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Le Fonds de solidarité de la FTQ : Un instrument de consolidation de l'impérialisme québécois

Anonyme, Lunes, Agosto 22, 2011 - 09:00

Si on cherchait un document qui nous donne un portrait du rôle socioéconomique du Fonds de solidarité de la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ), celui-ci existe maintenant. Le document, intitulé Un cas exemplaire de nouvelle gouvernance, a été rendu public lors d'un colloque tenu à l'Université du Québec à Montréal au printemps 2001. Il a été réalisé par une équipe sous la direction de Benoît Lévesque, professeur de sociologie et responsable du Centre de recherche sur les innovations sociales dans l'économie sociale, les entreprises et les syndicats, le CRISES.

Le mandat du CRISES est de repérer les transformations socioéconomiques dans les entreprises et la société. Inspiré quelque peu par l'école économique française de la régulation (Boyer, Aglietta, etc.), le CRISES insiste beaucoup sur le passage d'une économie régulée par l'État et s'appuyant sur un contrat social fordiste à une nouvelle économie régulée de manière plus partenariale (État-entreprises-syndicats). À l'époque du « fordisme », on assistait à des rapports conflictuels entre les syndicats et les entreprises, dus, surtout, à une trop forte rigidité des contrats de travail. Avec le Laboratoire de recherche sur les pratiques et les politiques sociales, auquel collabore maintenant l'ex-dirigeant de la CSN, Gérald Larose, le CRISES représente une caution universitaire au réseau de l'économie sociale et du développement économique communautaire. Incidemment, plusieurs professeurs dirigeants de ces groupes de recherche sont d'anciens catholiques, qui ont plus ou moins frayé avec le marxisme dans les années 70 mais qui sont revenus à une vision sociale néo-corporatiste ressemblant comme deux gouttes d'eau au corporatisme dont l'Église faisait la promotion dans les années 30, sous le nom de doctrine sociale de l'Église.

Le rôle socioéconomique du Fonds de solidarité de la FTQ se situe dans cette filière néo-social-démocrate, néo-corporatiste et humaniste réactionnaire du capitalisme québécois. Alors que, traditionnellement, les sociaux-démocrates insistaient fortement sur l'intervention de l'État, on privilégie désormais l'implication communautaire et syndicale dans l'économie, au risque de dénaturer complètement le mandat fondateur de ces deux mouvements.

Le document dont il est ici question a été préparé pour une table ronde animée par l'Institut Méridian international et le Centre parlementaire. Cette table regroupait tous les « ordres de gouvernement, les milieux d'affaires, le monde du travail et le secteur bénévole-sans but lucratif » (Lévesque, p. 9) ; on s'y est penché sur les nouvelles formes de gestion dans les organismes et dans l'économie en général. Le document est annoncé comme étant une étude socioéconomique, mais il relève davantage du plaidoyer, de l'apologie et de l'auto-discours. On y dénote une certaine rigueur et exhaustivité dans la description des angles abordés, mais le caractère scientifique de l'exercice est plutôt questionnable. Après avoir explicité ce qu'il entendait par nouvelle gouvernance et modèle de développement, Lévesque propose cette division de son exposé sur le Fonds de solidarité : 1) contexte d'émergence et grandes étapes de développement ; 2) souscription et actionnariat ; 3) investissements dans les entreprises et investissements stratégiques ; 4) formation économique et apprentissage économique ; et 5) nouvelles pratiques syndicales et financières.

En fait, son exposé, une fois avoir déblayé l'encrassage apologétique, devrait plutôt se lire ainsi : 1) phase de développement d'un outil de la bourgeoisie québécoise ; 2) ingénierie de la mobilisation de l'épargne ouvrière dans les mains des capitalistes ; 3) le Fonds comme intervenant stratégique de consolidation du capitalisme monopoliste québécois ; 4) le Fonds comme courroie de transmission de l'idéologie bourgeoise entrepreneuriale ; et 5) un instrument de travestissement du mandat syndical.

En effet, du point de vue de la reproduction du capitalisme monopoliste québécois, le Fonds de solidarité occupe de plus en plus une position centrale. Idéologiquement, il réussit à domestiquer au capitalisme une masse non négligeable de travailleurs et de travailleuses. Politiquement, les gens liés au Fonds se situent au carrefour des réseaux qui se sont développés entre les syndicats, les groupes communautaires, le personnel politique, les mandarins de l'État et le secteur des affaires, comme le démontre leur rôle majeur dans les sommets socio-économiques. De plus, sur le plan strictement économique, le rôle du Fonds n'est pas à dédaigner. Le travail de Lévesque nous donne d'ailleurs beaucoup d'indications sur ces différents aspects.

Pour Lévesque, l'originalité du Fonds se situe dans le fait qu'il satisfait l'intérêt individuel des actionnaires (souscripteurs-trices), l'intérêt général de la société (sic) et l'intérêt collectif des travailleurs-ses (re-sic). Cette originalité, il faut la comprendre en la situant par rapport à l'ensemble des modes de financement des entreprises et surtout, des fonds d'investissement qui procurent du capital de risque aux petites et moyennes entreprises (PME).

Si, avant les années 80, l'État bourgeois assumait un rôle important en terme d'intervention économique, à partir de ce moment, les entreprises se voient dotées de certains pouvoirs qui leur avaient été enlevés auparavant. Cependant, il n'y a pas nécessairement toujours correspondance entre l'intérêt individuel des entreprises et l'intérêt général de la société - même d'un point de vue bourgeois. Il s'imposait donc de trouver des répondants, en-dehors de l'État, qui tenteraient de réconcilier les dits intérêts individuel et général. Cela était particulièrement important pour ce qui est du financement des PME ; et cela s'est fait également sentir dans des domaines tous autres, tel celui de la santé et des services sociaux, qui a vu la prolifération d'organismes communautaires devenus sous-traitants de l'État dans des créneaux particuliers. Plus récemment, le développement de l'économie sociale s'inscrivait aussi dans la même logique. On assiste donc à un désengagement direct de l'État sans que pour autant, celui-ci abandonne complètement la définition du rôle des instances non-étatiques qui assumeront le rôle qu'il occupait précédemment.

C'est dans ce contexte qu'apparaît le Fonds de solidarité de la FTQ, qui doit assumer une certaine juxtaposition de divers intérêts. Pour Lévesque, cette juxtaposition d'intérêts différents n'est qu'un simple discours destiné à épater la galerie. Toutefois, en décodant les sous-entendus, on en arrive à saisir quels intérêts la bourgeoisie et ses relais dans les officines syndicales poursuivent. Par intérêt individuel, on entend une méthode efficace pour mobiliser l'épargne des travailleurs-ses. Par intérêt collectif, on suppose que parallèlement à l'abandon de la défense des intérêts fondamentaux de la classe ouvrière, le syndicat doit désormais jouer un rôle « positif » dans les instances de concertation et se repositionner dans un créneau différent, où il veillera au dit développement de l'emploi. Ainsi, le mouvement syndical tentera de préserver son existence organisationnelle en sauvant des emplois syndiqués, mais aussi en s'affichant comme pourvoyeur d'une large gamme de services, dont les fonds de pension. Finalement, l'intérêt général ou collectif dont on parle n'est que celui de la bourgeoisie monopoliste québécoise.

Lévesque insiste sur le développement de nouveaux modes de gestion, autant dans l'économie en général (aspect macroéconomique) qu'au niveau des collectivités locales et des entreprises elles-mêmes (aspect microéconomique). En fait, le maître d'œuvre de ces nouvelles formes de gouvernance porte le nom de concertation. Pour la rendre efficace, il faut développer le partenariat. « Dans cette visée, le partenariat spécifie la nouvelle gouvernance puisqu'il donne consistance aux autres dimensions qui caractérisent cette dernière. Ainsi, les relations de transparence et de confiance ne peuvent s'épanouir sans des ententes ou des compromis entre des partenaires aux intérêts souvent divergents. Par conséquent, le partenariat plus ou moins institutionnalisé permet alors de prendre en charge des points de vue différents pour la réalisation d'œuvres communes. » (p. 12)

Le Fonds apparaît donc comme étant une importante pièce du casse-tête. Au niveau macroéconomique, il est au cœur des différents réseaux et tables de concertation qui interviennent dans l'économie. Les choix du Fonds, il est vrai, ne seront pas commandés par la seule rentabilité financière. Mais ces investissements vont souvent jouer un rôle structurant économiquement. Au niveau des entreprises individuelles, le Fonds de la FTQ se démarque de la plupart des autres fonds de capital de risque parce qu'il opère un « bilan social ». Dans les faits, il s'agit surtout d'évaluer les possibilités d'établir des rapports de concertation au sein de l'entreprise. On peut assimiler le Fonds de solidarité à une sorte de fonds éthique qui tient compte des « retombées sociales positives de l'action d'une entreprise ». Ceci dit - et les gens du Fonds l'admettent -, un « bilan social » positif est aussi un gage de solides retombées financières. En tout et partout, ce sont 10 à 15 % des projets soumis au Fonds qui obtiennent du financement, alors que les autres fonds de capital de risque n'acceptent que 2 à 3 % des projets qui leur sont soumis (p. 62).

Nonobstant tout ce qu'on en dit, la question essentielle demeure la suivante : est-ce que le Fonds de solidarité sert les intérêts du prolétariat ou sert-il les intérêts de la bourgeoisie ? Pour Lévesque, il s'agit là question impertinente. Mais le simple fait de refuser de la poser traduit, chez Lévesque et son groupe de recherche, l'acceptation d'une soumission idéologique à la bourgeoisie. Le fait que le Fonds se soit doté de certaines « missions sociales » (sauver des emplois, évaluer le bilan social de l'entreprise, etc.) ne doit pas faire illusion. C'est une sorte de poudre aux yeux, dont les effets à long terme peuvent être aussi néfastes, sinon plus, que ceux du gaz lacrymogène...

Phase de développement d'un outil de la bourgeoisie québécoise
C'est au congrès de la FTQ de décembre 1983 qu'est décidée la mise sur pied du Fonds de solidarité. À l'époque, nous sommes en pleine crise économique, avec beaucoup de fermetures d'entreprises et de diminution de personnel dans celles qui continuent (150 000 pertes nettes d'emploi au Québec et 15,5 % de chômage en 1982). Le congrès de la FTQ se tient sous le thème du plein emploi. La direction de la centrale n'a rien de plus brillant à proposer à cet égard que la création du Fonds. Louis Laberge, alors roi et maître de la FTQ, affirme : « N'ayons pas peur du mot concertation. » (cité par Lévesque, p. 16)

Dans les objectifs initiaux du Fonds, on retrouve le désir de préserver des emplois et d'en créer de nouveaux ; mais aussi, on cherche certaines « nouvelles avenues » pouvant conduire à la démocratisation du milieu de travail et à l'élargissement du rôle des salariés-es dans l'organisation du travail. Ces avenues, on les souhaite toutefois prudentes. Deux ans plus tôt, en 1981, on a notamment vécu la faillite de Tricofil - une entreprise complètement autogérée par les travailleurs-ses. D'autres exemples apparaissent plus annonciateurs de « succès », telle l'expérience de Tembec, qui associe une copropriété originale entre les travailleurs-ses, les anciens gestionnaires de l'entreprise, l'État et la communauté locale (une petite municipalité du Témiscamingue).

La FTQ est fortement engagée dans l'atmosphère de concertation qui règne avec le gouvernement du PQ. Elle participe à ses sommets économiques bidon. La FTQ collabore avec l'État dans la répression des travailleurs-ses accidentés-es, en participant à la CSST et en souscrivant à ses objectifs qui cherchent à ne faire porter la responsabilité des accidents de travail que sur le dos des seuls-es travailleurs-ses. En 1981, lors du Sommet socioéconomique, la FTQ avait en outre proposé le projet Corvée-Habitation, qui consistait en un fonds visant à réduire les hypothèques sur les nouvelles constructions et qui se payait par une taxe spéciale des institutions financières et une contribution des employeurs et travailleurs du domaine de la construction. Corvée-Habitation était ni plus ni moins qu'une répétition pour la mise en place du Fonds.

Au départ, le Fonds de solidarité ne s'attire pas immédiatement la sympathie du monde des affaires. Par contre, l'État québécois trouve le projet très intéressant, d'autant plus qu'il s'inscrit dans certains de ses objectifs. Chez les capitalistes dont les entreprises ont un statut précaire, les besoins en capital de risque sont grands. Pour le PQ, certaines entreprises québécoises prometteuses et qui font partie de la garde montante attendent un tel type de financement. Le PQ fait donc tout ce qu'il peut pour faciliter les débuts du Fonds de solidarité ; il réussit même en 1985 à associer le gouvernement conservateur de Brian Mulroney. C'est, entre autres, par une exemption fiscale pour les REER (régimes enregistrés d'épargne-retraite) et une autre, supplémentaire, pour les fonds de travailleurs que les deux paliers de l'État bourgeois appuieront le Fonds de solidarité.

Le développement du Fonds passe alors par trois phases. De 1983 à 1987, le Fonds cherche davantage à sauver des emplois. Par la suite, de 1988 à 1994, le Fonds apparaît comme étant une institution financière assez significative pour jouer un rôle structurant dans le domaine des fonds d'investissement. Pour Lévesque, « il devient un acteur social vers lequel on se tourne désormais, notamment pour des projets relevant de l'intérêt général. Enfin, la création d'emplois s'inscrit alors dans une vision à long terme du développement, de sorte que l'investissement dans les secteurs de la nouvelle économie et le soutien à l'exportation sont désormais considérés comme nécessaires. » (p. 21) La dernière phase, de 1995 à aujourd'hui, est celle de la consolidation de son organisation interne. Une fois la mission établie, il s'agit maintenant de roder la machine et se spécialiser dans certains domaines d'activités qui rendent compte des besoins économiques de l'impérialisme québécois.

Le Fonds est désormais devenu un acteur majeur du domaine financier impérialiste québécois. En 1999, son actif était de 3,122 milliards de dollars. La valeur de ses investissements était évaluée à 2,235 milliards $, dans 1 404 entreprises. Ces chiffres semblent peser encore bien peu si on les compare à ceux d'acteurs plus majeurs, comme la Caisse de dépôt et de placement du Québec, qui gère le fonds de pension des Québécois-es, et le Mouvement Desjardins, qui possède des actifs totaux de 75 milliards $. Par contre, son rôle stratégique est très significatif.

Ingénierie de la mobilisation de l'épargne ouvrière dans les mains des capitalistes

Quand vient le temps de faire leurs rapports d'impôts, plusieurs ouvriers-ères se rendent compte que l'État bourgeois va encore tenter de leur extorquer davantage d'argent. Un ouvrier ou une ouvrière qui a fait plusieurs heures de temps supplémentaire pour joindre les deux bouts se retrouve souvent dans une telle situation. Et les grandes institutions financières capitalistes le savent bien. C'est ainsi que durant la saison des impôts, elles multiplient les campagnes pour vendre des placements dans les REER. Ceux-ci permettent en effet d'obtenir des crédits d'impôt atteignant en moyenne 40 % du montant investi. Mais si vous choisissez le REER du Fonds de solidarité, c'est alors 70 % de votre investissement qui donne droit à un crédit d'impôt, aux deux paliers gouvernementaux. Ainsi, un ouvrier ou une ouvrière pris pour payer, disons, 700 $ d'impôt supplémentaire, sera fortement tenté de placer 1 000 $ au Fonds de solidarité, ce qui va lui permettre de sauver la mise.

Voilà un très fort incitatif qui réussit à convaincre plusieurs personnes, qui ne voit que leur intérêt individuel à court terme. Eh ! oui, c'est de l'argent qu'on sauve et qu'on épargne pour l'avenir (ce qui permettra aussi éventuellement à l'État de se débarrasser du fardeau des prestations de retraite). Mais c'est aussi de l'argent qui enrichit non seulement une entreprise capitaliste (car le Fonds, c'est d'abord cela), mais également toute une industrie financière. Les institutions financières concurrentes du Fonds pourraient certes lui porter des critiques plus acerbes. Mais elles ne le font pas. Les placements REER des autres institutions ne profitent que d'un crédit d'impôt de 40 % ; mais elles ne se plaignent pas. Le Fonds de solidarité profite d'un réseau de courtiers bénévoles qui ne perçoivent même pas de pourcentage sur les placements qu'ils vendent. Là encore, il n'y a pas beaucoup de plaintes. Bizarre, quand même !

Il faut dire que les placements au Fonds de solidarité ne peuvent excéder 5 000 $ par année et n'offrent pas un taux de rendement mirobolant. Ils s'adressent donc à une clientèle moins fortunée (mais pas nécessairement pauvre) et peu habituée au placement, c'est-à-dire les couches moyennes de la classe ouvrière et certaines autres un peu plus nanties. Il faut mentionner aussi que certains secteurs de la petite-bourgeoisie (enseignants et enseignantes, infirmières et infirmiers), par le biais de leur centrale syndicale, la CSQ (Centrale des syndicats du Québec, ex-CEQ) et de la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec (FIIQ), participent aussi au Fonds de solidarité. Ceci dit, lorsque les souscripteurs-trices du Fonds prennent leur retraite, leur argent se voit transféré dans les grosses institutions financières capitalistes telles le Mouvement Desjardins, les différentes banques et compagnies d'assurances, etc.

D'autre part, le travail « d'éducation économique et financière » du Fonds ne profite pas qu'à lui seul ; les autres institutions financières peuvent en retirer des bénéfices. Le Fonds a un vaste réseau de courtiers bénévoles, dont la tâche première est de recueillir l'argent des travailleurs-ses. Ce sont des travailleurs-ses syndiqués-es, que leur syndicat libère pour effectuer cette tâche. On les nomme responsables locaux (RL). Elles et ils sont au nombre de 2 200.

Il ne fait pas de doute que pour convaincre les travailleurs-ses de souscrire, les RL y vont de tous les arguments imaginables. En fait, les RL reprennent les mêmes arguments que n'importe quels « conseillers financiers » d'une autre institution financière. « C'est important de planifier son avenir et de se préparer une retraite dorée et sans souci », et ainsi de suite... Une fois entraîné à la logique financière capitaliste - et cela par des responsables syndicaux -, n'importe quel prolétaire devient alors une proie facile pour les autres requins de la finance.

Par ailleurs, compte tenu du vieillissement de la population et que le taux d'épargne en Amérique du Nord est généralement faible, ce qui entraîne une certaine non-disponibilité de financement pour les entreprises capitalistes, ce travail de mobilisation de l'épargne ouvrière est loin d'être néfaste pour la classe capitaliste dans son ensemble.

Le Fonds comme intervenant stratégique de consolidation du capitalisme monopoliste québécois

Pour Lévesque, l'investissement du Fonds de solidarité dans les entreprises comprend deux dimensions : 1) des investissements dans des entreprises qui ont « un impact sur l'augmentation ou le maintien du niveau d'emploi ou d'activité économique du Québec » ; 2) « des investissements stratégiques qui profiteront aux travailleurs et travailleuses ainsi qu'aux entreprises québécoises » (p. 29).
Lévesque insiste lourdement sur la pratique du bilan social exigé par le Fonds lorsqu'il décide d'investir dans une entreprise. Cela permettrait d'évaluer le degré d'ouverture et de transparence de l'entreprise envers ses employés-es, de même que le climat de travail. De plus, le bilan évaluerait l'impact des investissements sur le nombre d'emplois. Si, au début, ce bilan se voulait une certaine caution des « valeurs syndicales », il n'est vite devenu qu'un bon indicateur de la viabilité financière d'une entreprise. Lévesque se voit d'ailleurs obligé de nuancer le rôle du bilan social. Il concède que moins de 10 % des projets soumis au Fonds auraient été rejetés pour cause d'un bilan social jugé inadéquat. Selon lui, l'exigence du bilan filtrerait à l'avance les candidatures trop problématiques. Mais il y a ce cas de Gildan Activewear, où le Fonds a investi plusieurs millions de dollars et où la direction a ensuite combattu la formation d'un syndicat du SVTI... affilié à la FTQ ! Il y a aussi bien d'autres cas semblables, qui ne semblent pas intéresser nos chercheurs universitaires.

Mais ce qui définit le mieux le rôle actuel du Fonds de solidarité, c'est son désir d'intervention stratégique dans l'économie québécoise. Le Fonds s'est doté d'une mission dite proactive dans l'économie. Ainsi, d'après un de ses documents de 1995, il vise : « 1) le développement des exportations ; 2) la prospection de PME chefs de file dans leur domaine ; 3) le développement technologique avec l'aide de fonds spécialisés de manière à faire du Québec un centre d'excellence ; et 4) le développement sectoriel à partir d'une nouvelle stratégie d'intervention sectorielle, proactive, intégrée et applicable à un grand nombre de secteurs » (cité par Lévesque, p. 32).

C'est en particulier le développement stratégique qui est retenu comme principal axe d'intervention du Fonds. Un plan d'ailleurs a été développé qui comprend les éléments suivants : « les champs d'intervention sectoriels offrant les meilleurs occasions d'affaires ; l'impact économique prévu des interventions du Fonds en terme de création d'emplois, de développement régional, d'effets structurants particuliers, etc. ; les priorités d'intervention et leurs modalités d'application ; les stratégies d'intervention et leur modalité d'application ; la description du rôle proactif que jouera le Fonds dans ce secteur ; l'encadrement budgétaire des investissements dans le secteur » (pp. 32-33). Évidemment, de telles interventions se feront en partenariat avec l'État et les entreprises capitalistes.

C'est ainsi que par exemple, le Fonds s'est investi à fond dans l'industrie recréotouristique. Dans ce secteur, il y aurait quelque 29 000 petites et moyennes entreprises. Celles-ci n'auraient pas suffisamment de capitaux pour se faire valoir sur le marché international, mais leur développement annoncerait une forte croissance de main-d'œuvre. Connaissant le secteur et sachant qu'il n'est pas facilement syndicalisable, comment la FTQ peut-elle justifier le soutien financier qu'elle lui accorde par Fonds interposé en même temps que son supposé désir d'obtenir la syndicalisation multipatronale de ce secteur ?

Au fil des ans, le Fonds de solidarité s'est doté d'une multitude de fonds spécialisés. Il a en outre fortement soutenu le développement de l'industrie biotechnologique. Dès 1990, en coopération avec la Caisse de dépôt et de placement, le Fonds créait BioCapital, qui offrait du capital de risque dans ce secteur, même si ces entreprises ne sont pas très rentables au début, la recherche constituant le plus gros de leur activité. Après que le Fonds eût assumé les risques de départ, l'entreprise privée et l'État prennent maintenant le relais et s'impliquent fortement dans ce secteur en croissance.

À part ces fonds spécialisés, le Fonds de solidarité s'occupe aussi d'une multitude de fonds régionaux et locaux, qui soutiennent les PME et le travail autonome. Il arrive même que ces fonds servent à financer des entreprises qui deviennent sous-traitantes pour de grosses multinationales qui ont aboli des emplois maintenant occupés dans ces firmes.

Le Fonds s'inscrit totalement dans le contexte actuel de la mondialisation des marchés. Rien d'étonnant à ce que la FTQ ait été invitée à siéger aux tables de négociation visant à définir le contenu de la zone de libre-échange des Amériques, et qu'elle ait accepté d'y participer. Lors du dernier Sommet des Amériques à Québec, la FTQ a tout fait pour étouffer la colère populaire, y compris celle de ses propres membres qui désiraient se rapprocher du périmètre de sécurité et manifester leur exaspération face à l'exploitation qu'ils subissent. La manif syndicale patronnée par la FTQ a fini, comme on le sait, dans le stationnement du Colisée Pepsi, à des kilomètres du sommet.

Benoît Lévesque montre bien l'ampleur de l'inscription du Québec dans les réseaux économiques internationaux : « De fait, l'ouverture de l'économie du Québec sur l'extérieur est passée de 39,1 % en 1981 à 50,6 % en 1998 de sorte que cette économie a réalisé hors de son territoire un volume de ventes équivalent, en gros, à la moitié de toute la valeur ajoutée réelle qu'elle a engendrée cette même année. » (p. 45) Lévesque tire comme conclusion que l'avenir des entreprises québécoises dépend de plus de leur capacité à conquérir des parts de marché extérieur. Mais, évidemment, cela s'avère encore difficile pour les PME. Qu'à cela ne tienne, le Fonds est là pour mieux les positionner sur l'échiquier impérialiste mondial. Saint-on jamais, le prochain Bill Gates sera peut-être québécois ?

Pour bien se positionner dans le domaine des exportations, le Fonds propose quatre directions : 1) la conclusion de grands partenariats à l'exportation ; 2) le développement d'un Fonds de développement à l'exportation ; 3) le soutien aux locomotives à l'exportation ; 4) le développement de services de commercialisation internationale. Le Fonds a participé à des missions commerciales à l'étranger et s'est associé avec Hydro-Québec International. Il s'est doté d'une équipe spécifique pour réaliser ces objectifs impérialistes. De plus, parce que l'impérialisme, c'est aussi et surtout l'exportation des capitaux, le Fonds a aussi son propre fonds spécialisé dans l'investissement étranger, FODEX, défini comme étant un « partenaire investisseur ». On est donc bien loin des prétentions initiales du Fonds, qui ne disait souhaiter que sauver des emplois menacés et accroître le rôle des travailleurs-ses dans les entreprises.

Le Fonds comme courroie de transmission de l'idéologie bourgeoise entrepreneuriale

Au début, le Fonds de solidarité de la FTQ essayait de projeter une image plus progressiste. Ainsi, il se targuait de vouloir démocratiser la connaissance de l'économie et du milieu financier. Le Fonds insistait beaucoup sur son travail de formation en entreprise. D'une part, il s'agissait de former les bénévoles affectés-es à la cueillette des fonds (les RL) ; d'autre part, on exigeait, pour que le Fonds investisse dans une entreprise, que cette dernière accepte qu'il y donne des séances de formation.

Au départ, les patrons étaient plutôt hostiles à cette proposition. Plusieurs craignaient que l'ouverture des livres et l'étude des états financiers de l'entreprise ne se retournent contre eux lors de négociations collectives ultérieures. Par ailleurs, ces patrons étaient souvent jaloux de leurs prérogatives. Certains disaient : « Ce ne sont pas les syndicats qui vont gérer les entreprises ! » Avec le temps, toutefois, les capitalistes se sont bien rendus compte que le Fonds ne leur était pas si hostile que ça...

D'après ce que Lévesque a relevé, « les responsables de la formation auraient observé une amélioration de la dynamique à l'intérieur de l'entreprise. Ainsi, la direction écouterait plus ce que les employés ont à dire, d'autant plus que cela favoriserait l'amélioration de la performance de l'entreprise. La formation permettrait aux employés d'améliorer leur rendement et de mieux connaître leur entreprise. Elle favoriserait la transparence à tous les niveaux, c'est-à-dire le partage de l'information mais aussi des bénéfices [sic]. Les impacts seraient positifs parce que les gens sauraient mieux s'organiser, la situation ou la réalité de l'entreprise apparaîtrait un peu plus claire. Dès lors, les employés s'impliqueraient davantage afin d'augmenter la rentabilité de leur entreprise, par exemple en évitant le gaspillage, en réduisant le taux d'absentéisme, etc. En conséquence, elle contribuerait à la croissance et à la rentabilité de l'entreprise. » (p. 57)

Ce que le clergé faisait à une autre époque, le Fonds de solidarité de la FTQ le réalise désormais. Au lieu d'invoquer Dieu, on vénère les sacro-saintes lois du marché. Mais le résultat est similaire : la même obéissance servile aux capitalistes pour qui on fait tout ce qu'on peut pour leur assurer le plus de pognon possible. Quelle est la conséquence politique d'un tel rôle de courroie de transmission de l'idéologie capitaliste dorénavant assumé par le mouvement syndical ? Lévesque le dit franchement : « La formation économique en entreprise a contribué au passage d'un syndicalisme d'affrontement à un syndicalisme de proposition ou de concertation. » (p. 52) Il ne pouvait pas mieux dire.

Un instrument de travestissement du mandat syndical

Si le mouvement syndical québécois est passé d'un des plus militants qu'il était dans les années 70 à l'un des plus conciliants aujourd'hui, le rôle du Fonds de solidarité n'y est certainement pas étranger. Quand le Parti québécois prend le pouvoir en 1976, il reçoit l'appui enthousiaste de la direction de la FTQ. Celle-ci se lance tête baissée dans toutes les aventures péquistes, comme cette multitude de sommets économiques. Cette époque correspond aussi à une période de reflux des luttes ouvrières. C'est la situation économique générale qui est alors surtout en cause, puisque ce reflux se constate aussi ailleurs qu'au Québec. Par contre, la présence d'un gouvernement nationaliste au discours social-démocrate accentue ce trait de caractère. La récession de 1982 accroît le défaitisme ambiant dans le milieu ouvrier. Le Fonds, projet concertationniste et nationaliste par excellence, trouve une niche dans ce contexte. Il est bien là, le caractère politique du Fonds. Ces propos de Raymond Bachand, son actuel PDG, le confirment : « Nous essayons de créer une alliance entre les travailleurs et la direction de l'entreprise, alliance dont l'objectif est de faire face conjointement à la concurrence et d'assurer la croissance de l'entreprise. » (cité par Lévesque, p. 68) On conviendra qu'on est là bien loin des objectifs de l'internationalisme prolétarien...

Comme on l'a vu, le capital de risque n'est pas rien dans une économie impérialiste. Le Fonds y a trouvé sa niche. Par lui, la FTQ se trouve désormais liée à un réseau de pouvoir déterminant pour la marche économique du Québec impérialiste. Il existe une très forte concertation et un maillage serré entre les gouvernements, les institutions bancaires et les mouvements syndicaux au Québec : « l'industrie du capital de risque est un réseau serré dans lequel les personnes se connaissent et poursuivent des projets en commun et des projets individuels » (p. 61). Pour des dirigeants syndicaux qui font plus confiance au gouvernement qu'aux travailleurs-ses et qu'on doit maintenant caractériser comme étant eux-mêmes des bourgeois, ces réseaux de pouvoir doivent être occupés. Ne nous étonnons pas que la CSN ait elle aussi créé son propre fonds (appelé Fondaction) pour pouvoir participer à cette confrérie.

Ces réseaux bourgeois s'avèrent très mobiles. « De même, vu qu'il regroupe le plus grand nombre d'analystes et de conseillers financiers au Québec, il [le Fonds] est devenu non seulement l'un des principaux lieu d'expertise mais également le principal lieu de formation, d'expérimentation de façons de faire différentes et d'influence à partir entre autres de la mobilité de ses principaux gestionnaires du début (ex. Claude Blanchet, PDG de la SGF, Denis Dionne, PDG de Sofinov, Bernard Coupal, Innovatech, etc.) » (p. 63). Incidemment, Claude Blanchet est le conjoint de l'actuelle ministre des Finances, Pauline Marois.

Si, au niveau de la société en général, la FTQ ne joue plus un rôle positif dans la marche émancipatrice des travailleurs-ses, les syndicaux locaux des entreprises où le Fonds a investi se retrouvent eux aussi les mains liées. Tout le génie des travailleurs-ses se trouve canalisé dans des objectifs patronaux. On diminue les niveaux hiérarchiques et on crée une organisation du travail différente où les travailleurs-ses s'autorépriment collectivement. Les seuls gains palpables dans la réorganisation du travail sont d'avoir le sentiment d'une écoute patronale sur les question des « coûts de non-production et de non-qualité » découlant d'un mauvais aménagement des tâches et d'une mauvaise utilisation des instruments de production. Pour Lévesque, la qualité des négociations se serait accrue à cause d'une meilleure circulation de l'information. Dans les faits, le Fonds permet le lavage de cerveau des travailleurs-ses pour leur faire accepter davantage de soumission envers leurs exploiteurs.

Ce travestissement du mandat syndical original et l'abandon de toute critique du capitalisme ne font pas nécessairement l'affaire de tous les syndicats du pays. La section canadienne-anglaise des Travailleurs-ses canadiens de l'automobile (TCA) a d'ailleurs formulé cette critique, dans un texte consacré à l'industrie canadienne des fonds de travailleurs : « En vérité, toutefois, l'industrie des fonds de travailleurs est une mauvaise manière pour le mouvement ouvrier de devenir plus actif dans la lutte pour une économie plus juste, plus productive et efficace. L'industrie des fonds de travailleurs implique l'acceptation du régime privé d'investissements, basé sur les intérêts particuliers et la recherche du profit, qui a tant affaibli notre économie et nos ouvrières et ouvriers pendant les années 90. Cette industrie a créé une énorme structure administrative, fort coûteuse, qui s'est avérée exceptionnellement inefficace et n'a pas réussi à canaliser l'argent des payeurs de taxes dans des investissements réels. Elle a eu beaucoup moins d'impact sur le marché du travail que ce dont on aurait pu s'attendre, eu égard à l'ampleur des sommes qu'on y a consacrées. En s'associant à un tel schéma d'investissements privés qui au mieux s'est avéré douteux, et au pire corrompu, le mouvement ouvrier a entaché sa bonne réputation. » (notre traduction) [1]

Malheureusement, les TCA capitulent devant l'existence de ces fonds. Dans le texte en question, ils suggèrent de les réformer, de manière à atténuer leurs effets les plus néfastes. Une partie de leur critique est certainement juste : les fonds de travailleuses et de travailleurs ne rompent pas du tout avec la logique du marché capitaliste et du profit. Même qu'ils ont l'effet inverse, parce qu'ils entraînent les travailleurs-ses à soutenir le capitalisme et l'impérialisme.

Cette domestication s'opère différemment selon la fraction de la classe ouvrière à laquelle on appartient. Ainsi, le principal soutien idéologique du Fonds de solidarité de la FTQ provient des secteurs les plus réactionnaires de l'aristocratie ouvrière. Ces secteurs trouvent certains avantages matériels dans le Fonds ; ils y trouvent aussi d'autres formes d'avantages liés à leur représentation politique du monde (réformisme concertationniste, nationalisme, etc.). D'autre part, cette aristocratie ouvrière collabore étroitement avec l'impérialisme québécois pour développer des petites et moyennes entreprises qui sous-traitent des entreprises plus importantes où elle est concentrée. Dans ces PME, on retrouve très souvent les secteurs les plus exploités et opprimés du prolétariat. Le Fonds tend à réaliser matériellement et idéologiquement ce clivage dans le mouvement ouvrier. Au lieu de tenter de détacher cette aristocratie ouvrière de la bourgeoisie, la FTQ l'inscrit davantage dans ses réseaux.

Le Fonds de solidarité de la FTQ demandera une plus grande analyse quant à son rôle effectif dans la consolidation de l'impérialisme québécois et son rôle idéologique parmi la classe ouvrière. Son existence doit se mériter un feu nourri d'attaques sur le front idéologique et ultérieurement, sur d'autres fronts.

[Lévesque, Benoît (sous la direction de), Un cas exemplaire de nouvelle gouvernance, Montréal, CRISES et Fonds de solidarité de la FTQ, avril 2000.]


 

1) Canadian Automobile Workers' Research Department, Labour sponsored Funds : Examining the evidence, février 1999.
(paru dans la revue Socialisme Maintenant! n° 7)

(paru dans la revue Socialisme Maintenant! n° 7)

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