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Déclaration du Département de philosophie du Collège Édouard-Montpetit sur l’enseignement de la philosophie au collégial

Bleuler, Mardi, Mai 25, 2004 - 10:11

 
La mise sur pied des cégeps il y a plus de trente-cinq ans a constitué une transformation majeure du système d’éducation au Québec. L’établissement de ce niveau d’enseignement post-obligatoire s’est accompli avec l’objectif d’une plus grande accessibilité aux études supérieures et d’une définition plus rigoureuse des programmes de formation. Or voilà que nous sommes à la veille de modifications qui menacent l’existence même de cette création tout à fait originale et même unique en Occident.

 
Préambule

La mise sur pied des cégeps il y a plus de trente-cinq ans a constitué une transformation majeure du système d’éducation au Québec. L’établissement de ce niveau d’enseignement post-obligatoire s’est accompli avec l’objectif d’une plus grande accessibilité aux études supérieures et d’une définition plus rigoureuse des programmes de formation. Or voilà que nous sommes à la veille de modifications qui menacent l’existence même de cette création tout à fait originale et même unique en Occident.

À ceux qui en douteraient, il suffira de rappeler la position rendue publique récemment par la Fédération des Commissions scolaires du Québec, qui ne proposait rien de moins que l’abolition pure et simple des cégeps. L’empressement de l’actuel ministre de l’éducation à refuser une telle avenue ne surprend pas : le processus en cours ne se traduira pas dans le langage maladroit de la démolition. Et pourtant la suite passe par la publication des propositions de la Fédération des cégeps dont le contenu n’est guère plus rassurant; et il suffit d’apprécier les modalités de consultation et les documents que le Ministre a fait connaître en vue du Forum sur l’avenir de l’enseignement collégial qui débute tout prochainement pour se persuader qu’au terme de cette démarche, le cégep, s’il existe encore, sera devenu méconnaissable. Cette perspective ne doit laisser personne indifférent. Il s’agit maintenant pour ceux et celles qui ont à cœur de préserver cet héritage précieux d’exprimer publiquement leurs inquiétudes et de prendre position.

Nous refusons toute démarche qui aurait pour effet de mettre fin à la cohabitation des étudiants des programmes techniques et des étudiants des programmes pré-universitaires. Mais en tant qu’enseignants et enseignantes de philosophie nous voulons plus particulièrement marquer notre complet désaccord avec la perspective visant à modifier en la dénaturant la formation générale donnée aux étudiants des cégeps. La diminution des cours de philosophie (et de littérature) ou leur redéfinition en termes utilitaires ou leur éparpillement au sein d’une offre de cours élargie à un nombre indéfini d’autres disciplines comme on l’entend réclamer à l’heure actuelle, constitue à nos yeux un choix inacceptable. Si un débat doit s’engager sur les contenus de ces cours, il ne doit pas être mené dans l’ignorance de leur contribution exemplaire à la formation de l’étudiant.

La philosophie et la formation générale au collégial

Il y a des raisons sérieuses justifiant que les cours de philosophie (comme les cours de littérature française) soient suivis par les étudiants tout au long de leur parcours au cégep (exception faite pour la dernière année des programmes techniques). La principale tient à ce que ces cours relèvent d’une formation générale, démarche éducative qu’il importe de ne pas confondre avec celle procurant une culture générale. En effet, pour qu’elle soit complétée,

une formation suppose deux exigences : un travail graduel qui assure l’intégration des acquis et l’articulation des contenus en fonction de l’atteinte d’objectifs d’ensemble. Toute formation véritable suppose une action durable et continue ; en philosophie, par exemple, l’apprentissage de la réflexion critique demande du temps pour s’exercer et pour atteindre la maturation. On ne saurait en faire une sorte de menu où l’on choisit «à la carte». Une formation générale de qualité ne peut donc être conçue comme une programmation qui varie au gré de la compétition entre départements ou entre collèges rivalisant pour l’obtention des charges de cours et encore moins, comme le suggèrent certains documents en provenance des instances patronales, une offre plus ou moins décidée «localement» pour faciliter la gestion du personnel et des programmes.

On ne saurait par ailleurs confier à la formation générale collégiale une vocation qui n’est pas la sienne. Représentant pour l’étudiant une véritable ouverture sur des savoirs et des questionnements qui le portent au-delà des limites de sa spécialisation, elle n’est toutefois pas la simple reprise de ce que vise la formation générale des niveaux primaires et secondaires. Pour se qualifier au titre de l’enseignement supérieur, elle doit viser, non pas une promenade à travers les champs du savoir, mais l’enracinement des savoirs et des formes de l’expérience dans le temps et dans la pensée : non pas l’éparpillement, mais l’approfondissement.

C’est à partir de ces principes que peut être réaffirmé le caractère irremplaçable de la philosophie dans la formation de l’étudiant au collégial. La philosophie est savoir du sens : si elle doit participer de manière privilégiée à l’élaboration de ce fonds culturel commun ambitionné pour des esprits arrivant à maturité, c’est qu’elle vise la compréhension des fondements conceptuels et historiques de l’expérience humaine. L’apprentissage de la philosophie permet à l’étudiant de s’initier au dialogue rationnel, de développer une attitude réflexive et de comprendre la dimension symbolique de l’existence. Faisant le pont entre les connaissances objectives et la subjectivité, elle engage l’étudiant dans un questionnement des valeurs qui fondent le vivre-ensemble. Aucune autre discipline ne peut assumer ce rôle.

Entre tradition et progrès : une place pour la philosophie

Nos sociétés bousculées par les changements qu’elles connaissent cherchent tant bien que mal à s’y adapter. Certains prennent prétexte de ces bouleversements pour prétendre que la philosophie appartient à une tradition qu’on veut bien qualifier de noble mais qui serait aujourd’hui épuisée; à une époque dominée par les sciences et les techniques, on se convainc aisément que les grandes idées du passé importent moins que les innovations donnant forme au monde du travail et à la vie sociale en général. N’est-ce pas à cette réalité que le cégep devrait préparer? Et cela ne vaut-il pas encore plus pour les étudiants des programmes techniques dont la formation mène directement au marché de l’emploi et qui devraient se préoccuper d’abord et avant tout de leur spécialisation? De là à conclure que la place réservée jusqu’ici à la philosophie dans le programme des études collégiales doit être réduite, le pas est vite franchi par plusieurs.

Or, le philosophe n’est pas un étrange spécialiste de la généralité ni le messager plus ou moins illuminé des idées généreuses mais sans portée. La réflexion sur la liberté, la justice, la démocratie, les principes qui devraient encadrer les pratiques professionnelles, les défis posés par l’évolution rapide et plus ou moins imprévisible des sciences et des techniques… permet à l’étudiant un regard qui traverse la clôture des disciplines et l’invite à confronter ses valeurs et ses choix de vie. La philosophie est une des seules disciplines qui s’adresse à tous et qui ne requiert qu’une aptitude naturelle, soit la capacité de mettre en doute les réponses toutes faites.

Les voix qui s’élèvent encore aujourd’hui pour prétendre que les étudiants des programmes techniques sont moins concernés que les autres par cette approche trahissent une grande étroitesse d’esprit : elles portent un jugement déplorable parce que méprisant. C’est une erreur de rendre inconciliables la connaissance scientifique ou l’expertise technique et la réflexion philosophique : l’étudiant des cégeps, qu’il soit inscrit dans un programme pré-universitaire ou dans un programme technique, bénéficie heureusement d’une formation qui lui permet d’acquérir un savoir et lui propose une démarche personnelle de questionnement sur le sens de son existence, de son futur travail et sur la responsabilité sociale et politique qu’il est désormais requis d’exercer.

Le monde du travail et l’éthique

L’institution scolaire doit préparer au marché du travail, personne n’en doute. Et dans le monde d’aujourd’hui, on est en droit d’attendre des finissants des établissements de l’enseignement supérieur qu’ils fassent montre, au moment où ils entreprennent leur carrière, de leur compétence et de leur professionnalisme. Nous croyons comme plusieurs que la philosophie a un rôle à jouer dans l’acquisition de cette éthique professionnelle dont les finissants des cégeps doivent témoigner.

Toutefois, il faut éviter les malentendus. Le plus important consiste à confondre cette contribution que la philosophie peut apporter à l’enrichissement des programmes avec sa place et son rôle dans la formation générale des étudiants. Cette formation a une visée de synthèse et de sens qui touche à plusieurs autres enjeux que ceux liés à la vie professionnelle. En ce sens, exiger que la formation générale des cégépiens puisse et doive être «adaptée» aux divers programmes d’études c’est proposer une solution partielle à une demande ambiguë. Quand cela est possible, le rapprochement de la philosophie avec les intérêts professionnels des étudiants est fait par les enseignants. Mais à titre de composante de la formation générale, la philosophie ne peut être constamment réaménagée en fonction de chacun des programmes et encore moins différer plus ou moins fortement d’un établissement d’enseignement à l’autre comme le souhaitent à l’heure actuelle certains.

À vrai dire, tout ce discours sur l’«adaptation» des cours de philosophie aux différents programmes d’études ou encore sur l’«actualisation» de leurs contenus manque de clairvoyance et de rigueur. Il est incompréhensible que la philosophie ait été, jusqu’ici, écartée presque systématiquement de toute place à l’intérieur des programmes de la formation spécifique. On pourrait multiplier les exemples : comment peut-on construire un programme de sciences humaines qui ne retienne pas la philosophie à titre de discipline contributive alors que presque tous ces savoirs y puisent leur fondement? ne serait-il pas normal qu’un programme d’«éducation à l’enfance» prévoie un cours de philosophie sur les principes de l’éducation? ou que des programmes consacrés aux nouvelles technologies offrent une réflexion sur les principes de la communication?… La philosophie permettrait à l’étudiant de mieux saisir la signification et la normativité du travail ou du champ d’études auquel il se destine, à en cerner les finalités et les enjeux.

La formation du citoyen : philosophie et démocratie

La préparation de l’étudiant à assumer son rôle de citoyen est une des missions fondamentales de l’institution scolaire. Pour atteindre cet objectif, la philosophie est indispensable. Oui, plusieurs disciplines du champ des sciences humaines comme l’histoire, la sociologie, la politique… peuvent fournir une contribution importante à la compréhension des réalités sociales et politiques. Toutefois, en matière d’éducation à la citoyenneté, l’apport de ces disciplines ne se compare pas à celui de la philosophie. Les sciences humaines, liées à des méthodes et des objets de connaissance particuliers, visent la description et l’explication des faits sociaux – leur démarche est celle de l’enquête ; or, la formation du citoyen exige plutôt la démarche réflexive. Les sciences humaines forment des experts, la philosophie des êtres humains trouvant leur place au sein de leur société.

On ne saurait réduire la démocratie à ses seules institutions : elle ne peut être réelle et forte sans dialogue rationnel, sans la capacité des citoyens de partager une attitude commune, celle du doute et du questionnement. Si cette pratique n’est pas enseignée et répandue, les individus sont alors davantage la proie de la sentimentalité et de toutes les formes de propagande qui l’alimentent.

Mais encore ici, évitons les malentendus : il ne s’agit pas de confier aux philosophes du niveau collégial un ou des cours d’éducation civique dont l’enseignement devrait être effectué par le niveau du secondaire puisque ce dernier accueille tous les futurs citoyens. Au niveau collégial, l’éducation à la citoyenneté doit viser l’exploration des fondements de l’expérience démocratique et de l’exigence éthique qui s’y rattache.

Conclusion

Nous ne connaissons pas le sort qui sera réservé aux cégeps dans les mois qui viennent, mais il faut prendre la mesure de ce qui s’annonce. À un niveau d’ensemble se dessine la perspective de séparer les étudiants des programmes pré-universitaires et ceux des programmes techniques : toute initiative en ce sens, on ne saurait trop le souligner, signifierait la fin des cégeps tels qu’on les a connus. Aucune raison pédagogique ne justifie un tel choix.

En ce qui concerne la formation générale, sont mises de l’avant des propositions qui attaquent les seules disciplines dont la visée est de permettre à l’étudiant de poser la question du sens de son expérience et de se familiariser avec les méthodes d’interprétation pouvant le guider dans l’exercice de sa liberté ! Nous refusons cette perspective : l’adoption d’une telle orientation constituerait un appauvrissement de la qualité de la formation collégiale et un recul au regard de ce qu’on est en droit d’attendre d’une institution dispensant un enseignement de niveau supérieur.

La philosophie doit conserver la place qu’elle occupe à l’heure actuelle dans les cégeps. Pour qu’un débat sérieux s’engage sur cette question, il serait impératif de le préparer avec soin et non de se livrer à la sauvette à la démolition de quarante années de travail.

Texte adopté par l’assemblée générale des professeurs du Département de philosophie du Collège Édouard-Montpetit, mai 2004



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