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Chronique d’une guerre dénoncée : Pétrole, l’enjeu inavoué

sonia, Mardi, Février 25, 2003 - 14:07

Miloud Chennoufi

Deux facteurs, au moins, permettent de croire que le pétrole se trouve au cœur des motivations de la guerre probable contre l’Irak. En premier lieu, l’importance des postes que des personnalités proches sinon faisant partie du lobby pétrolier occupent au sein de l’actuelle administration américaine. En second lieu – l’essentiel se situe précisément à ce niveau –, les implications commerciales, diplomatiques et militaires de la stratégie énergétique que le président Georges W. Bush a adoptée il y a presque deux ans et que les observateurs ont choisi, en majorité, d’ignorer.

Pétrole, l’enjeu inavoué

Deux facteurs, au moins, permettent de croire que le pétrole se trouve au cœur des motivations de la guerre probable contre l’Irak. En premier lieu, l’importance des postes que des personnalités proches sinon faisant partie du lobby pétrolier occupent au sein de l’actuelle administration américaine. En second lieu – l’essentiel se situe précisément à ce niveau –, les implications commerciales, diplomatiques et militaires de la stratégie énergétique que le président Georges W. Bush a adoptée il y a presque deux ans et que les observateurs ont choisi, en majorité, d’ignorer.

Durant la campagne présidentielle de 2000, le lobby pétrolier, essentiellement texan, a mis quelques 26 millions $ au service de Georges W. Bush. Parmi les souscripteurs figurait Kenneth Lay, ex-PDG d’ENRON, le tristement célèbre courtier en produits énergétiques tombé en ruines dans le fracas d’un immense scandale financier en 2001. Le directeur de campagne du candidat Bush n’était autre que Don Evans, ex-PDG de Tom Brown, une firme gazière dont les forages dans les Rocheuses avaient soulevé des remous quelques années auparavant. Le candidat républicain était lui-même issu du sérail pétrolier. Cadre supérieur à l’Arbusto-Bush Exploration entre 1978 et 1984 puis à Harken de 1986 à 1990, Bush fils s’était évertué durant la campagne électorale à critiquer Bill Clinton, le président sortant, lui reprochant de ne jamais avoir eu de stratégie énergétique. Personne ou presque n’avait pensé à l’époque que c’était là les signes avant-coureurs de la principale orientation stratégique du futur président. D’autres indices viendront s’ajouter dès la prise de fonctions par Gorges W. Bush à la Maison Blanche. Il attendra à peine 48 heures après son investiture, en janvier 2001, pour mettre en place le National Energy Policy Development Group (NEPDG) et installer à sa tête Dick Cheney par ailleurs vice-président des États-Unis et surtout ex-PDG de Halliburton, une firme pétrolière, de 1986 à 1990. Le ministère de l’énergie est confié à Spencer Abraham, une personnalité connu pour son soutien indéfectible à l’association Vehicle Choice, un acteur du lobby opposé à la réduction du recours au transport par voiture sous prétexte d’économie d’énergie. Enfin, une cadre supérieure de la firme Chevron de 1991 à 2000, Condoleezza Rice, est nommée à la Maison Blanche au poste influent de conseillère à la sécurité.

La place considérable du pétrole dans la politique du nouveau gouvernement américain est confirmée le 17 mai 2001 lorsque Georges W. Bush rend publique le rapport du NEPDG dont Kenneth Lay a sensiblement influencé la rédaction1. Alarmistes à souhait, les rédacteurs du rapport n’ont pas manqué de souligner que « d’ici 20 ans, les États-Unis importeront les deux tiers de leur consommation de pétrole, ce qui représentera un facteur de dépendance à l’égard de puissances étrangères qui ne portent pas toujours au cœur les intérêts américains »2 Mais cet alarmisme se nourrit d’une situation et de perspectives bien réelles. En effet, la consommation d’énergie aux États-Unis dépend à 35 % des importations, (53 % en ce qui concerne le pétrole) et augmente de 5 % chaque année. La part des Américains dans les réserves mondiales de pétrole ne dépasse pas les 3 % et sous réserve que les prix mondiaux du pétrole demeurent raisonnables, les États-Unis devront payer une facture cumulée de pétrole importé s’élevant à 2.5 trillions $ en 2020. Il est en outre prévu que la part des importations dans la consommation d’énergie aux États-Unis atteigne 62 % dans une vingtaine d’années. À la même période (autour de 2020) les Américains importeront 37.1 millions de barils de pétrole par jour contre 24.4 millions aujourd’hui3.

Pour y faire face, l’option stratégique retenue dans le rapport du NEPDG consiste en la nécessité de diversifier les fournisseurs étrangers. C’est dans cette perspective précisément que l’Irak est évoqué, bien que timidement. L’Irak possède 113 Milliards de barils en réserves de pétrole prouvées. Le département américain de l’énergie estime même que ces réserves peuvent s’élever en réalité à 220 milliards de barils car durant les dernières années, l’embargo a empêché la prospection en Irak.

Paradoxalement, note à juste titre l’expert en relations internationales Michael Klare, cet aspect des choses, en dépit de son importance, se trouve à la toute fin du rapport4. Très subtile, l’administration Bush a voulu que le débat qui allait inévitablement suivre la publication du document, porte uniquement sur les aspects internes de sa politique énergétique, qui se résument en 2 points : (a) permettre la prospection et éventuellement l’exploitation du pétrole dans 8 % de l’Arctic National Wildlife Refuge, une réserve naturelle protégée, (b) la reprise de l’implication du gouvernement fédéral dans la promotion des infrastructures liées à l’énergie. On reconnaîtra un jour à l’administration Bush d’avoir joué à cette occasion un tour de maître. Comme prévu, l’option (a) a dressé contre elle une opinion publique et des mouvements écologistes (pas uniquement aux États-Unis) farouchement opposés à ce qu’une atteinte aussi grave soit portée à une zone écologique protégée et très symbolique, dont les dégâts environnementaux seraient catastrophiques. Quant à l’option (b), elle a nourri une vive polémique visant Bush lui-même et l’accusant de renvoyer l’ascenseur aux entreprises pétrolières qui ont joué un rôle majeur dans le financement de sa compagne présidentielle.

Ce qu’il convenait d’éviter à tout prix c’est le lien qu’auraient établi les observateurs entre la nouvelle politique énergétique et la guerre contre l’Irak elle aussi évoqué très tôt dans le discours du président Bush. Et le pari a été gagné car ni les médias ni les acteurs politiques et autres analystes ne se sont longuement attardés sur le fait que les rédacteurs du rapport du (NEPDG) n’ont pas hésité à presser explicitement le président des États-Unis de faire « du développement des importations de pétrole une priorité de la politique commerciale et étrangère ». On ne peut donc imaginer qu’une telle orientation stratégique n’ait pas de conséquences majeures, et interprétée selon la grille d’analyse idéologique des hommes clés du gouvernement américain actuel, n’allait pas imposer un style particulier, forcément brutal, pour faire face aux obstacles susceptibles d’entraver sa mise en œuvre.

Car pour assurer la disponibilité des quantités de pétrole voulues, les firmes américaines doivent travailler avec les firmes étrangères pour les amener à accroître leurs capacités de production et ainsi pouvoir répondre aux besoins de l’économie américaine. Comme les régions du monde où se trouve l’essentiel des réserves de pétrole sont des zones de turbulences, le gouvernement américain se croit obligé de déployer les forces militaires nécessaires pour une intervention rapide en cas de besoin. Par conséquent, le simple déploiement des 100 000 soldats américains dans le golf représente déjà une partie de l’objectif à atteindre, qu’il y ait ou non guerre contre l’Irak. Cela est valable également pour les autres régions qui intéressent les Américains, notamment le bassin de la mère Caspienne et l’Amérique latine. Ce n’est certainement pas un hasard si l’année dernière Washington a réservé un accueil bienveillant au coup d’État avorté contre Hugo Chavez, le président vénézuélien démocratiquement élu. La politique étrangère des États-Unis, profondément influencée par sa stratégie énergétique, aura comme objectif principal de neutraliser tout mouvement contraire à ses desseins. Ne seront donc tolérés que des gouvernements dirigés par des vassaux de Washington, ce qui est dors et déjà et dans une large mesure le cas en Asie centrale et dans le Golfe. C’est pourquoi, la guerre contre l’Irak, si jamais elle a lieu, jouera aussi le rôle d’exemple aux gouvernements velléitaire qui songeraient à faire passer les intérêts de leurs propres peuples avant ceux de l’économie américaine. À vrai dire, le message s’adresse également, au-delà des gouvernements, à tout type de contestation, populaire, syndicale, citoyenne, etc.

La guerre comme outil de politique étrangère

Avant d’aller plus loin, une objection est à anticiper. La thèse de la guerre pour le pétrole sera certainement contestée sur la base d’un argument que d’aucuns qualifieraient de solide à première vue. Pourquoi, en effet, les États-Unis iraient-ils provoquer une guerre coûteuse dans une région qui ne leur fournit pas la plus grande partie de leur pétrole, si tant est que le pétrole représente réellement un facteur déterminant de la guerre ? Car le pétrole du Golfe ne représente que 18 % des importations américaines. Cette objection est cependant récusée par les termes mêmes du rapport du NEPDG où on peut lire que « cette région [le Golfe] demeurera vitale pour les intérêts américains ». Selon Michael Klare, il y a deux raisons à cela : (1) l’approvisionnement des alliés traditionnels des États-Unis, essentiellement le Japon et l’Europe de l’Ouest, provient du Golfe ; (2) le flux du pétrole du Golfe sur le marché mondial participe à maintenir les prix à des niveaux acceptables pour les Américains.

La première de ces deux raisons est vraisemblable mais elle mérite d’être nuancée. Elle pertinente uniquement dans le cas de la rivalité entre les Etats-Unis, la Russie et la Chine. Car même après la guerre froide, Moscou et Pékin continuent de représenter des puissances à contenir et neutraliser leur présence dans le secteur pétrolier irakien. Les Etats-Unis ne sont pas susceptibles de porter un regard bienveillant sur les projets sino-iraquiens et russo-iraquiens de partenariat pétrolier. En effet, le rapprochement entre Washington et Moscou au lendemain du 11 septembre ne résistera pas devant la divergence d’intérêts concernant l’Irak car un consortium russe mené par Lukoil possède un contrat de 3.5 milliards $ conclu en 1997 avec l’Irak, qui ouvre aux russes de larges étendues d’activités pétrolières dans le pays5. Il en est de même avec la Chine don’t la China National Petroleum Corporation a conclu avec l’Irak la même année (1997) un accord portant sur le pétrole des regions du nord de Rumailah. Les intérêts de la Chine dans le Golfe ne sont pas minimes ; selon le département américain de l’énergie, il est prévu que les importations chinoises en pétrole du Golfe atteignent 5.5 millions de barils par jours en 2020 alors qu’elles ne dépassaient pas 0.5 million en 1997 (International Energy Outlook 2001, Table 13).

À vrai dire, le souci du gouvernement américain actuel dépasse sa rivalité avec ses adversaires classiques. Des rivalités existent au sein même des alliés qui se sont opposés à l’URSS et à la Chine durant la guerre froide. Car de nouvelles alliances – essentiellement anglo-saxonnes – se sont nouées au sein de ce bloc, qui ne font pas toujours converger les intérêts de tout le monde. Ces alliances sont le fruit de partenariats dans les domaines industriels et militaires. Comme le souligne Michel Chossudovsky dans un livre récent, l’alliance politique anglo-américaine est aussi le reflet de la fusion de British Petroleum (BP) et de l’American Oil Compagny (AMOCO) qui a donné naissance au plus grand conglomérat pétrolier au monde (BP-AMOCO), ainsi que de l’intégration du géant britannique de l’armement, British Aerospace Systems (BAES) au système d’appel d’offres du département américain de la défense6. Les États-Unis et la l’Angleterre sont actuellement absents de la scène pétrolière irakienne, contrairement à la France. TotalFinaElf, la multinationale franco-belge occupe une place confortable en Irak avec notamment un contrat qui lui confère l’exclusivité de la prospection et de la production de pétrole dans une région située à proximité de la frontière avec l’Iran, dont les réserves sont estimées à 10 milliards de barils. Il est peu probable que les Américains fassent la guerre à l’Irak, installent un gouvernement de leur choix, et acceptent en même temps que la levée de l’embargo sur le pétrole irakien ne profite pas d’abord et avant tout aux firmes américaines. Pour mieux saisir ce point, une digression s’impose. Comme le rappèle James A. Paul, le directeur exécutif du Global Forum Policy, il a fallu une dizaine d’années de tractations laborieuses pour qu’en 1971 le gouvernement irakien arrive à nationaliser l’Iraq Petrolium Company (IPC), ce qui ne fut certainement pas apprécié par les compagnies pétrolières américaines et britannique (BP, Esso, Mobil, entre autres) qui détenaient les trois quarts des parts dans l’IPC ; elles avaient donc main mise sur la production du pétrole en Irak6bis. La nationalisation ayant crispé les relations avec les firmes anglo-saxonnes, le gouvernement irakien s’est tourné vers l’Union Soviétique et la France pour un partenariat dans le domaine pétrolier. S’agissant spécifiquement de la France, on ne peut considérer qu’il s’agissait d’une nouveauté ; la Compagnie Française de Pétrole (CFP) détenait elle aussi des parts dans l’IPC6bis bis, et plus significatif encore, la France considérait l’Irak depuis 1918 déjà comme étant son principal fournisseur de pétrole63bis.

La seconde raison avancée par Klare est encore plus pertinente et doit être étayée. Avec ses réserves de pétroles estimées à 265 milliards de barils, l’Arabie Saoudite est le seul pays à même de satisfaire les besoins des États-Unis tant en matière de stabilisation des prix qu’en matière de livraison de pétrole. S’en contenter paraît une option d’autant plus vraisemblable que Ryadh n’a jamais dérogé à la règle du suivisme, voire à celle de la vassalité, qui caractérise ses rapports à Washington depuis toujours. Une règle tacite établie la première fois en 1945 à bord du Quincy à l’occasion d’une rencontre entre le président Franklin Roosevelt et le roi Abdul-Aziz îbn Saoud. Selon les termes de cet accord, les É-U devaient veiller à la sécurité intérieure et extérieure de l’Arabie Saoudite et cette dernière s’engageait à assurer un flux de pétrole sur les marchés mondiaux selon les intérêts de l’économie américaine7.

Cependant, pour trois raisons principales, les É-U ne peuvent pas s’appuyer uniquement sur l’Arabie Saoudite :

Premièrement, une présence américaine plus importante en Arabie Saoudite nourrirait forcément la contestation interne d’un régime saoudien à la légitimité de plus en plus précaire. Pour que les besoins pétroliers des É-U soient satisfaits uniquement par l’Arabie Saoudite, il est nécessaire que la production saoudienne de pétrole double en 20 ans pour passer de 11.4 millions de barils par jour produits actuellement à 23.1 millions8. Michael Klare est fondé de relever que cette augmentation est énorme et qu’elle correspond à la production actuelle des États-Unis et du Canada réunis. Elle nécessitera l’investissement de centaines de milliards de dollars et présente des défis techniques et logistiques considérables. Il n’y a qu’une seule issue, sur laquelle les rédacteurs du rapport du NEPDG ont lourdement insisté : Convaincre l’Arabie Saoudite d’ouvrir encore plus son industrie du pétrole aux firmes américaines pour des investissements substantiels. Or les Saoudiens hésiteront – et c’est peu dire – avant de se plier à cette exigence. Non pas au nom de quelque velléité de souverainisme vis-à-vis de Washington, mais parce que la famille royale mesure à sa juste valeur le danger qui la guète. Le fait est que la première fois qu’une faction du fondamentalisme saoudien a échappé au contrôle de Ryadh c’était à l’issue de la guerre de 1991 et plus exactement à cause de la présence américaine ostensible en Arabie Saoudite. Le groupe factieux, dirigé par Oussama Ben Laden, s’est servi de cet argument pour rallier à sa cause une partie de la jeunesse saoudienne dont la majorité des kamikazes du 11 septembre.

Deuxièmement, une trop grande dépendance pétrolière des É-U à l’égard de l’Arabie Saoudite s’inscrit en porte-à-faux avec la volonté de Washington de maintenir la suprématie géopolitique d’Israël. En dépit de l’allégeance saoudienne aux É-U et malgré son hostilité vis-à-vis de l’OLP, Ryadh a toujours eu un mot en faveur des Palestiniens. Le dernier en date remonte à l’offre de paix présentée l’année dernière par le prince Abdallah et vite reléguée aux oubliettes tant par Israël que par les É-U. Dans le même ordre d’idées, il n’est pas inutile de rappeler que l’unique et seul cas où les Saoudiens ont soutenu un mouvement fondamentaliste opposé aux É-U durant la guerre froide, c’est le Hamas palestinien. Ni les milieux pro-israéliens à Washington ni les Israéliens eux-mêmes n’accepteront que l’Arabie Saoudite jouisse de plus d’influence que ce dont elle a joui dans le passé.

Troisièmement, comme soulignée dans l’enquête de Richard Labévière, la succession à la tête du trône saoudien est une source d’incertitude pour les É-U9. Sur place l’homme lige des américains, ancien patron des services secrets, étant disqualifié du fait de ses relations étroites et désormais connues avec des groupes terroristes, l’accession au trône de son rival, le prince Abdallâh, paraît être l’hypothèse la plus probable. Sans avoir l’intention de couper les ponts avec Washington, le prince Abdallâh est connu pour sa volonté de rétablir des relations normales avec les autres pays arabes, dont l’Irak, et soutenir les Palestiniens de façon plus significative10. C’est pourquoi, les É-U n’accepteront pas que l’Arabie Saoudite ait une influence démesurée sur leur économie si le pétrole saoudien venait à représenter l’essentiel des importations américaines.

Dans les trois cas de figure, la diversification de l’approvisionnement des É-U à travers notamment le pétrole irakien représente une opportunité pour surmonter les obstacles. Tout simplement parce le sol irakien est au deuxième rang mondial en termes de réserves en pétrole. C’est ainsi que les objectifs américains seront atteints d’un seul coup, du moins c’est le calcule que doit faire l’administration américaine : stabiliser les prix du pétrole, garantir la suprématie d’Israel dans la région et maintenir une force militaire dans la région pour protéger leurs intérêts.

Il s’agit là d’un scénario d’autant plus plausible que la situation financière très précaire de l’Irak fera en sorte que quelle que soit l’issue du conflit, le gouvernement en place cherchera à augmenter sensiblement ses exportations de pétrole, ce qui nécessitera des investissements non négligeables et ouvrira l’appétit des pétrolières, américaines notamment. D’ailleurs Kenneth T. Derr, patron de la pétrolière Chevron, lui-même déclarait en 1998 devant le Commonwealth Club of San Francisco : « L’Irak possède d’énormes réserves de pétrole et de gaz, et j’aimerais que Chevron y ait accès » ; à l’époque, Condoleeza Rice, l’actuelle conseillère à la sécurité de Georges W. Bush, était membre de la haute direction de Chevron10bis. Étant donné l’état actuel des choses, il est bien évident que le vœux de Kenneth T. Derr comme ceux des autres patrons des pétrolières anglo-saxonne ne seront exaucés que si les bombes finissent par installer à Baghdad un gouvernement vassal, totalement inféodé aux Etats-Unis. Et des candidats à la vassalité, il y en a, peu importe qu’ils soient honnis par les Irakiens. Sous les auspices des services britanniques et américains, ils ont formé une structure appelée Congrès National Irakien (CNI), et se présentent comme étant l’opposition irakienne en exile.

Le CNI possède une seule carte et il n’hésite pas à la jouer. Selon Muhammad-Ali Zainy, ex-membre de l’establishment pétrolier irakien et actuellement analyste senior spécialisé en énergie auprès de Global Energy Studies à Londres : « Peu importe le gouvernement qui succédera à Saddam Hussein, il aura besoin de montants colossaux d’argent et cherchera à produire autant de pétrole qu’il pourra ». Il est réaliste de s’attendre à une production irakienne de 7 millions de barils par jour d’ici la fin de la décennie contre 2.5 millions aujourd’hui11. Mais encore faut-il que les investissements nécessaires profitent essentiellement aux firmes américaines, ce qui ne va pas de soi. C’est là justement qu’il est nécessaire de prêter une oreille attentive aux déclarations du CNI. Faiçal Karagholi, l’un de ses dirigeants n’a-t-il pas déclaré : « Nous examinerons tous les contrats conclus par Saddam Hussein et romprons tous ceux que nous estimerons contraires aux intérêts du peuple irakien ». Quant à Ahmed Chalabi, le leader du CNI a été d’une clarté qui ne laisse planer aucune espèce de doute sur la nature du marchandage qui a eu lieu entre son organisation et les É-U ; il est allé jusqu’à proposer la création d’un consortium de firmes américaines pour l’exploitation du pétrole irakien12. Selon une information rapportée par The Guardian, juste avant Noel 2002, des membres de cette même opposition irakienne se sont réunis à Washington avec des représentants du département d’État et du Pentagone pour discuter de l’après-Saddam. L’avis du département d’État à cette réunion était que la protection des zones pétrolières représente la priorité et l’un des participants américains affirma qu’en la matière un plan était déjà prêt12bis.

Persistance d’une doctrine

Cela étant, ni la volonté guerrière de l’actuelle administration américaine, ni l’ampleur colossale de l’expédition militaire qu’elle veut lancer, pas plus que les conséquences humaines et géopolitiques de cette aventure qui peuvent s’avérer dramatiques, ne doivent laisser croire que c’est la première fois que les États-Unis choisissent d’agir avec brutalité pour le pétrole. L’implication de la CIA dans le renversement du gouvernement iranien de Mossadegh en 1951 – c’est un secret de polichinelle – s’explique amplement par la politique de ce gouvernement qui comptait nationaliser le pétrole. Par ailleurs et comme le rappèle Klare, la protection par tous les moyens des livraisons pétrolières du Golf, est devenue encore plus centrale dans la politique américaine en 1980, quand en janvier de cette année-là, le président Jimmy Carter en énonça la doctrine. Et c’est au nom de cette doctrine que les États-Unis interviendront en 1987-1988 pour protéger les tankers koweïtiens contre les attaques réelles ou supposées de l’Iran qui était en guerre contre l’Irak (à l’époque précieux allié des É-U et des émirats du Golfe). La même logique sera reconduite en 1900-1991 lors de la première guerre du golf contre l’Irak. Et la doctrine de Carter semble être vitale pour les É-U aujourd’hui plus que jamais13. C’est pourquoi entre 1991 et 2001, les Américains ont déployé des moyens militaires considérables dans le Golfe, une entreprise qui a culminé ces derniers mois avec l’envoi massif de soldats et d’équipements militaires en tout genre dans la région.

C’est dire que si guerre il y a, et au-delà de la responsabilité directe du lobby pétrolier et des faucons de l’administration américaine, au-delà également de la complicité de certains gouvernements européens et de l’incurie des régimes arabes, les citoyens du monde entier devront comprendre qu’en faisant le plein d’essence, ils mettront aussi dans les réservoirs de leurs voitures le sang des enfants, des femmes, des vieillards, brefs d’être humains innocents qui tomberont sans l’ombre d’un doute en grand nombre, victimes de la puissance de feu américaine.

***

1. Voir Lyes Si Zoubir « Que veulent les Américains ? » Economia, no. 28, février 2003
2. Voir le rapport intitulé National Energy Policy sur le site de la Maison Blanche http://www.whitehouse.gov/energy/
3. Voir Michael T. Klare « Global Petro-Politics : The Foreign Policy Implications of the Bush Administration’s Energy Plan» Current History, vol. 101, no. 653 : 99-104, et Lyes Si Zoubir, op. cite.
4. Voir Michael T. Klare op. .cité.
5. Voir Robert Collier “Oil firms wait as Iraq crisis unfolds“ San Francisco Chronicle du 29 septembre 2002.
6. Voir Michel Chossudovsky Guerre et mondialisation. Montréal. Écosociété. 2002. p. 109 et suivante.
6bis. James A. Paul, “Iraq: the Struggle for Oil », Global Policy Forum, August, 2002 (revised December). http://www.globalpolicy.org/security/oil/2002/08jim.htm#11
6bis bis. Voir Joe Stork, Middle East Oil and the Energy Crisis. New York, 1975, pp. 188-194, cité par J.A. Paul, op. cite.
63bis. Voir Daniel Yergin, The Prize: the epic quest for oil, money and power. New York, 1991, pp. 188-191, cite par J.A. Paul, op. cite.
7. Voir Labévière, R. (1999) Les dollars de la terreur. Paris. Grasset.
8. Voir International Energy Outlook 2001, table D1, un document du département américain de l’énergie, cité par Klare, op. cité.
9. Voir Labévière, op. cité.
10. Idem.
10bis. Voir J.A. Paul, op. cité.
11. Voir Robert Collier, op. cité.
12. Idem.
12bis. Voir The Guardian/UK. January 23, 2003
13. Voir Michael T. Klare, Resource Wars. New York : Metropolitan books, 2001.

Par : Miloud Chennoufi
Auteur de : « Grandes puissances et islamisme : Des certitudes dangereuses au danger des nouvelles certitudes », dans Dagenais D. (dir.) Hannah Arendt, le totalitarisme et le monde contemporain. Québec. Presses de l’Université Laval. 2003.

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