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L’exportation de l’eau en vrac : Comment concilier les exigences du commerce international et du développement durable

Jean Frederic Morin, Lundi, Décembre 9, 2002 - 21:01

Jean-Frédéric Morin

S’il faut saluer la volonté de nos gouvernements d’interdire l’exportation d’eau en vrac et la nouvelle politique de gestion de l’eau par bassin versant, il convient de compléter le travail amorcé de manière à rendre notre régime plus solide face aux ententes de commerce international, et plus cohérent au plan environnemental.

Mardi dernier, le Ministre de l’Environnement du Québec a rendu publique la politique nationale de l’eau. Cette politique confirme l’interdiction introduite par la Loi 58 de transférer de l’eau en vrac à l’extérieur du territoire québécois. Bien que l’adoption de cette législation ait été presque unanimement saluée, les vues diffèrent quant à l’efficacité de la protection qu’elle confère face à une contestation éventuelle dans le cadre du régime de l’ALÉNA. De plus, il y a lieu de se questionner sur la cohérence d’une approche basée sur les frontières politiques avec l’approche de gestion écosystémique par bassin versant mise de l’avant dans la politique nationale de l’eau. En fait, il semble qu’une approche fondée sur les bassins hydrographiques et le développement durable assurerait une meilleure protection à la fois en regard du droit du commerce international et de la protection de l’environnement.

Interdire les transferts d’eau : Une stratégie risquée au terme de l’ALÉNA

La Loi visant la préservation des ressources en eau (ou loi 58), adoptée en novembre 1999, interdit les transferts d’eau hors du Québec. Aux yeux d’un panel d’arbitrage international, cette interdiction pourrait équivaloir à une restriction aux exportations. Or, l’article 309 de l’ALÉNA stipule qu’aucune « des Parties ne pourra adopter ou maintenir une interdiction ou une restriction [à l’exportation d’un produit]» Si l’eau est considérée comme un produit, le Québec pourrait être contraint d’autoriser son exportation.

Devant un tribunal d’arbitrage international, il pourrait s’avérer difficile de soutenir que l’eau en vrac n’est pas un produit. Bien sûr, le Canada a prévu dans sa loi de mise en œuvre de l’ALÉNA que les obligations d’ouverture de marché ne s’appliquent pas aux eaux qui ne sont pas mises en emballage ou en citerne. Mais cette loi ne définit pas la notion de citerne, ce qui ouvre la porte à des exportations d’envergure. Plus encore, un panel d’arbitrage international appelé à se pencher sur la question ne serait pas contraint de tenir compte de la loi canadienne. Il pourrait plutôt retenir l’argument que l’eau naturelle figure sur les listes tarifaires de plusieurs pays.

Dans l’éventualité où un panel d’arbitrage international considérerait que l’eau en vrac est un produit, le Québec pourrait se prévaloir de certaines dispositions lui permettant d’éviter, ou à tout le moins de sévèrement encadrer le développement d’une telle activité. En premier lieu, il pourrait interdire tous les prélèvements massifs d’eau, que ce soit pour la consommation locale ou l’exportation. D’autre part, quelques dispositions de l’ALÉNA permettraient de contrôler l’exportation de l’eau. Ainsi, on pourrait utiliser les exceptions prévues pour la protection de l’environnement pour justifier une restriction aux exportations. On pourrait également recourir à des taxes pour décourager les prélèvements massifs, ou encore imposer des limites quantitatives aux exportations d’eau. Toutefois, ces stratégies sont toutes soumises à des conditions strictes et contraignantes.

Au plan fédéral, le gouvernement canadien n’a pas formellement interdit l’exportation de l’eau mais plutôt encouragé les provinces à interdire les transferts massifs d’eau entre les bassins hydrographiques, que ce soit en vue d’une utilisation nationale ou à des fins d’exportation. En privilégiant les frontières hydrographiques aux frontières politiques, le Canada souhaite limiter les risques de perdre devant un tribunal d’arbitrage international. Mais puisque les bassins hydrographiques définis dans cette stratégie traversent les frontières, ce projet de politique pan-canadienne ne ferme pas entièrement la porte aux exportations. Ainsi, le Québec, tout comme d’autres provinces canadiennes, a préféré interdire les transferts massifs d’eau hors de son territoire plutôt que d’interdire les transferts entre les bassins hydrographiques.

Transferts et exportations : des impacts similaires

Qu’ils soient destinés à l’exportation ou au marché intérieur, les prélèvements massifs d’eau peuvent avoir de sérieuses conséquences sur les écosystèmes aquatiques et terrestres. Parmi celles-ci, notons la réduction de la productivité biologique, la destruction d’habitats marins et terrestres, l’accroissement de l’érosion des sols et de la sédimentation, l’augmentation du taux de mercure dans l’eau et la perturbation de la salinité des estuaires. La construction d’un canal ou d’un pipeline peut avoir des répercussions sur de vastes écosystèmes, en scindant, par exemple, des territoires de chasse et des routes migratoires. Même le transfert d’une petite quantité d’eau représente un risque d’introduction d’espèces envahissantes et de micro-organismes exogènes.

Les impacts négatifs des prélèvements massifs d’eau ne sont pas qu’environnementaux, mais également socioéconomiques. En effet, les cycles hydrologiques et les écosystèmes aquatiques contribuent de manière importante à une multitude d’activités humaines. Ainsi, le maintien du débit des cours d’eau est essentiel à la navigation commerciale et à l’alimentation des réseaux d’aqueducs municipaux. De la même manière, le maintien des écosystèmes aquatiques est essentiel aux activités de pêche sportive et à l’écotourisme.

S’il n’est pas acceptable sur le plan écologique de transférer des eaux au-delà de frontières, pourquoi le serait-ce au niveau national? La politique interdisant les transferts d’eau hors du Québec demeure muette sur cette question. Quant à la politique canadienne, elle définit si largement les bassins hydrographiques qu’elle autoriserait des transferts d’eau potentiellement néfastes pour l’environnement. On note donc une forme d’incohérence entre les objectifs environnementaux visés par la nouvelle politique de l’eau et l’approche adoptée pour éviter les exportations d’eau en vrac.

Compléter le travail amorcé

En somme, les prélèvements massifs d’eau entraîneraient des risques sociaux et environnementaux majeurs, que ce soit pour l’exportation ou pour l’usage interne. Cependant, l’exportation de l’eau comporte des risques accrus en raison de l’incertitude entourant l’interprétation des dispositions pertinentes de l’ALÉNA par d’éventuels panels d’arbitrage.

L’interdiction québécoise de transférer de l’eau hors de la province répond partiellement à cette préoccupation en tentant de prévenir le développement de ce commerce. Mais cette interdiction, même si elle était énoncée au niveau fédéral comme le propose le Conseil des Canadiens, comporte un risque juridique en regard du doit commercial international. Une solution à moyen terme serait que le gouvernement fédéral encourage ses partenaires commerciaux à formuler une note interprétative commune stipulant que l’eau n’est pas un produit commercial si elle n’est pas embouteillée dans des contenants de moins de 20 litres. Cette stratégie, adoptée pour préciser quelques dispositions du célèbre chapitre 11 de l’ALÉNA, est certainement plus envisageable politiquement qu’une réouverture des textes des accords commerciaux.

De son côté, Québec pourrait envisager, dans le cadre de sa nouvelle politique sur l’eau, de restreindre les transferts entre bassins hydrographiques. Cette stratégie serait plus facilement justifiable que la Loi 58 devant un panel d’arbitrage international et renforcerait la protection des écosystèmes et des cours d’eau québécois. De plus, une telle approche serait plus conforme à l’esprit de la nouvelle politique nationale de l’eau qui cherche à généraliser la gestion écosystémique à l’échelle des bassins hydrographiques.

S’il faut saluer la volonté de nos gouvernements d’interdire l’exportation d’eau en vrac et la nouvelle politique de gestion de l’eau par bassin versant, il convient de compléter le travail amorcé de manière à rendre notre régime plus solide face aux ententes de commerce international, et plus cohérent au plan environnemental.



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