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La face cachée de Jean-Loup Lapointe ou la petite histoire d’une ordonnance de non-publication

lacrap, Martes, Agosto 30, 2011 - 00:03

La Coalition contre la répression et les abus policiers révèle comment un témoignage inexact et incomplet d’un haut-gradé du Service de police de la ville de Montréal a permis à l’agent Jean-Loup Lapointe d’obtenir une ordonnance de non-publication interdisant à quiconque de publier et de diffuser des photos de ce policier qui a enlevé impunément la vie à Fredy Villanueva.

***

Depuis plus de deux ans, il est strictement interdit de publier et de diffuser toute image ou renseignement permettant d’identifier les agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte, les deux policiers du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) impliqués dans l’intervention qui a couté la vie au jeune Fredy Villanueva à Montréal-Nord, le 9 août 2008.

Rappelons que l’ordonnance de non-publication a été prononcée par le coroner Robert Sansfaçon le 8 avril 2009, suite à une requête déposée par les avocats des deux policiers. Question de convaincre le coroner Sansfaçon du bien-fondé de leur requête, les avocats des agents Lapointe et Pilotte avaient appelé à témoigner l’inspecteur Richard Dupuis, un haut-gradé du SPVM aujourd’hui à la retraite.

Durant son témoignage, l’inspecteur Dupuis a énuméré une série d’incidents impliquant des résidents et des policiers afin de démontrer l’existence d’un climat de menace pesant sur les policiers à Montréal-Nord dans l’espoir de convaincre le coroner Sansfaçon que les agents Lapointe et Pilotte ont besoin d’être protégés avec une ordonnance de non-publication.

Ce faisant, l’inspecteur Dupuis a donné des informations incomplètes et trompeuses, induisant ainsi en erreur le coroner Sansfaçon sur un élément-clé de son témoignage.

Ainsi, l’inspecteur Dupuis a informé le coroner Sansfaçon de l’existence d’un incident survenu le 5 octobre 2008. Ce jour-là, deux amis de Fredy Villanueva, soit Jonathan Senatus et Yerwood Anthony Clavasquin, avaient été arrêtés en relation avec la découverte d’une arme à autorisation restreinte. Selon les policiers, Clavasquin aurait par ailleurs prononcé le nom de « Lapointe » en leur présence.

Ce que le coroner Sansfaçon ne savait pas au moment de rendre sa décision, c’est que l’inspecteur Dupuis a omis de mentionner certaines précisions susceptibles de dédramatiser considérablement l’incident du 5 octobre 2008.

Peu après l’entrée en vigueur de l’ordonnance de non-publication, une plainte en déontologie policière a d’ailleurs été logée contre l’inspecteur Dupuis par un militant de la Coalition contre la répression et les abus policiers. La plainte suggérait que le coroner Sansfaçon n’aurait peut-être pas accordé l’ordonnance de non-publication si l’inspecteur Dupuis avait dit toute la vérité au sujet de l’incident du 5 octobre 2008.

Le Comité de déontologie policière ayant récemment décidé de clore définitivement le dossier, un retour sur cette manipulation policière couronnée de succès apparaît approprié, mais aussi sur les différentes façons que l’incident du 5 octobre 2008 a été exploité par le camp policier à l’enquête du coroner sur les causes et circonstances du décès de Fredy Villanueva.

D’une part, l’agent Lapointe a invoqué cet événement pour tenter de justifier une demande qu’il a faite à son employeur l’effet de se voir remettre une arme à feu dès son retour au travail après avoir tué Fredy Villanueva, en septembre 2008. D’autre part, les avocats des policiers se sont servis de cet incident pour attaquer la crédibilité des témoins Clavasquin et de Senatus, donnant lieu à un dérapage qui aurait pu avoir des conséquences regrettables sur la poursuite de l’enquête du coroner.

La tragédie du 9 août 2008

Commençons par revenir sur l’événement qui a donné lieu à la tenue de l’enquête du coroner, soit l’intervention policière survenue le 9 août 2008, à Montréal-Nord. Ce jour-là, deux patrouilleurs du Poste de quartier 39, soit les agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte, sont intervenus dans le stationnement de l’aréna Henri-Bourassa à l’égard d’une infraction à un règlement municipal, à savoir une partie de dés à l’argent.

L’intervention a rapidement dégénérée. L’agent Lapointe a fait une prise au cou à un jeune homme dénommé Dany Villanueva, qu’il a entrainé au sol avec lui. Quand le petit frère de Dany, Fredy Villanueva, s’est approché de l’altercation au sol, l’agent Lapointe a fait feu sur lui ainsi que deux de ses amis, soit Jeffrey Sagor-Métellus et Denis Meas.

Fredy Villanueva a été touché par trois projectiles, dont deux au thorax, et a succombé à ses blessures deux heures plus tard, tandis que Jeffrey Sagor-Métellus a été atteint par une balle dans le dos, et Denis Meas a reçu une balle à l’épaule droite.

Après avoir fait feu sur trois personnes, l’agent Lapointe a ensuite pointé son pistolet semi-automatique en direction de deux autres jeunes qui étaient présents sur les lieux, soit Yerwood Anthony Clavasquin et Jonathan Senatus, sans toutefois tirer.

Notons que Senatus ne jouait pas aux dés, mais parlait plutôt au téléphone cellulaire avec sa copine lors de l’arrivée des deux patrouilleurs du PDQ 39 dans le stationnement. En fait, Senatus ne s’est jamais approché de l’altercation et essayait de programmer son téléphone cellulaire pour filmer l’intervention policière au moment où l’agent Lapointe a pointé son arme dans sa direction.

L’enquête criminelle sur l’intervention policière qui a couté la vie à Fredy Villanueva a été confiée à la Sûreté du Québec comme le prévoit la politique ministérielle. Dans la nuit du 9 au 10 août 2008, les enquêteurs de la SQ ont recueillit plusieurs déclarations, dont celles de Clavasquin et de Senatus.

Fait à retenir, le sergent-détective Éric Bolduc de la SQ a questionné Clavasquin au sujet de ses liens avec les autres personnes présentes sur les lieux du drame. « Qui sont Danny [sic], Freddy [sic], Denis, Jonathan et Jeffrey par rapport à toi ? », lui a-t-il demandé. Clavasquin a alors répondu que ce sont « des amis proches », lit-on. La déclaration de Clavasquin révèle donc qu’il n’existe aucun lien de parenté entre celui-ci et feu Villanueva.

Une histoire de fusil

Le 5 octobre 2008, plusieurs policiers du PDQ 39 sont intervenus dans un appartement du boulevard Gouin, à Montréal-Nord, pour répondre à un appel 911 concernant une bagarre entre deux hommes. Une fois à l’intérieur de l’appartement, les policiers constatèrent la présence de deux hommes, soit le locataire des lieux, Jonathan Senatus, et un de ses amis, Anthony Clavasquin, lequel avait une petite blessure à la tête.

Bien qu’ils étaient dépourvus de mandat de perquisition, les policiers se sont permis de fouiller un peu partout dans l’appartement de Senatus. C’est ainsi qu’une policière découvrit une arme à feu semi-automatique de calibre .223, fabriquée par la compagnie Colt, dans un sac à poubelle noir à l’intérieur du garde à robe de la chambre à coucher.

L’arme a alors été saisie par l’agente Anne-Marie Dicaire tandis que Senatus et Clavasquin ont été mis en état d’arrestation avant d’être conduits au Centre opérationnel est.

Dans son rapport, l’agente Dicaire écrit qu’après vérification, l’arme saisie n’a été reliée à aucun événement. Autrement dit, le SPVM ne dispose d’aucune information permettant de croire que l’arme a été utilisée lors de la perpétration d’un crime. Notons également que le rapport de saisie mentionne que le chargeur de l’arme était vide et ne contenait donc aucune cartouche.

Soulignons que le dossier d’enquête a été confié à la sergente-détective Lucie Venne, matricule 1603, laquelle a d’ailleurs joué un rôle non-négligeable dans l’affaire Villanueva. La sergente-détective Venne a en effet été interrogée par les enquêteurs de la Sûreté du Québec, en septembre 2008, au sujet d’une version qui s’est avérée fausse de l’intervention policière qui a entrainée la mort de Fredy Villanueva. Cette version fabriquée de toute pièce disait que les agents Lapointe et Pilotte avaient été encerclés par une vingtaine d’individus avant d’être projetés au sol et étranglés.

Il convient de souligner que les documents policiers révèlent que l’auteur de l’appel au 911 était le locataire de l’appartement, soit Senatus lui-même.

Ainsi, dans leur rapport conjoint, les agentes Crystelle Valois-Tardif et Valérie Guénette écrivent que l’appel au 911 avait été fait par celui qu’elle désigne comme étant « le suspect #1 », soit Senatus. « Le sus #1 aurait alors appelé le 911 pour rapporter les voies de fait et le blessé », lit-on. « Il ne savait pas qu’il y avait une arme chez lui sinon il n’aurait jamais appelé la police suite à son altercation avec M. Clavasquin », écrit de son côté la sergente-détective Venne dans son rapport.

Par ailleurs, tant le rapport de la sergente-détective Venne que ceux des agentes Valois-Tardif et Guénette indiquent que Clavasquin aurait tenu des propos se rapportant à la fois à l’agent Jean-Loup Lapointe et à Fredy Villanueva en présence des policières alors qu’il se trouvait dans la pièce où l’arme à feu a été saisie.

« M. Clavasquin regard [sic] en direction [sic] l’arme qui est à moitié dans le sac à vidange noir sur l’étagère et fait un petit sourire en coin en prononçant le nom de Cst Lapointe », écrit l’agente Valois-Tardif dans son rapport. De son côté, la sergente-détective Venne écrit que Clavasquin « regarde l’agent Valois-Tardif avec un petit sourire, en mentionnant le nom de l’agent Lapointe ».

Notons que l’agente Valois-Tardif s’est abstenue de citer les paroles exactes qu’elle attribue à Clavasquin. D’ailleurs, quand on regarde attentivement son rapport, on peut voir que ce passage précis semble avoir été modifié ou altéré manuellement, possiblement à l’aide de liquide correcteur.

Enfin, les rapports des agentes Guénette et Valois-Tardif, et celui de la sergente-détective Venne, indiquent tous que Clavasquin aurait affirmé aux policières qu’il était « le cousin de Fredy Villanueva ».

Durant sa détention au Centre opérationnel est, Clavasquin a été rencontré par les enquêteurs, à qui il a accepté de faire une déclaration. Elle rapporte que Clavasquin aurait alors confirmé avoir parlé de l’agent Lapointe lors de la saisie de l’arme. Dans son rapport, la sergente-détective Venne écrit que Clavasquin aurait mentionné aux enquêteurs avoir demandé ceci à l’agente Valois-Tardif : « Comment va le constable Lapointe ? ».

Or, la déclaration de Clavasquin qui a été prise par un de ses collègues, le sergent-détective David Roy, ne fait pourtant aucune mention des paroles que les policières lui ont attribuées relativement à Jean-Loup Lapointe. De plus, la déclaration est tout aussi silencieuse quant au fait que Clavasquin se serait dépeint comme étant le cousin de Fredy Villanueva en présence des policiers.

Bref, cette histoire sent la fabrication policière à plein nez.

La balloune se dégonfle

Le choix des mots utilisés dans le rapport de la sergente-détective Lucie Venne témoigne de la volonté du SPVM de monter en épingle cet incident.

« Le climat qui règne actuellement à Montréal-Nord est très tendu », écrit la sergente-détective Venne. « Une arme de ce calibre pourrait causer de gros dommages », souligne-t-elle ensuite, ajoutant que « certaines personnes pourraient entretenir un esprit de vengeance contre les policiers du PDQ 39 » et que « la sécurité du publique [sic] pourrait en être affectée ».

Le rapport révèle que la sergente-détective Venne souhaitait qu’une série d’accusations criminelles soient portées contre Senatus et Clavasquin, soit complot, port d’arme dans un dessein dangereux, possession non autorisée d’une arme à feu et d’un dispositif prohibé, à savoir un chargeur, et usage négligent d’une arme à feu. (Notons l’absence que l’infraction de proférer des menaces est absent dans la liste d’accusations suggérées par la sergente-détective Venne.)

Or, à aucun endroit les documents au dossier ne viennent apporter une quelconque base factuelle pour porter des accusations de complot, ni même de dessein dangereux.

Comme de fait, les seules accusations qui ont été retenues contre Senatus et Clavasquin sont celles de possession d’une arme à autorisation restreinte sans être le titulaire d’un permis qui l’autorise et entreposage négligent de cette arme.

Par ailleurs, si les policiers avaient eu des motifs raisonnables de croire que ces deux jeunes hommes représentaient une menace minimalement sérieuse pour la sécurité de l’agent Lapointe en particulier, ou des policiers du PDQ 39 en général, on aurait alors été en droit de s’attendre à ce que la sergente-détective Venne fasse des recommandations au procureur au dossier à l’effet de s’opposer à toute remise en liberté de ceux-ci.

Or, il n’en a rien été.

Sous la rubrique « notes au procureur » que l’on retrouve à la dernière page de son rapport, la sergente-détective Venne se contente plutôt d’écrire ceci : « Les conditions de remise en liberté sont laissées à votre discrétion. »

Comme de fait, Clavasquin et Senatus, qui n’ont par ailleurs aucun antécédent judiciaire, ont tous deux été remis en liberté sous certaines conditions, comme celle de respecter un couvre-feu de 23h à 6h du matin.

Notons que l’arrestation de Clavasquin et de Senatus a fait l’objet d’un article dans les pages du Journal de Montréal au lendemain de leur remise en liberté.

« Témoins clés de la mort de Fredy Villanueva, deux proches qui jouaient aux dés avec lui au moment où il a été abattu ont été arrêtés en possession d’une arme de guerre prohibée, dimanche. Selon les premiers éléments d’enquête, au moins un des deux suspects aurait fait directement référence au policier qui a abattu Villanueva, lorsqu’on l’a appréhendé avec l’arme semi-automatique », peut-on lire dans cet article qui reprend somme toute assez fidèlement la version policière de l’incident. (1)

L’article du Journal de Montréal contenait même une citation hors-contexte de paroles que Senatus aurait prononcées lors d’une entrevue accordée à des journalistes peu après le décès de Fredy Villanueva, deux mois plus tôt. « J’espère seulement que le policier va payer pour son mauvais jugement », aurait-il déclaré à l’époque.

Dans le contexte de la découverte d’une « arme de guerre prohibée », de telles paroles peuvent facilement devenir lourdes de sens pour ceux qui sont dotés d’une imagination fertile…

Fait particulier, cette même citation a aussi été reprise dans un article publié dans le quotidien The Gazette, le lendemain. Contrairement au Journal de Montréal, l’article du journal anglophone précisait tout de même que Senatus était l’auteur de l’appel 911 qui était à l’origine de l’intervention policière dans son appartement. (2)

Il va sans dire que les détracteurs de la cause des Villanueva n’hésiteront pas à essayer de se servir de cette affaire pour tenter de faire passer les amis de Fredy pour une bande de voyous armés et dangereux.

Cependant, l’évolution du dossier à la cour va plutôt faire ressurgir un portrait beaucoup plus nuancé.

Ainsi, le 6 avril 2009, Senatus et Clavasquin se sont présentés devant la juge Louise Villemure de la Cour du Québec. À cette occasion, la couronne, représentée par Me Gianni Cuffaro, a demandé à la cour de libérer Clavasquin. Le motif : « pas de preuve à offrir ». De son côté, Senatus a enregistré un plaidoyer de culpabilité aux deux accusations qui ont été portée contre lui.

Ainsi, presque six mois jour pour jour après l’incident du 5 octobre 2008, la couronne a déclaré au tribunal n’avoir aucune preuve à offrir à l’égard du prétendu « cousin de Fredy Villanueva » qui aurait prononcé le nom de Lapointe en présence d’une arme prohibée. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la décision de la couronne de ne pas aller de l’avant avec ce dossier est en soi lourde de signification. Le feu de paille semblait donc être en bonne voie de s’éteindre de lui-même.

Il faudra toutefois attendre plusieurs mois avant d’avoir droit à la version des faits de Senatus et de Clavasquin.

Une enquête qui part du mauvais pied

Entre-temps, le 1er décembre 2008, le Directeur des poursuites criminelles et pénales a annoncé qu’aucune accusation n’a été retenue contre les agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte relativement aux événements du 9 août 2008.

De son côté, le ministre de la Sécurité publique a annoncé la tenue d’une enquête publique visant à faire la lumière sur les causes et circonstances du décès du jeune Fredy Villanueva. Le juge Robert Sansfaçon de la Cour du Québec a alors été désigné pour présider l’enquête publique à titre de coroner ad hoc.

Durant les semaines suivantes, plusieurs personnes et organismes ont adressé des demandes au coroner Sansfaçon afin d’être reconnus comme personnes intéressées à l’enquête du coroner, comme le prévoit la Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès.

Notons que le statut de personne intéressée permet de contre-interroger des témoins, de proposer au coroner l’assignation de témoins de même que de suggérer au coroner de formuler des recommandations visant une meilleure protection de la vie humaine. Parmi les personnes ayant été reconnues comme parties intéressées par le coroner Sansfaçon, on retrouve notamment Anthony Clavasquin et Jonathan Senatus.

Le 8 avril 2009, le coroner Sansfaçon a siégé pour la première fois en public dans le cadre de l’enquête publique sur le décès de Fredy Villanueva.

Ce jour-là, le coroner a procédé à l’audition d’une requête demandant une ordonnance de non-publication à l’égard de tout renseignement permettant d’identifier les agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte, lesquels ont eux aussi été reconnus comme personne intéressées.

« Il est nécessaire dans l’intérêt public, de même que pour sauvegarder la vie privée et la réputation de la requérante, que son identité, ses coordonnées et son milieu de vie ne soient pas révélés et qu’aucune représentation de son apparence physique, sous forme de photos, portraits, vidéos ou autres, ne soient divulguée auprès du public, lit-on dans le texte de la requête. La requérante craint des représailles et de l’intimidation si son identité, sa physionomie, ses coordonnées ou son milieu de vie sont révélés au public ».

Avant de procéder à l’audition de la requête, de vives discussions ont été tenues entre le coroner Sansfaçon et certains procureurs du groupe d’avocats qui représentent la famille Villanueva et les jeunes qui se trouvaient sur les lieux de l’intervention policière du 9 août 2008. Notons que Me Jacky-Éric Salvant, qui représentait Clavasquin et Senatus, est l’un des avocats faisant partie de ce groupe, qui est parfois désigné comme étant le « camp Villanueva » dans les médias.

Après une série d’échanges dans une ambiance plus ou moins sereine, le coroner Sansfaçon a annoncé qu’il ne permettrait pas aux avocats du « camp Villanueva » de se faire entendre durant l’audition de la requête des policiers Lapointe et Pilotte. « Les personnes intéressées n’ont pas à intervenir dans cette question accessoire-là », a en effet tranché le coroner.

Il faut savoir que le coroner Sansfaçon a rendu cette étonnante décision dans un contexte où régnait un imbroglio quant au statut des avocats du « camp Villanueva » à l’enquête du coroner. À ce moment-là, l’État québécois refusait d’assumer les honoraires des avocats du « camp Villanueva », alors que les six avocats représentant les intérêts des policiers se voyaient rémunérés à même les fonds publics.

Devant le refus du ministère de la Sécurité publique de revoir sa position, les avocats du « camp Villanueva » avaient informé le coroner Sansfaçon, fin janvier 2009, qu’ils n’avaient plus le mandat de représenter leurs clients respectifs à l’enquête publique. « Dans mon dossier, aucun d’entre vous ne représente les personnes intéressées non représentées », a ainsi indiqué le coroner à l’attention des avocats du « camp Villanueva » durant l’audience.

Cherchant à trouver une solution à l’impasse, Me Denis Barrette, avocat de la Ligue des droits et libertés, s’était adressé au coroner Sansfaçon avant l’audition de la requête pour lui suggérer de prononcer une déclaration à l’effet qu’il serait souhaitable que les familles des victimes soient représentées par des avocats payés par l’État. Mais le coroner a opposé une fin de non-recevoir à cette suggestion, en faisant valoir que le législateur n’avait prévu aucun pouvoir dans la loi à cet effet. « Ça ne me regarde pas », a-t-il laissé tomber.

Or, le coroner Sansfaçon a pourtant permis aux avocats des médias, ainsi qu’à ceux de la Ligue des droits et libertés, d’intervenir durant l’audition de la requête des deux policiers. Les avocats du « camp Villanueva », ont réagit à la décision du coroner Sansfaçon en quittant la salle en bloc, suivi de tous leurs clients qui s’étaient déplacés pour l’occasion afin d’assister à cette première audience.

C’est ainsi que les avocats de Clavasquin et de Senatus, mais aussi ceux de la famille Villanueva, n’ont pas pu poser une seule question à l’inspecteur Richard Dupuis.

Avant de débuter le témoignage de l’inspecteur Richard Dupuis, l’avocat de l’agent Jean-Loup Lapointe, Me Pierre Dupras, a annoncé qu’il a décidé de renoncer à une partie de sa requête. À l’origine, la requête demandait que l’ordonnance non-publication sollicitée auprès du coroner Sansfaçon vise également les noms des deux policiers impliqués dans l’événement du 9 août 2008. Me Dupras, ainsi que son collègue Gérald Soulière, l’avocat de la policière Stéphanie Pilotte, ont donc informé le coroner qu’il n’entendait plus demander une interdiction de publication et de diffusion à l’égard des noms de leurs clients respectifs.

Me Pierre-Yves Boisvert, l’avocat de la Ville de Montréal et de son service de police, a profité de l’occasion pour décocher une flèche aux médias. « La Ville de Montréal regrette qu’il soit trop tard maintenant pour protéger même l’identité, le nom de ces policiers, parce qu’il est évident que le nom de ces policiers n’a strictement aucune pertinence. Je regrette personnellement que les médias aient senti le besoin de les donner, ces noms-là, et de s’empresser de les répéter lorsque vous avez émis votre communiqué disant que les policiers allaient s’adresser à vous, pour leur propre sécurité et demander l’anonymat. Les journaux se sont empressés de mettre le nom dans le titre, et trois, quatre fois dans l’article, pour être sûr de pouvoir dire : écoutez, on l’a dit tellement souvent que ça ne servirait à rien », a lancé Me Boisvert plus tard durant l’audience.

Profil de Richard Dupuis

L’inspecteur Richard Dupuis, matricule 2434, a donc été assigné en tant que témoin par les avocats des agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte dans le cadre de l’audition de la requête demandant une ordonnance de non-publication relativement à toute information permettant d’identifier les deux policiers.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, procédons à un survol rapide de la carrière de cet officier de haut rang du SPVM.

Durant les années ’90, Richard Dupuis était sergent-détective à la section des homicides. À l’époque, il faisait parti du groupe Carcajou, une escouade regroupant différents corps policiers formée pour mener la lutte aux groupes de motards criminalisés.

À l’été 2004, Richard Dupuis a été promu commandant et chef de la Section des crimes majeurs du SPVM, qui enquête sur les homicides, les enlèvements et les vols qualifiés.

Notons que le nom de Richard Dupuis a fait surface dans l’affaire Michel Usereau, un ex-policier de la municipalité de Sainte-Thérèse accusé du meurtre prémédité de Jean-Jacques Melkonian et de tentative de meurtre sur Stéphanie Fragman, la copine de défunt, sur la rue Drolet, à Montréal, le 20 mars 2001.

Richard Dupuis avait été la dernière personne à avoir parlé à l’enquêteur au dossier, le sergent-détective Denis Matteau, avant qu’il ne s’enlève la vie le 23 janvier 2005, la veille de son témoignage dans le procès d’Usereau. Le sergent-détective Matteau s’était tiré une balle dans la tête sur son lieu de travail, à la Place Versailles, sur le boulevard Sherbrooke est. (3)

En février 2008, Richard Dupuis a été promu au grade d’inspecteur, à titre d’adjoint au chef de la Division du renseignement du SPVM. Au moment de son témoignage devant le coroner Sansfaçon, l’inspecteur Dupuis était aussi responsable du module sur la protection des témoins, ainsi que du plan de lutte à l’intimidation mis sur pied en 2001 dans le contexte de la lutte aux groupes de motards criminalisés.

Aujourd’hui à la retraite, Richard Dupuis a récemment été embauché par le réseau TVA à titre « d’expert en enquête policière ».

L’art de colorer un dossier

Durant son témoignage, l’inspecteur Richard Dupuis a dressé la liste de différents incidents impliquant des résidents et des policiers à Montréal-Nord entre les années 2006 et 2008. Ainsi, l’inspecteur Dupuis a évoqué « plusieurs actes de violence visant des policiers du PDQ 39 » afin de démontrer qu’il « existe un risque réel et sérieux » à l’effet que la sécurité des agents Lapointe et Pilotte « serait compromise », comme l’indique la requête de la policière.

Notons que l’inspecteur Dupuis n’avait pas une connaissance personnelle des incidents dont il a fait mention durant son témoignage. En fait, il a simplement fait des résumés de chacun de ces incidents, à partir des informations mentionnées dans les rapports de police dont il a pris connaissance dans le cadre de la préparation de son témoignage. Précisons que le ouï-dire était admissible lors de l’audition de la requête.

Le premier incident mentionné par l’inspecteur Dupuis remonte au 9 février 2006. « Il s’agit d’un événement de menaces envers une policière qui, lors d’une interception pour un billet d’infraction, la personne intercepté aurait menacé la policière de lui mettre ses cinq frère sur la gueule, tel qu’écrit, explique-t-il. Les cinq frères étant représentés par les cinq doigts de la main, c’est une menace de voies de fait ».

Le second incident consiste en fait en une affirmation lancée par un suspect, le 26 juin 2006. « Il s’agit d’une information que nous avons reçue d’une source fermée selon quoi les gangs de rue de Montréal-Nord voudraient tuer les trois policiers noirs du PDQ », déclare l’inspecteur Dupuis, précisant que l’information ne provenait pas d’une « source codée », c’est-à-dire d’une personne inscrite au SPVM comme étant informateur. « C’est dans le cadre d’un interrogatoire dans un autre dossier que cet individu-là a confié au policier interrogateur ce qu’il savait », indique-t-il. En contre-interrogatoire, l’inspecteur Dupuis a cependant admis que le SPVM n’a donné aucune suite à l’affaire. « C’est une information seulement, elle était trop large pour poursuivre dans l’enquête », indique-t-il.

Le troisième incident remonte au 13 août 2006. « Il s’agit d’un cas d’intimidation, un policier interpelle un suspect qui a commis une infraction à un règlement municipal. Il mentionne au policier : "De toute façon, je sais où tu habites, tu conduis une Acura bleue et je connais ta plaque." »

Le quatrième incident s’est produit deux jours plus tard et implique le même individu. « C’est un cas de menaces et d’entrave. Les policiers qui répondent à un appel pour des jeunes qui flânent et qui crient sur la rue Gouin. Il est environ 22h50. Les jeunes refusent de circuler. Les policiers tentent donc de les identifier pour leur émettre des contraventions. C’est à ce moment-là que le suspect leur dit, de façon très agressive : "J’ai hâte de pisser sur la tombe de ton père, des Glock… - faisant référence à une marque de pistolet - … il y a pas juste les policiers qui en ont et qui savent s’en servir." De plus, il dira : "Ton adresse est facile à trouver, l’adresse des biz est facile à trouver". Les "biz" identifiant des policiers dans le langage. »

Le cinquième incident remonte au 23 mai 2006. « Il s’agit d’un cas d’entrave. Les policiers qui patrouillent à pied une rue du secteur de Montréal-Nord et remarquent un individu qui les fixe bizarrement. Ils s’approchent pour lui demander si tout va bien. L’individu se met à crier des insultes aux policiers et à troubler la paix. Le suspect refusera de s’identifier. Un autre sujet s’interposera dans la discussion et commettra des voies de fait sur les policiers. Les agents finiront par se faire encercler par une vingtaine d’individus, relate l’inspecteur Dupuis. Les policiers appelés en renfort réussirent à intercepter l’individu du début. Après enquête, ce suspect-là, d’après son dossier criminel, a été reconnu coupable à six reprises en semblable matière, trois fois coupable de voies de fait contre des agents de la paix. »

Le sixième incident remonte au 26 juillet 2006. « C’est une information qui nous vient d’un policier qui travaille dans le secteur et qui est en congé. Il marche sur la rue accompagné de sa conjointe. Il passe devant un commerce où il est reconnu par certains membres de gangs de rue qui lui adressent la parole. Après avoir discuté brièvement, le policier continue son chemin, mais il s’aperçoit qu’il est suivi par un des individus sur une distance de plusieurs rues dans le but évident de connaître l’endroit où il habitait, raconte l’inspecteur Dupuis. Le policier a passé droit face à son domicile évidemment et a marché sur plusieurs coins de rue avant d’appeler une connaissance pour avoir un "lift" pour être sûr de pas identifier son lieu de domicile. »

Le septième incident remonte au 3 octobre 2006. « Il y a un policier solo qui remarque une quinzaine de jeunes qui consomment de la bière dans le secteur de Montréal-Nord. Il s’arrête pour les observer lorsque tout à coup on se met à lui lancer des bouteilles et des pierres. Plusieurs policiers sont appelés en renfort étant donné le grand nombre d’individus dont le policier Lapointe qui est lui aussi victime de tirs de bouteilles », résume l’inspecteur Dupuis.

Notons que l’inspecteur Dupuis rapporte un seul incident pour l’année 2007. « Le 3 juin, alors que l’agent est en civil et en congé revient chez lui vers 3h45, remarque près de chez lui, un individu gisant dans les marches d’un immeuble. Il voit deux individus qui se dirigent vers lui l’air menaçant, qui étaient non loin de la personne qui semblait être gisante dans les marches. Étant donné l’air menaçant, le policier a fait comme demi-tour et est parti, il a quitté les lieux pour appeler du renfort, explique l’inspecteur Dupuis. Il jette un coup d’œil au rétroviseur et il aperçoit l’individu qui coure derrière son véhicule. Il met la main à la poche et il sort un objet qui est non identifié, pointe en direction du véhicule du policier et le policier entendra trois détonations. »

« L’individu arrêté était connu policier puisque le policier avait déjà procédé à son arrestation fréquemment antérieurement », précise l’inspecteur Dupuis. L’individu en question a toutefois été blanchi de toutes les accusations par la suite. « Pour en être informé, je vous dirais que dans deux des cinq chefs, il a été libéré, les trois autres, il a été acquitté. »

L’incident suivant remonte au 7 mai 2008. « Il s’agit d’un sergent de patrouille qui patrouille seul évidemment sur la rue Lapierre. Lorsqu’il circule, il entend comme un petit bruit, comme un genre de clic, raconte l’inspecteur Dupuis. Il est revenu sur ses pas, il a fait comme le tour du bloc, il est revenu sur ses pas. Puis au même endroit, lorsqu’il a passé, il a entendu une détonation et à ce moment-là la lunette arrière du véhicule de police lettré s’est effritée. On a demandé évidemment du renfort et lorsque les policiers sont arrivés, il y a trois jeunes qui tentaient de quitter à bord d’un véhicule. Et on remarquera, sur le siège de ce véhicule-là, des plombs ainsi qu’une bombonne de gaz comprimé. Et sur la scène de crime où il y a eu l’effritement, si on veut, de la lunette arrière, dans les morceaux de verre, on a aussi retrouvé un plomb. »

Du feu et des coups de feu

Ensuite, l’inspecteur Richard Dupuis a abordé l’émeute à survenue à Montréal-Nord au lendemain du décès de Fredy Villanueva, le 10 août 2008. « C’est vers 21h qu’une série de méfaits débute, allant de l’incendie criminel, méfait, coup de feu, introduction par effraction. La manifestation qui était pacifique est devenue une émeute », relate l’inspecteur Dupuis.

« Vers 22h00, une agente du Service de police de la ville de Montréal est située sur la rue Pascal. Elle fait partie d’un peloton de policiers. Trois détonations retentissent. L’agente s’écroule, elle a été atteinte d’un coup de feu à la cuisse. L’examen de la scène nous permet de retrouver à deux endroits distincts – examen qui a été fait dans les heures suivant la fin de l’émeute – à deux endroits distincts, trois douilles de calibres différents dont les trois premières étaient du 9 millimètres et les trois autres étaient un calibre .30. Le balisticien dira des trois dernières douilles, le .30, qu’il s’agit de douilles provenant d’une arme de type mitraillette. »

Ce n’est pas là le seul incident visant des policiers à survenir durant l’émeute. « Vers 23h30, deux autres policiers qui patrouillent non loin de là, soit sur Maurice-Duplessis et Langelier, reçoivent deux blocs de ciment dans le pare-brise avant de leur véhicule. Après s’être immobilisés, ils ont descendu de leur véhicule et immédiatement après, ils ont entendu six à sept détonations. Un sergent qui est non loin des lieux, est non loin d’eux apprend d’un témoin civil, reçoit l’information qu’un suspect fait feu en leur direction avec une arme longue. À l’examen de la scène, vers 2h45, les policiers retrouvent trois douilles de calibre .45. »

« L’enquête est toujours en cours, il n’y a pas personne d’accusé ou d’arrêté là-dedans, précise l’inspecteur Dupuis. Donc dans le cadre de l’enquête, soit le 20 août 2008, une perquisition a eu lieu sur la rue Matte et on y a saisi une carabine de calibre .30 ainsi que 8 projectiles. Après l’examen balistique, on reliera l’arme à la fusillade du 10. Toujours dans le cadre de l’enquête, le 21 août 2008, les policiers ont intercepté, à bord de son véhicule, un suspect. Lors de la fouille du véhicule, on y saisira une carabine de chasse de calibre 303. »

Fait particulier, l’inspecteur Dupuis a expliqué que le SPVM n’a pas procédé à une évaluation de risque à l’égard de la sécurité de l’agent Jean-Loup Lapointe suite aux événements qui se sont produits les 9 et 10 août 2008, mais bien tout simplement parce qu’un journaliste a réussi à rejoindre la famille du policier qui a abattu Fredy Villanueva.

« C’est pas dans tous les cas où on fait une évaluation de menace, ce n’est pas systématique dans un cas comme l’événement du 9 août, déclare-t-il. Les deux policiers étaient à ce moment-là retirés en arrêt de travail et rien nous laissait présumer que quelqu’un était en mesure d’identifier l’endroit où ils étaient. »

« Par contre, le 13 août, ce qu’on a appris, malgré que monsieur Lapointe soit retiré du travail, qu’il est en arrêt de travail, ce qu’on a appris, c’est qu’il y a un journaliste – pour ne pas le nommer – qui a réussi, par des recherches exhaustives, à retracer un membre de la famille de monsieur Lapointe. À ce moment-là, le parallèle qu’on a fait, si vous voulez, c’est que si le journaliste, par ces recherches-là, a été en mesure de localiser un membre de la famille, n’importe qui aurait été en mesure de le faire. À ce moment-là, on a enclenché le processus d’évaluation. »

« Le 13 août 2008, le module de protection des témoins, qui travaille sous mes ordres, a effectué une évaluation du risque et a émis certaines recommandations dans le cadre des mesures de protection, relate l’inspecteur Dupuis. La grille d’évaluation de menace concernant l’intimidation, ça l’a comme cinq niveaux, le niveau 1 étant le plus à risque ou le plus haut niveau de risque. Le niveau 5 étant une menace écartée. »

« Lorsqu’un policier est soumis à un risque pour sa sécurité, le module protection de témoin va aller rencontrer ça et va aller rencontrer les policiers, vont aller vérifier, entre autres, l’endroit où il travaille, l’endroit où il demeure, si c’est confirmé dans les mesures de sécurité, il va émettre certaines recommandations. Sauf que l’évaluation de ce risque-là est faite à partir d’une grille d’évaluation qui est incluse dans le plan de lutte à l’intimidation québécois. »

Des non-dits qui en disent longs

L’inspecteur Richard Dupuis a ensuite enchainé en parlant de la découverte d’une arme semi-automatique dans un appartement du boulevard Gouin, à Montréal-Nord, le 5 octobre 2008.

« Vers 11h25, les policiers ont répondu à un appel pour une bagarre entre deux hommes à l’intérieur d’un appartement. Les policiers, une fois rendus à l’intérieur, ont constaté des traces évidentes de bagarre et ont rencontré deux individus. Pendant qu’ils rencontraient ces individus-là, un autre policier a fait le tour de l’appartement pour sécuriser l’appartement. Et pendant qu’il faisait le tour, il a remarqué dans un garde-robe, un fusil semi-automatique. … En fait, un fusil automatique de ce genre-là, je n’ai pas de photo avec moi, mais c’est un fusil qui est de façon automatique quand on appuie sur la gâchette, ça peut vider un chargeur qui peut aller jusqu’à dix, quinze, vingt, trente balles, dépendamment de la longueur du chargeur », a raconté l’inspecteur Dupuis.

L’arme a été découverte par une policière. « Elle la dépose sur une étagère et quelques instants plus tard, il y a un des sujets qui était taché de sang qui a voulu changer de t-shirt, s’est rendu dans la chambre à coucher où se trouvait la policière et il a visiblement regardé en direction du garde-robe pour voir si les policiers avaient ou non trouvé l’arme. Elle s’est aperçue qu’elle n’était plus dans le garde-robe, toujours… Elle a fait le tour de la pièce du regard, elle a vu l’arme près de la policière sur l’étagère. Puis à ce moment-là, il y a eu un petit sourire et il a mentionné le nom "Lapointe" », continue le témoin policier.

Notons que c’est de sa propre initiative que l’inspecteur Dupuis a évoqué un soi-disant lien de parenté entre Anthony Clavasquin et Fredy Villanueva. « Juste peut-être pour compléter ça, le sujet qui a mentionné le nom "Lapointe" a par la suite mentionné aux policiers qu’il était le cousin de monsieur Villanueva », a déclaré l’inspecteur Dupuis. Me Pierre Dupras, l’avocat de l’agent Lapointe, s’est alors montré ravi, en disant que le « souci d’être complet » démontré par l’inspecteur Dupuis « honore » celui-ci.

L’inspecteur Dupuis n’avait pourtant aucune excuse d’ignorer qu’il n’existe aucun lien de parenté entre Anthony Clavasquin et Fredy Villanueva.

En effet, la déclaration de Clavasquin à la SQ, dans laquelle celui-ci indique que les frères Villanueva sont des amis à lui, a été communiquée à toutes les parties intéressées à l’enquête du coroner, au même titre que toutes les autres déclarations de témoins relativement aux événements du 9 août 2008. Le SPVM ayant lui-même été reconnu comme partie intéressée à l’enquête du coroner, l’inspecteur Dupuis avait donc accès à toutes ces informations.

Pire encore, à aucun moment de son témoignage l’inspecteur Dupuis n’a mentionné que Clavasquin a été libéré des accusations qui ont été portées contre lui en rapport avec cet incident.

L’omission de l’inspecteur Dupuis apparaît d’autant plus inexcusable à la lumière du fait qu’un plumitif déposé en preuve durant son témoignage indiquait que Clavasquin devait revenir devant le tribunal le 6 avril 2009, soit deux jours avant l’audition de la requête devant le coroner Sansfaçon.

Autrement dit, l’inspecteur Dupuis a non seulement soumis en preuve un plumitif qui n’était pas à jour, mais en plus il n’a pas prit la peine de s’informer de ce qui s’est passé lors de l’audience du 6 avril 2009 – ou alors s’il l’a fait, il a délibérément passé cette information sous silence.

Cette omission de la part de l’inspecteur Dupuis est d’autant plus grave qu’on sait aujourd’hui que la couronne a libéré Clavasquin des accusations durant cette audition du 6 avril 2009. Bref, si l’inspecteur Dupuis avait soumis en preuve un plumitif à jour, le coroner aurait automatiquement été informé que Clavasquin ne faisait plus face à aucune accusation concernant l’événement du 5 octobre 2008.

Mais ce n’est pas là la seule omission de l’inspecteur Dupuis. En effet, celui-ci a également passé sous silence le fait que Senatus était l’auteur de l’appel 911.

Naturellement, une telle précision sur l’identité de l’auteur de l’appel 911 aurait eu pour effet de dédramatiser considérablement l’événement du 5 octobre 2008.

Comment peut-on en effet craindre raisonnablement que ces deux personnes intéressées pouvaient « entretenir un esprit de vengeance contre les policiers du PDQ 39 » ou encore poser « un risque réel et sérieux » à l’égard de la sécurité des agents Lapointe et Pilotte quand l’une d’elle prend elle-même l’initiative d’appeler la police pour signaler une bagarre dans son propre appartement ?

Du reportage télé jusqu’aux autocollants

Bien qu’il ait surtout été question de Montréal-Nord dans son témoignage, l’inspecteur Richard Dupuis a toutefois reconnu que les incidents impliquant des insultes et des menaces envers la force constabulaire ne sont pas limitées aux policiers du PDQ 39. « On peut dire que c’est généralisé à l’ensemble du territoire », dit-il.

D’ailleurs, les derniers « incidents » mentionnés par l’inspecteur Dupuis durant son témoignage ne sont pas survenus sur le territoire de Montréal-Nord.

D’abord, il y a eu le reportage sur la famille Villanueva diffusé à l’émission « Enquête » de Radio-Canada, le 30 octobre 2008, lors duquel des photos de l’agent Jean-Loup Lapointe et de la policière Stéphanie Pilotte ont été montrées au petit écran. Pour la première fois, le public québécois a pu mettre un visage sur le policier qui a tué le jeune Fredy Villanueva.

Le SPVM n’a cependant pas du tout digéré la diffusion d’une photo vieille de 2002 de l’agent Lapointe. Paul Chablo, inspecteur-chef à la Division des communications du SPVM, a même porté plainte au Conseil de presse du Québec contre l’émission « Enquête » et la Société Radio-Canada. Le SPVM estimait que Radio-Canada aurait dû refuser de diffuser un renseignement dont la divulgation serait susceptible d’entraver une enquête en cours ou de mettre en péril la sécurité d’une personne.

Le Conseil de presse n’a toutefois pas retenu la plainte du SPVM. Dans une décision rendue plus de deux mois après le témoignage de l’inspecteur Dupuis, le conseil indique avec quelle facilité l’équipe de l’émission « Enquête » avait réussi à mettre la main sur les photos des agents Lapointe et Pilotte. « L’équipe de rédaction n’a eu qu’à se rendre au Collège Maisonneuve pour y avoir accès, puisque celles-ci étaient affichées dans le corridor qui est accessible à tous », lit-on. (4)

Cela étant, l’inspecteur Dupuis a fait valoir que la diffusion de cette vieille photo de l’agent Lapointe avait eu un impact sur le plan de l’évaluation de risque. « Évidemment, après la parution de sa photo au 30 octobre, nous avons refait l’évaluation de la menace et comme je vous l’ai dit un peu plus tôt, il y a d’autres mesures qui ont été mises en place. »

Par ailleurs, toujours selon l’inspecteur Dupuis, l’agent Lapointe lui-même aurait « confié que la peur d’être reconnu a augmenté grandement et suite à cela, il nous a demandé une dérogation dans le cadre de son port d’arme pour qu’il ait l’autorisation de porter l’arme pour aller à son domicile. » (Comme nous le verrons ci-dessous, cette dernière affirmation est inexacte.)

Cette soi-disante peur d’être reconnue n’a pu qu’aller en s’accroissant, compte tenu des deux derniers « incidents » mentionnés par l’inspecteur Dupuis durant son témoignage.

« Le 28 février 2009, on nous a rapporté que plusieurs affiches autocollantes avec la photo de Jean-Loup Lapointe, avec la mention de "flic assassin", ont été trouvées près des Caisses populaires et des métros. Et ces parutions-là étaient faites par les gens qui manifestaient dans le cadre du COBP qui est le Collectif opposé à la brutalité policière », raconte l’inspecteur Dupuis.

« Depuis la semaine dernière, on a une vague de graffitis qui ont commencé à apparaître un peu partout à travers la Ville, soit dans l’ouest ou dans le sud. On en a même dans le nord de la Ville, des graffitis qui font référence à différents événements dans le cadre desquels, lors d’opérations policières, des gens seraient décédés. Et ce qu’on voit sur les affiches, entre autres, une pour vous donner un exemple, où on fait référence à un dénommé Paul McKinnon, 14 ans, le 25 octobre 1990, tué par SPVM « killed by the Montreal Police ». Et en bas, il y a un www comme un site internet www.flicassassin.net. Ça, on a eu ce genre de graffiti-là depuis vendredi dernier à sept reprises dans la ville », conclut l’inspecteur Dupuis.

L’inspecteur Richard Dupuis a été le seul témoin qui a été entendu par le coroner durant l’audition de la requête. Son témoignage pourrait se résumer ainsi :

- certains résidents de Montréal-Nord ne cachent pas leur haine des policiers, donnant lieu à des situations tendues dégénérant parfois en des altercations ouvertes ;

- certains résidents de Montréal-Nord font des efforts parfois fructueux pour localiser le lieu d’habitation des policiers ;

- certains résidents de Montréal-Nord possèdent des armes à feu, incluant des mitraillettes, avec pour résultat que des policiers ont été la cible de tirs dans les rues de Montréal-Nord en 2007 et en 2008 ;

- dans un tel contexte, il n’en faut pas plus pour que la découverte d’un fusil automatique auprès de deux amis de Fredy Villanueva, à Montréal-Nord, prenne une dimension alarmante, surtout que l’un d’eux aurait prononcé le nom de Lapointe en présence des policiers ;

- le sentiment que l’agent Jean-Loup Lapointe est lui-même désigné pour cible est par ailleurs alimenté par le fait que des activistes répandent des autocollants montrant le visage du policier qui a tué Fredy Villanueva.

La parole est aux avocats

Le témoignage de l’inspecteur Richard Dupuis a ensuite laissé place aux plaidoiries des avocats représentant les intérêts des policiers, mais aussi ceux des médias et de la Ligue des droits et libertés.

Me Gérald Soulière, l’avocat de l’agente Pilotte, n’a pas tari d’éloges à l’égard du témoignage de l’inspecteur Dupuis. « Personne ne peut mettre en doute ici le niveau de la qualité de la preuve qui a été faite par monsieur Dupuis, que c’est une preuve qui est fiable, qui est basée sur des critères qui sont reconnus, on a fait une preuve qui est, je pense, suffisante et crédible à l’effet que, dans plusieurs événements, la vie des policiers a été mise en danger ».

De son côté, Me Dupras a insisté à différentes occasions sur l’incident du 5 octobre 2008, qu’il a dépeint comme un étant un « épisode d’une rare intensité ». « Je vous soumets respectueusement que ce seul incident, à mon avis, en toute déférence, serait en lui-même suffisant pour vous inviter à conclure qu’il existe un risque sérieux pour la bonne administration de la justice qui comprend, on le précisera dans quelques instants, la sécurité des témoins », a plaidé Me Dupras.

Me Michael Stober, l’avocat de la Fraternité des policiers et des policières de la Ville de Montréal, a également attiré l’attention du coroner sur l’incident du 5 octobre 2008. « Comme des collègues ont souligné, il y avait deux personnes intéressées ici également dans l’enquête du coroner, des personnes qui ont été accusées pour des actes criminels reliés aux armes à feu, des armes à feu qui ont été trouvées chez les accusés en présence des policiers a mentionné le nom de Lapointe », a fait valoir l’avocat.

Me Dupras a également soutenu que la preuve entendue avait établi qu’il y avait une situation particulière justifiant les accusations à l’égard de Clavasquin et Senatus. « On a cette situation particulière où on a des individus, pour l’instant, avec la preuve dont vous disposez, en possession de pareil équipement, de pareille arme à feu, qui justifie les accusations, une arme à feu prohibée décrite comme elle l’a été par monsieur Dupuis, qui font un lien avec mon client », lance-t-il.

De plus, Me Dupras a invoqué à deux reprises le soi-disant lien de parenté entre Clavasquin et Villanueva. « Pendant l’intervention des policiers, un des protagonistes choisit ce moment-là pour prononcer le nom de monsieur Lapointe, mon client. Je vous soumets respectueusement qu’en ajoutant… qui était de la parenté, si je me rappelle bien du témoignage exact de monsieur Dupuis… Cousin, oui, de la parenté de monsieur Villanueva », a souligné l’avocat du policier qui a tué Fredy Villanueva. « Ce n’est pas n’importe qui, là, ce sont des personnes intéressées et ce sont des personnes qui sont de la parenté ».

Les avocats représentant les intérêts des médias ont cependant tenu à faire la part des choses relativement à l’incident du 5 octobre 2008.

« Je vous souligne qu’il n’y a eu aucune accusation de menaces portées contre les deux individus en question. Et c’est le seul incident, à part les photos qui circulent un peu partout, c’est le seul incident d’une preuve spécifique de menaces. Il n’y a pas de preuve spécifique de menaces qui est devant vous présentement », a plaidé Me Mark Bantey, procureur pour le quotidien The Gazette, La Presse Canadienne et le réseau CTV.

Me Christian Leblanc, procureur de Radio-Canada, La Presse, CBC et du groupe TVA, a déclaré avoir « un peu sursauté » en entendant Me Dupras parler d’un « épisode d’une rare intensité ». « Je ne veux pas diminuer ce qui s’est passé mais ce qu’on a, c’est une arme à feu, si j’ai bien compris, sur une table et un suspect fait un petit sourire et qui dit Lapointe. Incidemment, le même suspect qui n’est pas accusé de menaces, c’est tout ce que vous avez. Je vous soumets que ce n’est pas une preuve convaincante et que ce n’est certainement pas une preuve convaincante d’un risque sérieux au point où vous devez entraver une liberté garantie », a fait valoir Me Leblanc.

« Même si on a tenté de banaliser l’importance de cet événement d’octobre 2008, je vous signale respectueusement que ce n’est pas en vase clos, là, a répliqué Me Dupras. Tout ça s’inscrit dans les circonstances des événements de l’émeute de Montréal-Nord, vous savez, cet épisode où on trouvera chez des personnes propres à notre enquête, ces armes à feu. »

Des flics pas montrables ?

Le coroner Sansfaçon a rendu sa décision sur le banc, en fin de journée. D’entrée de jeu, il a indiqué qu’il ne voyait pas de pertinence aux incidents survenus avant l’intervention policière du 9 août 2008.

Le coroner n’a cependant pas hésité à accorder une place importante à l’incident du 5 octobre 2008 dans les motifs de sa décision. « Je dis que pour le moment, à l’occasion de l’enquête publique qui doit commencer, deux policiers qui sont intervenus directement au moment des événements du 9 août, un des deux s’appelle Lapointe, qu’il y a eu des faits où on a été en situation réelle et matérielle avec deux personnes intéressées, une arme est en cause et une menace à peine subtile est formulée à l’occasion de la présence d’une arme, d’un regard et de paroles prononcées à ce moment-là », déclare-t-il.

« J’en viens à la conclusion que là, on va bien au-delà des risques inhérents à la profession d’agent de la paix », déclare le coroner Sansfaçon, en citant au passage « l’émeute, les interventions brutales à l’endroit de policiers à ces occasions, le fait que l’on prononce, de façon directe ou indirecte, des menaces à l’endroit de monsieur Lapointe, qu’on le placarde dans toute la Ville de Montréal ».

« Il y a dans la présente affaire une démonstration de violence ou de possible violence réelle et importante qui se positionne dans un continuum d’intervention qui, quant à moi, culmine en février 2009, là, c’est très récent, c’est au moment de l’enquête publique, devait réellement commencer, où là on s’attaque directement à un témoin qui doit se présenter devant le coroner à l’occasion de l’audience publique », ajoute-t-il.

« Je comprends que la photo ancienne de monsieur Jean-Loup Lapointe est apparue à peu près partout dans la Ville de Montréal, je conviens et je prends acte et je reconnais que ceci a une incidence sur ma décision », poursuit le coroner.

Le coroner a également rejeté du revers de la main l’argument à l’effet que la diffusion de la photo de Jean-Loup Lapointe à la télévision et dans les rues enlèverait tout « effet bénéfique » à une ordonnance de non-publication à l’égard de ladite photographie.

« Écoutez, ce n’est pas parce qu’il y a eu certaines photos qui ont été placardées, ce n’est pas parce que certaines personnes maintenant ont vu la photographie de monsieur Lapointe que pour autant on doit dire : bien là, il n’y a plus d’effet bénéfique étant donné que certaines personnes l’ont vu. Il est, je pense, raisonnable de croire et de penser qu’à l’occasion des audiences publiques, une certaine couverture, pour ne pas dire une couverture certaine des médias à cette occasion sera extrêmement importante et au niveau judiciaire, donc il est clair qu’il y a des effets bénéfiques certains et évidents puisque c’est le seul moment où l’agent Lapointe est obligé, par la loi, de se présenter et de témoigner en public. »

Le coroner Sansfaçon a également dû se prononcer sur le cas particulier de la policière Stéphanie Pilotte.

« Quant à l’agent Pilotte effectivement, il n’y a pas d’élément ou d’événement particulier ou spécifique où une menace personnelle et directe aurait été faite à son endroit. Dans le cas de l’agent Pilotte, j’utiliserais le terme "phénomène d’osmose", a tranché le coroner. Elle est la seule qui accompagne monsieur Lapointe au moment des événements. Les éléments de preuve qui ont été placés devant moi aujourd’hui, évidemment certains sont spécifiques à l’agent Lapointe mais n’excluent pas nécessairement l’agent Pilotte et les autres événements de nature plus générale mais impliquant soit des gestes de violence ou soit des menaces de violence ou une interprétation logique en relation avec des faits objectifs de possibilités d’applications de la violence. »

C’est ainsi que le coroner Sansfaçon a décidé d’accorder la requête des agents Lapointe et Pilotte. « J’émets cependant une ordonnance de non-publication en vertu de la loi en ce qui a trait à toute photographie ou tout usage, là, de ciné-caméra, de caméra ou quoi que ce soit, donc de non-publication de toute photographie ou d’utilisation d’un autre matériel analogue qui permettrait de reconnaître physiquement les agents Lapointe et Pilotte, d’une part, et j’ordonne ou j’interdis la publication de toute information qui serait de nature ou susceptible de permettre de les identifier ou des membres de leur famille », conclut-il.

Notons que la Loi sur la recherche des causes et circonstances des décès qui gouverne le travail des coroners prévoit que le défaut de se conformer à une ordonnance rendue par un coroner constitue un outrage au tribunal. Par ailleurs, le Code de procédure civile stipule qu’un outrage au tribunal est passible d’une amende maximale de 5 000 $ ou d’une peine d’emprisonnement maximale d’un an.

Compte tenu de l’importance et de la valeur que le législateur attache au respect de telles ordonnances, il est donc tout à fait inacceptable l’inspecteur Dupuis se soit permit de rendre un témoignage incomplet et trompeur lors de l’audience du 8 avril 2009.

Surtout que l’ordonnance prononcée par le coroner Sansfaçon est toujours valide à ce jour, deux ans et demi plus tard.

Et si Dupuis avait dit toute la vérité ?

On ne saura jamais quelle décision aurait prononcé le coroner Sansfaçon si l’inspecteur Richard Dupuis avait rendu un témoignage exact et complet sur l’incident du 5 octobre 2008.

Cependant, si l’inspecteur Dupuis avait dit toute la vérité, il aurait été beaucoup moins facile pour les avocats représentant les intérêts des policiers de monter en épingle l’incident du 5 octobre 2008 comme ils l’ont fait à l’occasion de l’audition de la requête des agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte.

Si l’inspecteur Dupuis avait dit toute la vérité, le coroner aurait été informé qu’une seule, et non pas deux, personne intéressée a commis l’infraction de possession d’une arme à autorisation restreinte. Le coroner aurait également été informé que cette personne intéressée n’était pas celle qui a été présenté, à tort, comme étant le cousin du défunt, et à qui des policiers ont attribués des paroles faisant allusion à l’agent Lapointe, puisqu’il aurait apprit que la couronne avait décidé de libérer cette personne-là des accusations liées à cet incident.

Si l’inspecteur Dupuis avait témoigné de façon exacte et complète sur l’incident du 5 octobre 2008, le coroner aurait plutôt été informé que cette personne intéressée qui a commis l’infraction de possession d’une arme à autorisation restreinte est la même qui a appelé le 911. Le coroner aurait alors comprit que c’est grâce à cette même personne intéressée si les policiers se sont rendus dans cet appartement du boulevard Gouin le 5 octobre 2008. Il aurait alors réalisé que sans cette personne intéressée, les policiers n’auraient sans doute jamais découvert cette arme à autorisation restreinte, ni même soupçonné son existence.

Si le coroner avait su tout cela, il y a fort à parier qu’il aurait vu l’incident du 5 octobre 2008 d’un tout autre œil. On peut même être en droit de penser que la décision que le coroner a rendue le 8 avril 2009 n’aurait peut-être pas été la même.

La seule explication logique derrière les différentes omissions de l’inspecteur Dupuis est qu’une telle information n’aurait pas servi l’objectif que poursuivait ce haut-gradé du SPVM en témoignant le 8 avril 2009, c’est-à-dire de créer un climat de danger suffisamment alarmant pour convaincre le coroner Sansfaçon d’accorder la requête des agents Lapointe et Pilotte.

Notons que ce n’est que le 14 mai 2009 que la décision de la couronne de libérer Clavasquin des accusations portées en rapport avec l’incident du 5 octobre 2008 a été révélée au grand jour, grâce à la publication d’un article rédigé sous la plume de la journaliste Caroline Touzin, dans les pages du journal La Presse. (5)

Le porte-parole de la Coalition contre la répression et les abus policiers, Alexandre Popovic, a réagi à cette nouvelle information en portant plainte en déontologie policière contre l’inspecteur Richard Dupuis, le 5 juin suivant. La plainte reprochait à l’inspecteur Dupuis d’avoir dérogé à l’article 7 du Code de déontologie des policiers du Québec, en induisant en erreur le coroner Sansfaçon en rendant un témoignage inexact et incomplet le 8 avril 2009.

Senatus absous

Le dossier de Jonathan Senatus a continué à cheminer dans le système de judiciaire, connaissant ainsi sa part de rebondissements.

Ainsi, Senatus a décidé de cesser de faire affaire avec Me Alexandre Goyette, son avocat qui lui avait conseillé de plaider coupable, pour le remplacer par Me Jacky-Éric Salvant, qui le représentait déjà à l’enquête du coroner.

De plus, ne se sentant pas à l’aise avec son plaidoyer de culpabilité, Senatus a alors mandaté son nouvel avocat pour déposer une requête en rétractation de plaidoyer, le 25 juin 2009.

« Je vais assigner le vrai propriétaire de l’arme », a indiqué Me Salvant à la juge Louise Villemure à l’occasion d’une audience qui s’est tenue au mois de septembre suivant.

Cependant, la requête en rétraction de plaidoyer n’a jamais été plaidée, de même que « le vrai propriétaire de l’arme » n’a jamais été entendu par le tribunal.

Conséquemment, lorsque Senatus s’est présenté à nouveau devant la juge Villemure, le 24 novembre, la cause était désormais rendue à l’étape des représentations sur sentence.

C’est à cette occasion que Senatus a témoigné pour la première fois des circonstances dans lesquelles il s’est retrouvé avec une arme à feu chez lui.

Toute l’affaire a commencé quand une connaissance lui a demandé un service. « Il m’a demandé d’amener quelque chose chez moi, je ne savais pas que ce serait une arme, explique Senatus. Comme je voulais rendre un service, j’ai pris une mauvaise décision, puis j’ai comme, je voulais rendre service, puis je ne savais pas que ça ferait comme, ce serait une arme ».

« Je ne savais pas, parce que même quand il est entré chez moi, j’avais vérifié dans la maison, puis je n’avais rien vu de changement, je n’avais pas vu, je n’avais pas remarqué d’arme, je n’avais jamais vu de sac, continue Senatus. Je ne savais pas c’est quoi, où est-ce que ça allait m’amener, ça, puis je ne savais pas, moi, quand ça été déposé chez moi ».

C’est seulement « deux semaines à trois semaines après qu’il m’ait appelé » que Senatus a remarqué la présence du fameux sac à poubelle noir. Il a alors réalisé qu’il s’agissait d’une arme à feu en touchant au sac. « Je ne savais pas c’était quoi exactement, je n’avais même pas ouvert, j’avais juste comme senti », dit-il.

À partir de ce moment, Senatus ne voulait rien savoir de conserver ce sac-là chez-lui. « J’avais dit à cette personne-là de sortir ça de chez moi, puis je ne voulais pas garder ça chez moi, la personne ne voulait pas le sortir, elle me disait toujours demain, demain, demain, indique Senatus. Je l’ai redit assez souvent, puis il me disait toujours qu’il allait venir chez moi, venir la chercher, l’enlever, puis il n’est jamais venu ».

Comme on l’a vu précédemment, la sergente-détective Luce Venne a écrit dans son rapport que Senatus avait déclaré aux policiers qu’il ignorait la présence de l’arme. « J’avais dit aux policiers que je ne savais pas, parce que j’avais peur, je ne voulais pas m’impliquer là-dedans », a-t-il expliqué.

Senatus est également revenu sur les circonstances dans lesquelles il a accepté de plaider coupable. « La journée où est-ce que j’étais venu pour le plaidoyer, j’étais stressé puis je ne savais pas, j’ai vraiment écouté les conseils de mon ex-avocat, donc, c’est pour ça que j’ai plaidé coupable, sinon j’aurais pris les démarches pour ne pas me culpabiliser pour ça ».

« J’essayais vraiment de pouvoir retirer les poursuites contre moi, mais maître Goyette, dans le temps, quand il était mon avocat dans le temps, il m’avait dit que ce serait la seule façon pour moi de pouvoir comme essayer de m’en sortir puis parce qu’il a dit que les probabilités jouaient contre moi », ajoute Senatus.

Comme Senatus a fait valoir à la juge Villemure qu’un antécédent judiciaire pourrait avoir des conséquences sur son emploi, son avocat a demandé au tribunal de lui accorder une absolution.

De son côté, la procureure de la Couronne, Me Nathalie Brissette, a plutôt plaidée en faveur d’une peine d’emprisonnement à purger dans la collectivité.

Soulignons qu’à aucun moment durant l’audience la procureure Brissette n’a fait mention de l’allusion que Anthony Clavasquin aurait faite à l’égard de l’agent Jean-Loup Lapointe lorsque les policiers ont découvert l’arme dans l’appartement de Senatus.

Si les médias brillaient par leur absence le jour où la poursuite a abandonné les accusations contre Clavasquin, il y avait en revanche plusieurs journalistes pour couvrir les représentations sur sentence de Senatus.

Les journalistes présents se sont d’ailleurs montrés plutôt perplexes face à l’affaire.

« Naïf ou menteur? », se demandait David Santerre, du blogue Rue Frontenac, aujourd’hui défunt. « A-t-il sciemment aidé un membre de gang de rue à cacher son arme à feu, ou est-il un jeune naïf manipulé et menacé par ces dangereux gangsters? » (6) « Victime ou complice des gangs ? », se questionnait pour sa part Caroline Touzin de La Presse. (7)

« Senatus : menacé ou menaçant? », s’interrogeait de son côté, Isabelle Richer de Radio-Canada, qui couvre l’actualité judiciaire au Palais de justice de Montréal. « Jonathan Senatus n’a pas exactement le profil du membre de gang de rue. Il n’a aucun antécédent judiciaire, il travaille à temps plein depuis plus d’un an pour la même compagnie, il veut étudier en travail social, et il n’hésite pas à appeler la police quand il est témoin d’un crime », fait observer Richer. (8)

« Une ordonnance de non-publication de l'image des deux policiers (Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte) a été émise, sur la foi de cet incident, rappelle la journaliste Richer. Depuis, l’affaire s’est un peu dégonflée devant les tribunaux », ajoute-t-elle.

Le 7 décembre, la juge Villemure a rendu sa sentence, en allant dans le sens de la recommandation de la défense. Ainsi, le tribunal a prononcé une absolution conditionnelle assortie d’une ordonnance de probation d’une durée de douze mois.

Notons que le Code criminel prévoit qu’une personne bénéficiant d’une absolution est réputée ne pas avoir été condamné à l’égard de l’infraction.

Pour prononcer une sentence aussi clémente, la juge Villemure ne devait manifestement pas être convaincue que l’incident du 5 octobre 2008 représentait un « épisode d’une rare intensité »…

L’incident du 5 octobre 2008 à l’enquête du coroner

Normalement, l’affaire aurait dû être close.

Mais cela était sans compter l’enquête du coroner sur les causes et circonstances du décès de Fredy Villanueva, lors de laquelle Jonathan Senatus et Anthony Clavasquin ont tous deux été appelés à témoigner.

Les avocats représentant les intérêts des policiers n’ont lésiné sur aucun moyen pour attaquer la crédibilité de chacun des témoins civils qui critiquèrent l’intervention policière qui a couté la vie à Fredy Villanueva.

Dans cet ordre d’idée, l’incident du 5 octobre 2008 a offert des munitions de choix aux avocats du clan policier lors des contre-interrogatoires de Clavasquin et de Senatus.

Dans un premier temps, la question de l’inexistence de lien de parenté entre les familles Villanueva et Clavasquin a refait surface à l’occasion de certains témoignages rendus devant le coroner André Perreault, un juge de la Cour du Québec qui a prit la relève du juge Sansfaçon dans ce dossier.

Dany Villanueva a témoigné à ce sujet alors qu’il répondait aux questions de Me Pierre-Yves Boisvert, l’avocat du SPVM, lors de l’audience du 4 mai 2010. Il confirma qu’Anthony Clavasquin n’était pas son cousin, au sens strict du terme. Il décrivit plutôt Clavasquin comme un ami qu’il connaît depuis plusieurs années.

Puis, en juin et en juillet 2010, Clavasquin a témoigné à son tour devant le coroner Perreault. Clavasquin a alors eu l’occasion de confirmer qu’il n’existait aucun lien de parenté entre lui et Fredy Villanueva durant l’interrogatoire d’un des procureurs du coroner, Me Frédérick Carle, puis durant le contre-interrogatoire de l’avocat des parents du défunt, Me Peter Georges-Louis.

Le 30 juin 2010, alors que Clavasquin en était à sa troisième journée de témoignage, un débat a opposé les avocats des policiers à ceux du « camp Villanueva » relativement à la pertinence de déposer le rapport de police concernant l’incident du 5 octobre 2008.

« C’est un événement qui est très pertinent dans le cadre du présent dossier, a plaidé Me Boisvert. C’est un événement auquel il a été fait référence devant votre prédécesseur, le coroner Sansfaçon. La découverte de cette arme d’assaut et le fait que monsieur Clavasquin ait dit, alors qu’on trouvait cette arme, et comment avant, monsieur Lapointe a expliqué pourquoi des ordonnances particulières ont été émises par le coroner Sansfaçon à l’égard de la sécurité des policiers. »

« L’histoire que monsieur Anthony aurait dit : "Comment va monsieur Lapointe?", c’est une histoire qui a été montée de toutes pièces par le service de police de Montréal », a protesté Me Salvant.

« Il y a des "menaces", entre guillemets, toute modulation étant faite, qui sont adressées... ou un commentaire qui est adressé à l'endroit de mon client, il me semble que, dans les circonstances où nous nous trouvons, voici un matériel ou un matériau essentiel, a insisté Me Dupras. Alors, il me semble que, au contraire, nous sommes dans le nœud de l'affaire et voici un passage déterminant de l’enquête. »

« C’est une infraction à laquelle il n’y a pas eu de suite. Il a été libéré complètement de ces accusations-là et, de plus, il n’a pas été accusé de menaces, menaces de lésions corporelles ou menaces de mort quelconques, ce qui aurait pu être très judicieux si la preuve était à cet effet-là », a souligné de son côté Me Georges-Louis.

« Je pense que c’est très important d’établir l’état d’esprit qui anime certains des témoins qui apparaissent devant vous quand on fait ce genre de commentaire dans ce genre de circonstances, je pense que ça montre très clairement qu’on en veut beaucoup à monsieur Lapointe et que, probablement, on est prêt à faire bien des choses pour obtenir certains résultats », a répliqué Me Boivert.

« Si on veut tester son état d’esprit aujourd’hui, si on veut lui dire : "Est-ce que vous aimez beaucoup le policier Lapointe?" et puis il vous dit : "Oui", nous allons tous être surpris. S’il vous dit : "Non", bien, c’est un peu normal et puis on pourrait lui demander pourquoi. À tort ou à raison : "C’est parce que c’est quand même lui qui a tué mon ami et puis j’étais à côté". Est-ce que l’événement, allégué ou pas, vrai ou pas, faux, que... "Comment va monsieur Lapointe?", en octobre, a vraiment une grande pertinence sur l’état d’esprit aujourd'hui », a lancé Me Alain Arsenault, l’avocat de Jeffrey Sagor Metellus.

Après avoir permis à tous les avocats et représentants de parties intéressés de se faire entendre sur la question, le coroner Perreault rendu sa décision.

« Dans le contexte où l’événement est survenu moins d’un mois après, dans le contexte où il aurait pu, selon ce qui est allégué, être question de monsieur Lapointe lui-même, dans le contexte où on retrouve une arme qu’on m’indique être une mitraillette, pour l’instant, dans le cadre des soumissions qui sont faites, je dois dire que ça m’intéresse de savoir de quelle façon, dans quel contexte quelqu’un a pu parler de monsieur Lapointe le 5 octobre 2008 et, que ce soit monsieur Clavasquin ou pas, je pense qu’on peut tester auprès de monsieur Clavasquin la connaissance qu’il a, de paroles qu’il a lui-même prononcées ou pas, de la nature de ces paroles-là, il pourra nous indiquer s’il a parlé de monsieur Lapointe et il m’appartiendra, par la suite, fort de tout ce contexte, de déterminer dans quelle mesure c’est susceptible de m’aider à déterminer la crédibilité, la fiabilité et l’intégrité d’un témoin », a tranché le coroner.

Dans les mots de Clavasquin et de Senatus

Pour Anthony Clavasquin, les questions portant sur l’incident du 5 octobre 2008 auront au moins eu le mérite de lui donner l’occasion d’offrir sa version des faits relativement à cette affaire, lui qui n’avait encore jamais témoigné en public à ce sujet, contrairement à Jonathan Senatus.

Pour commencer, Clavasquin a été interrogé au sujet de la bagarre survenue entre lui et Senatus qui était à l’origine de l’appel logé au 911 ce soir-là. Ainsi, Clavasquin a nié que Senatus l’ait frappé, ni qu’il avait été blessé. « Bien, j’étais pas blessé là. C’est dans le journal que j’ai appris, a-t-il déclaré. En tout cas, pour moi, c’était pas aussi grave là ».

Clavasquin a reconnu qu’il était au courant de la présence de l’arme chez Senatus avant l’arrivée des policiers. « J’ai juste levé le sac, j’ai juste vu une petite affaire dépassée. Je n’ai pas pu voir l’arme en tant que telle là », explique-t-il. Il n’a toutefois pas cherché à en savoir plus. « Ce n’était pas à moi et ça ne me regardait pas. »

Puis, Clavasquin a relaté les circonstances entourant la découverte de l’arme par les policières dans la chambre à coucher. « Elle était dans un sac, ils n’ont pas sorti l’arme. Ils l’ont laissée dans le sac noir. Ils l’ont laissée dans le sac noir, puis c’est là qu’ils nous ont juste mis les menottes, puis on est parti. »

« Moi, j’ai vu juste le sac noir, j’ai pas vu qui a sorti l’arme. Je ne savais pas de quoi que ça avait l’air, rien, rien de ça », a ajouté Clavasquin, qui a aussi indiqué ne pas connaître l’identité de la personne qui a déposé l’arme chez Senatus.

Par ailleurs, Clavasquin a nié avoir mentionné aux policières qu’il était le cousin de Fredy Villanueva, ni qu’il avait prononcé le nom de Lapointe en leur présence à quelque moment que ce soit lors de l’incident du 5 octobre 2008.

Clavasquin a aussi témoigné à l’effet que les deux enquêteurs qui l’ont rencontré au Centre opérationnel est lui ont posé des questions au sujet de l’agent Jean-Loup Lapointe. « Bien, la question qui revenait, c’est... ils me disaient : "Est-ce que t’as pu dire, monsieur Lapointe, comment il va?" », s’est-il rappelé. Si j’avais prononcé son nom, puis, non, j’avais dit "non". »

Me Arsenault a alors fait remarquer à Clavasquin qu’on ne retrouve aucune trace de ces questions et de sa réponse dans la déclaration qui a été prise au Centre opérationnel est. « Le pire, moi, je me rappelle très bien que, oui, ils m’ont demandé : "Ah! T’as-tu fait... c’est ça, t’as-tu dit que : comment il va monsieur Lapointe ?" Je me rappelle très bien qu’ils m’ont dit ça », a souligné Clavasquin.

Le 7 juillet 2010, ce fut au tour de Senatus d’avoir à répondre à des questions au sujet de cet incident. Senatus a expliqué la cause de la dispute qui était à l’origine de son appel au 911. « C’était à cause que je sortais avec sa cousine, puis il n’aimait pas ça, là, mais c’était petit comme bagarre puis après ça dégénéré », raconte-t-il.

Senatus a aussi critiqué le comportement des policiers qui sont débarqués chez lui en réponse à son appel. « Ils sont rentrés sans que je les ai invités à rentrer, a-t-il expliqué. Ils ont entré par la porte de derrière qui s'ouvrait toute seule. »

« Donc ils ont ouvert la porte sans que j’aie ouvert, moi-même, la porte parce qu’ils ont dit qu’ils ont frappé, puis ça ne répondait pas, ils ont dit qu’ils ont frappé pendant 15 minutes, là, ce que je trouve que ce n’était pas exact », continue Senatus, qui affirme n’avoir rien entendu. « Mais, si je l'aurais... ils auraient frappé, j’aurais entendu la personne frapper à la porte. »

Senatus a aussi reproché aux policiers d’avoir fouillé un peu partout dans son appartement. « Ils n'étaient pas trop courtois, ils ont rentré, ils ont rentré dans ma chambre comme ça sans que je leur... en tout cas, j’aurais pu même les invités à venir, mais ils sont rentrés dans ma chambre, ils ont fait... ils ont fouillé les armoires, ils ont ouvert les portes », a-t-il déploré.

« Lorsque j’ai appelé, je n’avais pas appelé pour l’arme, j’avais appelé pour la bagarre donc, c’est sûr que comme... c’est plus par rapport à leur entrée dans la maison, ils ne savaient pas qu’il y avait une arme, donc c’est plus là où est-ce que j’ai senti un manque de professionnalisme de la part des policier. »

Une décision contestée

Comme c’était déjà arrivé précédemment dans l’enquête du coroner, Me Pierre-Yves Boisvert, l’avocat du SPVM, a voulu aller le plus loin possible dans sa cueillette d’informations – communément appelée partie de pêche dans le jargon judiciaire – au sujet d’un événement qui n’est pas relié au décès de Fredy Villanueva.

Ainsi, Me Boisvert a demandé Senatus quel était le nom de la personne qui lui avait demandé de garder la fameuse arme à feu chez-lui, provoquant ainsi une levée de boucliers de la part de certains avocats du « camp Villanueva ».

« Je fais une objection, Votre Honneur, il y a une question de sécurité pour mon client, je ne voudrais pas que mon client se fasse passer pour un snitch comme ils disent dans le langage courant de la rue, ça fait que je fais une objection », a lancé Me Salvant.

La réplique de Me Boisvert ne s’est pas fait attendre, signe qu’il savait à l’avance que sa question susciterait une objection. « Je dois en déduire que c’est un très bon ami pour rendre ce type de service là, et s’il arrivait que ce très bon ami soit un membre du gang des Bloods, par exemple, peut-être même quelqu’un de connu de notre enquête, je pense qu’on va pouvoir en tirer des inférences. Maintenant, je tiens des propos de maître Salvant qu’il y a une question de sécurité, ce qui confirme notre théorie que monsieur a peur de représailles et de toutes sortes de choses comme celle-là, alors est-ce qu’on va prendre ça pour une admission ? »

De son côté, Me Alain Arsenault a invité l’avocat du SPVM à circonscrire le champ de sa question. « Si on veut savoir si un des jeunes qui était présent au parc lui a remis cette arme-là, c’est une chose, c’est une autre chose d’aller très large, très large, sans prendre le minimum de précautions parce que l'avocat de la Ville de Montréal doit le savoir puisqu’il nous dit que les gangs de rue c’est des gens dangereux, mais il doit savoir qu’en posant sa question de façon aussi large sans prendre le minimum de précautions, que là il met en danger la sécurité du témoin et, moi, je pense qu’on doit faire bien attention », a-t-il fait valoir.

L’avocat de l’agent Jean-Loup Lapointe, Me Pierre Dupras, a quant à lui fait une brève intervention, durant laquelle il lança une petite phrase assassine : « quand on commet des actes criminels, mais il faut vivre avec les conséquences ».

Après plusieurs minutes à débattre de la question, le coroner André Perreault a rendu sa décision, qui consista à permettre à l’avocat du SPVM d’aller de l’avant avec sa question, en indiquant toutefois que celui-ci devait commencer en suggérant au témoin Senatus des noms qui avaient déjà été mentionnés au cours de l’enquête.

La réaction du « camp Villanueva » ne s’est pas fait attendre. Au retour d’une courte pause, Me Arsenault a annoncé au coroner qu’une requête allait être déposée devant un tribunal supérieur pour contester sa décision. Ainsi, l’enquête du coroner sur le décès de Fredy Villanueva allait déborder sur un autre forum judiciaire, une première depuis le commencement des travaux.

Tout le monde a retenu son souffle dans la salle d’audience quand le coroner Perreault a demandé si une des parties intéressées souhaitait que l’ensemble des travaux soient suspendus en raison du recours qui venait d’être annoncé.

S’il avait fallu qu’une seule partie intéressée réponde oui à cette question, l’enquête du coroner, qui en était à sa cinquante-troisième journée d’audition, aurait pu être interrompue pour une période de temps indéfinie. Heureusement, personne ne s’est prononcé en ce sens.

Le coroner Perreault a alors convenu de suspendre toute la partie du contre-interrogatoire de Senatus portant sur l’incident du 5 octobre 2008 d’ici à ce que le litige soit résolu devant les tribunaux supérieurs.

Le 12 juillet 2010, une requête demandant l’annulation de la décision du coroner Perreault a été déposée à la Cour supérieure du Québec par Me Arsenault, lequel est par ailleurs devenu le nouvel avocat de Senatus à l’enquête publique.

« Le coroner a permis un exercice inéquitable et d’une disproportion déraisonnable en contraignant le demandeur et témoin, au péril de sa sécurité et de son intégrité physique, afin que soit recherché une information n’étant pas reliée aux circonstances entourant le décès de Fredy Villanueva », lit-on dans la requête.

« Le coroner aurait dû permettre au demandeur à titre de témoin de faire valoir ses craintes légitimes eu égard à sa sécurité et son intégrité physique et lui assurer la protection à laquelle il avait droit en accueillant l’objection soulevée par son procureur, afin qu’il ne soit pas obligé de répondre à la question compromettante posée », fait aussi valoir la requête.

« Le demandeur affirme que sa sécurité et son intégrité physique sont sérieusement compromises en ce que le fait qu’il révèle publiquement le nom de la personne lui ayant demandé de garder chez lui un sac contenant un objet s’étant révélé être une arme, pourra être associé à une forme de délation, geste hautement répréhensible dans les milieux criminalisés, généralement punissable par une forme d’atteinte à la sécurité de l’apparent délateur », peut-on lire également.

Puis, contre toute attente, l’avocat du SPVM a soudainement fait volte-face lors de l’audience du 28 juillet suivant. « Après consultation avec mes collègues, la Ville de Montréal renonce à la question qu'elle avait posée à monsieur Senatus et qui a causé un recours en Cour supérieure », a annoncé Me Boisvert.

De toute évidence, la question de l’identité du propriétaire de l’arme à feu retrouvée chez Senatus n’était pas si importante que ça pour les avocats du clan policier.

Au tour de Jean-Loup Lapointe

Les avocats représentant les intérêts des policiers n’ont pas été les seuls à essayer d’exploiter à leurs propres fins l’incident du 5 octobre 2008. L’agent Jean-Loup Lapointe a lui-même tenté de se servir de cette affaire pour expliquer pourquoi il avait demandé à son employeur de lui remettre une arme à son retour au travail, cinq semaines après avoir abattu mortellement Fredy Villanueva.

Il faut savoir que l’agent Lapointe s’était vu retirer son arme de service suite au drame du 9 août 2008, comme le veut une procédure établie lorsqu’un policier fait feu sur un citoyen. Étant relégué à des tâches administratives, l’agent Lapointe ne risquait pas d’en avoir besoin de toute façon.

Jean-Loup Lapointe semblait voir les choses autrement puisque l’une des premières choses qu’il a faite à son retour au travail a été de demander à être armé à nouveau. Et la raison qu’il a invoquée lors de son témoignage à l’enquête du coroner en guise d’explication a été nulle autre que l’incident du 5 octobre 2008.

« C’est le ou les jours suivants, là, lorsque je retourne au travail, que j’ai fait la demande de ravoir mon arme à feu parce que j’ai pris connaissance de l’événement qui était survenu, là, quelques jours avant, concernant des personnes qui concernent notre cause et qui représentaient une menace directe, là, pour moi », a-t-il déclaré. L’agent Lapointe a ainsi prétendu qu’une arme lui avait été remise « pour des raisons de sécurité ».

L’agent Lapointe va par la suite s’efforcer de tenter de nuancer quelque peu ses propos. « Sans que ce soit des menaces peut-être très claires … Ces gens-là ont parlé de moi. Ça semble pour moi être des genres de menaces ; le contexte pour moi est très menaçant, que ce soit direct ou indirectement », a-t-il affirmé. On passe donc d’une « menace directe » à des « genres de menaces », « sans que ce soit des menaces peut-être très claires ».

Toujours est-il que sa justification pour être réarmé ne tient clairement pas la route puisque le retour au travail de l’agent Lapointe se situe vers la mi-septembre, soit bien avant l’incident du 5 octobre 2008.

Durant l’audience du 12 mars 2010, l’agent Lapointe a reconnu l’inexactitude de son témoignage. « Je crois que vers quatre heures hier soir là je commençais à être un petit peu fatigué, et effectivement j’ai fait une erreur quant aux dates ». L’agent Lapointe n’a donc pas dit la vérité quand il a prétendu à différentes occasions durant son témoignage, et pas seulement la veille « vers quatre heures » de l’après-midi, avoir obtenu une arme pour des « raisons de sécurité » à son retour au travail, en septembre 2008.

Soulignons que l’agent Lapointe a attendu que Me René St-Léger, l’avocat de Denis Meas, revienne sur le sujet pour admettre son erreur durant l’avant-dernière journée de son témoignage, qui s’est étiré sur onze journées d’audience. On ne peut donc tenir pour acquis que le policier aurait procédé à la rectification si le sujet n’avait plus été abordé avant la fin de son témoignage.

On sait cependant que l’agent Lapointe a demandé et obtenu l’autorisation du SPVM de porter son arme de service en tout temps, même en-dehors de ses heures de travail, après l’incident du 5 octobre 2008. Le motif invoqué sur le formulaire d’autorisation est toutefois celui de « la protection d’agents lors d’une formation spécialisée ».

L’inspecteur Richard Dupuis s’est donc trompé en déclarant lors de son témoignage du 8 avril 2009 que l’agent Lapointe avait reçu cette permission spéciale à la suite de la diffusion du reportage de l’émission « Enquête » à Radio-Canada, le 30 octobre 2008.

Blanchi sur toute la ligne

Le 22 décembre 2010, le Commissaire à la déontologie policière a rendu sa décision relativement à la plainte qu’Alexandre Popovic avait déposé contre l’inspecteur Richard Dupuis, il y a de cela plus d’un an et demi.

La décision mentionne que l’inspecteur Dupuis a collaboré à l’enquête du Commissaire, alors que la loi sur la police ne l’y obligeait pas.

L’inspecteur Dupuis a ainsi indiqué à l’enquêteur du Commissaire qu’il avait « fait mention au juge Sansfaçon que son témoignage constituait du ouï-dire, n’ayant pas été témoin personnellement des événements », peut-on lire dans la décision.

Il a aussi prétendu ne pas avoir parlé de « l’émeute de l’été 2008 », lit-on également, ce qui, comme on le sait, est tout à fait faux.

Concernant la question de savoir si Anthony Clavasquin est vraiment le couin de Fredy Villanueva, le Commissaire a simplement écrit que l’inspecteur Dupuis « n’avait pas le devoir de vérifier la véracité de cette information ; il n’a fait que rapporter cette mention au rapport des policiers ».

Le Commissaire en est arrivé à la même conclusion en ce qui concerne le fait que l’inspecteur Dupuis n’a jamais mentionné que Clavasquin avait été libéré des accusations deux jours avant son témoignage.

« Le Commissaire estime qu’il n’avait pas le devoir de vérifier l’état des procédures dans ce cas particulier. Il a d’ailleurs admis ne pas l’avoir fait, lit-on. Il est donc impossible pour le Commissaire de considérer que l’intimé n’a pas collaboré à l’administration de la justice en taisant cette information. »

Le plaignant Popovic a demandé au Comité de déontologie policière de procéder à la révision de la décision du Commissaire.

Le Comité a rendu sa décision le 9 août 2011, soit trois ans jour pour jour après le décès de Fredy Villanueva. (9)

« Il appert que les faits relatés par le policier Dupuis au coroner ad hoc, et qui sont les reproches formulés par M. Popovic, proviennent des rapports policiers rédigés à la suite des arrestations de MM. Clavasquin et Senatus », écrit le Comité.

« Quant au fait que M. Clavasquin aurait été libéré de son accusation le 6 avril 2009, soit deux jours avant le témoignage du policier Dupuis devant le coroner ad hoc, il est tout à fait plausible que l’inspecteur Dupuis n’avait pas cette information au moment de son témoignage », lit-on.

« Le Comité ne voit pas en quoi le policier Dupuis aurait tenté d’induire le coroner ad hoc en erreur ou aurait rendu un faux témoignage », conclut-il.

La décision étant sans appel, le Comité de déontologie policière a donc mit un terme définitif au processus de plainte en rejetant la demande de révision.

Conséquemment, l’affaire du 5 octobre 2008 est maintenant close.

Sources :

(1) Le Journal de Montréal, « Trouvés avec une arme prohibée », Vincent Larouche, 7 octobre 2008.
(2) The Gazette, “Villanueva friend, cousin return to court next month”, October 8 2008, p. A6.
(3) http://www.canlii.org/fr/qc/qcclp/doc/2007/2007qcclp6638/2007qcclp6638.h...
(4) http://www.canlii.org/fr/qc/qccpq/doc/2009/2009canlii84809/2009canlii848...
(5) http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/justice-et-faits-dive...
(6) Rue Frontenac, « Senatus : naïf ou menteur? », David Santerre, 24 novembre 2009.
(7) La Presse, « Victime ou complice des gangs ? », Caroline Touzin, 25 novembre 2009.
(8) http://www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets/2009/11/25/126728.shtml?aut...
(9) http://www.deontologie-policiere.gouv.qc.ca/fileadmin/deonto/documents/d...



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