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L’entreprise canadienne <i><b>Heritage Oil</i></b> attise la guerre civile dans la région africaine des Grands Lacs

sonia, Lundi, Mars 10, 2003 - 14:52

Alain Deneault

Le quotidien Die Tageszeitung de Berlin rapporte dans son édition du 3 mars que 300 civils sont morts dans la très sensible région des Grands Lacs africains, au terme d’un assaut lancé à Bogoro, en République démocratique du Congo près de la frontière ougandaise, par les forces congolaises du président Joseph Kabila.

Les forces congolaises cherchent ainsi à purger les forêts denses de cette région montagneuse de tout élément rebelle qui gêneraient les travaux de premier forage de l’entreprise pétrolière canadienne Heritage Oil.



Le quotidien Die Tageszeitung de Berlin rapporte dans son édition du 3 mars que 300 civils sont morts dans la très sensible région des Grands Lacs africains, au terme d’un assaut lancé à Bogoro, en République démocratique du Congo près de la frontière ougandaise, par les forces congolaises du président Joseph Kabila.

Les forces congolaises cherchent ainsi à purger les forêts denses de cette région montagneuse de tout élément rebelle qui gêneraient les travaux de premier forage de l’entreprise pétrolière canadienne Heritage Oil.

La compagnie sise à Calgary et cotée à la Bourse de Toronto s’est portée acquéreur, le 2 juin 2002, d’un champ d’exploitation pétrolier dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), à la frontière de l’Ouganda et non loin d’un Rwanda qui peine à se remettre du génocide de 1994. L’entente entre l’entreprise canadienne et la RDC a été annoncée alors que le président Kabila n’arrivait toujours pas à imposer son autorité dans cette aire en proie à la guerre depuis 1998, qui mord de surcroît sur le territoire ougandais.

Des événements sanglants risquent de se reproduire. Le chantier qu’ouvre la compagnie promet d’engranger des actifs de l’ordre de 30 milliards de dollars US et risque d’exacerber les rivalités entre le Rwanda, l’Ouganda, la République démocratique du Congo (RDC) et des factions rebelles à l’intérieur de la RDC. Les alliés potentiels du projet pétrolier canadien se disputent de généreux émoluments (qui, comme à l’ordinaire, transiteraient par divers paradis fiscaux et ne seraient en rien comptabilisés dans leur budget d’État) ainsi qu’un renforcement géostratégique de leur pays, l’est africain se trouvant à dépendre essentiellement du Kenya pour l’approvisionnement de pétrole.

Pour l’heure, un pacte plus que fragile lie les autorités congolaises et ougandaise, et les oppose aux mouvements d’oppositions est-congolais vraisemblablement soutenus par Kigali (Rwanda).

Entre 1998 et 2002, différentes factions près des autorités rwandaises, regroupées sous le nom du Mouvement de libération du Congo (MLC), ont mené une guerre sanglante contre les forces du gouvernement Kabila, jusqu’à ce qu’un fragile accord de paix ne soit signé le 17 décembre dernier. On évalue à trois millions le nombre de morts provoqués par quatre années de conflit. Le 30 juillet 2002, un autre accord de paix, cette fois entre la RDC et la présidence rwandaises, stipulait le retour au Rwanda de milices engagées dans l’est congolais contre des troupes hutues y ayant élu leurs quartiers.

Ces accords survinrent dans la foulée de la concession des terres à Heritage Oil par le président Kabila. Il appert toutefois qu’ils tiennent d’une solution palliative. Dans un article du 18 décembre 2002, le journaliste Dominic Johnson de la Tageszeitung – qui sauve l’honneur de sa profession en suivant de près cette situation alarmante demeurée sans écho du reste – rapportait que les rebelles conservent la maîtrise militaire de l’est du Congo, l’unification des troupes armées n’ayant fait l’objet d’aucun pourparler dans le cadre de l’entente. Une commission, dont la constitution se fait toujours attendre, devrait ultérieurement y travailler… L’accord de paix n’a donc été formellement scellé que par l’attribution de portefeuilles ministériels par Kabila aux rebelles, laquelle fait encore l’objet de négociations aujourd’hui .

Cet accord de façade suscite de toute évidence le plus grand scepticisme. Les forces rebelles du MLC viennent-elles tout juste de se conformer qu’est apparue une nouvelle résistance, l’Union des patriotes congolais (UPC), qui trouve toujours de vifs soutiens au Rwanda.

ARGENT – ARMES - PÉTROLE

Affaires pétrolières et militaires tiennent en Afrique d’une seule et même chose, et c’est compétent à ce double titre que Heritage Oil se présente. Au chapitre de ses « stratégies et objectifs », l’entreprise vante bien naturellement, dans son rapport annuel de 2001 précédant son entente avec la RDC, ses capacités d’investissement dans différents sites pétroliers africains « world-class » (avec à l’appui une photographie d’un point d’exploitation à l’effigie de la multinationale française TotalFinaElf, dont la réputation n’est effectivement plus à faire… ). Pudique, elle se dit ensuite férue dans la « gestion de risques techniques et politiques » (management of technical and political risk) et « l’entretien de bonnes relations avec partenaires et gouvernements ».

Les propos du directeur exécutif de Heritage Oil, Michael Wood, que la Tageszeitung rapporte dans son édition du 3 mars 2003, accentuent ce trait, à l’effet que l’entreprise, contrairement aux concurrentes qui n’ont pas osé s’aventurer dans les eaux troubles des Grands Lacs, « a peut-être un sens du risque différent des autres entreprises pétrolières » (ein anderes Risikoprofil als andere Ölfirmen).

Ces euphémismes frisant l’humour noir dissimulent à peine ce qui se dessine, une guerre du pétrole. Contrairement à ce qui se trame en Irak, celle-ci se profile sans l’ombre d’un dérangement, et risque de se dérouler dans une indifférence toute comparable à celle qui entoura les quatre dernières années de guerre civile. L’aire d’exploitation de 30 000 kilomètres carrés cédée à Heritage Oil, dont le gisement est évalué à un milliard de barils, chevauche les régions limitrophes on ne peut plus tendues de la RDC et de l’Ouganda. La région officiellement congolaise est en fait militairement contrôlée par des forces hier encore réfractaires à l’autorité de Kabila ou par les nouvelles factions rebelles de l’UPC lui imposant toujours une farouche opposition. « Ainsi l’entente pétrolière conclut à une collaboration entre le Congo et l’Ouganda, ces deux États cherchant à endiguer l’influence du Rwanda dans la région », analyse Johnson dans un article paru le 31 juillet dans la Tageszeitung. Ceci augure un rapport à trois des plus tendus, sous couvert de conflits dits « ethniques » qui sévissent déjà à l’intérieur du Congo. Johnson rapporte, dans cette même édition, le témoignage d’un haut diplomate de l’ONU qui, sous le couvert de l’anonymat, confirme que « Heritage Oil va attiser ces rivalités » . Le conflit autour des enjeux pétroliers risque, une fois de plus, de se cristalliser sous les dehors d’un « conflit ethnique », le Rwanda prétextant une lutte contre les milices hutues situées en Ouganda, l’Ouganda répliquant au nom de l’intégrité territoriale (et du devoir de protection de son entreprise hôte). Sans parler des autorités congolaises. Pour compliquer les choses, la société de surveillance qui veille au bon fonctionnement du forage appartient en partie à Salim Saleh, frère du président ougandais.

Le conflit pour ces terres augure des catastrophes pour la population civile. Les partis en cause ne manquent pas déjà de la prendre en otage sur le théâtre des opérations. Et les remarques de certains acteurs stratégiques, à savoir par exemple que le taux de population est sensiblement trop élevé là où l’on suppose les gisements, donnent froid dans le dos… Le commissaire de l’UPC, Jean-Baptiste Dhetchuvi avance que les lieux de différents massacres de civils attribuées aux troupes gouvernementales congolaises correspondent aux différents points de forage pressentis par l’entreprise canadienne.

Mais tout reste trouble en ces eaux. L’accord de principe entre Heritage Oil et le président Kabila n’a toujours pas été signé ; on est toujours à négocier la ristourne présidentielle, jugée trop élevée par le directeur exécutif de la multinationale. Dans l’entourage de Kabila, en revanche, on regrette que la région n’ait pas été concédée aux « amis français » du régime, entendre TotalFinaElf et autres acteurs politiques, militaires et financiers de la « Françafrique ».

Pour le moment, Heritage Oil ne peut revendiquer aucune découverte profitable, et devra dès lors élargir son champ de recherche jusqu’alors limité à son premier point de forage baptisé Turaco-1. Une seule chose reste certaine : la discrétion des divers intéressés sur la place publique, l’éloignement géographique des établissements où les décisions sont prises et l’opacité générale dans laquelle se déroule normalement ces opérations en Afrique laissent présager le pire pour les différentes populations civiles. Le scénario type pour ce genre d’affaires se résume en des configurations « d’alliances et de rivalités, associant acteurs occidentaux et africains, [qui] ont glissé de la criminalité économique et politique aux rackets mafieux : d’immenses richesses (pétrole, pierres et métaux précieux, forêt) sont subtilisées, remplacées par des dettes abyssales ; une petite partie des milliards ainsi générés permet d’armer, à jet continu, des dictatures militaires, seigneurs de la guerre ou chefs miliciens qui achèvent d’éreinter les peuples volés, leur ôtant toute capacité de réclamer leur dû. »

UN PASSÉ GARANT DE L’AVENIR

Pour mener ses délicates missions, c’est-à-dire faire place nette pour entreprendre ses travaux et arroser les alliés qui conviennent de ses visées financières, Heritage Oil compte sur les atouts de son fondateur, Anthony Buckingham (nom de guerre). À l’époque où il souhaitait peser sur les affaires angolaises, ce vétéran britannique des unités d’élite SAS, qu’on dit proche de son premier ministre Anthony Blair, a financé, par l’entremise du commerce de diamants de son entreprise BranchEnergy, des troupes de mercenaires provenant d’Executive Outcomes, réputée pour ses opérations en Afrique du Sud à l’époque de l’Apartheid. Il put dès lors soutenir les forces du gouvernement angolais nouvellement acquis aux vertus du capitalisme, dans la guerre sans merci qu’il livra aux troupes rebelles de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita). Cette guerre fit au moins 500 000 morts. C’est logiquement en vue d’un premier chantier d’exploitation pétrolière en Angola que Heritage Oil fut fondé par Buckingham en 1994.

Les opérations financières d’Executive Outcomes sont demeurées dissimulées par celles de la société-écran Sandline. « La boucle était bouclée. Le vivier de Sud-africains pauvres au point d’accepter de risquer leur vie fournissait les forces physiques, Sandline prenait sur elle l’organisation et garantissait la respectabilité de l’opération (the respectable front). L’opération avait pour visée d’encadrer la bonne marche des affaires occidentales en Afrique et dans d’autres points chauds du globe, de garder ses propriétés et, au besoin, de soutenir les gouvernements lorsqu’ils étaient les mieux disposés à répondre des exigences du business. »

En 1995, les mercenaires de Buckingham servirent le régime de la Sierra Leone, le président Tejan Kabbah et le gouvernement du capitaine Valentine Strasser ayant besoin d’un soutien pour contenir les assauts insurrectionnels du Revolutionary Patriotic Front (RUF). Pendant que le RUF bénéficiait du soutien actif de réseaux mafieux et des services secrets de la « Françafrique », Executive Outcomes et Heritage Oil fournissaient le gros des forces gouvernementales dans une guerre dont l’horreur pour les populations civiles fut inénarrable (esclavagisme sexuel, politique d’amputation systématique, exécutions sommaires).

C’est en vertu de ce palmarès qu’on évoque maintenant, pour assurer la sécurité des travaux de forage de Heritage Oil dans les Grands Lacs, la possibilité de faire appel à des troupes de « maintien de la paix » en provenance de l’Angola.

Continent noir, or noir, humour noir…. Cette chaîne signifiante perdurera tant que les Occidentaux, tous les Occidentaux, entoureront d’un noir silence leur processus de spoliation d’un continent.

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