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La peur de l'ennui est la seule excuse du travail

laiguillon, Lundi, Mai 9, 2005 - 01:56

Laiguillon

Cette citation de Jules Renard va me permettre de secouer un des poncifs les plus sanctifiés, à savoir le travail.
Que tous ceux qui entament cet article ou d’autres sur le sujet, essaient de se débarrasser, pour un bref instant, de leurs a priori. Oui, je sais, ce n’est pas facile et particulièrement dans ce domaine, mais l’exercice est sain et salutaire.

Partons d’une déclaration du genre :

« Puisque le travail est notre maître, puisqu’il régit nos vies que nous soyons dans la société ou en dehors de la société, puisqu’il y est tantôt notre meilleur ami, tantôt notre pire ennemi, alors faisons-le disparaître !! »

Amusez-vous à lâcher cette phrase entre le fromage et le dessert, si vraiment vous vous ennuyez. Vous verrez les visages se figer, les yeux s’arrondir, les mains se crisper sur les couteaux (pour cette raison ne le déclamez pas au moment de la viande). Gardez votre sérieux pour effacer les derniers sourires de ceux qui gardent l’espoir d’une plaisanterie. Avant de perdre vos amis, mais d’économiser un dessert, vous aurez compris que vous venez de vous attaquer à un symbole intouchable et que l’on aurait pu vous pardonner d’avoir introduit un saint-nectaire dans le rectum de la maîtresse de maison, mais que là, vous avez dépassez les bornes !!

Pourtant, pourtant, …

Pour affronter un ennemi, il faut le connaître. En essayant de le connaître, nous avons même une chance de nous en faire un ami …

D’où vient-il ?

Le travail, sous ce terme générique, est aussi vieux que l’humanité…Voilà le topo en accéléré.

De la préhistoire à la Renaissance
Préhistoire : Industrie de la pierre
Ancienne Egypte : Ouvriers pour pyramides, barbiers, potiers, forgerons, scribes, paysans, soldats,
commerçants, charpentiers, etc… et esclaves bien sûr
Epoque Gallo-romaine : Métallurgistes, paysans, mineurs, précepteurs, tailleurs de pierre, carriers, etc, …et
esclaves bien sûr
Moyen Age : Agriculteurs, artisans (architectes, sculpteur, verriers…), ouvriers du textile, écrivains publics,
Maçons, etc…
Renaissance : Artisanat, essor de l’artistique, imprimerie, carriers, mineurs, médecins,

Ancien régime (XVI ème au XVIII ème siècle)
Développement de l’industrialisation et du machinisme.
Industrie du bois, du cuir, du verre, de la poterie, du papier, de la faïence. Industrie chimique.
Mécanisation de l’industrie textile. Arrivée de la machine à vapeur.
Différenciation entre l’ouvrier artisan à domicile et ouvrier en manufacture. Le temps de travail s’allonge (4h du matin à 20h), le travail de nuit apparaît, les grèves aussi. Les maladies du travail commencent à faire l’objet d’études médicales, la prévention du travail est en train de naître.

L’ère industrielle (XIX ème siècle)
Au début de ce siècle, forte majorité de travailleurs agricoles par rapport aux travailleurs de l’industrie. La diffusion du machinisme sera lente mais entraînera une concentration des moyens matériels et humains. Le relatif déclin des textiles au profit de la mine et de la métallurgie est associé à la mise en place d’unités de production plus vastes. On note alors un changement d’échelle dans la concentration de la main d’oeuvre des années 1880 qui marquent la naissance de la grande usine, des grandes aciéries, fonderies et laminoirs. Les conditions de travail deviennent de plus en plus mauvaises et certains commencent à s’élever contre le patronat (Zola avec « L’assommoir » « Germinal », Le figaro, Hector Malot,…). L’apparition du chemin de fer en France, une étape importante dans le développement de l’activité économique et industrielle.

XX ème siècle jusqu’aux environs de 1960
Introduction des machines-outils, l’armement, les cycles. L’automaticité va croissante permettant une simplification du travail parallèlement à l’apparition de sources d’énergie nouvelles, électricité et pétrole. Le textile régresse et la métallurgie augmente. (Creusot, Schneider,..). L’automobile s’active (Renault, Citroen,..). La mécanisation, tout en diminuant le travail physique, va entraîner souvent des contraintes telles la parcellisation des tâches, l’augmentation des cadences, le travail répétitif, une surcharge mentale et une fatigue nerveuse (Taylorisme arrive en France aux environ de 1920). Tout ceci était normal car prévalait alors l’organisation scientifique du travail ( O.S.T.), dont l’unité de mesure était d’un centième de seconde et qui ne reposait sur aucune approche ergonomique L’évolution scientifique et technique va conduire à une nouvelle création, le robot.

Cinquante dernières années
Les transformations enregistrées ces cinquante dernières années peuvent se résumer par :
. Les catégories socioprofessionnelles se sont profondément modifiées avec la montée des cadres, techniciens et ouvriers qualifiés.
. Déplacement vers le secteur tertiaire du centre de gravité du marché du travail.
. La psychologie du travail prend de l’importance. L’âge moyen des actifs s’est modifié : en 1987, 45% des actifs avaient entre 25 et 39 ans ; les divergences selon le sexe sont devenues peu importantes, en dehors du travail à temps partiel.
. Développement du chômage dans ces deux dernières décennies qui modifie les données.
. La durée annuelle du travail, sa durée hebdomadaire, sa durée journalière, ont diminué; les rythmes de travail ont changé favorablement.
. Depuis les années 1975 nous assistons à une "nouvelle révolution industrielle" dont l’une des principales manifestations est l’émergence de technologies modernes dans de très nombreux secteurs de l’activité économique.

Comment s’adapte t’il ?
Ce panorama historique montre l’évolution de nos sociétés au niveau laborieux. Nos sociétés ont toujours été en mutation mais cette mutation s’est considérablement accélérée ces 50 dernières années et d’une manière exponentielle. Le travail s’est parfaitement adapté à cette vitesse, car il en est le moteur et en même temps la finalité. Il est le catalyseur des mutations de notre société et il est en même temps l’instrument par lequel l’être humain en profite. Essayons de suivre ses propres mutations et de cerner son évolution.

Le prix du modernisme ?

Les évolutions technologiques passées ont toujours fait rejaillir des emplois dans d'autres secteurs, la " troisième révolution industrielle" (démarrée en 1975) va changer la donne. L'informatique et la biotique menacent également le travail humain dans des secteurs tels que l'agriculture ou les services qui sont de plus en plus automatisés. Une semblable évolution se dessine dans le monde de l'industrie mais aussi dans celui des services ou de la grande distribution. Simplification des hiérarchies, transformation du lieu de travail, des liens entre ouvriers et direction permettent d'augmenter sensiblement la productivité et de réduire fortement les erreurs. Mais parallèlement, l'univers du travail devient progressivement virtuel et le reengineering réduit drastiquement les effectifs humains. Le travail, de plus en plus orchestré par des robots et des ordinateurs, est devenu de plus en plus stressant et fatigant.

Le travail est-il anthropophage ?

Comme cela se produit aux Etat-unis depuis cinquante ans, malgré une incroyable automatisation, les Américains ont travaillé avec plus d'acharnement qu'avant, ces dernières années. Dans les 20 dernières années, les premières victimes de l’automatisation et de la mondialisation de l’économie, furent les employés américains peu qualifiés, chassés par millions des usines. De la même façon, un peu partout, beaucoup ne sont pas parvenus à retrouver un emploi, à s’offrir un toit, et ont sombré de ce fait dans le désespoir, et souvent la délinquance. La baisse généralisée du pouvoir d’achat a augmenté considérablement le nombre de pauvres. La population active est en reflux dans la plupart des secteurs. Actionnaires et patrons se sont quant à eux enrichis grâce aux gains de productivité induits par les restructurations. Le reengineering a provoqué ensuite le déclin de la classe moyenne, dont le nombre d’emplois, les salaires, ainsi que la protection sociale ont chuté de manière critique.

Finalement, le travail est un grand prédateur ?

Si nous interprétons les signes extérieurs, voilà le tableau, en gros. « Les manipulateurs d’abstraction, nouvelle élite de travailleurs du savoir, parviennent seuls à augmenter leurs revenus grâce à la nouvelle économie mondiale high-tech. Le fossé entre riches et pauvres se creuse, et les tensions toujours plus fortes pourraient aboutir à une révolution sociale. ».

Pourquoi ne l’avons-nous pas domestiqué à temps ?

Comme pour beaucoup de catastrophes naturelles, nous n’avons pas vu le coup venir. Mais est-ce une catastrophe vraiment « naturelle » ? Le travail a t’il vraiment été étudié sérieusement ? Par certains sans doutes, mais pas par tous, loin de là. Un mirage des années Pompidou a donné le coup d’envoi. Si je résume, voilà en gros ce que l’on a dit : « Aux patrons : vous allez vivre dans la concurrence. Aux citoyens : vous allez devenir des clients rois car le marché va s’ouvrir et vous pourrez trouver tout moins cher ! ». La fin du protectionnisme et de l’état providence va conduire les entreprises à la fermeture et les clients-roi à commencer à se priver par le fait qu’ils étaient consommateurs, certes, mais salariés aussi … Après les révoltes ouvrières et étudiantes de 68 (révoltes mondiales et pas seulement Françaises), une idée de génie a germé dans les esprits. Pourquoi ne pas utiliser le chômage pour calmer les esprits ?. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il a été inventé, mais instrumentalisé, cela paraît certain. Les grèves étaient en effet importantes, le SMIC est arrivé, la 4ème semaine de congé, le congé maternité. Voilà en effet, une utilisation du travail comme pacificateur de masses. C’est la révolution néo-libérale qui a transformé le travail en pit-bull. En 1970, 400 licenciements entraînent une grève nationale. En 1986, 300000 chômeurs, et personne ne bronche.

Le pit-bull fait son travail et le travail fait son pit-bull !! La peur sociale vient de changer de camp…
L’évolution de la société au sens du progrès transforme le travail, c’est un fait certain, mais la démission volontaire des politiques est responsable de son agressivité. Le travail s’accompagne désormais de son compagnon de l’ombre, le chômage.

Moyens actuels de lutte contre ce prédateur ?

Ce n’est pas le tout de comprendre comment ce travail est devenu si menaçant. Voyons maintenant quelles sont les formules de travail et les aides ou protections à notre disposition.

Pour ceux qui travaillent

CDI : contrat à Durée Indéterminée.
CDD : contrat à Durée Déterminée
CTT : contrat de Travail temporaire
SMIC : Le salaire minimum industriel de croissance, dit SMIC, a progressé de 8% entre 1997 et 2001, contre 2% de 1993 à 1997. L'introduction de la semaine de 35 heures a provoqué une multiplication des niveaux de SMIC
CES : Chèque Emploi Service.
Travail à temps partiel
Les instances représentatives du personnel :
- Les Syndicats (en perte de vitesse)
- Comité d’Entreprise (s’occupe des arbres de Noël…)
- Délégués du personnel (entre le marteau et l’enclume )
- Le CHSCT Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail
La protection
- Protection du Travail : sous la tutelle du ministère du travail et des affaires sociales
- Conseil des Prud’hommes : très utiles mais de plus en plus soumis à pression

Pour aider ceux qui ne travaillent plus

RMI : Le Revenu minimum d'insertion (RMI). Créé en 1988 comme une aide pour sortir de l'exclusion, il peut être à juste titre considéré comme une avancée sociale majeure. Il constitue le minimum vital pour ceux qui vivent en état de grande exclusion et contribue indéniablement un moyen à la lutte contre la pauvreté. il s'agit d'une allocation temporaire de survie qui donne les moyens et incite l'insertion. Le « i » de RMI n’est pas « insertion » mais « insulte ». Les faibles salaires proposés ne motivent pas les RMIstes à retrouver un emploi. En effet, ils devraient alors affronter la baisse de l’aide au logement, les impôts, les transports,etc …15 à 20% des allocataires ne sont de toutes façons pas aptes à reprendre un travail. Le frein le plus évident est la très faible perspective qu’un éventuel emploi évolue vers un emploi meilleur et mieux rémunéré !!
RMA : Revenu Minimum d’Activité. Crée à l’origine pour supplanter le RMI en début 2003. Il est sensé représenter un appui au RMI.
ASS : Allocation de Solidarité Spécifique
ARE : Aide au Retour à l’Emploi. Pour les moins de 50 ans, cette aide d’une durée de 7 à 23 mois, plus pour les personnes entre 50 et 60 ans.
AI : Allocation d’Insertion. Pour les expatriés, réfugiés, accidentés et détenus en réinsertion.
AER : Allocations Equivalent Retraite. Complément de ressource pour la retraite, jusqu’à 60ans.
ASFNE : Allocation de Préretraite et de licenciement pour les personnes de plus de 57 ans.
CATS : Allocation pour travaux pénibles ou difficultés d’adaptation aux technologies pour personnes de plus de 55 ans.
Allocations Chômage

La panoplie (si elle est complète ?) est impressionnante. Mais avouons tout de même que toutes ces mesures (avec un bémol pour le RMI) ressemblent plus à des pansements sur une jambe de bois, qu’à une réelle réflexion de fond.

Aujourd'hui l'Etat se prépare à dépenser sans compter pour que des centaines de milliers d'hommes et de femmes simulent le travail disparu dans d'étranges "ateliers de formation" ou d'entreprises d'insertion" afin de garder la forme pour des emplois qu'ils n'auront jamais. On invente toujours de nouvelles mesures encore plus stupides que les précédentes simplement pour maintenir l'illusion que la machine sociale qui tourne à vide peut continuer à fonctionner indéfiniment. L'Etat se charge une fois de plus de ce que le marché n'est plus à même de garantir en instituant un nouveau programme de création d'emplois. Cette simulation étatique du travail, qui s'accompagne de la réduction de la durée de l'assurance chômage, est aujourd'hui encore plus violente et répressive qu'elle n'a jamais été.

Aujourd'hui les exclus, s'ils ne veulent pas vivre de charité chrétienne et d'eau fraîche, vont devoir accepter n'importe quel sale boulot, n'importe quel travail d'esclave ou n'importe quel contrat d'insertion aussi absurde soit-il, pour prouver leur inconditionnelle disponibilité au travail. En simulant "l'emploi" et en faisant miroiter un futur positif de la société du travail, on crée la légitimation nécessaire pour sévir plus durement contre les chômeurs et ceux qui refusent de travailler. Si on ajoute à ce tableau, l’allongement de la durée du travail en cours, le recul de l’âge de la retraite, nous sentons bien l’affolement intellectuel des nos élus, pour maintenir la sacro-sainte valeur morale du travail.

Le travail : le leucocyte de la société

Le travail en fait est une notion sociologique parfaitement datée. Les travaux de Dominique Méda l'ont bien montré. C'est précisément vers la fin du XIX° siècle que le travail est devenu notre " fait social total ". Il s'est alors propagé l'idée que le travail était constitutif de la nature humaine. Faisant ainsi partie de notre essence la plus profonde, la séparation n'en était et n'en demeure aujourd'hui que plus douloureuse à supporter.
Selon Dominique Méda, " Confondre Culture et Travail, c'est oublier que la vie est aussi action, et pas seulement production… »

En introduction de cet article, je relatais de manière volontairement brutale, la difficulté d’imaginer la remise en question du travail. Cela provient que l’on conçoit uniquement le travail comme « travail salarial à statut » (expression de Jeremy Rifkin). Nous avons beaucoup de mal (moi y compris) à imaginer une autre forme de travail et dés lors, nous pensons :

A)soit au maintien du travail tel qu’il nous est proposé
B)soit à sa disparition pure et simple.

A - La première possibilité nous fait trembler d’effroi. Le travail évolue (il y a autant de travail qu’avant, contrairement aux idées reçues) mais dans une logique pure d’accélération vers le haut. Le discours managérial moderne exige autre chose et davantage, une disponibilité constante et, à la limite, une conversion totale aux valeurs de l’entreprise. La peur du licenciement accentue encore ce type de surdétermination du rapport au travail. Souffrance au travail et angoisse de perdre son emploi sont deux composantes actuelles importantes du rapport au travail. Si nous n’entrons pas dans cette spirale, l’éjection du système social nous attend irrémédiablement. Le travail salarial reste la base de nos sociétés capitalistes et productivistes. Plus personne n’est à l’abri du chômage aujourd’hui (allez voir le film de Costa Gavras « le couperet »). Comme notre statut social est entièrement centré sur le travail salarial, lorsque la perte de celui-ci intervient, la descente aux enfers est rapide, irrémédiable et totale. Le chômage est très souvent accompagné de l’explosion de la cellule familiale, la perte de repères moraux qui elle-même porte la violence, etc…
J’ai beaucoup de mal à ne pas frémir lorsque j’entends « Oui, mais si il faisait un effort, il s’en sortirait » ou « Certains chômeurs l’ont bien cherché ». Personne n’a jamais prétendu que nous sommes égaux devant le travail, comme devant beaucoup de choses, mais le mythe du clochard heureux n’a plus cours. La seule chose commune à toutes les personnes qui se sont faites happer par la machine à broyer du chômage est le fond que l’on touche de plus en plus rapidement.

B - La seconde possibilité est aussi un leurre. Beaucoup crie à la disparition prochaine et inéluctable du travail. C’est tout bonnement faux et toutes les statistiques montrent un changement dans les rapports avec le travail, un problème de distribution du travail mais en aucun cas une diminution du travail salarié. Souhaiter la disparition du travail n’est pas réaliste dans notre époque et fort est de constater que le travail (dans son sens large cette fois-ci) cimente l’individu dans la société qui est la notre. Robert Castel, sociologue, s’exprime ainsi : « Il n’est que d’écouter les chômeurs dont l’existence tout entière est déstabilisée par la perte d’un emploi. La plupart, surtout ceux qui ont déjà travaillé, demandent désespérément du travail, un « vrai emploi ». D’autres, il est vrai, en particulier parmi les jeunes qui n’ont jamais accédé à l’emploi, cherchent « autre chose ». Ils tâtonnent, bricolent, galèrent et il arrive parfois qu’ils innovent. Mais le coût de ces quêtes interdit d’en faire le modèle d’un destin que l’on souhaiterait faire partager à tous et qui anticiperait pour tous un avenir meilleur. L’existence, au mieux problématique et au pire désespérée, que mènent la plupart des « demandeurs d’emploi » montre au contraire que l’importance du travail n’est sans doute jamais aussi sensible que lorsqu’il fait défaut. ».
Le travail est en constante augmentation, les chiffres sont là. Mais comme les richesses, le problème n’est pas dans le volume, mais dans la distribution.

C’est bien ici que se situe la difficulté : lorsque nous entendons travail, nous pensons à travail salarial à statut …

Mais pourquoi pas l’apprivoiser au lieu de le chasser ?

L’alternance politique n’y change rien, le medef se frotte les mains, le productivisme nous happe et le néo-libéralisme nous déstructure. Le salariat peut trouver sa définition dans "du capital qui utilise du travail vivant pour augmenter son profit". Le salariat est notre participation concrète à l'exploitation capitaliste, fondé sur la fiction d'un contrat de travail égalitaire produisant les plus grandes inégalités. Nous devons reconnaître dans le marché du travail l'élément structurant de l'économie et de la société, imposant sa norme, ce que Foucault appelait le biopouvoir. Il faut lutter contre l’entreprise de déstructuration sociale en cours actuellement. L’hégémonie du marché porte sa menace sur le lien social en général, il détruit les rapports collectifs de solidarité, il nous aveugle sur nos congénères.

Dans l’autre sens, prôner la disparition pure et simple du travail, c’est perdre les moyens de cette lutte. Robert Castel, encore lui, nous dit : « L’histoire sociale montre à l’évidence que ce sont les régulations sociales construites à partir du travail qui ont promu cette domestication relative du marché dont l’aboutissement a été le compromis de la société salariale. Abandonner le front du travail, c’est ainsi risquer de renoncer à la possibilité de réguler le marché et se retrouver non dans une société de marché (nous y sommes depuis longtemps), mais dans une société devenue marché de part en part, entièrement traversée par les exigences asociales du marché. ». Une autre façon de dire cela plus simplement : « tant que le capitalisme est là, utilisons le pour l’améliorer ».

Une idée m’avait traversé l’esprit alors que je regardais le film de Pierre-Carles (documentariste génial, ami de Bourdieu, qui ose tout avec intelligence et pugnacité ) : « Attention Danger Travail ».

Changeons le travail !!

Robert Castel a une très jolie phrase : « Et, s’il est vrai que le travail est toujours le foyer qui détermine la configuration de l’existence sociale de la plupart de nos contemporains, l’exigence de combattre la dégradation de son régime demeure l’impératif politique principal, « l’utopie » de ceux qui n’entendent pas se plier au diktat des faits. » Dans notre société il n’est pas ou pas encore possible de ne pas travailler. Paul Lafargues et son « Droit à la paresse » reviendra à la mode un jour, je le souhaite sincèrement. Pour l’instant essayons de faire glisser le travail puisqu’il est trop lourd pour rouler.

Les revenus

Un néfaste, M. Friedman (voir « le hit parade des néfastes » sur ce site) voulait supprimer les minimums de salaire pour laisser le marché s’autoréguler, puis donner une allocation aux plus bas salaires. Pauvre crétin ! Nous savons ce que cela donne quand nous laissons le « marché » nous « réguler » !!

Une autre idée était un revenu pour tous avec la possibilité de travailler , si on voulait, en plus (P. Van Parijs, Y. Bresson, J.-M. Ferry et A. Gorz.). Un ennui possible est que ce concept creuse la population en deux camps de plus en plus tranchés. De plus, pas de travail productif entraîne pas de revenus ce qui accentue l’espace en ces deux mondes.

Une troisième voie (A. Caillé) veut instaurer un « revenu de citoyenneté ». Ce revenu serait donné en dessous d’un certain seuil de revenu et serait ensuite dégressif. Moins brusque que la seconde idée, il reste malheureusement que le problème de l’intégration sociale par le travail n’est pas franchement résolu. Plusieurs variantes ont été échafaudées sous différents noms (Couverture Universelle, Revenu Garanti,…).

Si ces idées ne sont pas parfaites, elles ont le mérite, sauf celle du néfaste, de repenser le problème plus profondément. Les défauts de ces deux dernières voies sont les suivantes :
- aujourd’hui, le travail est aussi aliénant qu’il est socialement structurant. C’est dommage à bien des égards mais pour l’instant il faut faire avec.
- en ne basant les mesures que sur un revenu universel, nous garderons un modèle binaire « Ceux qui travaillent et les autres »
- C’est laisser la croissance telle qu’elle est. Si le développement n’est considéré que dans le sens « économique », il ne pourra se déployer à l’infini.

Par contre, il est indéniable qu’un DROIT à l’existence dans notre société doit exister (c’est constitutionnel) et aucune mesure ne peut fonctionner en laissant des personnes sur le quai. Un revenu EST un droit !! Ce revenu doit assurer à l’individu, quelle que soit sa situation, de garder sa place dans la société.

Lisez : http://perso.wanadoo.fr/marxiens/politic/revenus/faq.htm en abandonnant vos préjugés. Prenez ce qui vous semble bon, critiquez ce qui vous semble moins bon, mais par pitié REFLECHISSEZ !!

Le temps

Une autre voie est apparue en demandant de repenser totalement la répartition du volume de travail entre tous les individus. La réduction du temps de travail est non seulement le moyen d’accomplir un saut qualitatif décisif pour réduire le chômage mais elle est aussi le moyen de répartir plus équitablement les gains de productivité qui sont toujours une œuvre collective. « qu’est-ce que le progrès s’il ne profite pas à tous ? ». Cette démarche bute sur la difficulté à entreprendre une refonte complète de la répartition des revenus car elle pose le problème de la propriété, de l’organisation du travail, et, en fin de compte, de la transformation des rapports sociaux. Cependant, cette idée est vitale et ne doit pas être écartée. Je pense personnellement qu’il s’agit aussi d’un problème de mentalité. Le modèle actuel du travail est une forme d’aliénation et beaucoup de gens n’arrive pas à imaginer une vie non rythmée par ce diapason. La diminution du temps de travail ne va pas apporter de solution acceptable à long terme et elle doit s’accompagner d’une autre refonte : celle de nos propres valeurs …

Les valeurs

Le vrai combat est peut-être ici : Commencer à distinguer les « valeurs d’usage » des « valeurs d’échange ».
Michel Husson écrit : « Si déconnexion il doit y avoir, c’est entre le salaire des travailleurs et la rentabilité directe de leur travail, et cette déconnexion ne peut s’opérer que par une socialisation de l’affectation du travail, qui passe par des transferts de valeur en direction des services moins rentables mais socialement prioritaires. Le rôle des services publics, de la socialisation de l’offre et l’objectif de gratuité tiennent une place centrale dans cette perspective. En un certain sens, elle s’oppose directement au projet de contournement qui inspire l’idée de tiers secteur, en mettant en avant l’exigence d’une maîtrise directe des choix sociaux, et donc d’une opposition frontale aux purs critères de profit. » Les richesses engendrées ne doivent pas être perçues comme émanant uniquement des valeurs d’échange (monétaire) mais indifféremment de ces deux valeurs. L’épanouissement d’un individu passe par autre chose que le travail au sens productif du terme. Si épanouissement de l’individu et de ses liens sociaux alors richesse de l’ensemble et donc du monde marchand. Je vous engage à lire les écrits de J.-M. harribey (lien en référence). Ils ne sont pas aisés à lire mais il nous montre la voie consensuelle à suivre. Il est aussi introduit le terme « d’externalité négative » comme la pollution, qui conduisent à un appauvrissement général mais un frein ou un obstacle indéniable au système marchand lui-même. Le système néo-libéral est en train de se tirer une balle dans le pied !.

Le mot travail doit être remplacé à terme par celui « d’activité ».

Faites l’essai vous-même et vous jugerez de la persistance de valeurs dépassées. Dites « Il faudrait que quiconque puisse toucher un salaire, qu’il travaille ou pas !! Une activité devrait être imposée mais pas un travail. ». Je vous fais le pari (pour l’avoir testé moi-même de nombreuses fois) que la première réaction sera notre égoïsme culturel. « Il est hors de question que je me crève le cul pour fournir un salaire à mon voisin qui ne veut rien foutre ». Et vous aurez la preuve que la route est longue pour considérer une activité sociale quelconque comme un lien permettant le fonctionnement de l’ensemble et ce, au même titre que n’importe quelle activité productive au sein d’une entreprise.

Conclusion

Comme pour beaucoup de choses, nous savons que nous allons dans le mur, de plus en plus vite, mais rien ne change ou si peu. Nos politiques sont englués dans les même concepts depuis des dizaines d’années. L’alternance politique s’érode. L’ENA produit encore et toujours des hauts fonctionnaires gavés au même modèle et formatés. L’Europe dans son projet de traité grave dans le marbre des bases révolues et suicidaires.

Pourtant en prenant du recul sur certaines choses et en observant leurs bases, nous distinguons parfois des pistes qui pourraient nous conduire à améliorer notre vie, sans penser forcément à la révolutionner. Nous nous devons d’y réfléchir et de nous remettre en question, personne ne le fera pour nous, j’en ai peur…

Le travail est une clé de voûte dans ce passage. Imaginer la faire exploser ou l’enlever, c’est tout l’édifice qui nous tombera sur la gueule. Alors taillons cette pierre pour rendre l’ensemble moins fragile.

Cet article n’a pas la prétention d’être une leçon ou un tour d’horizon exhaustif, mais simplement d’entrouvrir une porte pour quiconque a envie d’imaginer que nous ne manquons pas de moyens pour améliorer les choses.

L’Aiguillon

Références

Jean-Marie Harribey – cours et travaux
http://harribey.u-bordeaux4.fr/

Sur l’ENA
http://www.ifrap.org/0-ouvrirlesite/Dossier-ENA.htm

Histoire et Travail
http://www.123travail.com/p1122001.htm

Film de Gilles Ballebastre : « Le chômage a une histoire ».
http://www.reseauxcitoyens-st-etienne.org/breve.php3?id_breve=44

Mouvement Virtuel Concret
http://partitions.levillage.org/article.php3?id_article=124

Politique Sociale
http://www.politiquessociales.net

MEDA, Dominique. Le travail, une valeur en voie de disparition. Aubier, 1995

Monde Diplomatique – La fin du travail, un mythe démobilisateur
http://www.monde-diplomatique.fr/1998/09/CASTEL/10915

Ecologie Révolutionnaire
http://perso.wanadoo.fr/marxiens/

Site de Pierre Carles
http://www.pages-pierrecarles.fr.st/

Et ne pas oublier
http://www.fromage-aoc-st-nectaire.fr/

Site de réflexion, critiques et contestation
perfa.homedns.org


Sujet: 
Bien dit
Auteur-e: 
batiste
Date: 
Mar, 2005-05-10 16:03

"Il règne dans les sociétés capitalistes modernes une étrange folie qui atteint toutes les couches de la société: l'amour du travail."
-Paul Lafargue, Le Droit à la paresse

Je suis du même avis.

Avec un ami qui avait lu Bob Black et Paul Lafargue, lui aussi, j'ai fait une émission anti-travail à la radio communautaire francophone de Yellowknife. Ça a suscité un certain émoi auprès de l'auditoire.

Le travail est tellement ancré dans les mentalités que les gens ne s'imaginent pas vivre sans. Pourtant personne n'aime ça...

Comme disait Black: Prolétaires du monde entier, reposez-vous.


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Très beau dessin: des oiseaux s'unissent pour couper une cloture de métal, sur fonds bleauté de la ville de Toronto.
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