguments de ceux qui accusent les travailleurs immigrants de porter préjudice à l’économie du pays, faisant usage de services comme ceux de l’hospitalisation. Il est certain que ces groupes anti-immigrants ignorent que la Sécurité Sociale des États-Unis reçoit rien de moins que la méprisable somme de sept milliards de dollars annuellement des contributions que font les immigrants illégaux, et qu’avant d’atteindre la légalité, avant de mourir, le travailleur ne recevra aucun bénéfice. Ce qui signifie moins de convives pour un même banquet. Ils ne peuvent comprendre non plus qu’une entreprise possédant une flotte de camions doit destiner un pourcentage de ses bénéfices afin de réparer l’usure, les imperfections et les accidents qu’une telle activité entraîne. Ce serait un raisonnement intéressant, surtout pour un entrepreneur capitaliste, de ne pas envoyer ses camions au garage afin d’économiser sur le coût de la maintenance; ou de les envoyer pour ensuite jeter la faute sur le mécanicien l’accusant de profiter de son entreprise. Cependant, c’est la sorte et la hauteur des arguments qu’on lit dans les journaux et qu’on entend à la télévision presqu’à tous les jours de la part de ces groupes d’échauffés « patriotiques » qui, quoiqu’ils le revendiquent, ne représentent pas un peuple beaucoup plus hétérogène que l’on peut voir de l’extérieur – des millions d’hommes et de femmes oubliés par la simpliste rhétorique anti-américaine, sentent et agissent d’une autre façon plus humaine. Bien sûr qu’il lui manque la dialectique. Aussi, ils souffrent de mauvaise mémoire. Ils oublièrent soudain d’où descendaient leurs ancêtres. Sauf un groupe ethnique très restreint d’américain-américain – je me réfère aux indigènes qui arrivèrent avant Colomb et le Mayflower, et qui sont les seuls qu’on ne voit jamais à l’intérieur de ces groupes d’anti-immigrants, maintenant qu’entre les xénophobes abondent les mêmes hispanos, ce n’est pas par hasard qu’ils sont des citoyens récemment « naturalisés ». Le reste des habitants de ce pays sont venus de toutes les parties du monde qui n’est pas, précisément, où sont les indolents avec leurs chiens, leurs drapeaux, leurs mâchoires avancées et leurs binoculaires de chasseurs, sauvegardant les frontières des malodorants sans-chemises qui prétendent leur faire du mal attaquant la pureté de l’identité d’autrui. Ils oublient, soudainement, d’où proviennent une grande partie des aliments et des matières premières, et des conditions dans lesquelles ils sont produits. Soudainement, ils oublient qu’ils ne sont pas seuls dans ce monde et que ce monde ne leur doit pas plus qu’ils ne doivent au monde.

En un autre moment, j’ai mentionné les esclaves ignorés d’Afrique qui, s’ils sont pauvres de par leur faute, n’en sont pas moins malheureux par la faute d’autrui; ceux qui procurent au monde le chocolat le plus fin et le bois le plus cher sans les rétributions minimales que leur orgueilleux marché réclame comme Loi Sacrée, stratégique fantaisie, celle qui a pour unique effet de masquer l’unique Loi qui régit le monde : la loi du pouvoir et des intérêts sous la couverture de la morale, de la liberté et du droit. J’ai en mémoire, gravé à feu, ces jeunes villageois d’un coin lointain du Mozambique qui chargeaient des tonnes de troncs, brisés et malades, pour un salaire inexistant ou pour un paquet de cigarettes, charges de millionnaires qui, par la suite, apparaissaient dans les ports afin d’enrichir certains entrepreneurs blancs qui arrivaient de l’étranger, pendant que dans les forêts restaient quelques morts, rien d’important, écrasés par les troncs et ignorés par la loi de leur propre pays.

Soudainement, ils oublient ou ne veulent pas se souvenir. Ne leurs demandons pas plus qu’ils ne le peuvent. Rappelons-nous brièvement, pour nous-mêmes, l’effet de l’immigration dans l’histoire. Depuis la pré-histoire, à chaque étape nous rencontrons des mouvements d’êtres humains, non d’une vallée à l’autre, mais traversant des océans et des continents entiers. La « race pure » réclamée par Hitler n’avait pas surgit par génération spontanée ou de quelque semence plantée dans la boue de la Forêt Noire, mais avait traversé l’Asie moyenne et était sûrement le résultat d’incontestables métissages et d’une incapable et inconvéniente évolution (qui unit aux rouges les noirs), qui a éclaircit les visages obscurs originaux et mis de l’or dans leurs cheveux et de l’émeraude dans leurs yeux.

A la suite de la chute de Constantinople aux mains des Turcs, en 1453, la grande vague de grecs déferlant sur l’Italie provoqua une grande partie de ce mouvement économique et spirituel que nous avons connu par la suite comme la Renaissance. Quoique généralement cela est mis à l’oubli, aussi les immigrations des peuples arabes et juifs provoquèrent dans l’Europe assoupie du Moyen-Âge différents mouvements sociaux, économiques et culturels que l’immobilité de la « pureté » avait préparé durant des siècles. De fait, la vocation de « pureté » raciale, religieuse et culturelle – qui enfonça l’empire Espagnol et le porta à la faillite plusieurs fois, malgré tout l’or de leurs colonies américaines, fut la responsable de la persécution et de l’expulsion des juifs (espagnols) en 1492 et des arabes (espagnols) un siècle plus tard. Expulsion qui, paradoxalement, profita aux Pays-Bas et à l’Angleterre dans un processus progressiste qui culminera avec la Révolution Industrielle.

Et nous pouvons dire de même de nos pays latino-américains. Si je me limitais seulement à mon pays, l’Uruguay, je pourrais rappeler les ‘’années dorées’’ - si toutefois existèrent des années de cette couleur – de son développement économique et culturel, coïncidant, non par hasard, avec une effervescence immigratoire qui eût ses effets à partir de la fin du XIX è siècle jusqu’au milieu du XX è siècle. Notre pays non seulement développa un système d’éducation des plus avancé et démocratique de l’époque mais, comparativement, sa population n’avait pas beaucoup à envier au progrès des pays les plus développés du monde, quoiqu’il lui manquait, à son échelle, le poids géopolitique que pouvaient avoir alors les autres pays de ce temps. Actuellement¸l’immobilité culturelle a provoqué une migration inverse, du pays de ses enfants et petits-enfants au pays de ses grands-parents. La différence réside en ce que les européens qui fuyaient la faim et la violence trouvèrent dans le Rio de la Plata (et dans tant d’autres ports d’Amérique Latine) des portes grandes ouvertes; leurs descendants, ou les enfants et les petits-enfants de ceux qui leurs ouvrirent les portes, rentrent maintenant en Europe par la porte de derrière, bien qu’en apparence ils tombent du ciel. Bien qu’il soit nécessaire de rappeler qu’une grande partie de la population européenne les reçoit volontiers, dans les relations ni les lois ni les pratiques correspondent à cette volonté. Ils ne sont ni même citoyens de troisième zone. Ils ne sont rien et la maison se réserve le droit d’admission, ce qui peut signifier un dossier en suspend et la déportation comme criminels.

Afin de cacher la vieille et irremplaçable Loi des intérêts, on argumente – comme l’a fait avec tant d’égarements Oriana Fallaci – qu’ils ne sont pas du temps de la Première Guerre ou de la Seconde Guerre et, par conséquent, on ne peut comparer une immigration à une autre. De fait, nous savons que jamais une époque n’est assimilable à une autre, mais bien sûr qu’elles peuvent être comparées. Ou bien l’histoire et la mémoire ne servent à rien. Si en Europe se répètent demain les mêmes conditions de nécessités économiques qui porteraient ses citoyens à émigrer, ils oublieraient rapidement l’argument que cette époque n’est pas comparable à une autre époque de l’histoire et, par conséquent, il est permis d’oublier.

Je comprends que, différent de deux milieux dans un laboratoire, dans une société chaque cause est un effet et vice-versa – une cause ne peut modifier un ordre social sans se convertir en l’effet d’elle-même ou de quelque chose de différent. Pour la même raison, je comprends que tant la culture (le monde des coutumes et des idées) influence un ordre économique et matériel déterminé, autant l’inverse est vrai. L’idée de l’infrastructure déterminante est la base du code de lecture marxiste, pendant que son inverse (la culture comme déterminant de la réalité socio-économique) l’est de ceux qui réagissent devant la réputation du matérialisme. Pour ce qui est exposé ci-haut, je comprends que le problème ici réside dans l’idée de « déterminisme », que ce soit dans un sens ou dans l’autre. A son tour, chaque culture promeut un code de lecture selon ses propres intérêts et, de fait, le fait dans la mesure de son propre Pouvoir. Une synthèse des deux lectures est nécessaire aussi dans notre problème. Si la pauvreté du Mexique, par exemple, eut été le résultat d’une désinformation culturelle – tel que le proposent actuellement les spécialistes et théoriciens de l’Idiotie latino-américaine, les nouvelles nécessités économiques des immigrants mexicains aux États-Unis ne produiraient pas les travailleurs les plus stoïques et les plus patients que connaît ce pays : elles produiraient simplement des ‘’émigrés désœuvrés’’. Et la réalité paraît nous montrer autre chose. Bien sûr que, comme le dit Jésus, ‘’ il n’y a pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir’’.

Jorge Majfud
Université de Géorgie

Traduit de l’espagnol par :
Pierre Trottier, mars 2006
Trois-Rivières, Québec, Canada



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